Pierre Mauroy demande à notre ambassadeur à
Beyrouth de rappeler à Arafat l'invitation, transmise à Kaddoumi,
de le recevoir à Paris dès qu'il aura quitté Beyrouth. Le Premier
ministre craint que, compte tenu des circonstances, le message ne
lui ait pas été transmis.
Discussion sur l'urbanisme de Paris. Depuis dix
ans, reste à régler un problème particulier : quel bâtiment
construire à la Défense, dans l'axe du Louvre et de l'Arc de
Triomphe ? Cette affaire a toujours été considérée comme relevant
de la compétence présidentielle. Pompidou eut un projet qu'il ne
put mener à bien. Giscard a choisi à la place un bâtiment triste,
de faible hauteur, pour n'être pas vu des Champs-Elysées. François
Mitterrand reçoit Robert Lion qui lui propose de reprendre le
projet à zéro. On trouve un nouveau thème : la Communication. On
lancera un concours, sans limiter la hauteur du bâtiment. Le jury
sera présidé par Robert Lion, avec un programme défini par un
groupe de quatre experts — Lion, Dauge, Biasini et Sautter —,
groupe qui suivra aussi l'Opéra, La Défense et La Villette.
Le pacte liant Havas à Bruxelles-Lambert dans la
CLT bloque toute réforme de celle-ci. Le Président souhaite que
Havas en sorte. André Rousselet n'y tient pas. Rigaud et Rousselet
s'opposent violemment sur ce sujet.
Jeudi 8 juillet
1982
La loi sur l'audiovisuel est définitivement
adoptée par l'Assemblée.
A Budapest, Janos Kadar reçoit le Président dans
son immense bureau lambrissé. L'homme reste hanté par les souvenirs
de 1956. Il raconte : Andropov, alors ambassadeur soviétique, lui
avait donné sa parole qu'Imre Nagy ne serait pas exécuté s'il le
livrait. Il le livra et Nagy fut exécuté. « La
Hongrie a toujours été sous la tutelle d'un Empire, turc ou
autrichien. Nous sommes revenus aujourd'hui sous l'Empire russe. Il
y a en Hongrie plus de soldats russes que hongrois. Que puis-je
faire ? Alors je fais le contraire de Ceausescu. Je ne fais pas de
grandes déclarations d'indépendance politique, mais je libéralise
l'économie. Et, comme cela, ils m'oublient, ils me laissent
faire... »
L'homme est pathétique et sincère.
A l'ambassade, François Mitterrand précise, avec
Claude Cheysson, les conditions de notre participation à une force
multinationale à Beyrouth : demande libanaise expresse, accord
explicite de l'OLP, agrément des Nations-Unies et définition claire
du mandat.
Claude Cheysson les rappelle aux Américains, puis
ajoute à l'adresse de notre ambassadeur à Washington : «
Le vent fraîchit. Nous allons traverser une
zone de forte mer. On nous critiquera, on nous dénoncera, on
tentera de justifier des erreurs par notre attitude, on essaiera de
nous faire changer de cap. Or, après m'en être entretenu avec le
Président, je confirme nos positions et nos directions telles
qu'elles sont. »
Les Israéliens maintiennent leur pression sur la
ville. Ils contrôlent l'axe Beyrouth-Damas. Andréas Papandréou,
nouveau Premier ministre de Grèce, appelle au téléphone François
Mitterrand : « Il faut que la France
reconnaisse l'OLP et invite Yasser Arafat à Paris pour renforcer sa
position de négociation et faciliter les efforts des Libanais.
» Le Président répète qu'Arafat peut venir à Paris quand il
veut, mais qu'il ne sera reçu que par Pierre Mauroy.
Finale de la Coupe du monde de football. François
Mitterrand, qui a invité ses ministres à dîner dans un restaurant
de Budapest, regarde le match sans trop s'occuper d'eux. Michel
Jobert tourne ostensiblement le dos à l'écran.
Le Président laisse enfin faire : le décret
obligeant tous les établissements hospitaliers publics à pratiquer
des IVG est signé (il ne paraîtra au Journal
Officiel que le 27 septembre). Ces établissements devront
fournir un rapport annuel sur le nombre d'actes pratiqués. Il
devront assurer l'information sur la contraception.
L'affaire du statut de Paris est un désastre. Le
gouvernement, à la recherche d'une porte de sortie, recule sur tous
les aspects du projet.
A Genève, les négociateurs, l'Américain Nitze et
le Russe Kvitsinski, évoquent un accord sur les fusées
intermédiaires au cours de promenades dans les bois. Mais l'un et
l'autre sont sans mandat. Ils rendent compte à leurs capitales.
Nous ne savons rien de leurs conclusions. Inquiétant.
Vendredi 9 juillet
1982
Bombardements et duels d'artillerie à
Beyrouth.
Le voyage à Budapest se termine par une conférence
de presse. Un journaliste demande ce que le Président compte faire
contre l'« Oradour de Beyrouth ». François Mitterrand :
« Le propre des interventions militaires,
lorsqu'elles rencontrent une résistance, c'est de provoquer, comme
vous le dites, des Oradour (...). Pas plus que je n'ai accepté
l'Oradour provoqué par l'occupation allemande, je n'accepterai les
autres Oradour, y compris à Beyrouth. »
Brejnev répond à Reagan : « Pourquoi intervenez-vous ? Aucune raison ! » Le ton
est plus serein.
Samedi 10 juillet
1982
Pierre Mauroy travaille à la fin de la période de
blocage des prix, dans la hantise d'un retour de l'inflation en
novembre. Pour l'éviter, il faut recevoir syndicats et groupes de
pression, afin de créer une nouvelle atmosphère où l'inflation ne
sera plus un élément du jeu social. Il s'y entend fort bien.
Dans une nouvelle lettre à Reagan, François
Mitterrand confirme que, pour la France, la Force internationale
chargée de surveiller l'évacuation des Palestiniens hors de
Beyrouth doit être placée sous contrôle de l'ONU.
L'ambassadeur de France en Égypte est reçu par le
Président Moubarak qui lui demande de transmettre au Président de
la République un « conseil solennel et amical
: que la France, sous aucun prétexte et à aucun moment,
n'apparaisse comme pressant les Palestiniens de quitter Beyrouth.
Les Arabes et surtout l'Union soviétique auraient vite fait de nous
le reprocher si les choses tournaient mal. L'affaire, en effet, est
loin d'être réglée ». Selon lui, «
aucun pays arabe ne veut des Palestiniens ».
L'initiative franco-égyptienne a du plomb dans
l'aile. Moubarak ne veut rien faire qui puisse gêner la manœuvre
américaine.
Dimanche 11 juillet
1982
La Pravda met en garde
la France contre l'« aventure, dictée par les
ambitions impérialistes » de Washington, que serait une
force d'interposition au Liban. Message adressé aux communistes
français, qui ne s'en mêlent pas. La situation est néanmoins
bloquée.
