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Logan ne savait plus où donner de la tête. Toutes les huiles de la ville, des villages alentour et même de Seattle ne cessaient de le harceler. Il avait demandé au sergent Julie Monroe de filtrer les appels. Mais rien n'y faisait. Il venait de passer plus de deux heures au téléphone à répondre à des questions stupides.
Par ailleurs, il savait que deux autres de ses agents étaient surchargés d'appels de simples citoyens s'inquiétant pour leur progéniture. Sans parler de tous les autres qui étaient certains d'avoir vu le tueur.
Monroe et Little notaient méthodiquement toutes les déclarations. Il doutait de tirer grand-chose de tout ça.
Il venait tout juste d'avoir un entretien avec le maire de la ville, Clive Nolden, qui lui avait mis la pression. Logan avait pris sur lui pour ne pas s'emporter.
- Ils ne vont pas me lâcher! soupira-t-il une fois le combiné reposé.
Si seulement on lui laissait le temps d'aller sur le terrain et de mener les premières vérifications en toute tranquillité...
Il regarda la pendule murale. 17 h 30. Il poussa un soupir, quitta son fauteuil, rajusta la ceinture de son pantalon et sortit de son bureau.
Le lieutenant Blanchett fonça à sa rencontre.
- Shérif, les journalistes attendent votre intervention. Je vous ai préparé ça.
Logan prit la feuille de papier, la lut d'une traite. Un sourire amer s'afficha sur son visage. Heureusement qu'il pouvait compter sur son équipe, et en particulier sur la plus jeune de ses lieutenants.
- C'est très bien. Ça devrait leur suffire pour aujourd'hui. Merci.
Blanchett le regardait gravement en restant plantée devant lui.
- Vous savez, on n'est pas habitué à ce genre d'événement par ici. Je suis contente que vous soyez là.
Cela faisait seulement trois mois qu'il avait été élu shérif à River Falls. Dès le premier jour, tout le personnel du commissariat avait été derrière lui. De braves gens, honnêtes et attentifs, comme il en manquait dans la mégalopole qu'était devenu Seattle.
- Ce n'est certainement pas le meilleur moment pour se complimenter, mais je suis ravi d'avoir une équipe telle que la vôtre à mes côtés.
Faisant mine de vaquer à leurs affaires, les autres policiers présents ne purent s'empêcher d'afficher un sourire de satisfaction.
L'unique commissariat de River Falls était comme une grande famille. Tout le monde se connaissait et se respectait.
Logan s'avança vers la sortie, relut une nouvelle fois la note de Blanchett, mémorisa les principaux axes du discours, puis sortit à l'air libre. Une estrade et un micro avaient été préparés.
Un brouhaha insupportable l'agressa aussitôt. Il devait bien y avoir plus de trente journalistes, sans compter les perchistes et les cameramen.
Toute la confrérie s'est-elle donné le mot?! se demanda-t-il en les détestant encore un peu plus.
Il réussit à cacher son mépris et se dirigea vers le micro.
- Mes chers concitoyens, c'est le cœur blessé que je dois vous annoncer la mort de trois de nos résidents. Tommy Sheppard, Lucy Barton et Amy Paich. En premier lieu, je voudrais adresser aux familles de nos disparus, au nom de toute la police de River Falls, nos plus sincères condoléances, et leur faire part de notre peine qui se joint à la leur. Quant à Jeremy Sheppard, toutes nos prières vont à Dieu et je souhaite de toute mon âme qu'il sorte rapidement et sans séquelles de son coma.
Il laissa passer le temps d'un recueillement. Les journalistes eurent au moins la dignité de ne pas le briser. Puis il reprit, sous les flashs des photographes :
— À l'heure où je vous parle, rien ne donne à penser qu'il s'agisse d'un tueur en série. Néanmoins, nous prions tous les habitants de la ville, et cela en parfait accord avec notre bon maire Nolden, de bien surveiller les enfants, les leurs comme les autres. Assurez-vous de savoir où ils vont et avec qui ils se trouvent...
