Chapitre 33
« Je ne pensais pas vous revoir de sitôt », dit Solman.
Il essuya d’un geste furtif le filet de sang qui lui dévalait la joue et agglutinait les poils épars de sa barbe. Les yeux bleu pâle de son vis-à-vis brillaient comme deux éclats de ciel dans la fente étroite de son passe-montagne. Ses mains blanches, fines, sillonnées de veines saillantes, restaient crispées sur la crosse et le canon de son fusil d’assaut. De la poussière de roche grisait le cuir fauve de son manteau.
« Caïn, souffla Moram.
– Vous vous connaissez ? » demanda Solman.
Le chauffeur accorda un regard distant, méfiant, à l’homme qui venait de leur sauver la vie.
« On se connaît sans se connaître, maugréa-t-il. C’est un Scorpiote, un taiseux, pas le genre de gars à qui on raconte sa vie. Autant se lier d’amitié avec un putain de fantôme.
– Je te l’ai dit, boiteux : je ne suis qu’un homme de l’ombre. »
À nouveau, la voix éraillée de Wolf-Caïn ranima des sensations endormies dans la mémoire de Solman. Il ne pouvait pas leur associer de souvenirs précis, pas encore, mais il prenait conscience que son passé était, d’une manière ou d’une autre, lié à l’ancien Scorpiote.
« L’homme de l’ombre… ou l’homme de main du conseil ? » lança Moram d’un ton rogue.
Les yeux de Wolf-Caïn lancèrent des éclats colériques avant de se voiler de tristesse.
« On ne peut revenir sur le passé, dit-il d’une voix à peine audible. Ni laver le sang sur ses mains.
– Il y a mieux à faire que d’évoquer le passé, intervint Ismahil. D’abord, nous vous devons d’avoir encore un avenir, ensuite, la sagesse commande de mettre la plus grande distance entre les Aquariotes et nous avant qu’ils ne découvrent cette boucherie. »
Wolf-Caïn se secoua, glissa la lanière de son fusil d’assaut sur son épaule, tendit le bras en direction de l’amas d’épaves et de pierres qui condamnait l’entrée du tunnel d’accès.
« La sagesse commande au contraire de ne pas franchir cette porte. »
Sa voix avait recouvré sa fermeté, sa dureté, et son conseil avait claqué comme un ordre.
« Pourquoi ? s’étonna Ismahil. Vous pensez que nous ne sommes pas assez équipés pour affronter l’hiver de…
– Il ne s’agit pas de ça. Les légions dont parlait le boiteux, elles sont là, et elles vont bientôt donner l’assaut. »
Solman établit brusquement la relation entre son mal au ventre et les paroles de Wolf-Caïn. Il n’avait pas ressenti la douleur à cause des assesseurs planqués dans le garage souterrain, comme il l’avait cru dans un premier temps, mais parce que les légions de l’intelligence destructrice s’étaient déployées pendant la nuit au pied de la petite ville fortifiée.
« Comment tu sais ça ? demanda Moram.
– J’étais sur le chemin de ronde, je les ai vues arriver.
– Avec tout ce putain de brouillard ?
– Ni le brouillard ni l’obscurité ne m’empêchent de voir. Une particularité des Scorpiotes, un… cadeau génétique. Sans ça, je n’aurais pas vu les assesseurs se rassembler au milieu de la nuit devant la porte basse qui donne sur les hangars souterrains, je ne vous aurais pas vus non plus descendre les ruelles comme des voleurs. »
Solman se retourna, examina l’enchevêtrement métallique, repéra l’amorce d’un passage, s’accroupit et commença à se faufiler entre les épaves.
« Hé, qu’est-ce que tu… gronda Moram.
