16
Je tirai les couvertures jusqu’à mon menton. J’avais tellement froid. Je tremblais comme une feuille. Hors d’haleine, j’attendais, j’écoutais.
Est-ce que le murmure allait me suivre dans ma chambre ? Qui m’appelait en chuchotant mon nom de cette voix effrayante ?
Brusquement, j’entendis un halètement plus fort que le mien. Un souffle chaud me balaya le visage. Aigre et moite. On me cherchait. On me touchait les joues, le nez. J’ouvris les yeux, terrifié.
— Black !
Cette andouille de chien, assis sur ses pattes arrière, affalé sur la couverture, me léchait frénétiquement la figure.
— Black, gentil toutou !
Je riais, sa langue râpeuse me chatouillait. Jamais je n’avais été aussi content de le voir. Je le serrai contre moi et je le fis grimper dans le lit. Il gémissait d’excitation, sa queue battant follement la mesure.
— Black, qu’est-ce que tu as ? T’as entendu des voix, toi aussi ?
Il aboya doucement, comme s’il me répondait. Puis il sauta au bas du lit en se secouant. Il tourna trois fois de suite sur lui-même, cherchant sa place sur le tapis, et s’allongea en bâillant bruyamment.
— T’es vraiment bizarre cette nuit, m’étonnai-je.
Il se pelotonna en mâchonnant sa queue. Bercé par les paisibles ronflements de mon chien, je finis par tomber dans un sommeil agité.
Quand j’ouvris un œil, le ciel était gris. La fenêtre n’était pas complètement fermée, et le vent faisait bouger les rideaux. Je m’assis aussitôt, bien réveillé. « Il ne faut plus remonter au grenier, déci-dai-je en m’étirant. Et je dois obliger tout le monde à arrêter. »
Je repensai au chuchotement de cette nuit. La voix sèche, dure, qui murmurait mon nom.
— Paul !
Je sursautai. Ma mère m’appelait du couloir :
— Paul ! C’est l’heure de se lever ! On va chez les cousins, tu te souviens ? Dépêche-toi, le petit déjeuner est prêt.
— Je suis déjà debout ! J’arrive dans une minute !
Je l’entendis descendre l’escalier. Puis Black aboya comme un fou pour qu’on le laisse sortir.
Je m’étirai encore. Soudain la porte de mon placard s’ouvrit à toute volée.
— Oh !
Un T-shirt rouge venait de quitter l’étagère du haut et flottait dans la chambre, tandis que j’entendis un rire, un rire familier…
Ça recommençait !
— Jérémie, tu es ridicule ! Tu avais promis de ne plus le faire !
J’essayai d’attraper le T-shirt, mais il s’échappa.
— J’avais croisé les doigts, se moqua mon frère.
— Je m’en fiche ! Il faut vraiment que tu arrêtes. Je suis sérieux !
— Je voulais juste te faire une surprise.
Il continua comme si de rien n’était. Un jean quitta le placard et se mit à parader dans la chambre.
— Jérémie, je vais te tuer !
Puis je baissai la voix, en pensant aux parents.
— Monte et éteins la lumière du miroir ! Dépêche-toi !
J’étais fou de rage, menaçant du poing l’endroit où le pantalon s’agitait. Pourquoi fallait-il qu’il soit aussi idiot ? Il ne comprenait donc pas que ce n’était pas un jeu ?
Tout à coup, le pantalon retomba en tas sur le tapis.
— Jérémie, lance-le-moi, ordonnai-je. Monte et redeviens visible, en vitesse !
Silence. Le pantalon ne bougea pas. Je sentis la peur me poignarder le ventre.
— Jérémie, arrête de faire l’idiot ! Envoie-moi mon jean et sors d’ici !
Pas de réponse.
Le pantalon restait par terre.
— Arrête ce jeu de crétin ! hurlai-je à nouveau. Tu n’es pas drôle. Alors arrête maintenant ! Tu me fais peur !
Je savais que c’était ça qu’il attendait. Si je reconnaissais que j’avais peur, il allait se mettre à rire et il m’obéirait.
Mais non. La pièce était toujours silencieuse. Les rideaux ondulaient doucement. Le pantalon gisait en tas par terre.
— Jérémie ? Hé, Jérémie ? Pas de réponse.
— Jérémie, tu es là ?
Non. Jérémie était parti.