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Lorsque je rejoins Karter, il est assis sur le canapé du salon, une petite boîte calée sur son ventre. Je fronce les yeux légèrement. J'aime de moins en moins les surprises. Alors, Kay, vas-y doucement.
Il tapote le cuir pour que je prenne place près de lui. Le carton est vieux, usé à chaque coin et l'odeur qui s'en dégage est celle du papier mouillé, moisi, laissé durant trop d'années au fond d'une cave. Il caresse les ondulations de papier brun et soulève le couvercle.
À l'intérieur, plusieurs photographies, quelques lettres pliées comme si elles cachaient jalousement leurs secrets. Des Polaroid se battent en duel. Je les prends et les observe un à un.
Moi, à l'école, fêtant mon anniversaire. Neuf ans à en juger par le nombre de bougies sur le gâteau.
Ma mère enceinte, soutenant son ventre, recouverte d'un simple peignoir. Elle était si belle. Si fine, ses bras blancs autour de moi.
Je retrouve la photographie où je tiens Lillard entre mes mains. Il me semble un peu plus maigre aujourd'hui.
La photographie suivante me montre, brandissant un diplôme, mais impossible de me rappeler lequel.
Et de nouveau, la photographie en noir et blanc de mon frère.
Thomas, mon petit frère, mon rayon de soleil.
- Rame plus vite, Emma!
De nouveau, le visage de ma mère, terrifié. Et mon frère à l'avant de la barque, droit comme un I.
- On s'en va Emma? On va voir des pirates ? Hein ? Dis ! On va en voir?
- Oui Tom. On en verra. Des vrais.
Et ce barrage en contrebas qui nous coupe la route. Et ma mère qui pleure. Ses espoirs qui s'effondrent.
- Je te promets qu'on en verra bientôt Tom. De vrais pirates, je te le jure.
Une autre a été prise devant l'ancienne maison de mon père. Comme je l'aurais parié, je suis assise sur les marches du perron, perdue dans je ne sais quel monde, une autre galaxie, assurément. Elle a été prise sans que je ne m'y attende car mon visage indique clairement que ce n'est absolument pas le moment de me demander le moindre sourire. Ma main s'enfonce dans mes cheveux blonds et soutient ma tête qui semble trop lourde de peine.
Salope, tu n'es qu'une salope.
C'est la voix de mon père, claire et ferme. C'est à ma mère qu'il parle.
Dégage de ma vue sale pute.
Je crois.
Sors de cette pièce. Sors de là grosse...
Je crois que c'est à ma mère qu'il parle.
Il est énervé, peut-être même plus que ça. Il est à bout de nerfs.
Nouvelle photographie. C'est lui. Il passe la porte d'entrée de l'ancienne maison, vêtu d'un long manteau noir et d'une écharpe rouge. Il sent la pluie et l'after-shave à trop haute dose. Son parfum est incrusté dans mes narines. Impossible de me tromper. Je retourne le papier. J'ai six ans au moment de cette photographie. Il sourit, brushing impeccable. Il n'y a rien autour de ce bout de papier que cette odeur. Et ces mots.
Salope. Sale pute.
Il était violent, c'est plus que certain, je vois ses mains levées au-dessus du visage crispé de ma mère. Je la vois, elle, hurler de toutes ses forces pour qu'il arrête. Pour ne plus entendre ses phrases. Pour que ses insultes s'effacent.
Je jette le tas de photographies dans le carton. Je crois que j'en ai assez vu.
Soudain, je lève les yeux vers Karter et c'est une larme qui vient couler sur ma joue. Je l'essuie du revers de la main, je ne veux pas qu'il la voie. Il me regarde et passe sa main dans mes cheveux. Il caresse ma tête, doucement.
- Il faut aider ta mémoire, Em'. Je sais que c'est dur. Non, t'en sais rien, Kay. Chaque élément autour me fait mal, chaque souvenir me tue à petit feu. J'ai l'impression que chaque fois que ma mémoire se réveille, c'est pour me déchirer de l'intérieur. Je jette un dernier coup d'oeil dans le carton gondolé et j'en retire l'une des feuilles pliées.
HÉMATOME
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