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Larry ouvrit la porte. Il était terrifié. Un long tunnel obscur se profilait devant lui. Une petite lumière scintillante en marquait la fin. Larry se retourna et vit apparaître la silhouette du molosse.

Pas le temps de réfléchir. Il s'enfonça en courant dans le tunnel.

À sa surprise, le sol était meuble sous ses pieds. Il devait faire attention à ne pas tomber. Il entendit un hurlement derrière lui et se retourna.

Ce qu'il vit le fit frissonner d'horreur et le paralysa un instant. Puis, s'évertuant à garder son sang-froid, il se remit à courir. Mais, à cause de l'obscurité, il trébucha sur une masse compacte. Il s'affala de tout son long.

Dans la faible luminosité qui l'entourait, il devina un cadavre. Son propre visage figé dans la mort. Il se mit à hurler...

Larry ouvrit les yeux et resta quelques secondes immobile, allongé sur la banquette arrière de son véhicule. Son cœur battait à tout rompre. Il avait encore des frissons dans le dos.

- Nom de Dieu! jura-t-il quand son cerveau fut complètement réactivé.

Il se redressa et sortit du véhicule. Les lueurs de l'aube naissante illuminaient la forêt alentour d'une façon féerique.

Il fit quelques pas et alla pisser. Un petit vent frais contribua à lui faire oublier son cauchemar. Un simple cauchemar.

Aussi saisissant qu'il ait pu être, ce n'était qu'un mauvais rêve, se dit-il alors que ses visions commençaient à s'estomper.

Il ne fallait pas paniquer. La veille, il avait passé de nombreuses heures à réfléchir à la meilleure attitude à adopter. Finalement il avait opté pour la plus sensée : il allait se livrer à la police.

Quelles que soient les menaces de l'homme, il ne s'imaginait pas passer toute sa vie en cavale. Il n'avait pas d'argent, ne parlait aucune autre langue que l'anglais, et, même s'il passait au Canada, il serait sans aucun doute extradé.

Il remonta dans son véhicule. Malgré une terreur insidieuse qui guettait au fond de sa conscience, il gardait un relatif sang-froid.

Sa vie venait de basculer du tout au tout.

Il était devenu l'ennemi public n° 1.

Suspecté des meurtres barbares de deux jeunes filles et accessoirement de celui d'un jeune garçon. Pourtant, en ce début de belle matinée, il s'étonnait de son calme.

Dans l'adversité, l'homme redevient animal. Il se raccroche à son instinct de survie et parvient à accepter l'inacceptable pour affronter toutes les épreuves.

Non, il ne flancherait pas. Aussi terrible que soit le fait de se livrer pour un crime qu'il n'avait pas commis, il savait que c'était la seule solution. Il n'avait aucune alternative. Il était innocent.

D'une façon ou d'une autre, il arriverait à le prouver. OJ Simpson était bien en liberté, alors que lui était réellement un meurtrier !

Mais Larry se garda de trop espérer. Il n'avait pas des millions sur son compte en banque !

Il sortit du chemin de traverse et reprit la grande route qui serpentait jusqu'à River Falls. Bon, la première chose à faire était de passer chez lui pour changer de fringues, et surtout récupérer les seuls éléments pouvant semer le doute dans un jury de citoyens prêts à le faire griller sur une chaise !

Il mit la radio sur WKFM. Un morceau de Foreigner lui réchauffa agréablement les oreilles. Il réussit à esquisser un sourire.

- I've been waiting for a girl like you..., réussit-il à fredonner en harmonie avec Lou Gramm.

Hurley avait passé une très mauvaise nuit. Elle s'était réveillée vers quatre heures du matin, sans parvenir à retrouver le sommeil. Elle ne cessait de penser à Logan et à tout ce gâchis. Il était parfois si têtu, si dur, qu'elle en arrivait presque à le détester.

Elle se tourna et se retourna mille fois dans son lit avant de se résoudre à se lever. Même si une douche eût été la bienvenue, elle préféra s'habiller et, après un léger maquillage, descendre directement à la cuisine. Elle ne tenait pas à réveiller le maître de maison par le bruit de la conduite d'eau.

Elle se prépara un petit déjeuner dans le silence le plus complet. Par la fenêtre, elle observa la rue encore endormie sous un ciel qui commençait à s'éclaircir vers l'est.

Elle but un grand verre de jus d'orange, accompagné de petits pains fourrés au chocolat. Une fois rassasiée, elle alla dans le salon. Elle prit la télécommande de la télévision, mais la reposa aussitôt. Elle avait besoin de sortir.

Elle regarda sa montre. Cinq heures et quart. Elle fit une moue dubitative puis, d'un pas déterminé, elle alla chercher son manteau. Ensuite, elle retourna dans la cuisine et laissa un mot sur un Post-it qu'elle colla sur le frigo.

Elle sortit en prenant soin de ne pas claquer la porte.

La fraîcheur matinale la surprit. Elle se hâta vers sa Ford Escort. Une fois à l'intérieur, elle démarra et monta le chauffage à fond.

Elle prit le temps de rentrer Hampton Street dans son GPS, et enclencha la première.

Larry sentit son zen matinal s'effilocher au fur et à mesure qu'il progressait dans la ville. La circulation était réduite à son strict minimum. La plupart des habitants se levaient à peine. Malgré cela, il avait le trouillomètre qui grimpait au zénith dès qu'il croisait une voiture. Pourtant, sur les ondes, il n'avait rien entendu concernant son véhicule.

Une chance pour moi ! avait-il pensé.

Il pénétra dans les quartiers populaires et arriva enfin en haut de Hampton Street. Il arrêta la radio et ralentit l'allure en retenant son souffle.

Il passa devant le numéro 145. Aucune voiture de police ne semblait être garée dans la rue.

Il avait compté sur le fait que son appartement avait déjà dû être visité la veille. Il ne voyait pas pourquoi ils auraient été encore là aujourd'hui. Une chose était certaine, ils n'avaient pas trouvé son petit trésor, sinon la radio se serait fait un plaisir de l'annoncer.

