LA NUIT DE MAI

LES spectres évitaient la route où j’ai passé

Mais la brume des champs trahissait leur haleine

La nuit se fit légère au-dessus de la plaine

Quand nous eûmes laissé les murs de La Bassée

 

Un feu de ferme flambe au fond de ce désert

Aux herbes des fossés s’accroupit le silence

Un aéro dit son rosaire et te balance

Une fusée au-dessus d’Ablain Saint-Nazaire

 

Les spectres égarés brouillent leurs propres traces

Les pas cent fois refaits harassent leur raison

Des panaches de peur montent à l’horizon

Sur les maisons d’Arras en proie aux chars Arras

 

Interférences des deux guerres je vous vois

Voici la nécropole et voici la colline

Ici la nuit s’ajoute à la nuit orpheline

Aux ombres d’aujourd’hui les ombres d’autrefois

 

Nous qui rêvions si bien dans l’herbe sans couronnes

La terre un trou la date et le nom sans ci-gît

Va-t-il falloir renaître à vos mythologies

On n’entend plus pourtant grincer les cicerones

 

Ô revenants bleus de Vimy vingt ans après

Morts à demi Je suis le chemin d’aube hélice

Qui tourne autour de l’obélisque et je me risque

Où vous errez Malendormis Malenterrés

 

Panorama du souvenir Assez souffert

Ah c’est fini Repos Qui de vous cria Non

Au bruit retrouvé du canon Faux Trianon

D’un vrai calvaire à blanches croix et tapis vert

 

Les vivants et les morts se ressemblent s’ils tremblent

Les vivants sont des morts qui dorment dans leurs lits

Cette nuit les vivants sont désensevelis

Et les morts réveillés tremblent et leur ressemblent

 

A-t-il fait nuit si parfaitement nuit jamais

Où sont partis Musset ta Muse et tes hantises

Il flotte quelque part un parfum de cytises

C’est mil neuf cent quarante et c’est la nuit de Mai