Il continua ainsi, débitant des propos d'une stupidité sans borne mais qu'il savait obligatoires dans une telle situation.
Les habitants autant que le maire de la ville avaient besoin d'être rassurés. Ils voulaient qu'on leur donne des consignes à respecter.
Comme si l'on pouvait faire grand-chose contre un tueur en série ! Mais il continua à parler d'une voix vibrante d'émotion.
- En dernier lieu, sachez que nous ne lésinerons sur aucun effort pour arrêter cet individu. Si quelqu'un, parmi vous, se souvient du moindre détail, aussi futile puisse-t-il lui paraître, qu'il veille à nous en faire part le plus rapidement possible.
C'était la phrase la plus difficile à prononcer. Il était certain qu'au commissariat, dès le soir même, le téléphone n'allait pas cesser de sonner, que ça allait être un interminable défilé de remarques sur le moindre comportement suspect.
Qui, ayant vu une voiture roulant au ralenti. Qui, ayant aperçu un vagabond ou un original vêtu de façon étrange. Qui, soupçonnant depuis toujours un voisin de pratiques sexuelles répréhensibles !
— Je vous remercie de votre attention. Et que Dieu nous aide, finit-il en espérant paraître sincère.
Ce fut le signal qu'attendaient les journalistes. Un flot ininterrompu de questions jaillit de toutes parts.
— Quels éléments tangibles avez-vous trouvés ?
— Dans quel état se trouvaient les corps d'Amy et Lucy ?
— On parle de sévices sexuels. Pouvez-vous nous en dire plus?
- Pourquoi croyez-vous qu'il ait voulu tuer les fils Sheppard ?
- Jeremy Sheppard a-t-il pu parler ?
Logan les regarda froidement.
Les porcs, ils ne pensaient tous qu'à leur papier et à leur direct aux informations télévisées. Aucune pensée pour ces filles et le gamin qui avaient trouvé la mort.
Vous voulez que je vous donne l'enregistrement de l'autopsie pour pouvoir le diffuser ! pensa-t-il avec une ironie pleine de fiel.
Il sentit une main qui le tirait en arrière. C'était Blanchett. Il croisa son regard et la remercia en quittant l'estrade au plus vite.
- Vous avez été parfait, le félicita-t-on.
Il lut un réel et profond respect dans les regards de ces hommes et femmes qui n'avaient pas l'habitude de traiter de tels événements, si courants à Seattle.
Il retourna dans son bureau et ouvrit ses derniers mails.
Il en découvrit un tout récent de Nathan Blake :
Les bris de verre sont bien ceux d'un phare, mais nous n'avons toujours pas identifié la marque. Aucune fibre exploitable. Je n'ai rien trouvé sur le corps des trois victimes qui permette de lancer la moindre recherche. Il faudra qu'un jour je téléphone à Grayson pour lui demander comment il fait pour réussir à tous les coups.
Logan sourit. Tout comme Blake, il trouvait insupportables les séries comme Les Experts et autres feuilletons du même acabit. Pas un meurtrier sur mille n'était retrouvé grâce à la police scientifique !
Il continua la lecture du mail. Blake exposait ensuite tous les détails immondes des sévices qu'avaient subis les jeunes filles. C'était abominable.
Il ouvrit ensuite ses autres messages, dont celui de John Peart, shérif de Silver Town, la ville où les deux suppliciées avaient passé toute leur adolescence.
Logan avait été soulagé de ne pas avoir à annoncer la mort des deux jeunes filles à leurs proches.
Comme ses autres correspondants, Peart lui souhaitait de réussir dans son enquête et se proposait de l'aider si besoin était.
Il répondit à une dizaine de messages puis s'affala dans son fauteuil. Il n'avait toujours rien mangé. Son estomac gargouillait, malgré son peu d'appétit. Cependant il savait qu'il devait se forcer, sinon il allait s'effondrer.