– Laisse-le, coupa Wolf-Caïn. Ça fait un bon bout de temps qu’ils se promènent à l’intérieur de lui, il a envie de les contempler en face. »
Solman parcourut six ou sept mètres dans le labyrinthe étouffant des tôles froissées, déplaça des pierres, se glissa dans les rectangles béants des vitres, sous les châssis, entre les essieux, sur les ressorts pourrissants des sièges, s’écorcha les doigts sur des éclats de verre, déchira au passage le cuir de sa canadienne sur une poignée de portière sectionnée. Un rayon de jour l’éblouit alors qu’il venait de contourner la tourelle éventrée d’un char et que la sueur plaquait ses sous-vêtements sur sa peau. Il prit appui sur le canon plié comme un vulgaire fil de fer, colla la paume de sa main sur l’estafilade à la joue et laissa à ses yeux le temps de s’accoutumer à la luminosité. La bise lui mordit la face avec férocité. De la neige pulvérisée s’agglutina dans ses sourcils, dans sa barbe et dans les mèches qui dépassaient de son bonnet. L’ouverture n’était pas très large, de la taille d’un volant de camion peut-être, mais elle lui permettait d’apercevoir une partie du cimetière d’épaves au pied de la muraille rocheuse.
Il vit un chien, un molosse au pelage noir et au museau tacheté de feu. Il se tenait, silencieux, immobile, au milieu du passage creusé par les Aquariotes une dizaine de jours plus tôt. Il avait probablement flairé sa présence, car sa posture, les quatre pattes plantées dans la neige, la tête légèrement rentrée dans les épaules, le corps tendu, les oreilles dressées, la gueule entrouverte, les yeux étincelants, traduisait une extrême vigilance. Il était de la même race que les chiens qui avaient attaqué le campement aquariote dans les plaines du Nord. Solman captait en lui cette intelligence sous-jacente qui dominait son instinct et faisait de lui le soldat d’une armée. Sans doute aurait-il attaqué ou au moins aboyé s’il avait obéi à sa seule nature animale. Puis deux silhouettes traversèrent son champ de vision, un Slang, reconnaissable au cuir bardé de métal de ses vêtements et au plumet de cheveux qui oscillait au sommet du crâne, et une créature dont il n’aurait su dire si elle était un homme ou une femme : un visage presque inhumain à force de délicatesse, encadré de cheveux sombres et bouclés ; des vêtements clairs d’une fluidité presque aquatique, ni robe ni veste ni pantalon mais tout cela à la fois ; des mains arachnéennes, translucides ; une démarche aérienne, immatérielle, qui n’imprimait pratiquement pas de traces dans la neige ; une perfection énigmatique, fascinante, inquiétante, comme le pendant ténébreux de la beauté de Kadija. Il – ou elle – conversait avec le Slang, qui l’écoutait avec une déférence caricaturale, obscène, un peu comme s’il côtoyait le Dieu qui l’avait façonné. Il – ou elle – dégageait une sorte de champ magnétique à la fois subtil et puissant qui capturait son interlocuteur, qui l’empêchait de penser par lui-même. Ils disparurent tous les deux derrière une épave. Le chien s’ébroua, puis, visiblement à regret, abandonna son poste pour les suivre.
« Alors, qu’est-ce que t’as vu ? demanda Moram quand le donneur, en sueur, la joue en sang, la canadienne et le pantalon marbrés de rouille, se fut extirpé du fouillis métallique.
– Un chien, un Slang et un… quelque chose comme un ange », répondit Solman, essoufflé.
Moram brandit son pistolet vers la sortie du tunnel.
« Une légion de trois gusses ? C’est quand même pas ça qui va nous arrêter !
– Ils ne sont pas trois, mais au moins trois mille, dit Wolf-Caïn. Chiens, solbots, Slangs et une dizaine de ces… anges. Leurs lance-roquettes ne m’inquiètent pas trop. Mais ils ont de grandes boîtes en métal qui ressemblent à des ruches, peut-être bien des colonies d’insectesGM venimeux. À mon avis, ils lanceront leur attaque dans quelques heures. »
Moram donna un coup de pied rageur dans la portière déjà gondolée d’une Jeep coincée sous la carcasse d’un camion. Les gémissements des blessés lui vrillaient les nerfs. Malgré le vent, l’odeur de mort se faisait de plus en plus insistante, de plus en plus oppressante.