Quant à l'éventualité d'un vigile qui aurait gardé son appartement pendant la nuit, ça lui paraissait peu vraisemblable. Les policiers ne devaient assurément pas envisager qu'il repasse chez lui. Pour eux, il avait quitté la ville depuis vendredi soir, il avait dû préparer son départ bien à l'avance. Du moins, c'est le scénario qui lui semblait être le plus probable. Enfin, c'est ce qu'il espérait !

Drôle de pensée, se dit-il en se garant à quinze mètres de chez lui. Il allait se présenter dans l'heure qui suivrait au commissariat, mais il appréhendait de se faire prendre par un vigile juste avant.

Mes dernières minutes de liberté ! pensa-t-il alors que la peur revenait se glisser insidieusement dans sa tête.

Il éteignit le moteur de sa Subaru, mais laissa la clé sur le contact. Il sortit de la voiture sans claquer la porte et remonta la rue d'une démarche qu'il espérait naturelle.

Dehors, il n'y avait personne. Il grimpa les marches de son immeuble sans se faire repérer. Il tapa le digicode et la porte émit un déclic. Il la poussa lentement.

Malgré l'obscurité du hall, il n'appuya pas sur l'interrupteur et préféra de mémoire se faufiler jusqu'à l'escalier.

Tandis qu'il gravissait les deux étages, il maudit le syndic de propriété de ne pas l'avoir refait depuis des années. À chaque pas, les marches de bois craquaient sous son poids. Ce bruit résonnait dans sa tête comme des déflagrations nucléaires !

Il arriva sur son palier. À travers les portes alignées le long du couloir, il pouvait percevoir la rumeur d'un immeuble qui se réveille lentement.

Prudemment, il avança jusqu'à sa porte. Il aperçut les fameux bandeaux jaunes Do not cross collés en diagonales sur sa porte. Elle était entrouverte. Il distingua un filet de lumière qui s'en dégageait.

À pas de chat, il avança encore un peu. Pas de doute, quelqu'un fouillait son appartement.

Et merde ! jura-t-il. À tous les coups, un voisin mal intentionné qui essayait de lui voler ses affaires !

À sa surprise, la colère prit le pas sur la peur. Il s'arrêta devant sa porte.

Son cœur battait à tout rompre. Il ne s'était pas préparé à ça.

Soit il foutait le camp et allait directement chez les flics, soit il dégageait l'intrus à coups de poing, récupérait son petit trésor et fonçait chez les flics.

Il ferma les yeux, prit son souffle et posa la main sur la poignée.

Une sonnerie de portable retentit à l'intérieur de son appartement. Il se figea aussitôt.

- Logan ? fit Hurley en répondant à l'appel.

- Salut, Jessica. Où es-tu ?

Hurley alla s'asseoir sur une chaise, dans le petit salon.

- Je suis chez Brooks.

Logan émit un soupir.

- Alors, tu as trouvé du nouveau ?

Hurley laissa errer son regard sur la bibliothèque qui lui faisait face.

- Je viens d'arriver. Mais, s'il y a quelque chose à trouver ici, je le trouverai. Tu peux me faire confiance.

- Tu fais comme tu le sens, Jessica, mais entre nous tu perds ton temps.

Hurley jeta un regard par la fenêtre et vit que les nuages s'épaississaient dans le ciel.

— C'est ce qui me plaît dans ce boulot, perdre mon temps, répondit-elle.

Un silence s'installa, ce fut Logan qui le rompit.

- Au fait, je suis désolé pour hier soir. J'étais épuisé, de mauvaise humeur, et je me suis laissé emporter.

Cette fois-ci, ce fut Hurley qui garda le silence avant de répondre.

— Ne t'inquiète pas. C'est déjà oublié, mentit-elle. Même si tu resteras toujours une énigme pour moi, je suis bien incapable de t'en vouloir. Pourtant, Dieu sait si tu ne mérites pas mon pardon !

Logan se racla la gorge.

- Je suis sincèrement navré, Jessica. J'ai besoin de temps. J'ai besoin de faire le point sur tout un tas de trucs. Je ne veux rien te promettre mais, le jour où j'aurai chassé mes démons intérieurs, tu seras la première personne à qui j'en parlerai.

Hurley eut un petit sourire sceptique.

- Bon, on se retrouve à midi et on mange ensemble ? demanda-t-elle.

Elle ne voulait pas s'appesantir sur le sujet. Logan faisait preuve de repentance. Elle n'avait pas envie de le fâcher à nouveau, même si les sempiternelles questions tambourinaient sous son crâne.

- OK, à tout à l'heure.

Hurley referma son portable, et mit un certain temps avant de se lever de son siège. Elle avait cru pouvoir oublier Logan en sortant avec Max Bronson, mais c'était peine perdue. Elle n'était pas amoureuse de cet homme. Bien qu'il fût gentil, drôle, attentionné, cela ne suffisait pas. Il lui manquait tant de choses, comparé à Logan. En fait, ce n'était pas ça. Simplement il n'était pas Logan.

Elle soupira et revint au présent.

Elle s'approcha de la bibliothèque et commença à feuilleter les livres un par un. Méthodiquement. En espérant trouver... elle ne savait quoi.

Une flic ? se demanda Larry.

La conversation avait été des plus étranges. Elle avait démarré sur le ton d'une enquête. Mais, très vite, la femme était partie dans un dialogue plein de pathos! Ridicule!

En tout cas, sa colère s'était vite évaporée et la peur avait repris le dessus. Il ne se voyait pas débarquer à l'improviste chez lui. Un mauvais réflexe et elle lui enverrait trois balles en plein cœur.

Tant pis, avec un peu de chance cette femme trouverait son trésor et peut-être plaiderait-elle en sa faveur.

Il recula d'un pas, quand soudain la porte de son voisin, Robert Quire, s'ouvrit en grand.

- Hé, qu'est-ce que vous faites là ? demanda l'homme, qui ne le reconnut pas tout de suite.

Des choses informes aux pieds, un caleçon et un tee-shirt tout froissé. Il venait sans doute de se lever.