Il y avait une pizzeria sur l'avenue Billings. Une des meilleures de toute la ville. Située dans le quartier populaire de River Falls, c'était l'endroit idéal pour passer la prochaine heure en toute tranquillité.
Il fit un effort pour s'extraire de son fauteuil, prit son blouson accroché au portemanteau et alla retrouver Blanchett.
- Je vais dîner. Vous n'êtes pas obligée de faire des heures sup.
- C'est gentil, mais nous avons déjà quinze personnes qui attendent pour déposer leur témoignage. On va en avoir jusqu'à tard dans la soirée.
Logan jeta un coup d'oeil dans les pièces voisines. Ses officiers étaient à l'écoute des premiers citoyens prompts à déverser leurs soupçons.
Il eut une moue désolée.
- Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas à m'appeler.
- Allez prendre l'air. Vous n'avez pas arrêté depuis ce matin.
Logan la remercia du regard et s'éclipsa par une entrée annexe. Il craignait que quelque journaliste ne profite de sa sortie pour le harceler. Il n'était plus certain de pouvoir garder son calme. Blanchett avait raison, il devait prendre du recul.
Il renonça à sa Cherokee et prit une des voitures banalisées du commissariat. Direction l'avenue Billings.
Callwin avait roulé durant près d'une heure, non stop. Elle avait laissé la radio allumée sur les chaînes d'informations en continu et priait pour que la conférence de presse du shérif Logan ait lieu le plus tard possible.
Pour l'instant, personne ne connaissait encore l'identité des victimes. Elle aurait fait partie du lot si Gene Brolin, un des professeurs de sport de l'université de River Falls, ne l'avait appelée aussitôt après que le sergent Martinez eut montré les portraits-robots au directeur Augeri.
Elle se gara devant la maison de la famille Barton, puis attendit patiemment le moment opportun.
L'allocution de Logan n'avait toujours pas commencé. Elle attendit une dizaine de minutes avant de voir la voiture du shérif local arriver dans la rue et se garer devant la maison.
Callwin s'alluma une cigarette, tandis que le shérif Peart et son adjoint allaient sonner à la porte. Une femme dans la quarantaine, plutôt mignonne, les accueillit avec un sourire anxieux.
Callwin tenta de ne penser à rien, sans y parvenir.
Les deux policiers entrèrent.
Moins de trente secondes plus tard, Callwin entendit un hurlement inhumain jaillir de la maison. Elle se mordit les lèvres, serra le poing et tira sur sa cigarette.
Elle patienta encore une dizaine de minutes avant que le shérif et son acolyte ne ressortent. Elle attendit que les deux hommes aient repris leur voiture pour sortir de la sienne.
- C'est maintenant ou jamais, ma grande, s'encouragea-t-elle.
Elle alla à la porte, inspira un grand coup et frappa. Au bout de quelques secondes, un homme d'une cinquantaine d'années, au visage sévère, lui ouvrit. Ronnie Williams. C'était le beau-père de Lucy Barton.
- C'est un crève-cœur pour moi d'oser vous déranger en un moment pareil, mais nous sommes tous sous le choc de la disparition de votre fille. Et...
- Vous n'êtes pas de la police.
Ce n'était pas une question. Elisabeth Barton arriva du couloir, presque chancelante.
- Je travaille pour le journal de River Falls. Je n'ai pas envie que les citoyens de notre ville ne pensent à Lucy qu'en fonction d'une simple photo. Je voulais seulement que vous me parliez d'elle, pour expliquer à nos concitoyens qui était Lucy, la fille adorable de Silver Town.
Callwin savait que le moment fatidique allait arriver. La gifle ou la victoire.
— Vous croyez que c'est le moment ! tonna Ronnie.
— C'est seulement que je n'ai pas envie qu'un ramassis d'immondices soit raconté sur votre fille. Des rumeurs circulent déjà sur ses mauvaises fréquentations. Je tenais seulement à faire passer un autre message à nos lecteurs. Je crains que d'autres journalistes n'aient pas le même sens moral que ceux de notre quotidien.
Une veine battait de plus en plus fort à la tempe de l'homme.