Lundi 12 juillet
1982
François Mitterrand, qui reconnaît la maladresse
de sa déclaration à propos d'Oradour à Budapest, rédige lui-même
une note en réponse aux protestations israéliennes. Elle est
publiée par la Présidence de la République :
« Les autorités
israéliennes, en s'élevant contre les propos prêtés au Président de
la République lors de sa conférence de presse de Budapest, ont mis
en cause ce dernier de façon incorrecte, sans avoir pris la peine
de vérifier le bien-fondé de leurs protestations. En conséquence,
le Président de la République, qui a toujours montré son
attachement à Israël et à son peuple, n'a pas besoin de le
réaffirmer et renvoie le gouvernement israélien à la réalité des
faits. »
Malgré les messages de Shultz, les Américains
confirment l'embargo sur les licences américaines dans l'équipement
du gazoduc d'Ourengoï. La réaction anglaise est violente. Margaret
Thatcher déclare devant la « Confederation of British Industry »
(équivalent du CNPF) : « Il faut à l'avenir
essayer de nous passer des brevets sous licence américaine à cause
de cette affaire d'embargo. » Les Américains déclarent
qu'ils ne comprennent pas l'étonnement européen, compte tenu de la
situation en Pologne qui les oblige à la sévérité. Les
assouplissements que le général Jaruzelski va probablement annoncer
ne seront pas considérés comme suffisants ; il faudrait au moins la
libération de Walesa.
George Shultz cherche cependant toujours une porte
de sortie pour Reagan. Certains, à Washington, continuent à dire de
temps à autre qu'un effort des Européens dans le domaine financier
les amènerait à reconsidérer leur position sur le gazoduc. Shultz
propose même à Cheysson de remplacer l'embargo par « une concertation permanente entre alliés avant toute
opération commerciale avec l'URSS ». Cheysson accepte avec
enthousiasme. François Mitterrand, informé, refuse : « Pas de compromis ! Les Américains doivent retirer leur
embargo unilatéralement, sans l'échanger contre quelque concession
de notre part. » Cheysson laisse quand même l'ambassadeur de
France, Vernier-Pallez, se lancer dans la négociation d'un texte
fixant une procédure de concertation sur les crédits à l'Est, en
échange de la levée de l'embargo.
Étrange équipage : trois ambassadeurs commencent à
négocier, tout fiers, avec le secrétaire d'État. Vernier-Pallez
fait le plus gros des suggestions. Shultz est ravi : il a trouvé
une porte de sortie à l'embargo et tient son COCOM financier, un
mécanisme de contrôle à quatre des crédits bilatéraux à
l'URSS...
La fin du blocage des prix s'annonce difficile :
la croissance est très faible ; l'investissement ne sort que très
partiellement de sa léthargie ; la remise en état des entreprises
nationales et le Fonds spécial de grands travaux ne suffiront pas à
créer des emplois ; les exportations sont ralenties et la
dévaluation entraîne un transfert de richesses vers l'extérieur. Au
total, les négociations sociales de novembre se feront sur la
répartition d'un gâteau dont la taille n'augmente pas. Le choix est
donc entre une négociation globale, sur tous les problèmes en
suspens, avec tous les partenaires sociaux, ou une négociation
graduelle dont les temps forts seraient les deux rendez-vous de
concertation à Matignon, l'un après-demain, l'autre en octobre.
Mauroy décide d'avoir, si possible, une négociation globale.
Approche hasardeuse, qui risque de tout bloquer. Et pourtant,
quelque chose se passe chez les salariés français qui semblent
accepter de la gauche la désindexation qu'ils refusaient à la
droite. Le patronat a bien plus de mal à l'accepter : l'inflation
dévalorise les dettes ; sans elle, celles-ci sont plus
élevées...
Mardi 13 juillet
1982
Après l'incident des explosifs introduits jusque
dans le bureau du Président, Charles Hernu lui propose de voir le
commandant Prouteau, le héros des libérations d'otages, et de lui
demander de s'occuper de la sécurité de l'Élysée. Reçu pour la
première fois par François Mitterrand, intimidé, il m'interroge : «
Est-ce que je peux lui dire que je n'ai pas
voté pour lui ? »
L'ambassadeur de France à Beyrouth est inquiet de
l'évolution du siège. Il évoque « la menace de
plus en plus claire d'un nouveau coup de poing israélien sur une
ville en état de siège dont les défenses sont de mieux en mieux
organisées et dont l'état de d'esprit n'est certainement pas celui
qui mènerait à une capitulation sans conditions ».
Au Conseil des ministres, avancé en raison de la
Fête nationale, Claude Cheysson, Jean-Pierre Chevènement, Michel
Rocard et André Chandernagor expriment leur préoccupation au sujet
de l'embargo américain. Chandernagor pense que « nous sommes devant un problème d'indépendance nationale.
Il ne faut pas subir la loi américaine. Il faut créer un groupe de
travail sur les aspects juridiques de la question ».
François Mitterrand : « Il
faut distinguer la méthode et le principe. En ce qui concerne la
méthode, il faut être solidaire des autres pays de la Communauté
intéressés par ces contrats avec l'URSS. Mais, même si cette
négociation échouait, c'est-à-dire s'il n'y avait pas de position
solidaire, il faudrait refuser l'ingérence. Là, c'est le principe
qui est en cause. Même si nous étions seuls, nous devrions refuser
l'ingérence américaine. »
La seule négociation qu'il autorise est une
négociation entre Européens pour organiser le refus de l'ingérence
américaine. Cheysson n'entend toujours pas et croit qu'il est
autorisé à négocier avec les Américains pour leur sauver la face
!
Le Président revient, en Conseil, sur l'« affaire
d'Oradour » : « Je n'ai évidemment jamais
accusé Israël d'avoir commis un acte de cette nature au Liban. J'ai
seulement souligné, en réponse à une question, que toute guerre,
identifiée à une résistance nationale, expose les belligérants à
commettre des violences contre les populations civiles, comme cela
a été le cas dans de nombreux conflits récents, en Afghanistan, au
Salvador ou ailleurs. »
La renégociation du contrat par Thomson est
engagée avec les Soviétiques : elle aboutit à un protocole soumis à
l'approbation des autorités françaises pour être signé au plus tard
le 1er octobre 1982. La vente de l'usine
de composants électroniques est annulée.
Mercredi 14 juillet
1982
Le défilé militaire traditionnel n'a pas lieu,
comme d'habitude, le matin, à Paris, mais de nuit, précédé dans la
matinée par une revue navale à Toulon.
Ronald Reagan répond à Leonid Brejnev en rejetant
la responsabilité de la situation à Beyrouth sur les Palestiniens.
Les Américains, répète-t-il, n'interviendront qu'à la demande du
gouvernement libanais.
Shimon Pérès, interrogé par la presse, déclare que
l'« affaire d'Oradour » « a été grossie
; M. Mitterrand n'est pas un ennemi
d'Israël ». Itzhak Shamir déclare au contraire : «
M. Mitterrand était notre ami, mais quelque
chose a changé. »
A Londres, ainsi qu'il l'avait annoncé, Issam
Sartaoui déclare que « l'OLP reconnaît
officiellement le droit à l'existence d'Israël
sur une base de réciprocité ». Le Foreign Office s'en
réjouit.