Le visage livide, Larry croisa son regard. Durant un instant qui lui parut ne jamais finir, ils se firent face.

Soudain, Quire se mit à hurler.

- Petit enculé, je vais te faire la peau !

Larry ne chercha pas à comprendre, il prit ses jambes à son cou et se rua dans l'escalier.

Hurley jaillit de l'appartement et vit Quire qui courait dans le couloir.

- Où allez-vous? dit-elle en s'élançant à sa poursuite.

Larry avait entendu la voix de la femme flic.

Merde, je veux pas crever ! gémit-il.

Il aurait dû s'arrêter et se mettre à terre les mains sur la tête, comme il l'avait vu faire tant de fois à la télévision. Mais la peur d'une bavure et toujours ce besoin de rester encore un peu en liberté lui imposèrent de continuer à dévaler l'escalier.

- Reviens ici, fils de pute! Tu vas pas t'en sortir comme ça. C'est moi qui te le dis.

Quire n'était pas d'ordinaire un homme très courageux. Bien au contraire. Durant ces derniers mois, il avait à peine osé se plaindre auprès de son voisin quand celui-ci faisait trop de bruit.

Mais il tenait enfin sa revanche. S'il lui mettait la main dessus, il savait que Larry finirait ses jours entre quatre murs blancs, une intraveineuse létale dans le bras. Pas de possibilité de vengeance !

Aussi, ignorant sa tenue et le froid qui commençait à se faire sentir, il dévala les escaliers en sautant la moitié des marches.

Larry arriva le premier en bas, fonça dans le couloir obscur et ouvrit la porte. Il se rua dehors et s'en remit pour la deuxième fois de sa vie à la providence.

- Mon Dieu, je vous en supplie, aidez-moi. Je ne veux pas mourir, marmonna-t-il entre ses lèvres.

Sans la brusque montée d'adrénaline, il savait qu'il se serait effondré sur place. Il entendit Quire hurler à nouveau derrière lui. Mais il réussit à ne pas se retourner. Il vit sa voiture et remercia les cieux de ne pas l'avoir verrouillée.

Hurley sortit de l'immeuble, le souffle court. Elle vit Quire qui poursuivait quelqu'un.

- Oh non ! se dit-elle en sortant son arme de service.

Ce n'était pas croyable. Même si elle ne pouvait reconnaître le fuyard, elle avait reconnu sa Subaru. Larry était revenu chez lui. Il devait être juste derrière la porte quand Quire l'avait interpellé.

Quel con ! se dit-elle. Il l'a fait paniquer !

Larry s'assit dans sa voiture et mit aussitôt le contact. Les larmes lui montèrent aux yeux quand le moteur rugit. Il avait tellement vu de films où, comme par hasard, la voiture refusait de démarrer juste à ce moment.

Quire ouvrit la portière de droite.

Larry passa la première et accéléra à fond.

À moitié engagé dans le véhicule, Quire fut projeté en arrière et se ramassa douloureusement sur le trottoir.

Hurley baissa son arme. Ça ne servait plus à rien. Elle jeta un coup d'œil vers sa propre voiture et sortit son portable. Dans la précipitation, elle n'avait pas eu le temps de prendre son sac, où se trouvaient ses maudites clés !

La Subaru était déjà loin. Elle la vit tourner au premier croisement.

Stupéfaits, des passants matinaux s'étaient empressés de porter secours à Quire, qui se remettait difficilement debout.

Hurley fit le numéro de Logan.

- Réponds, réponds, fit-elle alors que les secondes semblaient durer des heures.

- Hurley, tu as trouvé quelque chose? demanda-t-il quand il finit par décrocher.

- J'ai trouvé notre homme! lâcha-t-elle. Brooks vient de passer chez lui et il file dans sa Subaru. Mets toutes tes équipes à ses trousses. J'appelle le FBI. Avec les polices des villes alentour, ils vont organiser le quadrillage de toutes les routes et poster des barrages sur les principaux axes routiers.

Logan n'en revenait pas. Il était assis dans sa cuisine, un bol de café à la main. Les yeux grands ouverts, un large sourire aux lèvres.

- Hurley, tu sais quoi ?

- J'en sais rien mais, pour le coup, on n'a pas de temps à perdre ! fit-elle en souriant à l'intonation de cette dernière remarque.

- Je t'adore !

Malgré la frénésie du moment, elle en fut ravie.

- Je sais! Bon, appelle vite toutes tes équipes. Je me charge du FBI.

Elle allait couper quand Logan lui posa une dernière question.

- Dis-moi, tu n'as rien ?

Le ton était vraiment inquiet. L'adorable tête de mule !

- Non, juste le voisin qui s'est fracassé sur le trottoir. Allez, je coupe.

Larry pleurnichait comme un enfant au volant de sa Subaru. Rien ne s'était passé comme il l'avait voulu. Il ne savait plus quoi faire.

Sa détermination s'était évanouie sous l'effet de la panique. La seule chose raisonnable qu'il lui restait à faire était d'aller directement se rendre à la police.

Mais une trouille de tous les diables l'en empêchait.

Il dévala l'avenue Washington à toute allure et brûla le feu rouge.

Il était incapable de la moindre idée cohérente. Seul le besoin de quitter la ville emplissait ses pensées.

Attentif à ne pas quitter la route, il conduisait comme jamais il ne l'avait fait. Il tourna dans Garden Corner et s'engouffra dans Gork Street.

À cette heure de la matinée, peu de véhicules circulaient.

Je vais m'en sortir, je dois m'en sortir, se dit-il en boucle dans une litanie désespérée.

Un camion-benne se profilait à l'horizon. Deux employés municipaux prenaient leur temps pour placer les poubelles à l'arrière de leur véhicule avant que le mécanisme hydraulique ne fasse basculer les déchets à l'intérieur.

Larry fronça les sourcils, se concentra et, sans ralentir, dépassa le camion. Une voiture arrivait en sens inverse. Pendant un quart de seconde, Larry croisa le regard d'une jeune femme au visage décomposé.