— Foutez le camp ! lança-t-il.
— Allez-vous-en ! hurla Elisabeth en se rapprochant.
— Votre fille n'était pas une délinquante. C'est cela que je veux que vous disiez à la face de l'Amérique.
Callwin se tenait prête à recevoir la gifle qu'elle savait mériter. Mais non, ses paroles semblèrent faire lentement leur effet.
L'homme parvint à se calmer, et l'invita à entrer dans la maison.
Callwin jubila intérieurement. L'interview à chaud des parents d'une des victimes. Ça c'était un scoop !
Et dire que c'est elle, également, qui sous un pseudonyme répandrait les sales rumeurs sur leur fille !
C'était ça aussi l'impartialité du journaliste. Montrer tous les angles d'une vérité.
Elle pénétra dans le modeste salon, et pensa qu'ils avaient dû se saigner aux quatre veines pour pouvoir offrir des études à leur fille.
Tout cet argent dépensé pour rien, se dit-elle avec cynisme.
- Qu'est-ce que vous voulez ? demanda Ronnie.
- Seulement que vous me parliez d'elle. Si je peux me permettre, je vous demanderai une photo.
Il jeta un regard à son épouse.
- Écoute, chérie, va t'allonger, j'en ai pas pour longtemps.
Une demi-heure plus tard, Callwin ressortait de la maison avec dans son sac son dictaphone et une photo de Lucy à l'âge de dix-huit ans.
Ronnie n'avait débité qu'une suite de banalités, mais Callwin savait que, retranscrites à sa façon, elles feraient pleurer dans les chaumières.
Il ne lui restait plus qu'à reprendre la route et à rédiger tous ses articles.
Elle s'était dit qu'un témoignage suffirait mais, maintenant qu'elle était en ville, elle ne put s'empêcher de tenter le tout pour le tout. La famille Paich habitait dans un hameau, à la sortie du bourg. Qu'est-ce que ça lui coûtait d'aller y faire un tour ?
Même si elle se sentait épuisée, elle savait que c'était son jour de chance.
Logan se gara dans l'allée qui menait à sa maison.
Il habitait Cherry Lane. Un quartier typique de ce genre de ville. Une longue avenue bordée de pavillons tous semblables. Aucune barrière ne venait délimiter les pelouses bien entretenues des voisins. Des lampadaires éclairaient régulièrement la route. Des bouleaux s'intercalaient tous les dix mètres. Les trottoirs étaient propres. Pas un bruit à cette heure de la nuit. Les familles étaient toutes paisiblement à l'abri chez elles. Un quartier d'une ville bien tranquille.
Il sortit de sa voiture et se dirigea aussitôt vers la Chevrolet garée en bordure du trottoir. La portière s'ouvrit. Une femme en sortit, enveloppée dans un long manteau.
- Bonsoir, Mike, je peux te parler ?
Logan esquissa un sourire. Il était épuisé et n'avait qu'une envie, prendre une douche et aller se coucher.
- Tu me laisses le choix ? dit-il comme s'il pensait vraiment refuser.
Jessica Hurley secoua la tête, faisant onduler sa longue chevelure brune.
Trente-neuf ans. Un mètre soixante-dix et un corps de jeune fille. Elle avait travaillé avec lui sur de nombreuses affaires au bureau de Seattle.
- Tu ne répondais pas à mes appels ni à mes mails, alors je suis venue.
Une profileuse. Une des meilleures de l'État. Il ne pouvait pas refuser son offre.
- Très bien, entre. Les gens vont se demander ce qu'on complote, fit-il en regardant les rares fenêtres du voisinage encore éclairées.
C'était l'inconvénient d'habiter dans un petit coin paisible.
Les gens passent leur temps à s'espionner ! se dit-il tandis qu'ils remontaient l'allée.
À la lumière du lampadaire, Logan fut obligé d'admettre qu'elle était toujours aussi attirante.
Il ouvrit la porte et la pria d'entrer. Elle posa son manteau et révéla un tailleur sombre, très chic.