« On est baisés ! rugit-il. Coincés dans ce trou à rats ! Piégés, comme les soldats de l’ancien temps ! »
Solman lut toute la virulence de ses reproches dans le regard qu’il lui décocha. Il y discerna également une supplique muette, comme si, quoi qu’il arrive, le chauffeur continuait de lui accorder sa confiance, s’obstinait à croire qu’il pouvait les sortir de cette situation comme il les avait sortis du piège de Galice, comme il leur avait épargné la colère du volcan.
« Tenter de passer avec les camions, c’est être cueillis par les micro-bombes des solbots, reprit Moram, excédé par le silence du donneur. De toute façon, on n’a plus le temps de dégager l’entrée du tunnel. Rester ici, c’est se faire bouffer par des saloperies d’insectesGM ou égorger par les chiens. On n’a plus le choix qu’entre le feu et le poison foudroyant. Si je me trompe, n’hésitez pas à me contredire ! »
Solman s’assit sur la jante dénudée d’un véhicule hybride, mi-blindé mi-camion, à la fois pour détendre sa jambe gauche et apaiser le tumulte de son esprit. Il fixa intensément Kadija dans l’espoir de dénicher une solution, voire une simple indication, dans les yeux noirs de la jeune femme, mais elle s’était retirée en elle-même, comme un animal effrayé par le vacarme des coups de feu et la présence des cadavres, elle avait à nouveau dressé le rempart qui interdisait toute violation de son sanctuaire intime. Il ne lui restait plus qu’à chercher la réponse en lui-même. Il n’eut pas le temps d’atteindre, cependant, le niveau où la conscience du moi se dispersait dans le vide, où le présent brûlait, comme un feu ardent et pur, les représentations mentales du passé et du futur, la voix rauque de Wolf-Caïn le ramena presque aussitôt à la surface. Au passage, il fut effleuré par une sensation fugace de solitude et de peur, il se retrouva à l’âge de six ans dans sa chambre de la tente de ses parents, cerné par un silence suffocant, submergé par une odeur entêtante qu’il n’avait pas encore appris à identifier comme l’odeur du sang. Il capta la présence d’un homme essoufflé, désespéré, derrière la cloison de toile.
« Tu te trompes, déclara Wolf-Caïn. J’ai pris le temps d’explorer cette forteresse de fond en comble. Les soldats qui l’ont investie ont prévu une issue de secours, une deuxième galerie, nettement plus longue que celle-ci mais en moins bon état.
– Et elle donne où, ta putain de galerie ? »
L’espoir avait soufflé la colère dans la voix de Moram.
« Je l’ignore, je n’ai pas eu le temps de l’explorer jusqu’au bout.
– Elle est assez large pour les camions ? »
Wolf-Caïn désigna les parois et la voûte du tunnel.
« Moins que celle-ci, mais elle a également été conçue pour la circulation des engins militaires. À mon avis, les camions aquariotes devraient pouvoir passer.
– Sauf si on se retrouve coincés par un éboulement… »
L’ancien Scorpiote gardait son passe-montagne même si d’épaisses gouttes de sueur lui perlaient entre les sourcils et sur l’arête du nez.
« C’est ça, ou les bombes et le venin des insectesGM.
– T’aurais pu en parler plus tôt ! grogna Moram. On aurait eu la possibilité de la vérifier, cette galerie, et au besoin de l’étayer. »
Wolf-Caïn haussa les épaules.
« Je savais que nous aurions besoin d’une issue de secours un jour ou l’autre, mais je ne tenais pas à divulguer certaines informations dans le climat actuel qui règne chez les Aquariotes. J’allais le faire ce matin quand je vous ai vus. J’ai jugé que le plus urgent était de sortir le boiteux des griffes des assesseurs. Et vous trois par la même occasion.
– Tu dis que tu savais ? T’es pas donneur…
– Peu importe. Il ne nous reste que très peu de temps pour prévenir les autres et organiser notre départ. »
Moram eut l’idée, pour gagner du temps, d’utiliser un camion allégé de sa citerne. Il le conduisit hors de l’atelier souterrain par le large portail qui donnait sur la partie basse de la ville, puis, tandis qu’Ismahil et Wolf se chargeaient de dégager le mur de brique qui condamnait l’entrée de la galerie, il déposa Solman et Kadija sur la place de l’église. Après leur avoir brièvement expliqué comment forcer l’entrée de l’édifice, il roula dans les rues principales sans cesser d’actionner la sirène.
