Chapitre 39
« On a refait l’inventaire avec un intendant, fit Moram. On ne peut pas rester dans cette grotte. On a perdu pas mal de flotte à cause de ces putains d’éboulements. On a de quoi tenir à peine un mois avec les réserves restantes. Il faut que Hora reparte le plus rapidement possible en rhabde, même si c’est l’hiver là-haut.
– Elle se remettra de la mort de Miriel ? demanda Solman.
– Je suis allé tout à l’heure lui redonner sa baguette et sa robe. Je lui ai dit que la meilleure façon de rendre hommage à Miriel était de trouver de l’eau pure. Elle a fini par m’écouter. »
Le convoi était prêt, les camions, les remorques et les voitures révisés ; les chauffeurs et les passagers attendaient autour du bassin maudit en montrant des signes d’impatience. On avait éteint les phares afin d’épargner les batteries et rendu le gouffre à son obscurité première. Les rayons furtifs de lampes de poche à gaz isolaient de temps à autre des pierres de la margelle, la surface frissonnante de la retenue d’eau, la tache claire du corps de Miriel… Wolf se tenait à quelques pas de Solman, la main sur la crosse de son fusil d’assaut. Ses yeux pâles transperçaient la pénombre et se posaient sur les Aquariotes avec une vigilance fiévreuse. Adossé près du donneur à une stalagmite, Glenn était trop heureux de la réconciliation entre son grand frère et sa mère adoptive pour se soucier de l’inquiétude ambiante. Les chutes des gouttes d’eau libérées par les stalactites résonnaient dans le silence funèbre avec la puissance de coups de feu.
« Combien de temps encore on va attendre ? » soupira Moram.
Solman ne pouvait se résoudre à donner le signal du départ.
Pourtant, son mal au ventre s’était réveillé avec une soudaineté et une virulence qui révélaient l’imminence d’un danger. La profondeur de ce gouffre n’était pas un obstacle insurmontable pour l’intelligence destructrice, pour les tentacules de la pieuvre. Les doigts de Solman palpaient avec nervosité la couverture de bric et de broc du Livre des religions mortes, ce recueil de croyances de l’ancien monde qui était également le mode d’emploi de l’extermination des derniers hommes. Il respirait encore l’odeur de Raïma, l’odeur sourde de charogne d’où se détachaient, telles des fleurs aux teintes vives, les notes joyeuses de son parfum.
Kadija n’avait pas donné signe de vie. Moram avait formé six groupes chargés d’explorer la galerie et le gouffre sur un rayon approximatif de trois kilomètres. Solman n’y avait pas participé, affaibli par la douleur, essayant de renouer le contact avec la jeune femme par le biais de la vision pénétrante. Les recherches n’avaient abouti à aucun résultat, hormis le fait, très important, qu’on avait trouvé, au bout d’une enfilade de salles, l’entrée d’une deuxième galerie étayée, praticable, semblable à celle qu’ils avaient empruntée depuis la petite ville fortifiée.
« Elle a des ressources, dit Ismahil, assis sur l’arête d’un rocher. Si elle le veut vraiment, elle nous rejoindra. »
Il avait probablement raison, comme Moram, comme Wolf, comme tous ceux qui l’incitaient du regard à prendre la décision qui s’imposait, mais, même s’il ne captait plus la musique de Kadija, Solman refusait de se rendre à l’évidence. Chaque seconde gagnée pouvait permettre à la jeune femme de rejoindre le convoi. Sans elle, il ne saisissait pas l’intérêt de poursuivre leur course aveugle à travers un territoire gelé, piégé, non seulement parce qu’elle détenait les clefs d’une partie du mystère, mais surtout parce que sa présence l’aiguillonnait, le galvanisait, l’aidait à parcourir le chemin épineux du donneur. Il gardait les yeux rivés sur les profondeurs de la grotte, espérant à chaque instant voir sa silhouette crever les rideaux de ténèbres.
« Des solbots et des chiens, dit soudain Wolf. Ils approchent. »
Moram se redressa, tous sens aux aguets.