— Je te sers quelque chose ?
— Un cognac.
Il alla à la cuisine et revint avec deux verres à la main.
- C'est sympa chez toi, fit-elle en posant son cognac sur une table basse. Tu as toujours eu du goût.
À l'inverse de nombreux policiers célibataires, Logan avait toujours pris soin de son intérieur. Il savait qu'il était capital pour lui de retrouver un refuge reposant et chaleureux après le service.
Il s'installa dans un fauteuil, alors que Hurley choisissait le canapé en cuir.
— Tout se passe bien avec Max ? demanda-t-il d'un ton qui n'était pas aussi détaché qu'il l'aurait souhaité.
Hurley évita son regard et se focalisa sur la cheminée éteinte.
- Plutôt. Il veut qu'on emménage ensemble. (Elle fit une pause.) Mais bon, rien ne presse.
Logan lampa une gorgée de cognac. Il conservait un flegme apparent, même si les battements de son cœur s'étaient accélérés.
- C'est un type sympa, fit-il.
Il n'avait jamais compris pourquoi elle s'était entichée de ce trader sans relief et sans saveur. Le type même du mari gentil, attentionné, fidèle et politiquement correct.
- Oui, et il m'aime beaucoup, répondit-elle.
Logan vit qu'elle le fixait, attentive à la moindre réaction.
Il mourait d'envie de lui dire tout ce qu'il avait sur le cœur. Mais à quoi bon. Trop de choses s'étaient passées. Il savait qu'il ne pouvait pas lui offrir ce qu'elle attendait.
- Tu as de la chance. Je suis heureux pour vous, fit-il en grimaçant un sourire.
Leur histoire était bel et bien terminée. Il ne devrait jamais revenir là-dessus.
- Je suppose que tu n'es pas ici pour parler du bon vieux temps. Qu'est-ce que tu sais de mon affaire ? enchaîna-t-il.
Logan avait senti qu'elle souhaitait lui parler de choses personnelles. Il n'avait pas envie de les entendre.
Hurley comprit que ce n'était pas le moment d'engager la conversation au sujet de leur relation et s'obligea à revenir au présent.
- Blake m'a fait passer tous ses rapports. Le tueur ou la tueuse...
— Une femme ? l'interrompit Logan qui arrêta son geste, son verre au bord des lèvres.
Il n'avait jamais pensé que cela puisse ne pas être un homme.
- Bien que peu probable, cela n'est pas impossible. Il peut tout aussi bien s'agir d'un couple, à ce que l'on en sait, fit-elle en reprenant le fil de ses pensées. Les analyses de l'ADN retrouvé sur le corps de Sheppard n'ont rien donné. Notre tueur n'est pas fiché. Pas aux fichiers des délinquants sexuels. Quant aux deux étudiantes, comme tu le sais, notre tueur a pris soin de les passer au Kärcher avant de les enfermer dans le sac. Pas une seule fibre exploitable.
C'était bien ce qu'il pensait. S'il s'agissait d'un tueur en série, ils étaient coincés.
— Pas de sperme dans le vagin. Vu leur état, et dans l'hypothèse que ce soit un homme, on ne peut pas dire s'il les a pénétrées avec son sexe avant de les charcuter comme tu le sais.
Était-elle obligée de lui rappeler ces images terribles ?
Il fit une moue et finit son verre d'un trait. L'alcool commençait à faire son effet.
— Alors quel profil ?
— Très certainement un homme, et ce n'est pas la première fois qu'il tue. Il n'y a aucune retenue dans sa violence.
— C'est-à-dire ?
— Les tueurs en série accentuent la barbarie de leurs actes au fur et à mesure qu'ils accumulent le nombre de leurs crimes. Plus ils tuent, plus le moment de jouissance est bref. Leur insatisfaction va crescendo et, par conséquent, à chaque passage à l'acte, il faut qu'ils provoquent toujours plus de souffrance.
Logan posa son verre sur la table basse et s'affala dans son fauteuil.