Il avait estimé que le son grave de la sirène porterait plus vite et plus loin que les cris et entraînerait une réaction plus rapide de la part du peuple de l’eau, conditionné par des années de voyage sur les pistes. De fait, il ne lui fallut pas plus de trente minutes pour jeter les Aquariotes hors de leurs maisons et les rassembler sur la place de l’église, les traits tirés, les yeux bouffis, vêtus de manteaux, de capes ou de vestes passés directement sur les pyjamas ou sur les chemises de nuit. Les libations de la veille avaient laissé des traces dans les organismes, et, à l’hébétude que leur valait ce réveil en fanfare, s’ajoutaient les désagréments de la gueule de bois et d’un brouillard givrant, mordant. Mais, conscients qu’aucun chauffeur, quel qu’il fût, ne se serait amusé à sonner l’alarme sans raison sérieuse, ils n’auraient pas songé à regagner la chaleur de leur foyer ou de leur lit sans avoir au préalable pris connaissance des motifs de cette alerte matinale. La présence parmi eux de leur père Irwan, aussi hébété qu’eux, les confortait dans leur pressentiment qu’un événement grave était survenu au cours de la nuit. Seuls les enfants en bas âge, les femmes enceintes, les malades et les vieillards avaient été dispensés d’affronter le froid humide qui transperçait jambes, cous et visages. La proximité d’un danger les renvoyait à ces réflexes nomades qu’ils avaient oubliés pour un temps dans la sécurité et le confort relatifs des maisons de pierre.
Le camion surgit d’une rue perpendiculaire à la place et, à coups de sirène intempestifs, se fraya un passage dans la multitude. À force d’être piétinée, la neige avait pris la consistance d’une glace épaisse. Moram s’arrêta devant le parvis de l’église et dévala le marchepied de la cabine. Irwan, une couverture de laine sur les épaules, se détacha de la foule et s’avança vers le chauffeur d’une allure révélatrice de son exaspération. Il n’avait pas pris le soin d’enfiler ses bottes, et la neige imbibait la peau retournée de ses pantoufles.
« J’espère que tu as une explication valable à donner à ce… chambardement ! » lança sans préambule le dernier père du conseil.
Avant de lui répondre, Moram chercha du regard les deux femmes mariées qui, tout au long de leur séjour dans la ville fortifiée, étaient venues à tour de rôle lui tenir compagnie dans sa chambre ou dans la pièce principale d’une maison inhabitée. Il repéra l’une d’elles dans les premiers rangs. Elle lui adressa un clin d’œil à la fois inquiet et complice, mais il ne vit pas l’autre dans la mer de têtes qui lui faisait face.
« Le donneur avait raison, dit-il d’une voix forte. Les légions exterminatrices sont là, à nos portes. Des chiens, des solbots, des Slangs et leurs chefs. Ils sont équipés de bombes et, pis encore, ils ont avec eux des essaims d’insectesGM. Ils vont attaquer d’un instant à l’autre. Nous n’avons pas une seconde à perdre si nous voulons garder une toute petite chance de nous en sortir. »
Défait, livide, comme anéanti par les paroles du chauffeur, Irwan n’eut pas le tic habituel de remonter la mèche rebelle qui lui tombait sur le front et la pommette droite. Suspendus à la conversation des deux hommes, les Aquariotes retenaient leur souffle. Leurs idées étaient soudain à l’image de ce brouillard qui ne se lèverait pas de la journée, incertaines, lugubres.
« Qui les a vus ? finit par demander Irwan d’une voix morne.
– Caïn, l’ancien Scorpiote. Il était de garde sur le rempart. Une tare génétique lui permet de voir malgré la nuit et la brume.
