CHAPITRE XV

 

Sans le vouloir, en lui parlant du vieux cimetière, Charlotte avait singulièrement réveillé la curiosité de KB-09.

Le souterrain aboutissait justement à cette nécropole et le fait que Paul Crawford ait cru devoir intervenir auprès de sa femme pour lui en interdire l’accès ne faisait qu’accentuer le mystère.

Qu’y avait-il à cet endroit et qu’étaient encore venus faire ces deux hommes que Charlotte avait aperçus ?

Devait-on supposer que d’autres souterrains aboutissaient également dans le vieux cimetière désaffecté ? Un passage, tout au moins, communiquant avec Black Manor, et que Brook avait lui-même emprunté pour s’introduire dans l’ancien prieuré ?

Alors, ces deux hommes, d’où venaient-ils ? De Black Manor ou d’ailleurs ? Et que cherchaient-ils dans ce lieu désert, abandonné ?

Dès son réveil, cédant à son intuition, Lecomte avait décidé d’aller jeter un coup d’œil sur ce fameux cimetière. D’ailleurs, Charlotte n’avait fait aucune difficulté pour lui confier les clés de la maison et, dès huit heures du matin, il s’était engagé dans le souterrain.

Le long boyau filait sous la lande semée de flaques et d’éboulis, et Lecomte gagna rapidement le caveau dans lequel il s’était retrouvé en courant après Brook.

Cette fois, il n’eut aucune difficulté pour trouver le passage. Il laissa courir ses mains sur les pierres froides et devina aussitôt le point d’appui.

Il n’eut qu’à pousser, et le mur du fond pivota dans un léger grincement. Il avança, passa l’ouverture et se trouva dans une crypte tout aussi noire et obscure, avec des tombes tout autour creusées à même la pierre. Toutes portaient des plaques de marbre marquées d’inscriptions usées par le temps… Des noms… des dates… dont quelques-unes remontaient au siècle dernier.

Sans perdre de temps, Lecomte avisa le petit escalier de pierre qui grimpait vers la surface, s’y engagea et aboutit rapidement dans une petite chapelle comportant dans un angle un autel en ruine sur lequel se dressait une vierge mutilée, quelques débris de vases mortuaires et de fleurs artificielles.

Il éteignit sa lampe, car la lumière du jour lui parvenait à travers une grille branlante et mangée par la rouille.

Il la poussa et jeta un regard au-dehors. C’était sinistre et lugubre. Pourtant difficilement impressionnable, Lecomte éprouva un instant de malaise devant le décor qui s’offrait à lui.

Dans le brouillard et la perspective sombre des cyprès, il devinait les formes massives des chapelles en ruine, des croix et des tombes délabrées, et, au-dessus de tout cela, les cyprès bruissaient sinistrement sous le souffle du vent.

Des herbes folles un peu partout, des arbustes même croissant anarchiquement entre les croix affaissées et les pierres descellées, des mousses et des fleurs de Sarah en touffes basses accrochées aux murs des chapelles.

Et le silence… lourd, impénétrable…

Et puis, soudain, un bruit, comme un gémissement étouffé.

Le visage crispé, Lecomte pivote lentement sur lui-même. Cela semble provenir de l’intérieur. Mais peut-être ne s’agit-il que d’une impression… Le sifflement du vent… un craquement dans les branches… Mais non…

La plainte lui semble humaine.

Le silence retombe brusquement et KB-09 connaît une légère hésitation. Que se passe-t-il ?

Il redescend l’escalier, revient dans la crypte et découvre cette fois un passage étroit qui a l’air de communiquer avec un autre caveau.

Il s’y engage, guidé par l’éclairage de sa lampe et découvre un cercueil posé à même le sol. Un grand cercueil en bois dur encore en bon état.

Et c’est alors que le gémissement se reproduit. Cette fois aucun doute, cela provient du cercueil, et un picotement désagréable saisit Lecomte au niveau de l’épigastre.

Incapable d’en supporter davantage, il se baisse, s’empare de son couteau de poche et se met à ôter les vis qui fixent le couvercle. À peine vissées, comme si…

La dernière saute, et Lecomte marque un nouveau temps d’arrêt au moment de soulever le couvercle. Mais il faut en finir. Il le rabat d’un coup, les muscles tendus, la mâchoire crispée, et projette le faisceau lumineux à l’intérieur de la caisse.

Ce qu’il découvre alors lui arrache un cri de stupeur.

Un homme se trouve là, haletant, le visage inondé de sueur et les yeux exorbités. De grands yeux qui se fixent sur KB-09 alors qu’il se soulève brusquement, la bouche grande ouverte, cherchant désespérément de l’air.

Et cet homme n’est autre que l’inspecteur Lindsay !