« Je n’entends rien…
– Mes oreilles sont comme mes yeux, murmura le Scorpiote.
– J’aimerais bien que tu retires de temps en temps ton putain de passe-montagne quand tu me parles, Caïn ! gronda Moram.
– Et moi j’aimerais que tu cesses de m’appeler Caïn ! répliqua Wolf. La mort des pères et mères du conseil m’a délivré de mon nom de baptême aquariote.
– C’est aussi une tare génétique des Scorpiotes d’entendre ce que les autres n’entendent pas ?
– Appelle ça comme tu veux. Les chiens et les solbots avancent vite. Les Slangs suivent. Ils seront sur nous dans moins d’une heure.
– On avait pourtant rebouché l’entrée de la galerie…
– Quelques pierres et un peu de mortier n’ont jamais arrêté les microbombes des solbots.
– Et les insectesGM ? »
Wolf haussa les épaules. La lumière d’une lampe de poche miroita sur le canon de son fusil.
« Je l’ignore. Ils sont trop petits pour être entendus, sans doute…
– Comment se fait-il que toi, tu perçoives tout ça et pas Solman ?
– Il… »
Wolf hésita, comme s’il craignait d’insulter le peuple de l’eau à travers son donneur.
« Quand l’esprit d’un homme est accaparé par une fille, il s’avère incapable de penser à autre chose. »
Ses paroles cinglèrent Solman avec la puissance d’un coup de fouet. Absorbé par la disparition de Kadija, il n’avait pas cherché à savoir ce que tentait de lui signifier sa douleur au ventre. L’ancien Scorpiote venait de lui rappeler qu’il avait la responsabilité de sept ou huit cents rescapés poursuivis par un adversaire acharné à leur perte.
« Hé, fais gaffe à ce que tu dis, Scorpiote ! » rugit Moram, la main posée sur la crosse de l’un de ses revolvers.
Solman apaisa le chauffeur d’un geste du bras et dirigea sa vision vers la galerie. Le bruit de ses pensées l’empêcha d’abord de plonger en lui-même, puis sa douleur au ventre s’amplifia, l’obligea à lâcher les prises, un tourbillon le happa et le projeta brusquement dans le boyau. Il discerna, entre les éboulis de terre et de pierres, les formes noires et bondissantes de chiens et d’autres, grises et fuyantes, de sol-bots. Plus loin, éclairés par des torches, des hommes couraient, soufflaient, juraient, s’efforçaient de suivre le rythme imprimé par la horde animale et la cohorte des soldats mécaniques. Des Slangs, armés de fusils d’assaut et de bazookas. Pas de traces, en revanche, d’insectesGM ni de l’ange entrevu dans le cimetière d’engins militaires. Les contours de la galerie s’obscurcirent, s’estompèrent, il fut à nouveau saisi par un courant, aspiré par une invisible bouche, il flotta dans une lumière éclatante au-dessus des toits de maisons de pierre noire. Il reconnut, enrobés de brouillard, les remparts de la ville fortifiée. Des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants gisaient dans les ruelles, les uns emmitouflés dans des vêtements chauds, les autres habillés de chemises de nuit, de pyjamas ou de sous-vêtements. Tout autour d’eux, de minuscules points rouges jonchaient la neige et la glace comme de la poussière de tuile. Solman s’en approcha et identifia des insectesGM, qui, comme beaucoup de leurs semblables, étaient morts après avoir inoculé leur venin. Les chiens avaient commencé à dévorer les cadavres, à en juger par les ventres déchirés, les membres sectionnés et les flaques de sang plus ou moins absorbées par la neige. La rage qui saisit Solman à ce spectacle troubla sa vision, lui donna l’impression d’errer dans un monde incolore, abstrait, cauchemardesque, puis il discerna des formes sombres qui ramassaient les corps et les jetaient dans une remorque tirée par un petit véhicule à chenilles. Il ignorait à quel usage ces fossoyeurs destinaient les cadavres mais il prit conscience que l’intelligence destructrice était fermement décidée à effacer tout vestige de l’humanité de la surface de la terre.