– Et c’est sur la seule foi des élucubrations de ce… taré génétique que tu t’es permis de…
– Solman aussi les a vus ! coupa Moram.
– Deux fous n’ont jamais fait un homme normal ! »
Le chauffeur brandit son énorme poing à quelques centimètres de la face de son vis-à-vis.
« Une mère et un père assassins n’ont jamais fait non plus de bons parents ! Les vingt assesseurs que vous avez lancés sur les deux Albains et sur votre donneur sont morts ! Morts, vénéré père ! Ils gisent dans leur sang, là, en bas du tunnel. Votre putain d’entêtement nous a encore coûté vingt hommes dans la force de l’âge ! »
Des cris s’élevèrent de la foule. Des femmes et des mères rapprochaient les paroles de Moram de l’inquiétude qui les avait tenues éveillées jusqu’à l’aube : la veille au soir, leurs maris ou leurs fils étaient sortis pour effectuer leur quart de surveillance sur le chemin de ronde du rempart, et ils n’étaient toujours pas rentrés quatre heures plus tard, la durée habituelle des tours de garde, ni les heures suivantes.
« J’avais décidé de partir avec Solman et les Albains, parce que, moi, je crois encore en l’Éthique nomade, et j’estime que c’est une vraie putain de saloperie de chasser un vieil homme et une femme en plein hiver ! poursuivit Moram d’une voix gonflée de colère. Ils ont aussi essayé de me tuer ! Chak, mon propre équipier… Bordel de Dieu, vénéré père, est-ce que vous vous rendez compte du merdier dans lequel vous avez foutu les Aquariotes ? »
Les regards étaient maintenant braqués sur Irwan. Ébranlés par les accusations du chauffeur, tous attendaient ses explications, ses justifications, tous éprouvaient le besoin urgent d’être rassurés. Les cérémonies d’adoption de la veille avaient semblé ressouder la grande famille du peuple de l’eau, un instant éparpillée par les épreuves. Il lui avait fallu pour cela évacuer sa colère, sa détresse, sur ces symboles du malheur qu’étaient devenus le donneur et les deux Albains, un tribut exorbitant pour cette unité et cette tranquillité retrouvées.
« Qui a foutu les Aquariotes dans ce merdier ? contre-attaqua Irwan. Qui a décidé de les emmener dans l’hiver du Nord plutôt que dans la douceur du Sud ?
– Si Solman n’avait pas choisi cette option, les légions nous auraient coincés bien plus tôt, et on serait tous morts à l’heure qu’il est. C’est un donneur, un putain de bon clairvoyant, ce que vous ne serez jamais, vénéré père, même dans vos rêves les plus fous !
– Quelqu’un qui prétend croire à l’Éthique nomade ne manque pas de respect à un membre du conseil.
– Ça tombe bien, je ne te respecte pas ! Ni comme membre du conseil ni comme vieillard. Pour moi tu n’es qu’un foutu salopard qui aurait dû subir le même sort que notre mère Katwrinn. Et maintenant, assez bavassé. Écoutez-moi, vous tous ! »
Moram contourna Irwan et s’avança de deux pas vers la multitude. Il sentait, sur son front et ses joues, la chaleur bienfaisante du regard de sa maîtresse la plus proche, Jazbeth, une brune aux formes pleines et à la sensualité exubérante.
« Tu n’as aucune autorité légitime pour t’adresser au peuple ! cracha Irwan en se retournant.
– Je ne parle pas en mon nom, mais en celui de Solman.
– Où est-il, ton donneur ? »
À cet instant, le portail de l’église s’entrouvrit en grinçant et livra passage à Solman et à Kadija.
« Ici, vénéré père. »
Pétrifié par l’apparition du donneur, Irwan remua les lèvres mais ne proféra aucun son. Un silence tendu descendit brutalement sur la place, absorba les pleurs et les lamentations des épouses et des mères qui venaient de perdre un mari ou un fils.
Le brouillard estompait les façades grises des maisons environnantes. L’ancienne fortification avait déjà recouvré son statut de ville morte.
« Continue, Moram, ajouta Solman. Le temps nous est compté. »