Jeudi 15 juillet
1982
Gaston Defferre proteste auprès du Premier
ministre contre la suppression du secteur privé dans les hôpitaux
publics :
« Les décisions prises par
le gouvernement sur la proposition de Jack Ralite et le projet de
loi actuellement en discussion devant le Parlement peuvent avoir
des conséquences très graves sur la qualité des soins donnés dans
les hôpitaux publics. Depuis quelque temps, des médecins des
hôpitaux et de jeunes assistants appelés à devenir plus tard
médecins des hôpitaux abandonnent les hôpitaux pour le secteur
privé. Ce mouvement risque d'attirer dans les cliniques privées des
praticiens plus compétents que ceux qui resteront dans les
hôpitaux.
La réforme Debré avait eu
l'avantage, en créant le temps plein, d'imposer aux médecins et aux
chirurgiens des hôpitaux de travailler uniquement pour le secteur
public. Avant la réforme Debré, les médecins et les chirurgiens des
hôpitaux pouvaient exercer à la fois à l'hôpital et dans le secteur
privé. Il est à craindre désormais que les médecins et les
chirurgiens des hôpitaux publics ne soient plus considérés comme
les meilleurs professionnels.
Or, du fait des
remboursements de la Sécurité sociale, dans le secteur privé
notamment, les cliniques privées se sont développées
considérablement, ce qui ne peut que creuser davantage le déficit
de la Sécurité sociale.
Par ailleurs, la suppression
des services privés des hôpitaux aura pour conséquence un manque à
gagner qui peut être chiffré pour l'ensemble des hôpitaux à plus de
150 millions de francs (15 milliards de centimes). Les caisses de
retraite encaisseront environ 800 millions de francs de moins. Si
l'on ajoute à cela la question des couvertures sociales des
non-CHU, la perte totale pour l'État sera de l'ordre de 200
millions de francs (20 milliards de centimes).
Est-il encore temps de
revoir les décisions prises qui vont bouleverser les rapports entre
les hôpitaux publics et les cliniques privées, abaisser la qualité
des médecins et chirurgiens des hôpitaux publics et coûter près de
200 millions à l'État à un moment où il n'y a pas d'argent à
gaspiller ? Je le souhaite. »
Après avoir un moment hésité, le Président reçoit
une délégation de la Ligue Arabe composée de Taleb Ibrahimi,
ministre algérien des Affaires étrangères, Rachid Abdallah,
ministre d'État chargé des Affaires étrangères des Émirats Arabes
Unis, et Farouk Kaddoumi, chef du Département politique de l'OLP.
Madame Thatcher, elle, a refusé de les recevoir.
La délégation, élargie à MM. Yazid et Souss, a été
reçue ce matin par Claude Cheysson. Elle a approuvé les initiatives
françaises au Conseil de Sécurité. Mais, tout en marquant son
accord sur l'essentiel du projet franco-égyptien, elle a demandé
que la France dépose un nouveau texte à objectifs plus limités
(cessez-le-feu à Beyrouth-Ouest — désengagement — Force
internationale).
Pour la première fois, un homme de l'OLP entre à
l'Élysée. Il ne dira pas un mot. Le Président expose le sens des
récentes initiatives françaises : « Israël a
commis une erreur en acculant un peuple à une résistance acharnée.
Il fallait au contraire chercher la négociation, et alors l'OLP
s'imposait comme représentant d'un des deux combattants ; je rends
honneur à ce combat. Je m'étonne que les Arabes n'aient pas reconnu
Israël, ignorant ainsi une réalité établie depuis 1948 et à
laquelle la France est irrévocablement attachée. »
Une délégation du CRIF (Conseil représentatif des
institutions juives de France), conduite par Alain de Rothschild,
est reçue par Jean-Louis Bianco. Elle regrette la réception par le
Président de la République de Kaddoumi, qui « redore le blason de
l'OLP ». Par contre, dit-elle, « le malentendu
à propos d'Oradour est réglé ».
Les positions syriennes implantées dans la Bekaa
et à cheval sur la frontière syro-libanaise comporteraient deux à
trois divisions, soit 45 à 50 000 hommes. Elles ne sont séparées
que d'environ 400 mètres des positions israéliennes ou
israélo-phalangistes. Et les troupes soviétiques ne sont pas loin.
Jamais, depuis Cuba, l'affrontement direct Est/Ouest n'aura été
aussi menaçant.
Vendredi 16 juillet
1982
En réponse à la question de Claude Cheysson,
Charles Hernu indique qu'il donne « les
instructions nécessaires pour interrompre toute livraison de
matériels militaires à Israël ».
Séminaire de travail à Maisons-Laffitte entre le
groupe socialiste de l'Assemblée et le gouvernement. Jacques Delors
est très critiqué : « le blocage des prix ne
fonctionne pas », « il n'y a aucune relance de l'emploi », « le
chômage nous fera perdre les élections ». Joxe apprécie de
moins en moins Mauroy et le laisse voir.
Réflexion sur la préparation du budget de la
Culture. Jack Lang pense qu'il faut accorder davantage de moyens
financiers au théâtre et à l'architecture. La musique — mise à part
la musique populaire — ne l'intéresse pas. Il oublie, à mon sens,
qu'un pouvoir politique ne peut pas grand-chose pour la Culture,
sinon favoriser et protéger les pôles d'excellence et les
mécanismes universitaires et sociaux qui permettent de les
renouveler. Mais qui s'en soucie ? Pas Savary, en tout cas, tout
occupé à séduire les syndicats sur l'université, parce qu'il va
leur déplaire sur l'école privée. Le Président y est sensible ;
mais il n'est pas ministre de l'Éducation nationale...
Lundi 19 juillet
1982
Le Colonel Kadhafi écrit à Paris pour dénoncer
« l'immonde campagne militaire sioniste au
Liban, qui vise l'extermination du peuple palestinien (...). Nous,
au sein du Front de la Fermeté, comptons sur votre magnanimité et
celle de votre pays ami pour soutenir la lutte légitime du peuple
palestinien ».
Mardi 20 juillet
1982
La troisième motion de censure déposée contre le
gouvernement à propos du blocage des prix et des salaires est
repoussée. Danger d'une majorité trop large qui laisse un
gouvernement sans contrôle, et ne le pousse pas à négocier avec le
Parlement.
Bonne nouvelle : un mois après sa création, le
Livret d'épargne populaire, permettant enfin l'indexation de
l'épargne populaire, est un franc succès : 568 000 livrets ont été
ouverts et ont drainé 2,3 milliards de francs. Enfin un peu de
justice sociale en ce domaine !
Mauvaise nouvelle : le déficit de l'UNEDIC sera de
37 milliards de francs à la fin 1983. Conçue pour indemniser
quelques centaines de milliers de chômeurs, elle n'est pas en
mesure de supporter la charge d'un million et demi de sans-emploi.
Des mesures exceptionnelles de financement devront être prises
d'ici la fin de l'année : hausse des cotisations d'un point et
demi, contribution des agents du secteur public, relèvement de la
participation de l'État, économies. Avec cela, le gouvernement ne
verra pas monter sa cote de popularité. Tant pis. Il faut vite
mettre les comptes en ordre si l'on veut être prêt pour les
élections de 1986.