Il revint dans la grotte avec une telle soudaineté qu’il lui fallut une bonne trentaine de secondes pour réintégrer les limites de son corps, pour se réhabituer à la densité, à la matière.
Le temps le condamnait à la séparation définitive d’avec Kadija. Il n’existait pas de tyran plus implacable. Sa douleur au ventre avait disparu mais un étau lui comprimait la poitrine, lui broyait le cœur, lui coupait la respiration.
« Qu’est-ce qui s’est passé, bordel ? fit Moram, le front soucieux. T’es devenu tout pâle, tu as poussé un cri…
– Wolf a raison, répondit-il d’une voix hachée. Les chiens, les sol-bots, les Slangs, ils arrivent. Tout le monde embarque. Nous partons. »
Les ordres claquèrent tout au long de la margelle du bassin. Les Aquariotes n’eurent besoin que d’une poignée de minutes pour se répartir dans les voitures et les camions. Les grondements des moteurs emplirent le silence, la lumière des phares inonda la grotte, arrosa les tores boursouflés des stalagmites, la dentelle translucide des stalactites, l’eau meurtrière du bassin, le corps en croix de Miriel…
Le convoi s’ébranla, le véhicule de Moram en tête.
Après avoir longé la margelle du bassin sur toute sa longueur, Moram obliqua vers la droite et se dirigea vers une deuxième salle dont l’entrée, de forme régulière, avait visiblement été percée et consolidée par les soldats de la Troisième Guerre mondiale. Il ne cessait de tempêter, agacé par l’obligation qui leur était faite de rouler le plus rapidement possible sur ce sol inégal. Irrité, surtout, par la présence de Caïn… ou Wolf, que Solman avait convié à s’asseoir à ses côtés sur la banquette passagers. Il n’accordait aucune confiance à un homme qu’il ne se souvenait pas d’avoir un jour vu à visage découvert. Il pensa à Hora pour se changer les idées : il n’avait pas seulement cherché à consoler la jeune sourcière de la mort de Miriel lorsqu’il était allé lui rendre sa robe et sa baguette, il l’avait contemplée avec une insistance presque indélicate, il l’avait trouvée particulièrement attirante avec ses cheveux d’ambre, sa peau tendue, ses joues rondes et ses larmes. Elle n’était pas mariée et, pour la première fois de sa vie, il s’était surpris à penser que ce n’était pas un défaut. Il était sorti de la voiture en se disant que les femmes, décidément, avaient l’esprit aiguisé : Jazbeth avait eu raison de lui faire une scène de jalousie quand il avait ramassé la robe de la sourcière.
Le camion s’engouffra dans la salle, plus petite. Les phares balayèrent les parois torturées et la voûte surchargée de stalactites, dont certaines s’étiraient au point de rejoindre les fûts déjà ventrus de futures stalagmites. La roue arrière gauche sauta sur l’arête d’un rocher. D’un coup d’œil dans le rétroviseur extérieur, Moram s’assura que l’attache de la voiture avait tenu le choc.
« Kadija nous a fait perdre notre temps, grommela-t-il. On est obligés de se grouiller maintenant, et on risque d’abîmer le…
– Sans elle, on risque bien davantage que des dégâts matériels, coupa Solman d’un ton dépourvu d’aménité.
– Pourquoi ? insista Moram. Qu’est-ce qu’elle nous a apporté depuis qu’on l’a ramassée dans le marais ? À part les emmerdes, je veux dire ? »
Ce fut Wolf qui répondit :
« Elle essaie de nous apporter notre salut, mais elle ne sait pas comment s’y prendre.
– Comment tu peux affirmer ça, toi ? ricana Moram. T’es pas donneur, que je sache ?
– Encore une erreur, Moram », répondit le Scorpiote.
Bien que posée, sa voix éraillée avait étouffé le ronflement du moteur.
