Londres

Keira avait renoncé à St. Mawes. Une autre fois, avait-elle dit. Nous avions regagné Londres au milieu de la nuit, en piteux état. L'orage ne nous avait pas épargnés, nous étions trempés, mais Keira avait eu raison sur un point, nous avions passé un moment inoubliable à Stonehenge.

Je crois qu'une histoire se tisse ainsi, d'une succession de petits instants, jusqu'à vous donner un jour le goût d'un futur à deux.

La maison était déserte, cette fois c'était Walter qui nous avait laissé un petit mot. Il nous demandait de le contacter dès notre retour.

Nous le rejoignîmes le lendemain à l'Académie, je fis visiter les lieux à Keira qui s'émerveilla en pénétrant dans la bibliothèque. Walter nous y retrouva pour nous révéler un fait troublant. Aucun journal ne s'était fait l'écho de l'assassinat du prêtre, la presse semblait avoir totalement occulté l'incident.

– Je ne sais pas quelles conclusions en tirer, annonça Walter, l'air grave.

– Peut-être est-ce une volonté de leur part de ne pas enflammer les esprits ?

– Vous avez déjà vu nos tabloïds renoncer à divulguer quoi que ce soit qui leur fasse vendre du papier ? s'étonna Walter.

– Ou bien la police a tout simplement étouffé l'affaire en attendant d'avancer dans son enquête.

– Dans tous les cas, j'ai meilleur espoir de nous en tirer si les choses restent confidentielles.

Keira nous regarda à tour de rôle, elle leva la main, comme pour nous demander l'autorisation de parler.

– Il ne vous est pas venu à l'esprit que ce ne soit pas le prêtre qu'on ait visé dans cette église ?

– Bien sûr que si, confia Walter, je ne cesse de me poser la question, mais pourquoi vous en voudrait-on à ce point ?

– À cause de mon pendentif !

– Cela pourrait répondre éventuellement à la question du pourquoi, reste à essayer de comprendre à qui profiterait le crime ?

– À celui qui voudrait s'en emparer, reprit Keira. Je n'ai jamais eu l'occasion de vous le dire, mais l'appartement de ma sœur a été cambriolé. Je n'avais pas fait de lien avec moi, mais maintenant...

– Maintenant tu te demandes aussi si ce chauffard à Nebra n'a pas essayé volontairement de nous écraser ?

– Souviens-toi, Adrian, c'est l'impression que j'avais eue sur le moment.

– Calmons-nous, intervint Walter. Je reconnais que tout ça est assez troublant, de là à vous croire la cible d'un cambriolage, dit-il à Keira, ou conclure qu'on ait voulu attenter à vos vies... restons raisonnables.

Walter disait cela pour nous rassurer. La preuve m'en fut donnée quand, peu après, il insista pour que nous quittions Londres, le temps que les choses s'apaisent.

 

Keira restait fascinée par le nombre d'ouvrages que contenait la bibliothèque de l'Académie, elle en parcourait les allées et demanda l'autorisation à Walter de sortir un livre de son rayonnage.

– Pourquoi tu lui demandes ça à lui ?

– Je ne sais pas, dit-elle en s'amusant de moi, Walter me semble avoir ici plus d'autorité que toi.

Mon collègue me regarda d'un air qui ne cherchait en rien à masquer sa satisfaction, bien au contraire. Je m'approchai de Keira et m'installai à une table en face d'elle. Nous voir assis ainsi réveilla d'autres souvenirs. Le temps n'efface pas tout, certains instants restent intacts en nos mémoires, sans que l'on sache pourquoi ceux-là plus que d'autres. Peut-être sont-ce là quelques confidences subtiles que la vie nous livre en silence.

Je récupérai une feuille d'un bloc-notes oublié sur une table, la roulai en boule et commençai à la mâcher en faisant le plus de bruit possible ; j'en pris une autre et sans relever la tête Keira me dit avec un sourire au coin des lèvres.

– Avale, je te défends de recracher !

Je lui demandai ce qu'elle lisait.

– Un truc sur les pyramides, je n'avais jamais vu cet ouvrage auparavant.

Cette fois, elle nous regarda, Walter et moi, comme si nous étions deux gamins impatients.

– Vous allez me faire un grand plaisir tous les deux en allant vous promener, ou pourquoi pas travailler si cela vous arrive de temps en temps, mais surtout laissez-moi lire ce livre tranquille. Allez ouste, débarrassez-moi le plancher et je ne veux revoir aucun de vous deux avant l'heure de fermeture. C'est compris ?

Nous sommes partis faire l'école buissonnière, ainsi qu'on nous l'avait demandé.

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