Mercredi 21 juillet
1982
Le Conseil des ministres adopte un plan
d'économies de 10 milliards pour la Sécurité sociale.
François Mitterrand : « Je
désire obtenir le départ de l'OLP du Liban avec celui des autres
forces armées ; je désire ne pas avoir de contacts officiels avec
l'OLP avant qu'elle n'ait renoncé à détruire l'État d'Israël. Il
faut avoir le souci de renforcer le processus de Camp David dans sa
dimension israélo-égyptienne. Si Israël attaque Beyrouth, certains
diront que c'est de la faute de la France, parce que notre action
diplomatique aura empêché une reddition sans conditions de l'OLP il
y a quinze jours. »
Le Président signe la loi instituant la Haute
Autorité de l'audiovisuel. Il faut maintenant en choisir les
membres.
Jeudi 22 juillet
1982
Conflit frontal avec Washington : Paris, Londres,
Rome et Bonn annorcent qu'ils honoreront les contrats afférents au
gazoduc sibérien malgré l'embargo américain. La France décide
d'informer les Américains de la « configuration » des contrats,
mais refuse de les présenter au COCOM. « Nous
estimons que la renégociation du contrat l'a rendu acceptable au
regard des règles du COCOM. Même si certains éléments du contrat,
justifieraient un passage devant le COCOM, l'obstruction
systématique des États-Unis est un facteur de blocage qui nous
conduit à cette procédure. »
Dix-huit radios privées reçoivent un avis
favorable de la Commission consultative. La liberté s'installe.
Étrange, comme le monopole paraît loin !
Les « Négociations Globales » sont en panne. Aux
réserves américaines s'ajoutent maintenant celles des pays
producteurs de pétrole et des pays modérés du Tiers Monde. A moins
d'un revirement des uns ou des autres — fort improbable —, on va
vers un échec définitif lors de la prochaine session de l'Assemblée
générale des Nations-Unies. Il faudra prendre acte de la fin d'un
rêve qui aurait pu vraiment conduire à instaurer un nouvel ordre
économique mondial. Avons-nous tout fait pour son succès ?
La France fait part de ses préoccupations aux pays
les plus influents du Tiers Monde.
La hausse des prix en France est un peu inférieure
à 10 %, ce qui représente un gain de 4 points par rapport à l'année
dernière. Mais les autres indicateurs économiques sont de plus en
plus mauvais : en 1982, la croissance du PIB ne dépassera pas 1,5 %
(ce qui est loin des 3,3 % prévus par la Loi de finances et des 2,5
% que l'OCDE a prévus le mois dernier, mais plus que nos voisins) ;
le chômage atteindra 2,2 millions de personnes ; l'investissement
diminuera d'au moins 1 % en volume ; surtout, le déficit extérieur
sera voisin de 80 milliards, contre 59 en 1981. Et cela, le marché
le sait, qui attaque le franc dès cette semaine, un mois à peine
après la dévaluation de juin ; il est clair que celle-ci ne suffira
pas. Il faudra très vite un autre plan plus sévère. François
Mitterrand enrage : « Le pouvoir d'achat des
salaires a déjà baissé de près de 2 % cette année. » Il est
furieux « contre le grand capital et les
petits socialistes ». Il me redit qu'une solution léniniste
eût été la seule capable d'imposer une victoire réelle contre le
capitalisme et que toutes les solutions réformistes sont condamnées
à l'échec.
Vendredi 23 juillet
1982
Le numéro trois de l'OLP, Fadl el Dani, est
assassiné à Paris.
La loi fixant les compétences de la région Corse
est adoptée.
Illusion : le Budget travaille déjà à annuler des
dépenses budgétaires d'un montant équivalent à celles du Fonds pour
les grands travaux, créé pourtant pour échapper à la rigueur
budgétaire.
Samedi 24 juillet
1982
Raid de l'aviation israélienne contre les forces
syriennes dans la Bekaa, pour détruire les rampes de lancement des
missiles Sam nouvellement installées.
Béchir Gemayel est seul candidat à la Présidence
libanaise. Les Phalangistes s'apprêtent à s'emparer de l'État dont
sont chassés les Palestiniens.
Dimanche 25 juillet
1982
Pressé par Cheysson, Arafat signe un document «
reconnaissant toutes les résolutions de l'ONU
sur la question palestinienne ». Un grand pas vers la
reconnaissance mutuelle des deux parties. Il passe à peu près
inaperçu dans le violent vacarme en provenance de Beyrouth.
Philip Habib est au Caire. Boutros Boutros-Ghali
appelle l'ambassadeur de France, Cuvillier, à midi, aussitôt après
l'entretien de l'Américain avec le raïs. L'envoyé de Reagan aurait
affirmé à son interlocuteur qu'il était à la veille d'aboutir, que
rien ne devait donc être fait qui vînt troubler la négociation et
risquer de provoquer une réaction d'Israël. Plus précisément,
Philip Habib a demandé au Président Moubarak de retarder de trois à
quatre jours la discussion du document franco-égyptien par le
Conseil de sécurité. Boutros-Ghali a été chargé de transmettre
cette demande, à laquelle il souscrit.
C'est clair : les États-Unis veulent en finir avec
l'initiative franco-égyptienne. Elle les gêne, s'ils ne veulent pas
faire un pas en direction des Palestiniens ; elle leur enlève la
vedette, s'ils veulent le faire.
Mardi 27 juillet
1982
L'Assemblée supprime la dernière référence du Code
civil au «délit d'homosexualité ».
Les ponts sont coupés. Shultz travaille maintenant
à créer la Force multinationale sans les Français. Il refuse de
recevoir Claude Cheysson, comme de répondre à son invitation à se
rendre à Paris. Les Américains nous traitent en concurrents et non
plus en partenaires.
Pour la première fois, les bombardements
israéliens atteignent les quartiers résidentiels de Beyrouth,
malgré la signature d'un septième cessez-le-feu. Arafat écrit à
nouveau au Président français en décrivant la dureté du siège de
Beyrouth : bombardements, coupures d'eau et d'électricité,
obstacles à l'entrée de produits alimentaires et de fournitures
médicales.
Adoption définitive à Bruxelles d'une organisation
commune du marché des vins dont les principes ont été dessinés au
Conseil européen de juin. Grand progrès qui dégage la voie pour un
accord budgétaire de la Communauté.
A Mexico, dans un discours nuancé et subtil, lors
d'une conférence organisée par l'UNESCO, Jack Lang appelle à une
mobilisation contre « l'impérialisme financier
et culturel » des Etats-Unis, qu'il ne nomme pas. Tollé des
intellectuels et des médias.
Étrange, comme l'Amérique domine les pensées ! Et
comme l'Europe est étrangère à elle-même... Nous qui nous battons
tant, pied à pied, jour après jour, pour que la solidarité
atlantique, si nécessaire, ne déborde pas de son champ de
compétences et pour que les Européens, enfin adultes, définissent
entre eux une attitude commune sur tous les sujets, sommes-nous à
contre-sens de ceux des intellectuels qui connaissent mieux
Stanford que Cambridge, Harvard que Tübingen ?