Il s'agrippa de toutes ses forces à son volant et se prépara instinctivement à la collision frontale.

Mais, dans un réflexe inespéré, la jeune femme dévia sa Chrysler sur le trottoir opposé à celui des éboueurs. Les rétroviseurs de la Chrysler et de la Subaru s'entrechoquèrent et explosèrent.

Larry poussa un grand cri, qui se transforma en un rire quasi hystérique quand il comprit qu'il était encore en vie. Les deux carrosseries s'étaient frôlées à moins d'un centimètre !

C'est ton jour de chance, Larry ! Il en aurait pleuré de bonheur.

Il se remit sur la voie de droite, prit le temps de boucler sa ceinture de sécurité et continua sa course effrénée.

- Tu plaisantes, ce connard est revenu chez lui ? ! fit Spike en répondant à l'appel du commissariat.

Portnoy s'était garé devant un Starbuck. Il était parti leur acheter deux cafés et des brownies.

- Oui, toutes nos voitures sont en alerte. Patrouillez dans votre secteur. Si jamais vous le voyez, vous nous contactez aussitôt, répondit Blanchett par la CB de la police.

- On va pas le rater. Ça c'est clair ! fit Spike.

- Le FBI met en place la coordination de toutes les polices de la région. Des barrages sont en train de se monter sur tous les axes principaux. On le tient, Clark! Alors pas d'excès de zèle.

- Tu peux compter sur nous.

- Bon, je te laisse. J'appelle Monroe et Jefferson.

- OK, répondit Spike en raccrochant.

C'était la meilleure nouvelle de l'année. Il n'aurait jamais pensé le retrouver un jour. Disparu depuis vendredi soir, Larry avait eu tout le temps de se faire la malle.

Mais, putain, quel abruti ! se dit Spike, dont le sourire s'élargissait au fil des secondes.

Par la vitre de la voiture, il vit Portnoy revenir avec les deux cafés et les brownies.

- Henry ! Magne-toi le cul ! Dépêche-toi ! hurla-t-il à son coéquipier après avoir baissé la vitre.

Portnoy ouvrit de grands yeux et accéléra le pas, en évitant de renverser les cafés coincés dans leur carton.

- J'arrive ! Qu'est-ce qui se passe ?

Il fit le tour du véhicule et se mit au volant, Spike l'ayant débarrassé de ses achats, qu'il posa sur ses genoux.

- Larry Brooks est en ville. Il essaye de s'enfuir. Fonce vers la sortie est, je suis certain que cet enfoiré va vouloir rejoindre Seattle.

- Merde, c'est pas croyable. Qu'est-ce qu'il lui a pris de revenir en ville ? fit Portnoy en mettant le contact.

- J'en sais rien, mais...

Spike s'interrompit net quand il entendit derrière eux le bruit d'un moteur lancé à fond.

Portnoy jeta un coup d'œil dans le rétroviseur intérieur et secoua la tête.

- C'est pas vrai ! Je le crois pas !

- Et merde ! jura Larry.

Une voiture de flics ! Il passa devant en se baissant au maximum. Il ne manquerait plus qu'ils lui explosent la tête au passage.

Mais non, il les doubla sans problème. Il se redressa, et soudain la sirène de leur voiture se mit en branle. Il était repéré. Il était foutu !

Qu'est-ce que tu croyais, abruti ! se dit-il en frappant à plusieurs reprises le volant. Allez, arrête-toi, c'est le mieux que tu as à faire.

Mais il était incapable de lâcher l'accélérateur. La panique était plus forte que la raison.

Il repensa à Thelma et Louise et poussa un cri de rage.

Si je dois crever, que je crève en beauté ! se dit-il.

Le problème est qu'il n'avait aucune envie de mourir. Ses yeux le brûlèrent à nouveau. Il s'obligea à endiguer la crise de larmes qui s'annonçait.

Il jeta un coup d'oeil dans le rétro. La voiture de police le rattrapait à tout berzingue. Et merde ! merde !

Heureusement, il avait atteint les faubourgs de la ville. Les avenues étaient plus larges. Il doubla de nombreux véhicules, provoquant des freinages intempestifs. Malheureusement, la voiture de police ne le lâchait pas d'une semelle.

Cette putain de sirène allait le rendre fou !

Il remit WKFM. Dude looks like a Lady d'Aerosmith. Il monta le volume à son maximum. Un sourire démoniaque déforma ses traits.

L'hélicoptère s'envola dans les airs. Logan se tenait derrière le pilote.

Dès qu'il avait raccroché d'avec Hurley, il avait joint la caserne des pompiers et avait demandé qu'on prépare un hélicoptère pour un décollage imminent.

Une main sur le volant, le portable dans l'autre, il avait donné des instructions à ses agents restés au commissariat.

- Vous pouvez me dire ce qu'il se passe, maintenant ? demanda le commandant Conrad quand ils eurent pris de l'altitude.

Logan lui adressa un grand sourire.

- Brooks est en fuite ! J'ai déjà une voiture à ses trousses. Je compte sur vous pour ne pas le perdre de vue. Dirigez-vous vers Gold Avenue. Je pense qu'il va essayer de s'enfuir dans la montagne.

Une détermination nouvelle s'afficha sur le visage du pilote.

- Brooks, notre putain de tueur ? fit-il en poussant le manche à balai vers la droite.

- Exact. Si on le rate, on ne le retrouvera jamais, dit Logan.

Mais il ne craignait pas cette hypothèse. À meurtres exceptionnels, moyens exceptionnels. Il savait qu'il pouvait compter sur les polices des autres villes du secteur pour faire de cette chasse à l'homme l'objectif n° 1 de leur journée.

Brooks n'avait aucune chance de s'en sortir.

- Alors vous pouvez me faire confiance. Dès que je l'aurai en point de mire, vous pouvez le considérer comme déjà arrêté ! fit Conrad avec une assurance implacable.

Les premières gouttes de pluie s'écrasèrent sur l'habitacle. Malgré le vent, Conrad pilotait son hélicoptère avec une adresse remarquable. Aucune secousse. Tout en douceur.