- Quant aux enfants Sheppard, je suis du même avis que toi. Comme tu l'as indiqué dans ton rapport, ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Notre tueur venait juste de jeter les corps à l'eau quand il a été surpris par leur apparition. Je crois aussi qu'il pensait qu'il n'y en avait qu'un. Mais la mort de Tommy Sheppard nous révèle quelque chose d'intéressant.
Logan se pencha instinctivement en avant.
- Une fois qu'il l'a renversé, il aurait très bien pu le prendre dans son véhicule, s'expliqua-t-elle en réponse au froncement de sourcils de Logan. Mais, plutôt que de l'emmener avec lui et lui faire subir le même sort qu'aux filles, il l'a seulement tué sans se soucier de le faire souffrir.
« Sans se soucier de le faire souffrir» ! La phrase résonna en écho dans la tête de Logan. On lui donnera une médaille quand on le retrouvera !
- Et tu en conclus ?
- Il n'est pas impossible que ce ne soit pas un tueur en série. Peut-être qu'il en voulait simplement à ces deux filles.
- Ou bien il n'est pas attiré par les garçons et ne tue que des femmes, comme la grande majorité des tueurs en série ! fit Logan en se redressant.
Cela appelait un deuxième verre de cognac.
- Tu me sauves la vie avec ces nouvelles informations. L'affaire avance à grands pas ! Tu as bien fait de faire tout ce chemin pour me dire ça !
- Ne sois pas sarcastique. Le Bureau m'a demandé de venir. Je serais bien restée à Seattle s'il n'en avait tenu qu'à moi.
Le Bureau ! Le FBI ne pouvait s'empêcher de mettre son nez partout. Pourtant, cette enquête était de sa juridiction et, autant qu'il sache, à aucun moment il n'avait sollicité leur aide. Même s'il avait prévu de le faire le lendemain, il aurait souhaité qu'ils aient la délicatesse d'attendre qu'il ait formulé sa demande.
- Pardon, mais tout ça me tape sur le système. J'ai fui Seattle pour ne plus avoir à me réveiller avec des cauchemars plein la tête. (Il poussa un gros soupir.) J'en avais assez de tous ces cadavres. Je te jure que j'en avais assez.
Des dizaines d'images de corps refroidis resurgirent à sa conscience. Tant de victimes, tant de vies gâchées. Il avait été à deux doigts de craquer.
- Je te crois, Mike, je te crois.
Hurley se leva et se rapprocha de lui. Logan la laissa faire. Il ne put supporter son regard chargé d'émotion et ferma les yeux.
Il sentit sa main lui caresser les cheveux. Il savoura ce moment un instant avant de l'attraper et de la bloquer.
- Je vais te préparer la chambre d'ami. Il est temps de dormir. J'ai promis à mon équipe d'être sur le pont dès sept heures.
La pendule murale indiquait 00 h 48. Six heures pour récupérer. C'était plus que correct... si seulement il avait la chance de trouver le sommeil.
- Je peux dormir à l'hôtel si tu préfères.
Il eut un petit sourire de dérision.
- Ne fais pas l'idiote.
Elle prit ses mains dans les siennes.
- Je suis contente de te revoir, Mike. (Ils se regardèrent droit dans les yeux avant qu'elle ne détourne la tête.) Je vais chercher mon sac dans la voiture.
Il était près de deux heures du matin quand Logan décida de se lever. Il n'arrivait pas à fermer l'œil. Même s'il répugnait à faire ce qu'il allait faire, il n'avait pas le choix.
Il enfila un caleçon, sortit de sa chambre, longea le couloir et s'arrêta un instant devant la porte de Hurley. Un doux ronronnement lui parvint aux oreilles. Il serra les poings et pinça les lèvres avant de continuer son chemin vers la salle de bains.
Il ouvrit la petite armoire à pharmacie cachée derrière la porte, à gauche du lavabo. Il prit une boîte de Lexomil. Il avait toujours su qu'un jour il en aurait de nouveau besoin.