Jean-Pierre Cot obtient de Pierre Mauroy et de
Jacques Delors que son ministère ait compétence sur l'ensemble des
relations diplomatiques et financières avec le Tiers Monde. Il veut
sortir la France de son pré-carré, lui ouvrir d'autres horizons.
Cheysson n'en est pas content. François Mitterrand non plus, pour
qui le ministère de la Coopération doit rester le ministère de
l'Afrique et seulement de l'Afrique. Il en veut à Mauroy, à
Cheysson et à Delors d'avoir accepté, et n'aura de cesse d'obtenir
l'annulation de cette réforme. La seule bonne façon de l'obtenir
serait de nommer Jean-Pierre Cot à un autre poste...
Matignon est toujours le lieu d'un aimable
désordre. La négociation, si utile pour créer le consensus social
autour de la désinflation, ne doit pas empêcher la décision. Il est
urgent que le Premier ministre, si courageux, dévoué et généreux
par ailleurs, démontre sa capacité de prendre des décisions et de
s'y tenir, sans se réfugier dans un œcuménisme vague, en faisant
croire à chacun qu'il lui donne raison. Il vaut mieux des choix
contestables qu'une absence de choix. Enfin, il faut imposer le
silence aux ministres avant que les décisions ne soient prises, et
la discipline quand elles l'ont été.
Il manque un chef d'orchestre régissant la
communication du gouvernement, planifiant les relations entre les
ministres et les médias. Cela devrait être un ministre,
porte-parole du gouvernement et du Conseil, doté d'un budget
important. Le Président cherche pour cela un journaliste. Il a
plusieurs noms en tête.
Mercredi 28 juillet
1982
Le Conseil des ministres dissout le SAC. Il est
d'autre part informé par Jean-Pierre Chevènement d'un programme
exceptionnel d'investissement pour la « filière électronique
».
En dépit de l'opposition américaine, la France et
l'Égypte déposent au Conseil de sécurité leur projet de résolution
qui traite à la fois du Liban et du problème palestinien. Les
Américains se prononcent contre, tout comme ceux qui ne se soucient
que de sauver les Palestiniens. Face à cette coalition d'intérêts
contradictoires, aucune chance de recueillir les neuf voix
nécessaires. De toute façon, si on les obtenait, les Américains
opposeraient leur veto.
Jeudi 29 juillet
1982
Dans le cadre du programme sur la « filière
électronique » annoncé hier, l'État rachète les principales
filiales de ITT. Promesse politique sentimentale, après la tragédie
chilienne. Trop cher payé.
Déjeuner du Président avec Guy Lux, venu lui
demander d'intervenir pour qu'il retrouve du travail.
C'est officiel : l'OLP s'engage à évacuer
Beyrouth-Ouest ; les 5 000 combattants palestiniens seront
accueillis en Syrie, en Egypte — qui a finalement accepté —, en
Irak et en Jordanie. Arafat, qui l'annonce, ne précise ni le
calendrier ni la procédure de leur retrait. Le mandat de Sarkis se
termine dans vingt jours. Il vaudrait mieux ne pas laisser ce
problème à son successeur. D'autant plus que le seul candidat, pour
l'instant, est le chef des Phalangistes, Béchir Gemayel.
Vendredi 30 juillet
1982
La discussion de la loi sur les radios libres et
les télévisions privées s'achève. Elle met fin à un siècle de
dirigisme. Le monopole sur la programmation est aboli. On fera
éclater FR 3 en douze stations régionales, suggère Pierre Mauroy.
François Mitterrand est contre.
Cynisme : reconduction pour un an de l'accord
céréalier entre les États-Unis et l'URSS.
Explosion d'une bombe, place Saint-Michel à Paris.
Un groupe arménien revendique l'attentat en évoquant la « rupture
d'un accord secret » avec le ministre de l'Intérieur. Qu'y a-t-il
là-dessous ?
Difficile de réformer la fiscalité, même avec la
majorité absolue au Parlement. Le Président voudrait une réforme
des droits de succession : « C'est le cœur du
capitalisme. A la limite, je serais pour la suppression totale de
l'héritage. En tout cas, le système actuel est très injuste. Il
n'est même pas progressif! » L'impôt est de 10 % sur un
héritage moyen, et de 19 % seulement pour un héritage important. Et
la différence a été constamment réduite depuis 1959. Aux
États-Unis, les taux vont de 0 à 33 % ; ils s'échelonnent de 12 % à
60 % en Grande-Bretagne. Et pourtant, on ne peut rien faire !
explique Laurent Fabius. « Je vous l'avais
bien dit, sourit François Mitterrand, sans léninisme, on ne change rien. »
Samedi 31 juillet
1982
Un accident sur l'Autoroute A6, près de Beaune,
fait 53 morts, dont 46 enfants. Le pouvoir politique en est accusé
; comme si, thaumaturge, il devait aussi faire en sorte que la
société ait de la chance. Décidément, rien ne lui réussit.
Version douce de l'initiative franco-égyptienne :
les Égyptiens demandent aux Américains des compensations politiques
pour les Palestiniens.
Dimanche 1er août 1982
Le Conseil de sécurité décide de l'envoi
d'observateurs à Beyrouth. Ce n'est pas encore la force
d'interposition que Français et Américains demandent. Séparément,
Philip Habib continue de négocier le processus d'évacuation des
Palestiniens. Israéliens et Américains ne veulent pas de Français
dans la Force multinationale, ni que celle-ci débarque avant le
départ des derniers Palestiniens, de peur que ces derniers ne
partent plus, des forces étrangères leur servant désormais de
rempart. Enfin, les Américains ne veulent pas que l'ONU exerce un
droit de regard. A l'inverse, l'OLP n'accepte de partir que si
cette force d'interposition inclut les Français, en qui ils ont
confiance, et si le Conseil de sécurité l'approuve. Pour réussir,
les Américains vont donc devoir passer par nous et par le Conseil
de sécurité. Amère victoire.
Après quatorze heures de bombardements, 165 morts
et 400 blessés, les Israéliens prennent l'aéroport de Beyrouth, où
atterrit Philip Habib. Le général Sharon affirme que « l'armée
israélienne quittera le Liban lorsque le
dernier terroriste et le dernier soldat syrien l'auront quitté
». L'ambassadeur de France raconte : « Plusieurs obus sont tombés dans le parc de la Résidence
des Pins et quelques éclats ont frappé la résidence. Quant au parc,
il a été à moitié incendié. La piscine est hors d'usage. Le mur
d'enceinte s'effondre en plusieurs endroits. Le tableau général est
celui d'un blitz impitoyable. »
François Mitterrand, informé dans la nuit par le
permanent de l'Élysée, interdit toute prise de position publique de
qui que ce soit sans qu'on l'ait consulté. «Je
ne veux pas qu'on lance de nouvelle polémique. » Claude
Cheysson est sous haute surveillance.