Ils survolèrent le centre-ville puis les quartiers nord-est avant de redescendre de cinquante mètres et de se rapprocher des habitations.

Logan allait rappeler Spike, quand il découvrit plus loin sur sa droite deux voitures folles qui roulaient à plein régime.

- Je les vois. On le tient ! s'exclama Conrad, qui fonça de manière à se mettre à la verticale de la Subaru.

Ignorant tout des intentions du fuyard, Hurley avait finalement choisi les montagnes. Entre toutes les options qui s'offraient à Brooks, elle avait supposé, après réflexion, qu'il se déciderait pour la seule où il avait une chance de gagner quelques instants supplémentaires de liberté.

Se perdre dans les immenses forêts montagneuses qui bordaient la ville.

Après avoir écouté sur la CB quel était le trajet effectué par Spike et Portnoy, elle douta un moment du bien-fondé de sa décision.

Cependant, à la différence de Brooks, elle n'était pas en état de panique. Elle avait pris le temps de mettre son GPS en action pour trouver le moyen le plus court de se rendre à destination.

Alors que toutes les voitures filaient vers l'est, elle était la seule à continuer à monter vers le nord-est.

Quelques minutes plus tard, elle sut qu'elle avait fait le bon choix. Brooks remontait vers le nord par la ceinture extérieure. Il avait enfin décidé d'un objectif. Le même que celui de Hurley !

Si tout se passait bien, elle allait arriver en sens inverse sur la quatre-voies. Il était trop tard pour monter un barrage, cependant elle pourrait participer à la poursuite, aux premières loges.

Plus il y aurait de voitures dans le sillage de la Subaru, plus vite Brooks comprendrait qu'il n'avait aucune chance de s'en tirer.

Elle roulait à près de quatre-vingts miles à l'heure. N'ayant pas de sirène, elle usait de son Klaxon comme d'un punching-ball afin de s'ouvrir la voie dans le maigre trafic.

Soudain, elle entendit la sirène de Portnoy. Ils allaient passer à côté d'elle, en sens inverse.

Elle s'arma de courage et monta sur le terre-plein central, puis tourna le volant vers la gauche tout en tirant sur son frein à main, espérant faire un demi-tour complet.

Panama de Van Halen résonnait dans la voiture. Larry était en transe. Incapable de réfléchir, il était plongé dans un état second. Ses yeux, ses mains et son pied droit semblaient ne faire qu'un même bloc.

Pas un instant il ne quitta la route des yeux.

Ne regarde pas derrière toi ! s'était-il adjuré avant de retourner son rétroviseur intérieur afin de ne plus voir la voiture qui le poursuivait.

Il était sur la deuxième voie qui menait vers Calber Town.

Il connaissait la région par cœur. C'était le coin rêvé des randonneurs de toute la région. S'il réussissait à tracer sa route jusqu'au chemin qui grimpait dans la montagne, il savait que personne ne serait en mesure de le doubler.

Et, s'il avait suffisamment d'avance, il aurait le temps de sortir de la voiture et de se cacher dans l'étendue sans fin de la forêt.

Oui, c'était possible, il avait une chance, une toute petite chance.

Il secouait la tête au rythme de la musique quand, soudain, il aperçut en amont une scène spectaculaire.

Une voiture roulant en sens inverse venait de dévier, montant sur le terre-plein central, puis, d'un coup sec, elle partit sur le côté et entama une série de tonneaux.

Cela se passa si vite que Brooks n'eut pas le temps de freiner. Il vit la Ford Escort foncer sur lui et emboutir un véhicule situé vingt mètres devant.

Il s'arrêta de respirer durant un temps interminable, avant que la Ford Escort ne le frôle à moins d'un mètre.

Il venait de survivre à un putain d'accident et, dans le même instant, il dut éviter trois voitures qui s'étaient encastrées les unes dans les autres.

Il passa à travers le carambolage et accéléra aussitôt.

Il explosa d'un rire hystérique. Il était encore en vie ! Décidément, c'était son jour de chance.

Il remit le rétroviseur en place, et eut la mauvaise surprise de constater que la voiture de police le suivait toujours.

Néanmoins il avait gagné près de deux cents mètres. C'était déjà ça. Au moins, ils ne l'abattraient pas comme du bétail !

Il reprenait lentement le contrôle de lui-même quand il entendit pour la première fois les pales du rotor d'un hélicoptère.

Pas besoin de sortir la tête du véhicule pour comprendre que c'était pour lui.

- Oh putain ! jura-t-il en serrant les dents. Il ne manquait plus que ça !

Il parvint malgré tout à se contrôler et à rester maître de ses mouvements. La sortie était à moins de quatre miles, avant d'arriver sur la route qui allait vers Calber Town.

À partir de là, la partie deviendrait plus aisée. Du moins l'espérait-il.

Avec la pluie qui commençait à tomber de plus en plus dru et le vent qui se levait, peut-être que l'hélicoptère serait obligé de rentrer.

Oui, avec un peu de chance, martela Brooks dans sa tête.

- Putain de bordel de merde ! C'était quoi, ça ! jura Spike.

Il savait qu'ils venaient de frôler la mort. La voiture de Hurley les avait ratés d'un cheveu, pour finir sa course sur la terre battue en bordure de route.

- Elle venait de l'autre voie ! fit Portnoy, dont les mains tremblaient sur le volant.

Il aurait tout donné pour s'arrêter et reprendre son souffle.

Quand il avait vu cette voiture effectuer un énième tonneau dans leur direction, il s'était cru mort !

- Allez, accélère, qu'est-ce que tu fous ? ! On va pas le lâcher maintenant ! s'impatienta Spike.

Lui aussi avait eu la peur de sa vie, mais l'idée d'arrêter lui-même le tueur de River Falls lui fit aussitôt oublier cet intermède.

- Ouais, ouais, mais, écoute, je me sens pas bien, se plaignit Portnoy.

- Arrête tes conneries, tu ne vas pas te mettre à pleurer. Tu veux que je raconte quoi à Logan : qu'on a laissé filer Brooks pour que tu pleures un bon coup ? se moqua Spike. Allez, fonce !

