CHAPITRE XVII
Une fois au Welcome, Lindsay ne perdit pas de temps. Il s’enferma dans la cabine téléphonique et eut une rapide conversation avec son adjoint, mais, lorsqu’il ressortit, une grimace se peignait sur son visage. Sullivan s’était bien rendu au Centre 14, mais il était déjà reparti depuis plus d’une demi-heure.
— Il doit être revenu chez lui, suggéra Lecomte, à moins qu’il ne soit allé retrouver Charlotte (il venait de s’apercevoir que la voiture de la Sécurité chargée de surveiller la jeune femme n’était plus dans la rue).
— Elle n’est donc pas restée à l’hôtel ? S’étonna Lindsay.
— Charlotte est certainement revenue chez elle. Le patron m’a renseigné pendant que vous téléphoniez. Elle est sortie il y a environ une heure.
— Okay ; Occupons-nous d’abord de Sullivan.
La voiture redémarra. Quelques instants plus tard, les deux hommes se présentaient au domicile des Sullivan, mais là, ils devaient connaître la même déception. Mary Sullivan leur confirma en effet que son mari s’était rendu au Centre en début de matinée mais il n’était pas encore revenu à la maison.
— Il m’inquiète, avoua-t-elle en secouant la tête. Il ne devrait pas travailler autant. Il n’est pas encore très solide, vous savez…
Il y avait beaucoup de sincérité dans les paroles de cette brave femme.
*
* *
Charlotte Crawford était revenue à l’ancien prieuré. Elle avait décidé de commencer à préparer ses valises et son premier soin avait été de décrocher les robes dans la penderie.
Enfin, quoi, son mari était mort maintenant, et on n’allait tout de même pas la retenir éternellement à Hartwood.
Et puis, ça lui changerait les idées, plutôt que de tourner en rond dans cette chambre du Welcome qu’elle détestait au plus haut point.
Alors voyons… Une valise pour les robes, une autre pour la lingerie… et puis la grosse malle qui se trouvait à la cave et dans laquelle elle entasserait les draps et les couvertures. Pour le reste, eh bien…
Charlotte, perdue dans ses pensées, alluma une cigarette, puis recommença à glisser les robes, une à une, dans la valise de cuir.
Au-dehors, la brume se dissipait lentement, mais le ciel restait couvert. C’était le silence dans la grande maison vide et seul le bruit du vent parvenait aux oreilles de la jeune femme.
Tout d’abord, elle n’y prêta pas attention, mais, au bout d’un instant, cela commença à agir sur ses nerfs. Ces longs sifflements entre les tuiles mal jointes, dans la cour, le long des arcades et des piliers. C’était la première fois, depuis qu’elle habitait l’ancien prieuré, qu’elle prêtait attention à tous ces bruits pourtant familiers.
Elle ne les avait jamais entendus de cette façon. Peut-être les nerfs… Oui, elle avait décidément besoin de rompre avec cette solitude qui ne rimait à rien, changer d’atmosphère, quitter cette maison et ne plus y revenir.
Elle essaya de se dominer et reprit ses occupations, mais il lui était bien difficile de se défaire de cette impression. Un vague pressentiment, tout à coup, quelque chose qui lui disait qu’elle n’était plus en sécurité.
Pour se calmer, elle revint à la fenêtre et regarda au-dehors. Les flics étaient toujours là, dans la longue voiture noire, et cela la rassura un peu.
Bien sûr, tout cela était ridicule… Que pouvait-elle craindre ?
Voyons, voyons… La robe verte en mousseline… Non, pas dans cette valise, elle se froisserait… Il faudrait trouver autre chose, de même que pour le manteau de fourrure qui…
Le craquement d’un meuble, soudain, l’immobilisa, le souffle coupé, le cœur battant.
Puis elle se raisonna. Elle n’allait tout de même pas s’effrayer à chaque craquement, c’était absurde…
Elle alluma une autre cigarette, mais la peur inexplicable qui l’habitait faisait trembler le briquet dans ses doigts.