Lundi 2 août
1982
Les Américains commencent à s'impatienter des
violences israéliennes. Reagan reçoit Shamir à Washington :
« Le monde ne peut plus tolérer cette escalade
sans fin de la violence. » Le tournant est pris. Nous sommes
prêts à y participer. Le mandat reste flou. L'URSS ne dira rien.
Pas de veto en perspective. Protéger le départ des Palestiniens ?
Protéger Beyrouth des agressions israéliennes et des vengeances ?
Rester jusqu'au départ de toutes les troupes étrangères ?
Face aux attaques de l'opposition contre le «
laxisme » du gouvernement, la Chancellerie précise qu'aucun détenu
gracié ou amnistié après le 10 mai 1981 n'avait commis de crime de
sang.
Mardi 3 août
1982
Philip Habib obtient l'accord des Israéliens, des
Libanais et des Palestiniens sur une force multinationale composée
de Français, d'Italiens et d'Américains. A Beyrouth, Paul-Marc
Henry est reçu par Élias Sarkis : « Le
gouvernement libanais veut savoir d'urgence si la France est
disposée à envoyer le premier contingent de la Force multinationale
dont l'arrivée à Beyrouth déterminera en fait le démarrage effectif
de l'opération. » Paul-Marc Henry ajoute : « Les Palestiniens sont convaincus que la présence
française dès le début de l'opération est la garantie non seulement
de leur protection physique, mais aussi de la sauvegarde de leur
dignité morale. »
Le Président, informé, porte en marge : «
Oui, agir vite. Accepter le plan Habib.
»
A Paris, la préparation du Budget 1983 se passe
mal. Les ministres n'ont pas encore compris que les réformes de
structures sont l'essentiel et que la relance budgétaire est
terminée. Dans une lettre au Président, Laurent Fabius s'affole :
nul contrôle sur le Budget. Il propose un gel des recrutements et
un blocage du pouvoir d'achat des fonctionnaires au salaire
supérieur à 6 000 francs par mois :
« Une dynamique du
déséquilibre budgétaire s'est créée. Cette évolution est
inacceptable : elle conduit d'abord à revenir sur un de vos
engagements, mais surtout elle suppose un recours de plus en plus
important à l'endettement et à la création monétaire pour financer
des déficits sans cesse plus élevés. Les risques sont alors
multipliés : asphyxie du marché financier au détriment des
entreprises publiques et privées, et donc de l'investissement ;
aggravation des charges de la dette publique (2 % du PIB en 1986) ;
alimentation de l'inflation par la création monétaire ; limitation
autoritaire du crédit au détriment de la reprise économique. Le
Budget de 1983 doit être un premier coup d'arrêt à cette
dégradation de nos équilibres ; puisque doit être écartée la
solution fiscale qui reviendrait à relever encore le poids des
prélèvements obligatoires (44 % du PIB à la fin de cette année),
seule demeure la maîtrise des dépenses (...). Dès le début 1983, il
faut décider de ne pas créer de nouveaux emplois dans les trois
prochains budgets, ne préserver le pouvoir d'achat que des seuls
agents dont le traitement ne dépasse pas 6 000 francs par mois,
remettre en cause le système des primes, établir une hiérarchie
entre les grandes catégories d'interventions de l'État (...). Il
faut une réunion rapide et restreinte sur ces aspects, dès la
première semaine d'août, pour respecter la procédure budgétaire.
»
Il faut en effet faire vite : janvier se décide en
août.
Le Président refuse : « Pas
question de rien faire avant les municipales. Ou c'est que vous
vous êtes tous trompés. Et je sais alors ce qu'il me reste à faire.
»
On a vu Barbie venir rendre visite au Président de
la République bolivienne. Cela va forcer à sortir du placard
administratif la demande allemande d'extradition. L'ambassade de
France à La Paz fait savoir au gouvernement bolivien que la France
appuie cette demande allemande formulée en mai 1982. Serge
Klarsfeld vient rappeler à Régis Debray qu'ensemble, en 1973, ils
avaient tenté d'enlever Barbie.
Mercredi 4 août
1982
Pendant le Conseil des ministres, Jack Lang passe
un billet à François Mitterrand, lui demandant de lui donner la
parole pour s'expliquer sur ce qu'il a déclaré à Mexico il y a
quelques jours :
« J'aurais souhaité pouvoir
en dire deux mots au Conseil des ministres et saisir cette
opportunité pour faire quelques mises au point. Notre présence à
Mexico a été un immense succès. Nos propositions ont été approuvées
avec enthousiasme par plus de 120 représentants de gouvernements.
Sous la pression des Américains, le représentant de l'AFP a
totalement défiguré mon intervention. D'où les caricatures
présentées par certains journaux français. L'autorité
internationale de la France est sortie renforcée de la conférence.
Le rapport général lui a été confié à l'unanimité. Je vous joins
sous ce pli le texte de mon allocution. Vous pourrez mesurer le
fossé qui sépare son contenu et son interprétation dans certaines
gazettes françaises. Mon discours était principalement un appel à
la création et non pas une mise en accusation exclusive des
Américains, au demeurant non cités dans mon allocution. C'était un
discours pondéré et équilibré. Ce sont les Américains qui ont
manipulé et déformé l'information, et les agences européennes ont
répercuté le seul écho américain. »
Le Président ne lui donne pas la parole. Il
demande néanmoins à voir son texte : il est vrai que les Américains
ne sont pas mentionnés. Tempête dans un verre d'eau.
Alain Savary présente au Conseil les bases sur
lesquelles il entend mener ses négociations: intégration des écoles
privées dans un établissement d'intérêt public, obligation de
financer ces écoles, intégration des maîtres du privé dans le
secteur public.
Les négociations secrètes commencent chez
Geneviève Delachenal, la sœur du Président, très active dans le
mouvement catholique. Le Père Guiberteau voit Jean-Louis
Bianco.
Promulgation de la loi Auroux sur les nouveaux
droits des travailleurs.
Les blindés israéliens pénètrent dans
Beyrouth-Ouest. Très violents bombardements de la ville. François
Mitterrand décide d'y envoyer un expert, le colonel Coullon, afin
d'examiner, avec une commission libano-palestinienne, les modalités
de participation de la France au départ éventuel des Palestiniens.
Il réclame le secret le plus absolu.
Jeudi 5 août
1982
Le secrétaire d'État aux Rapatriés, Raymond
Courrière, vient à Latché. Il rappelle au Président sa promesse
d'une amnistie générale des participants à la guerre d'Algérie, y
compris des généraux putschistes. Le Président : « De toute façon, ils n'ont pas été plus "Algérie
française" que Michel Debré ou Michel Poniatowski. Préparez-moi un
projet. »
Les propriétaires bloquent l'application de la loi
Quilliot. Les quelques droits nouveaux accordés aux locataires
dépriment, paraît-il, le marché de l'immobilier. L'épargne quitte
la pierre pour se diriger vers la Bourse. On passe d'un capitalisme
de rente immobilière à une social-démocratie du profit
industriel.
François Mitterrand s'inquiète d'une éventuelle
défaite de Helmut Schmidt aux prochaines élections en RFA, et d'une
montée du pacifisme. Genscher peut aussi changer de camp avant le
scrutin...