Portnoy jeta un regard vers son coéquipier. Tous deux étaient de jeunes agents de police, mais tout les séparait. Lui avait toujours été un garçon posé, respectueux de la loi, tandis que Spike était un de ces « jolis cœurs » qui n'avaient eu de cesse de flirter avec la légalité, jusqu'au jour où il avait fallu trouver un emploi.

- Ta gueule, Spike, OK ? fit-il.

C'était la première fois que Spike voyait Portnoy s'énerver. C'en était presque touchant ! Il prit une attitude humble.

- Excuse-moi. Oublie ce que je viens de dire. Allez, on va le rattraper.

Cette petite confrontation verbale suffit à rendre toute sa combativité à Portnoy, qui remit le pied au plancher et tenta de récupérer la distance qu'il avait perdue.

Pendant ce temps, Spike prit son portable et envoya un texto.

- Écoutez, c'est mon scoop ! Vous ne pouvez pas le vendre ! s'insurgea Callwin.

Elle venait d'apprendre à Richard Bolton qu'une course-poursuite impliquant Brooks avait lieu dans le nord-est de la ville. Elle avait espéré qu'il accepterait de négocier avec la télévision locale pour l'envoyer sur place. Mais Bolton ne le voyait pas ainsi.

- Leslie, assieds-toi, s'il te plaît, et arrête de remuer comme ça, fit-il, lui-même confortablement installé dans son fauteuil de directeur du Daily River. Tu es la meilleure journaliste de ce journal. Tout le monde le sait. Moi le premier. Tu es aussi l'une des mieux payées. N'oublie pas ça.

Callwin trépignait sur place. Qu'est-ce qu'elle faisait dans ce bureau alors qu'elle aurait déjà dû être dans les airs ? !

- Mais je ne peux pas demander à River's TV de te prendre dans un de leurs hélicos pour que tu fasses les commentaires en direct. Leurs propres journalistes ne l'accepteraient jamais. Vois les choses en face. Tu es une journaliste de presse, pas un grand reporter.

C'était bien là le problème. Callwin en avait plus qu'assez de ce statut. La presse ! le média le plus lamentable qui puisse exister.

- Tu crois que nos ventes vont augmenter si on voit ton visage à la télé ? continua Bolton.

Callwin était rouge de colère. Elle savait bien qu'il avait raison. Janet Stand ne laisserait jamais sa place de journaliste en chef à River's TV à une petite journaliste de presse. Surtout pour un scoop de cette importance.

- Allez, j'ai un coup de téléphone à donner. Reste près de moi, j'aurai besoin des informations de notre petite taupe.

Callwin se posta près de la baie vitrée qui donnait sur Garden Square. Les enfants jouaient sous le regard de leurs mères insouciantes, loin de se douter du drame qui se déroulait à quelques miles.

- OK, mais mes informations vont leur coûter très cher, extrêmement cher.

- Je n'en attendais pas moins de toi, fit Bolton alors que Callwin revenait s'assoir en face de lui.

Larry parvint à l'embranchement qui menait à Calber Town, quelque dix miles plus loin, au bout d'une longue route à double sens qui serpentait en grande partie à travers la forêt.

Aussitôt, un problème qu'il avait sous-estimé s'imposa à lui. Comment doubler les poids lourds et autres vieillards endormis ? !

Il y avait bien des zones où la route s'élargissait sur une bande d'un peu plus de cinq cents mètres, mais ce n'était pas suffisant pour continuer à foncer sans problème.

Il se trouvait derrière un énorme engin ne dépassant pas les quarante miles à l'heure. Avec la pluie qui redoublait de force, il devenait suicidaire de doubler.

Il tenta tout de même le coup. Mais, au moment où il se décalait, une voiture arriva en sens inverse, klaxonnant désespérément. Il se rabattit aussitôt.

- Merde, et merde ! jura-t-il en reprenant son souffle.

Moins de dix secondes plus tard, il entendit la sirène de la voiture de police.

- Mettez-vous en bordure de route, tout de suite ! lança le porte-voix fixé sur le toit.

Il leva son majeur et le leur montra ostensiblement.

Ce n'était peut-être pas la chose la plus intelligente à faire, mais au point où il en était....

Il se mit à rire et se calma tout de suite quand il vit les feux stop du camion s'allumer.

Le con, il ralentit ! se dit-il. Il n'avait désormais plus le choix.

Il accéléra à fond et, poussant un grand cri de guerre, doubla le camion alors qu'un véhicule arrivait en sens inverse. Heureusement pour lui, il eut largement le temps de passer.

Il aperçut la voiture des flics faire une tentative qui échoua aussitôt.

Il venait encore de gagner de l'avance. Ce n'était pas beaucoup, mais c'était toujours ça.

- Clark ! Qu'est-ce que vous foutez ? hurla Logan dans son portable.

Il avait vu la tentative périlleuse de Portnoy et son sang s'était glacé dans ses veines quand il avait cru à l'accident.

- On ne va pas le perdre, alors vous arrêtez les conneries. Il y a une zone de dépassement à moins de deux miles. Soyez patients. Vous allez le rattraper, il est bloqué derrière deux véhicules.

- OK, shérif, on patiente, fit Spike, mais le ton de sa voix indiquait le contraire.

Si Logan pouvait comprendre ce qui poussait ses hommes à se surpasser, en tant que chef de la police locale il n'avait aucune envie d'avoir à répondre de tous les accidents que leur poursuite allait créer.

L'image de la voiture folle qui s'était renversée l'avait profondément marqué.

Il devait y avoir de nombreux blessés. Peut-être des morts. Ça suffisait pour aujourd'hui.

- On est en train de mettre un barrage en place aux abords de Calber Town. Il ne lui reste pas beaucoup d'options. Hormis de petits chemins, sur lesquels il sera vite obligé de continuer à pied. Une fois à terre, on ne pourra plus le perdre, le rassura-t-il.