« Je suis folle, songea-t-elle. Ça ne va pas du tout… »
Elle fut tentée d’aller jusqu’au salon afin de se servir un scotch, mais le courage lui manquait. Elle n’avait pas ouvert les fenêtres, les volets étaient clos et la pièce tout entière restait plongée dans l’obscurité… une obscurité qui, devant elle, béait comme un abîme.
Elle avait peur et craignait que cela ne submergeât sa raison. Un désir désespéré de s’enfuir s’empara d’elle brusquement, mais elle réussit à le vaincre et s’obligea à marcher vers le salon.
Et c’est alors qu’elle a conscience d’une présence invisible, dans la pièce toute noire… Un bruit feutré, comme le glissement d’un pied sur le tapis de laine… Cette fois, elle a vraiment la certitude qu’un danger réel la menace et elle recule d’un pas, saisie d’horreur.
Quelqu’un est là, dans la pièce, immobile et muet.
— Qui est là ? Balbutie-t-elle… Que me voulez-vous ?
Un bruit de respiration lui parvient, puis une voix.
— Je t’avais prévenue, Charlotte… C’est Paul… Oui, c’est bien moi. Tu ne le crois pas, hein ?
— Non, non, ce n’est pas vrai… Ce n’est pas vrai…
— Sale garce !
Un cri. Charlotte est sur le point de s’évanouir, mais déjà l’homme est sur elle, un couteau dans sa main. Il frappe en pleine poitrine et la lame froide s’enfonce dans ses chairs. Elle tombe sur les genoux, réussit à proférer une supplication, puis s’écroule d’une masse sur le tapis de laine.
*
* *
— Appelez une ambulance, vite !
Lindsay se précipita vers le téléphone tandis que Lecomte se penchait sur Charlotte. Elle vivait encore, mais elle était sans connaissance.
Un sang épais coulait de sa poitrine et la blessure paraissait profonde.
— L’assassin devait être encore dans la maison quand nous sommes arrivés, lança Lindsay en raccrochant.
Les deux hommes avaient sonné à la grille. N’obtenant pas de réponse, Lecomte avait utilisé la clé que Charlotte lui avait confiée. Mais il avait à ce moment-là connu une sourde appréhension, le pressentiment que la jeune femme courait un très grave danger.
Il ne se trompait malheureusement pas. Charlotte gisait dans une mare de sang, un couteau traînait sur le plancher.
Lecomte fonça jusqu’au souterrain, mais l’assassin devait posséder une sérieuse avance et il renonça à aller plus loin. Il remonta, la rage au cœur, et revint auprès de Charlotte.
— Si encore elle pouvait parler, fit Lindsay en la désignant.
Lecomte souleva légèrement la tête de la jeune femme. Elle eut un faible battement de paupières en le reconnaissant.
— Charlotte, répondez… Qui a fait ça ?
Les lèvres s’agitèrent doucement.
— Paul… c’était Paul… Ah mon Dieu… Paul… Paul… Paul…
— Elle délire, intervint Lindsay. N’insistez pas. Voilà l’ambulance.
Il courut jusqu’à la grille pour ouvrir aux infirmiers qui rappliquaient dare-dare avec une civière.
Tout fut rapide et, l’instant d’après, Charlotte était dirigée vers l’hôpital le plus proche.
Lecomte referma la grille pensivement tandis que Lindsay grommelait entre ses dents.
— Toujours pas de nouvelles de Sullivan, dit-il, ce type-là commence à m’inquiéter. Où a-t-il bien pu passer ?
Lecomte ne répondit pas. Il était persuadé maintenant que Sullivan ne reviendrait pas chez lui, et il savait aussi que Lindsay partageait cette idée.
Il consulta sa montre : déjà plus de midi.
Il se souvint alors de l’invitation que lui avait faite Anderson… pour une partie de chasse…
… une chasse au renard.