Le Conseil de sécurité adopte — moyennant
l'abstention des États-Unis — une résolution qui « blâme » Israël
et lui demande un « prompt recul » sur ses positions antérieures au
1er août. Reagan émet la même demande
dans un message adressé à Begin — demande repoussée. Philip Habib
transmet de nouvelles propositions aux différentes parties, dont la
France, les États-Unis, le Mali, pour l'organisation de la Force
d'évacuation des Palestiniens.
Le Liban, pris en otage il y a un an par les
Palestiniens, est menacé d'être dépecé par Israël et la Syrie. Il
ressemble aujourd'hui à l'Autriche des années 40 : occupée par
l'Allemagne, puis champ de bataille, et enfin occupée par les
Quatre Grands ; le traité d'État de 1955 y a créé une nation
indépendante et démocratique. La France pourrait lancer l'idée
d'une déclaration de neutralité du Liban sur la base de l'accord de
La Haye du 18 octobre 1907, qui oblige les cosignataires à
respecter la neutralité du pays qui l'invoque et impose le retrait
des forces étrangères. Elle pourrait alors proposer de participer à
la reconstitution du Liban sur la base d'un système fédéral dans
lequel Beyrouth ne serait qu'un district fédéral.
Alain Poher fait savoir au Président qu'il a
choisi, pour la Haute Autorité, Bernard Gendrey-Rety, Jean Autin et
Gabriel de Broglie. Édouard Balladur, contacté, aurait
refusé.
Vendredi 6 août
1982
Louis Mermaz, Georges Fillioud, André Rousselet et
Claude Estier sont à Latché pour discuter du choix des six autres
membres de la Haute Autorité. François Mitterrand veut nommer Paul
Guimard à la présidence. Paul refuse : trop d'honneurs, trop de
contraintes. On évoque les noms de Michèle Cotta, Jacques Boutet,
André Holleaux, Stéphane Hessel, Marcel Huart et Marc Paillet. Au
nom du Parti communiste, Pierre Juquin a proposé Daniel Karlin et
André Stil. Il faudra sans doute en retenir au moins un.
La spéculation recommence contre le franc deux
mois à peine après la dévaluation.
Bombardement aérien en plein centre de Beyrouth.
Un immeuble de huit étages, abritant des Palestiniens, est
entièrement détruit.
Proposition soviétique au Conseil de sécurité
demandant l'embargo sur les armes à destination d'Israël. Veto
américain.
Plusieurs officiers français sont à Jounieh pour
régler avec les Américains, les Maliens et les Libanais les
modalités d'un éventuel départ des Palestiniens de Beyrouth. Les
Israéliens sont furieux contre la France. Ils ne veulent pas de
nous dans cette affaire. Un accord est pratiquement réalisé sur la
base des dernières propositions transmises par Philip Habib. L'OLP
serait prête à partir entre le 12 et le 15 août. La date du 12 août
est retenue, sans être définitive.
Yasser Arafat demande au Président français de
hâter l'arrivée des forces françaises : «
Étant donné les conditions actuelles, très périlleuses, je vous
serais reconnaissant de bien vouloir déployer tous les efforts,
avec toutes les parties concernées, afin de surmonter les obstacles
qui empêchent l'arrivée le plus tôt possible des forces françaises,
car nous nous attendons à des actions israéliennes. »
Les Palestiniens demandent que le premier
détachement français arrive la veille de leur départ. L'armée
libanaise sera présente aux côtés du premier élément de la Force
internationale, qui se déploiera selon les instructions données par
la commission mixte libano-palestinienne. Le premier contingent
palestinien empruntera la voie maritime. Quatre navires commerciaux
sont en cours d'affrètement par la Croix-Rouge internationale.
Chaque navire gardera son pavillon national, destination Akaba.
Parvenus dans ce port, les Palestiniens se répartiront entre
Jordanie et Irak. Le transport par terre vers la Syrie ou
via la Syrie n'est pas encore
approuvé.
La réponse définitive des Israéliens sera donnée
demain. Une réunion entre Philip Habib, les Libanais et la
délégation française aura lieu dimanche 8 août à 9 heures. Le
négociateur américain espère aboutir vers lundi prochain à un
accord entre l'OLP et le gouvernement libanais. Selon ses calculs,
et si tout va bien, l'évacuation pourrait commencer vers le 12 ou
le 15 août. Quand il sera en possession de l'accord
libano-palestinien, il s'efforcera de le faire endosser par les
Israéliens. L'OLP paraît avoir renoncé à ses exigences de retrait
israélien, même si les États-Unis préféreraient que Tsahal se
replie sur ses positions du 1er
août.
Arafat craint que le général Sharon n'attaque les
combattants palestiniens pendant leur départ, ou que les familles
palestiniennes restant au Liban ne soient l'objet de représailles
avant l'arrivée de la Force internationale.
Begin, de son côté, redoute que si la Force en
question arrive avant l'évacuation de l'OLP, celle-ci, « protégée » par les contingents français ou
américain n'essaie de s'incruster à Beyrouth.
Dans ces conditions, Philip Habib se résigne à
l'arrivée du contingent français le jour même du début du retrait
palestinien.
Un premier détachement — 400 hommes du
2e REP basé à Calvi — est mis en alerte
à 6 heures. Un renfort d'environ 800 hommes, constitué d'éléments
répartis sur tout le territoire métropolitain, est mis en alerte à
minuit. Le personnel sera acheminé en partie par avion, comme le
premier détachement ; le matériel lourd, par le TCD Orage,
stationné à Toulon. Les délais d'intervention respectifs sont
estimés à quatre et six jours.
Je me rendrai la semaine prochaine à Mexico pour
évaluer la crise financière avec l'actuel président, Lopez
Portillo, et son successeur Miguel de la Madrid.
Samedi 7 août
1982
C'est fait : les Libanais et les Palestiniens
acceptent le plan Habib. Le détachement français est prêt à partir
pour Beyrouth. Le Président confirme à Reagan que « la France est disposée à assurer les responsabilités qui
pourraient lui incomber dans la composition d'une force
internationale d'interposition à Beyrouth ».
Dans une interview au Monde, Arafat souhaite la tenue « d'une conférence internationale réunissant toutes les
parties après la fin des hostilités ». Il fait savoir à
l'ambassadeur de France à Beyrouth que « les
Israéliens font des préparatifs sérieux pour une certaine
opération. Elle pourrait commencer dans les prochaines heures. La
situation exige que nos amis français se montrent vigilants et
redoublent leurs efforts. D'après les informations que nous
recevons des Liba nais, les Israéliens font preuve d'obstination à
l'encontre des Français. C'est une nouvelle surprise. Nous sommes
par ailleurs stupéfaits par le retard des Libanais, après tout ce
sur quoi nous nous sommes mis d'accord avec eux et avec Habib. La
question à poser est la suivante : la position israélienne à
l'égard de la Force française est-elle coordonnée avec celle des
Américains ? ». Claude Cheysson rassure Arafat :
« Aucun effort n'est ménagé du côté français,
jusqu'au niveau le plus élevé de l'État, pour mettre en œuvre ce
qui vient d'être examiné à Beyrouth avec vos représentants et ceux
des autorités libanaises (...). Bien entendu, ceci ne nous fait pas
perdre de vue la dimension politique... »
Revirement américain à notre endroit : ils nous
demandent maintenant d'intervenir auprès des Égyptiens qui ne
veulent toujours pas recevoir des Palestiniens ! Le Caire maintient
sa position : pas d'accueil des Palestiniens sans une compensation
politique permettant à ceux-ci de sauver la face.