« Qu’est-ce que tu veux dire, bon Dieu ? Que t’es…
– Donneur ? J’en étais un, autrefois. Et j’ai des restes. »
Moram lança au Scorpiote un regard en coin qui ne cherchait pas à masquer son incrédulité. La révélation, en revanche, n’étonna pas Solman. Dès l’instant qu’ils s’étaient croisés sur le chemin de ronde de la petite ville fortifiée, il avait deviné que Wolf et lui étaient liés d’une manière ou d’une autre. Il comprenait maintenant pourquoi il n’avait jamais réussi à pénétrer dans son esprit : les pensées de Wolf se dispersaient, comme les siennes sans doute, hors des frontières de son moi, dans le silence infini de la vision.
« Pourquoi tu l’es plus ? demanda Moram. Tu t’es déclaré exdone ? »
Le camion pénétrait dans une troisième salle aussi austère, celle-ci, que l’église de la ville fortifiée. De larges taches lisses et claires en recouvraient les parois : les hommes de l’ancien temps avaient projeté du béton à certains endroits pour les empêcher de s’effriter. De même, ils avaient comblé les dépressions les plus profondes avec un mélange de sable et de cailloux tapissé d’une couche superficielle de terre.
« Pas exactement, répondit Wolf. Ce sont les pères et les mères de mon peuple qui m’ont déclaré exdone. J’avais le tort de contester certaines de leurs décisions. Ils ont pris à ma place un garçon qui n’avait pas le don et qu’ils pouvaient contrôler à leur guise. Un jour, je n’ai pas pu me retenir de contredire publiquement un jugement de leur soi-disant donneur. Il venait de condamner à mort une femme accusée par son mari d’avoir noyé leur fille. J’avais vu (il insista sur ce mot) dans l’esprit de cette femme qu’elle n’avait pas commis ce crime, je l’avais vue essayer de rattraper la fillette qui courait en direction du cours d’eau, j’avais vu saigner son cœur de mère, j’avais vu que son mari essayait de se débarrasser d’elle pour épouser une femme plus jeune, j’avais vu enfin qu’il y avait collusion entre le conseil et le mari.
– Ça ressemble assez à ce qui se pratique chez les Aquariotes ! ironisa Moram.
– Le conseil n’a pas osé m’exécuter en public. Il craignait une réaction violente de ceux qui n’avaient jamais cessé de croire en moi et qui venaient régulièrement me consulter. Il m’a condamné au bannissement, puis a envoyé ses tueurs à mes trousses. Malheureusement pour eux, deux de mes amis avaient réussi à me procurer des armes. J’étais fou de colère, avide de vengeance, j’ai donc tué les hommes de main du conseil. L’un après l’autre, à l’arme blanche pour ne pas trahir ma présence. Puis j’ai marché en direction du sud, sans vivres, sans eau. Je n’avais plus de forces lorsque j’ai atteint les rives de la Baltique. Je me suis évanoui et réveillé quelques heures plus tard dans la voiture de maître Quira, le guérisseur aquariote. Il m’a remis sur pied. Irwan, Katwrinn et Gwenuver sont alors venus me voir et m’ont proposé l’adoption si je consentais à les aider à conquérir le conseil du peuple de l’eau. J’ai accepté, sans me rendre compte qu’ils me condamnaient à une nuit perpétuelle. »
La voix de Wolf s’était assombrie. Solman percevait, en même temps que les relents de vieux cuir de sa veste, les éclats de sa tristesse, incommensurable, inconsolable.
Moram engagea le camion dans l’entrée d’une quatrième salle, presque aussi grande que la première. L’air s’imprégna tout à coup d’une humidité moisie qui paraissait suinter de la roche et disséminait des flaques de boue sous les roues. Les phares capturèrent, derrière un amas de rochers aux arêtes saillantes, les reflets argentés et fugaces d’un torrent souterrain. Une forêt de stalagmites étayait la voûte qu’estompait plus haut une obscurité plus dense que de la suie.
« Que savez-vous de Kadija ? demanda Solman.
– Pas grand-chose, répondit Wolf. On dit que… le sang versé obscurcit la clairvoyance, et je crois que c’est vrai. Je n’ai plus que des bribes, comme je le disais tout à l’heure. Contrairement à toi, je ne peux pas provoquer le don, jamais prévoir à quel moment il choisira de se manifester. De Kadija, j’ai juste entrevu qu’elle n’était pas de ce monde et qu’elle essayait de nous aider.