D'autres hélicoptères devaient être en route pour lui prêter main-forte au cas où Brooks abandonnerait son véhicule et la poursuite devrait continuer au milieu de la forêt.

Tout à coup il aperçut dans son champ de vision un autre appareil. L'hélicoptère de River's TV.

Il ne manquait plus que ça !

La retransmission en direct des courses-poursuites lui avait toujours paru être une pratique particulièrement nauséabonde. Comme s'il s'agissait d'une émission de divertissement ou d'un jeu vidéo !

Larry éteignit la radio. La musique commençait à lui faire mal aux oreilles. L'excitation était en train de retomber et le désespoir revenait au galop.

- Je suis foutu, je suis foutu ! se lamenta-t-il.

Il n'avait aucune chance de s'en sortir. Il avait déjà vu des courses-poursuites à la télévision. Jamais, même pas une fois, il n'avait vu un type s'en sortir. Et pourtant...

Tout comme les fuyards de la télévision, il lui était impossible de s'arrêter. Tant que la Subaru pourrait rouler, il ne lâcherait pas l'accélérateur.

Il profita du doublement de la voie pour dépasser deux voitures qui entravaient sa route malgré ses coups de klaxon. Mais très vite il découvrit que la voiture de police en profitait pour doubler à son tour le gros camion. Puis, comme par magie, les voitures qui l'avaient gêné se postèrent sur le bas-côté pour laisser passer celle des policiers.

La jonction se refit en peu de temps.

Larry sentait ses forces le quitter.

Il avait besoin de s'arrêter.

Mais un nouvel élément l'obligea à appuyer à fond sur l'accélérateur.

- Merde, essaye de rouler droit, bordel ! jura Spike.

Penché hors de la voiture, il avait visé les pneus mais sa première balle avait fait exploser la vitre arrière de la Subaru.

Avec la pluie et le vent qui lui coupaient le souffle, à près de soixante miles à l'heure il lui était difficile d'ajuster son tir.

- Fais pas ça ! C'est trop risqué ! répondit Portnoy.

- Écoute, on ne va pas le laisser s'échapper. Pense à ta femme et à ton gamin. On va devenir les héros de la ville.

Portnoy fulminait derrière son volant. Justement, il n'arrêtait pas de penser à sa femme et à son petit garçon de quatre ans !

Combien d'enfants étaient devenus orphelins d'un père ayant voulu jouer les héros ? Il n'avait aucune idée de la dangerosité réelle de Brooks, mais il n'avait pas envie de la découvrir par lui-même.

L'homme n'avait aucune chance de s'en sortir. Des barrages étaient en train de se monter. Par la CB, il savait que quatre voitures de police de River Falls les avaient presque rejoints.

Ils n'avaient pas besoin de jouer les Superman !

- Arrêtez ça tout de suite ! Henry, passe-moi Clark !

C'était la voix de Logan qui résonnait dans la CB.

Alors que Spike était en train d'ajuster son tir, Portnoy tendit le bras et tira son équipier par la manche du blouson.

- Qu'est-ce que tu fous ? ! tonna Spike.

- Logan veut te parler, répondit Portnoy en lui tendant le micro de la CB.

Spike lui adressa son plus mauvais regard et prit le micro.

- Shérif?

- Qu'est-ce qui te prend ? Tu veux créer un autre accident ? ! Tu le files sans faire d'histoires. On va l'arrêter en douceur. Tu piges ?

Le ton était sans appel. Spike méprisait Logan, ce parvenu débarqué de Seattle ! Ce n'était pas un gars du coin. Il le méprisait d'autant plus que tous ses collègues le respectaient bien plus que leur précédent shérif.

- D'accord ! fit-il à contrecœur après un long silence.

- Clark, je peux comprendre que tu craignes qu'il s'échappe mais, fais-moi confiance, on le tient. C'est juste une question de temps avant qu'il s'arrête de lui-même, OK ?

Le ton s'était radouci. Logan essayait de l'amadouer. Pauvre con !

- OK, shérif. Compris.

Spike reposa le micro et marmonna quelques mots. Portnoy fixa son regard sur l'arrière de la Subaru en se promettant de ne plus jamais faire équipe avec cette tête de lard!

La vitre arrière explosée, Larry conduisait en se recroquevillant sur son siège. Ils allaient l'abattre comme un lapin !

La sueur dégoulinait de son front. Ses mains étaient si moites qu'il avait du mal à tenir le volant.

Il faut que je m'arrête, je dois m'arrêter avant qu'ils me tuent!

Mais la peur était si intense qu'il ne pouvait se résoudre à freiner. Il savait néanmoins qu'il devait quitter la route. Les policiers avaient certainement placé des tas de barrages en amont.

C'est alors qu'il vit un panneau indiquant un chemin de campagne à moins d'un mile.

Il reprit courage.

Au dernier moment, il donna un coup de volant sur la droite et fonça sur la petite route de terre qui s'enfonçait dans la forêt.

La voiture de police, surprise par sa manœuvre, passa devant le chemin, incapable de tourner à temps.

Larry lança le poing droit en l'air en signe de victoire. Il venait de gagner une bonne minute d'avance. Largement le temps de s'enfoncer dans la forêt et de quitter la voiture.

La route n'était plus goudronnée. C'était un chemin caillouteux, troué de nombreux nids-de-poule.

Larry dut faire preuve de tout son talent pour les éviter les uns après les autres. La pluie qui tombait à verse rendait la conduite difficile.

Il s'était presque résolu à s'arrêter pour tenter sa chance à pied, quand la roue droite s'enfonça dans un trou bien plus profond qu'il ne l'avait cru.

La voiture perdit sa stabilité et, à cause de la vitesse excessive, dérapa.

- Et merde !

La Subaru perdit son centre d'équilibre et effectua un tonneau avant de s'encastrer dans un arbre. Larry partit violemment en avant. Sa ceinture le maintint avec force. Il perdit connaissance.

- Là, regarde ! On le tient ! fit Spike en montrant la route devant lui.

