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La première fois que je me suis rendu invisible, c’était le jour de mon douzième anniversaire.

On peut dire que c’est la faute de Black. Black, c’est mon chien. Une vraie andouille, bien que ce soit un chien papillon. Il est tout blanc, c’est pour ça qu’on l’a appelé Black.

Si Black n’avait pas été en train de renifler partout dans le grenier…

Bon, je ferais peut-être mieux de commencer par le commencement.

Mon anniversaire tombait un samedi. Il pleuvait. J’attendais mes copains pour ma fête d’une minute à l’autre et je finissais de me préparer.

Me préparer, ça veut dire me brosser les cheveux.

Jérémie, mon frère, n’arrête pas de se moquer de moi et de ma coiffure. Il trouve que je passe beaucoup trop de temps devant le miroir à me bichonner.

Mais il faut dire que j’ai des cheveux magnifiques. Épais, dorés et à peine ondulés. C’est ce que j’ai de mieux et j’aime bien les mettre en valeur.

En plus, j’ai de très grandes oreilles, complètement décollées. Il est très important que mes cheveux les cachent en permanence.

— Paul, ils sont tout emmêlés sur la nuque ! déclara Jérémie, planté derrière moi pendant que je vérifiais ma coiffure dans le miroir de l’entrée.

Jérémie a deux ans de moins que moi. Ce n’est pas un mauvais bougre, mais il a trop d’énergie. Il faut toujours qu’il lance un ballon, qu’il tambourine sur la table, qu’il cogne sur quelque chose, qu’il coure partout, qu’il tombe, qu’il saute et qu’il se batte avec moi. Vous voyez le genre. Papa dit qu’il a la bougeotte. C’est une expression idiote mais c’est assez vrai. En plus, il est gaucher et il passe son temps à jouer à la balle de la main gauche. Même dans la maison, où c’est, bien sûr, formellement interdit !

Je me tordis le cou pour voir ma nuque.

— Ce n’est pas emmêlé, menteur !

— Attrape ! cria mon frère en me lançant sa balle.

Raté ! Elle vint frapper le mur, juste au-dessous du miroir, avec un bruit sourd. Pétrifiés, nous n’osions plus bouger, guettant la réaction de maman. Mais elle n’avait rien entendu. Elle devait être dans la cuisine, en train de mettre la touche finale à mon gâteau d’anniversaire.

Je chuchotai :

— C’est malin ! T’as failli casser la glace.

— C’est toi qui es malin !

Ben voyons !

— Et si tu apprenais à lancer de la main droite ? Je pourrais peut-être attraper tes balles de temps en temps.

Il déteste que je l’embête sur ce sujet.

— Tu pues, dit-il en ramassant sa balle.

Ça, j’y suis habitué. Il le dit cent fois par jour. Il doit trouver ça drôle. Pour un gosse de dix ans, il n’est pas mal, mais il manque un peu de vocabulaire.

Avant que je puisse répondre, quelqu’un sonna à la porte. Je me précipitai, mais Jérémie fut plus rapide et c’est lui qui ouvrit malgré mes protestations.

— Eh ! c’est MON anniversaire !

Adrien, mon meilleur ami, s’engouffra dans la maison. Il était trempé comme une soupe, parce que la pluie tombait à verse. Il me tendit un cadeau, enveloppé de papier d’argent, carrément humide.

— Ce sont des bandes dessinées. Je les ai déjà lues. Il y en a qui sont super.

— Merci. Elles n’ont pas l’air trop mouillées.

Adrien enleva sa casquette, ce qui me permit d’examiner sa nouvelle coiffure.

— Eh bien ! Ça te change ! lui dis-je.

Ses cheveux raides et bruns étaient coupés très court d’un côté et retombaient en rideau, beaucoup plus longs, de l’autre.

— Tu as invité des filles ? me demanda-t-il.

— Quelques-unes. Sophie et Marie. Ma cousine Charlotte viendra peut-être.

Je savais qu’il l’aimait bien. Il hocha pensivement la tête. Adrien a un visage très sérieux, avec des yeux bleus. Il regarde toujours dans le lointain, comme s’il était perdu dans ses pensées.

C’est un type profond. Pas nerveux, mais très remonté. Et il faut toujours qu’il soit le premier partout. S’il se retrouve deuxième, c’est une catastrophe. Vous voyez le genre !

Il secoua sa casquette pour l’égoutter et s’inquiéta :

— Qu’est-ce qu’on va faire ? Tu as vu le temps ?

Je haussai les épaules.

— J’ai loué des cassettes vidéo. On pourrait peut-être les regarder.

La sonnette retentit à nouveau. Jérémie, surgissant de nulle part, nous repoussa sans ménagement et plongea vers la porte.

— Oh ! C’est vous ! s’exclama-t-il !

— Merci pour l’accueil.

Je reconnus la voix de Sophie. À cause de sa voix et de son aspect frêle, on a surnommé Sophie Souris. Elle a les cheveux courts, blonds et raides. Je la trouve mignonne, mais, évidemment, je ne l’ai jamais dit à personne.

— On peut entrer ?

C’était Marie, l’autre fille de notre groupe. Ses cheveux noirs et bouclés encadrent des yeux sombres et tristes. J’ai toujours pensé qu’elle-même était triste, mais en fait elle est simplement timide.

À deux heures et demie, tous les invités étaient arrivés, quinze en tout. La fête pouvait commencer. Le problème, c’est qu’on ne savait pas quoi faire. Je voulais regarder Terminator, la cassette que j’avais louée. Mais les filles voulaient jouer à des jeux de société.

Après une longue discussion, on réussit à trouver un compromis. D’abord on joua au Monopoly, et après, on regarda mon film. L’heure du goûter arriva vite et nous permit de nous empiffrer de gâteaux et de crêpes délicieuses…

Ce fut une fête réussie, tout le monde s’amusa beaucoup.

Après que j’eus déballé mes cadeaux, on me demanda de remettre la cassette de Terminator pour revoir les effets spéciaux. Certains amis commencèrent à s’en aller. Il devait être environ cinq heures, mais on avait l’impression qu’il était plus tard, parce qu’il faisait déjà noir et que l’orage redoublait d’intensité.

Mes parents rangeaient la cuisine. Il ne restait plus que Marie et Sophie. Elles attendaient la mère de Sophie, qui avait téléphoné pour prévenir qu’elle serait en retard.

Black, planté devant la fenêtre du salon, aboyait comme un fou. Je jetai un coup d’œil dehors, mais il n’y avait personne. J’attrapai cette andouille de chien à deux mains pour le faire taire, et après avoir réussi à le calmer, je proposai aux filles : 

– Vous venez dans ma chambre ? On m’a offert une nouvelle cassette de Game Boy et j’aimerais bien l’essayer.

Les deux filles acceptèrent avec joie. Manifestement, Terminator ne leur plaisait pas.

Au premier, le couloir était plongé dans l’obscurité.

J’appuyai sur l’interrupteur, mais rien ne se passa.

— L’ampoule doit être grillée, dis-je.

Ma chambre étant au bout du couloir, il nous fallut avancer à tâtons.

— On se croirait dans une maison hantée, par ici, remarqua Marie.

Et au moment où elle disait cela, le placard à linge s’ouvrit à la volée et une silhouette sombre nous sauta dessus, en poussant un hurlement sauvage.