– Nous aider ou nous enfoncer ? » releva Moram.
Wolf marqua un temps de silence, les yeux rivés sur le sol cahoteux que dévoilaient les phares une trentaine de mètres devant le camion.
« L’un ne va pas sans l’autre, finit-il par répondre. Je suis convaincu que ses intentions sont sincères, mais peut-être que quelqu’un se sert d’elle comme d’une sorte de balise.
– Vaut mieux dans ce cas-là qu’elle ait foutu le camp », marmonna le chauffeur.
Solman fut chahuté par une violente envie de gifler Moram avant de s’apercevoir qu’il n’avait jamais envisagé cette hypothèse. Peut-être Kadija s’était-elle effectivement rendu compte que l’intelligence destructrice l’utilisait comme un repère, comme un aimant, et, dans ce cas-là, sa disparition était une autre façon de leur venir en aide.
Ils roulèrent sans dire un mot jusqu’à la bouche de la galerie. Au passage, ils entrevirent dans la dernière salle une dizaine de blindés mangés par la rouille. L’armée de la ligne PMP avait sans doute exploité ce labyrinthe souterrain pour lancer des offensives éclair sur les positions ennemies. Et puis, toute médaille ayant son revers, grottes et tunnels s’étaient transformés en nasse : il avait suffi à la coalition IAA d’en localiser les accès et d’expédier du gaz meurtrier, des robots-tueurs ou des essaims d’insectesGM.
Solman se reprochait d’avoir privilégié ses sentiments personnels au détriment de l’intérêt collectif. En repoussant sans cesse le moment du départ, il avait placé les Aquariotes, près d’un siècle plus tard, dans la même situation que les soldats de la ligne PMP. Prisonnier de ses émotions, de ses désirs, il avait failli à son rôle de donneur. Puisque Kadija avait décidé, pour une bonne ou une mauvaise raison, de les abandonner à leur sort, il lui fallait déployer toutes ses ressources, combattre jusqu’à l’épuisement de ses forces pour différer l’extermination du peuple de l’eau. Chaque seconde gagnée entretiendrait l’espoir, chaque piège déjoué serait une victoire, chaque existence préservée proclamerait la pérennité des derniers hommes. Il songea, avec amertume, que, s’il avait eu la lucidité et le courage de s’affranchir plus tôt de la tutelle du conseil aquariote, il aurait pu fédérer les peuples nomades et épargner de nombreuses vies.
Il lui tardait à présent que le convoi débouche à l’air libre. Sa vision lui montrait par instants la progression des légions lancées à leurs trousses. Les chiens bondissaient sans montrer de signes de fatigue, les solbots franchissaient sans ralentir les obstacles de pierres et de terre, les Slangs, distancés, suivaient quelques centaines de mètres derrière.
Moram réduisit l’allure pour engager le camion dans la galerie. Le flanc de la citerne arracha au passage une saillie rocheuse.
« Bordel, elle est encore plus serrée que l’autre ! »
Les phares la transmutaient en une coulée de lumière qui s’assombrissait et se rétrécissait dans le lointain. Son étroitesse obligeait le chauffeur à rouler au pas. Le métal de la citerne se frottait aux aspérités des parois, aux brusques affaissements de la voûte. Les raclements, les grincements dominaient à présent le ronronnement du moteur, des grappes d’étincelles jetaient des lueurs fulgurantes sur les côtés de la cabine.
« Imaginez qu’il y ait un putain d’obstacle, un éboulement ou un char de l’ancien temps coincé en travers », ajouta Moram, le visage inondé de sueur.
Solman essaya de diriger sa vision vers l’avant, mais elle le ramena des années en arrière dans la tente de ses parents, à la respiration sifflante de l’homme qui venait de les égorger.
« La voie est apparemment libre, dit Wolf. Mais je ne sais pas ce qui nous attend à la sortie. »