Il avait cru devenir fou quand il avait vu la Subaru déboîter subitement sur la droite et s'enfoncer sur un petit chemin de terre. Heureusement, Portnoy avait vite réagi. Après une marche arrière périlleuse, il avait pu emprunter le même chemin que Brooks.

- Shérif, sa voiture est sortie de la route, on va s'approcher, fit Portnoy en devinant le véhicule à travers le feuillage de la végétation.

Dans son hélico, Logan trépignait. Il n'y avait aucun endroit où se poser.

- D'accord, mais faites très attention, il est peut-être armé. Monroe, Price et Wolf sont tout proches, ils arrivent vers vous.

- OK, répondit Portnoy qui avait ralenti.

- Arrête-toi, c'est bon ! fit Spike, impatient d'en découdre.

Portnoy arrêta la voiture. La Subaru avait traversé la forêt alentour sur une vingtaine de mètres avant de s'encastrer contre un arbre.

Spike sortit d'un bond. Ses pieds s'enfoncèrent de quelques centimètres dans la boue. La pluie redoubla de violence. Logan n'était pas près de se poser.

D'un pas vif, il s'approcha, son arme braquée vers la voiture renversée.

Il n'éprouvait aucune crainte. Il sentait l'adrénaline couler dans ses veines comme un véritable nectar. Quand il fut suffisamment près, il découvrit Larry inanimé et bloqué sur son siège. Un sourire s'afficha sur son visage.

Le garçon ne bougeait plus.

Il est mort, ce con ! se dit Spike.

Il s'y voyait déjà. À la une de tous les journaux. Callwin saurait faire de lui un portrait héroïque.

Néanmoins, il manquait quelque chose pour embellir le tableau. Un acte qui l'inscrirait à jamais dans les annales de River Falls. Il lui suffirait de se justifier en prétextant une attitude agressive de Brooks.

D'un coup d'oeil, il vérifia que Portnoy était bien resté dans la voiture.

Il prit son souffle ; même s'il savait qu'il allait tirer sur un cadavre, il hésita un instant.

Puis, fermant les yeux, il appuya sur la détente.

Larry sentit une brusque douleur à l'épaule et reprit connaissance. Il ouvrit les yeux. Il était affaissé sur le côté dans sa voiture renversée, le corps penché vers le siège de droite. Un flic le regardait d'un air ahuri.

Larry porta la main à son épaule et vit du sang qui coulait, imbibant ses vêtements.

Il m'a tiré dessus ! se dit-il tandis que son visage devenait livide.

— Je veux voir tes mains ! Tes mains ! bredouilla Spike.

À cause de sa position inconfortable, Larry, malgré ses efforts, glissait sur le siège de gauche.

- Je peux pas. Je me rends, je me rends ! répondit-il.

Spike le garda en joue. Le petit con n'était pas mort ! Comment allait-il expliquer sa bavure ?

Il entendit le bruit d'une portière. Portnoy avait dû entendre la détonation. Il n'allait pas tarder à arriver sur les lieux.

À cet instant, Spike sentit le sol se dérober sous lui. Il devait sauver sa carrière.

- Ne fais pas ça ! hurla Spike.

Les mains tendues sur le pare-brise explosé, Larry plissa les yeux.

Ne fais pas quoi ? se demanda-t-il.

Soudain le bruit d'une déflagration résonna alors qu'une balle s'encastrait dans la tête de Larry.

Portnoy arriva en courant auprès de Spike.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? ! fit-il, abasourdi, en découvrant la scène.

- Il a mis la main à sa poche. Il allait sortir son arme. J'ai essayé de le dissuader, mais il a continué à fouiller sa veste, fit Spike, incapable de maîtriser les tremblements de sa voix.

Ses jambes flanchèrent et il s'effondra dans la terre boueuse. Il lâcha son arme et regarda ses mains.

Il n'en revenait pas. Il avait tué un homme ! Pour la première fois de sa vie, il avait tué un homme !

- Oh, putain, putain, fit-il, sous le choc.

Portnoy se rua sur la Subaru et monta sur le côté gauche de la voiture. La vue de tout ce sang lui donnait envie de vomir. Il refoula sa peur et parvint à ouvrir la portière.

Larry gisait sans vie dans une position grotesque.

Portnoy regarda le ciel à travers le rideau de pluie. L'hélicoptère tentait de se rapprocher. Il reporta son regard vers Brooks. Avec délicatesse, il ouvrit la veste ensanglantée de Larry.

Après une inspection approfondie, il dut admettre que le garçon n'avait pas d'arme sur lui.

De rage, il serra les poings. Comment allaient-ils expliquer ça à Logan ?

Il descendit du véhicule et revint auprès de Spike, toujours assis dans la boue.

- Merde, c'était lui ou moi, tu comprends ?

Portnoy le regarda comme un tas d'immondices. Voilà le grand héros !

- Brooks n'avait pas d'arme sur lui. Tu as paniqué ! Tu nous fous tous les deux dans la merde !

Spike lui jeta un regard suppliant.

- Écoute, j'ai vraiment cru qu'il allait me tirer dessus. Qu'est-ce que je devais faire ? Attendre de voir son arme pointée sur moi pour me défendre ? !

- Pourquoi aurait-il mis sa main à sa poche, puisqu'il n'avait pas d'arme ?

- Tu ne me crois pas ? Tu penses que je l'ai tué de sang-froid ? se défendit Spike, qui reprenait le contrôle de lui-même.

Portnoy le jaugea du regard. Oui, tu en es bien capable !

- Je ne sais pas, j'en sais rien.

- Écoute, de toute façon on va devenir les héros du jour. Même si j'ai déconné, Logan ne pourra rien contre nous. Nous avons mis fin aux jours de l'ennemi public n° 1. Nous sommes intouchables. La population ne comprendrait pas qu'on nous en fasse le reproche. Tu vois, on ne craint rien.

Portnoy détesta ce raisonnement, et encore plus la façon qu'avait Spike de l'impliquer dans sa bavure ; néanmoins il garda le silence et retourna vers la voiture pour annoncer à Logan la fin de la poursuite.

Sept Jours à River Falls
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