25
La lumière s’alluma.
Je redevins invisible.
Mon reflet resté dans le miroir, les paumes appuyées contre la glace, continuait à me narguer.
— Je t’attends, Paul. Tu vas bientôt me rejoindre.
— Non ! criai-je. Je m’en vais. Je descends.
— Sûrement pas, répondit mon reflet en secouant la tête. Adrien et Sophie ne te laisseront pas t’enfuir. Mais ne sois pas aussi effrayé, Paul. Ça ne fait pas du tout mal. Pas du tout.
Il me sourit. C’était mon sourire. Mais glacé et cruel.
— Je ne comprends rien à ce qui se passe. Est-ce que vous allez enfin m’expliquer ? protestait Marie.
— Tu verras bien, répliqua Sophie avec douceur.
Pétrifié de terreur, je me demandais quoi faire.
Adrien et Sophie me tenaient trop fermement. Je ne pouvais rien tenter.
— Encore quelques minutes et ce sera la liberté, dit calmement mon reflet, savourant déjà sa victoire.
— Marie, va chercher de l’aide !
En entendant ma voix, elle parut désorientée.
— Hein ?
— Va chercher de l’aide ! Descends ! Vite !
— Mais… je ne comprends pas…
Elle hésitait.
Brusquement, la porte s’ouvrit.
Jérémie était sur le seuil. En jetant un coup d’œil dans la pièce, il vit mon reflet et dut penser que c’était moi.
— Attrape ! cria-t-il en lançant sa balle.
Elle heurta le miroir en plein centre.
Le visage de mon frère s’allongea de surprise. Puis il y eut un craquement et le miroir se brisa en mille morceaux.
Mon reflet n’eut pas le temps de réagir. Les fragments de verre tombèrent par terre.
— Noooon ! crièrent les reflets d’Adrien et Sophie.
Je redevins visible au moment même où ils décollaient du sol. Ils furent attirés vers le miroir – sans cesser de hurler entraînés comme par un aspirateur géant.
Les deux reflets se brisèrent à leur tour en mille morceaux dans les débris de la glace.
— Nom d’un chien ! jura Jérémie, cramponné à la porte, luttant de toutes ses forces pour ne pas se faire entraîner lui aussi.
Et c’est alors qu’Adrien et Sophie apparurent à genoux, bouleversés, fixant les morceaux de miroir qui jonchaient le sol autour d’eux.
— Vous êtes revenus ! C’est vraiment vous !
J’étais fou de joie.
— Ouais, c’est bien moi ! dit Adrien en se relevant tant bien que mal sur ses jambes flageolantes avant de se tourner vers Sophie pour l’aider.
Le miroir était brisé. Les reflets s’étaient désintégrés. Adrien et Sophie examinaient la pièce, encore mal remis de leurs émotions, tandis que Marie me dévisageait sans rien comprendre. Jérémie, lui, restait sur le seuil de la porte, en hochant la tête.
— Paul, déclara-t-il, t’aurais bien pu attraper cette balle. C’était facile, ce coup-ci.
Adrien et Sophie étaient de retour. Et ils allaient bien.
J’expliquai à Jérémie et Marie, du mieux que je le pouvais, ce qui s’était passé.
Marie, toute tremblante, rentra chez elle. Il fallait qu’elle garde sa petite sœur.
Sophie et Adrien – les vrais ! – m’aidèrent à balayer les bouts de verre cassé. Puis je refermai la porte de la petite pièce. Je repoussai soigneusement le loquet, et demandai à mes amis de m’aider à entasser des cartons pour bloquer l’entrée.
Nous savions que nous n’y remettrions plus les pieds.
Je leur fis jurer de ne jamais raconter à personne ni comment devenir invisible, ni le miroir, ni ce qui s’était passé dans cette petite pièce. Puis Adrien et Sophie repartirent chez eux.
Peu après, je descendis dans le jardin, avec Jérémie.
— C’était tellement effrayant, lui expliquai-je. Tu ne peux pas t’imaginer.
J’en frissonnais encore.
— À t’entendre, ça devait être terrible, répondit-il d’un air absent, sans cesser de jouer avec sa balle. Au moins, maintenant, tout est arrangé. On se fait une petite partie ?
— Non.
Je ne me sentais pas d’humeur à m’amuser. Mais finalement, j’acceptai pour me changer les idées.
Jérémie me lança la balle. On se fit quelques très bonnes passes. Pendant environ cinq minutes. Jusqu’à ce que…
Jusqu’à ce que je m’arrête, pétrifié.
Est-ce que mes yeux me jouaient des tours ?
— Regarde-moi ce coup d’envoi, dit Jérémie en me lançant la balle de toutes ses forces.
Non. Non. Non.
Je restai bouche bée tandis qu’elle me frôlait au passage. Je n’essayai même pas de l’attraper. J’étais incapable de bouger.
Je ne pouvais que regarder, glacé d’horreur.
Mon frère le gaucher lançait la balle de la main droite…
FIN