L'Élysée décline aimablement la proposition des
Américains d'envoyer des officiers à Stuttgart pour se coordonner
avec eux sur l'opération libanaise : nous sommes prêts à avoir tous
les contacts nécessaires, mais à Paris. Cette opération ne doit pas
glisser subrepticement de l'ONU à l'OTAN.
Le Président souhaite également que nous fassions
valoir aux Américains que « notre vote de la
dernière résolution du Conseil de sécurité ne relève pas de notre
part d'une agressivité à l'égard d'Israël, mais que nous ne
pouvions pas ne pas voter une résolution qui n'a rien de
disproportionné dans la situation actuelle, et que notre désir est
bien d'aboutir à un accord dans les meilleurs délais possibles
».
Comme les humeurs changent : dans une lettre à
Claude Cheysson, Shultz exprime sa « gratitude
» et son « estime profonde pour la
décision ferme et sans équivoque » du gouvernement français
« de déployer des troupes françaises dès que
cela sera nécessaire, pour faciliter l'évacuation des forces de
l'OLP de Beyrouth dans des conditions qui auront été déterminées
(...). Cette décision commande le respect et l'admiration de tous
ceux qui souhaitent que soit mis un terme à l'effusion de sang et
qu'une possibilité soit donnée au Liban de survivre à cette
terrible épreuve. La décision de votre gouvernement encourage
chacun d'entre nous ». Les États-Unis condamnent «
la réponse disproportionnée et intolérable des
Israéliens à des prétendus tirs de leurs adversaires
».
Dimanche 8 août
1982
Élections à l'Assemblée régionale de Corse : 1037
candidats pour 61 sièges.
L'étau se resserre autour des camps palestiniens
au Liban, et la date du départ des combattants approche. Yasser
Arafat écrit au Président, comme presque chaque jour, désormais
:
« L'armée israélienne est en
train de perpétrer de terribles crimes contre la population
palestinienne à l'intérieur et à l'extérieur des camps de réfugiés
à Beyrouth. La radio israélienne, les agences de presse mondiales
ainsi que les observateurs internationaux ont reconnu la véracité
des faits. Je vous supplie, au nom du sang palestinien innocent,
d'intervenir immédiatement pour faire arrêter ces massacres
barbares et pour que l'armée israélienne se retire du Liban.
»
Blocage : les Israéliens refusent toujours que le
premier contingent de la Force d'interposition arrive à Beyrouth
avant le départ du dernier Palestinien en armes. Shultz veut en
parler d'urgence à Cheysson. Mais celui-ci est dans l'avion pour
Delhi. Pourquoi ? Mystère... A son arrivée dans la capitale
indienne, le ministre rappelle le secrétaire d'État, qui lui dit
souhaiter « proposer à Begin que le
détachement français soit le premier sur le terrain » et que
« le départ pour Beyrouth ne s'arrête plus une
fois commencé. Si l'OLP revient sur son engagement après les
premiers départs, il y a rupture de l'accord ». Cheysson
approuve : « Il est essentiel de faire tomber
cette dernière exigence de calendrier des Israéliens. »
Shultz : « J'ai contacté les Italiens.
» Cheysson s'étonne : « Les Italiens ?
Dans la Force multinationale ?... Première nouvelle. » La communication étant
détestable, le ministre français ne peut poser de questions. Il
rappellera.
Mais le rôle de cette Force n'est décidément pas
semblable pour tout le monde. Menahem Begin écrit à François
Mitterrand le même jour : « Nous avons
totalement détruit le dispositif militaire palestinien, fait
prisonniers près de 8 000 hommes, tué entre 2 000 et 3 000
combattants palestiniens. Quant aux survivants, ils quitteront le
Liban. C'est une question de jours. » Il ajoute qu'il a
demandé à George Shultz des garanties écrites que la Force
internationale d'interposition « expulserait
les Palestiniens restés à Beyrouth au cas où ils refuseraient de
s'en aller de leur propre gré. Nous sommes prêts à admettre que
jusqu'à 2 500 terroristes restent à Beyrouth après l'arrivée de la
Force d'interposition. Mais cela à deux conditions : soit ils
seront expulsés manu militari par ces contingents internationaux
assistés par l'armée libanaise, soit ces contingents accepteront de
se retirer et nous laisseront faire cette opération ».
Autrement dit, contrairement à ce que Shultz
annonce exactement à la même heure à Cheysson, Begin accepte que
les troupes internationales arrivent avant le départ de tous les Palestiniens. Shultz
a-t-il inventé tout cela pour faire avaler la pilule italienne ? Ou
Cheysson a-t-il mal compris ? Les Palestiniens, en tout cas, ne
veulent pas commencer à partir avant l'arrivée des Français.
Lundi 9 août
1982
Les Israéliens exigent que l'OLP rende un de leurs
pilotes, prisonnier, et les corps de quelques soldats tués au
combat.
L'armée israélienne est à Jounieh, occupant les
deux tiers du Liban et dominant la vallée de la Bekaa où sont
concentrées les forces syriennes, et sans doute des officiers
soviétiques. Le départ des Palestiniens est prévu pour dans trois
jours. La tension est à son comble...
A Paris, vers 13 heures, rue des Rosiers, un
tireur fait irruption dans le restaurant Goldenberg et mitraille au
hasard : six morts, vingt blessés. Immédiate vague d'indignation.
Pourquoi ? Quel message ? Quel lien avec la négociation en cours ?
Pour obtenir quoi de la France ?
Informé, Menahem Begin ne fait pas dans la
dentelle ; il retrouve les accents de sa jeunesse, du terrorisme et
de la violence : « Le crime commis à Paris est
le résultat de déclarations choquantes sur les "Oradour" et des
propos inconsidérés de la presse française à propos de la guerre au
Liban. Ces attaques anti-israéliennes qu'ont développées les médias
ne sont pas différentes des attaques antisémites. De nouveau, le
cri de "Mort aux Juifs ! " a été entendu dans les rues de Paris,
comme au temps de l'Affaire Dreyfus. Je suis fier d'être le
Président du Conseil israélien, mais je suis d'abord un Juif. Si
les autorités françaises ne mettent pas fin aux actions meurtrières
des néo-nazis contre les Juifs, visés parce qu'ils sont Juifs, je
n'hésiterai pas à lancer un appel aux jeunes Juifs de France pour
qu'ils assurent la défense de leur dignité humaine.»
Le même jour, dans un télégramme d'un tout autre
style à François Mitterrand, Arafat : « C'est
avec une grande peine et émotion que j'ai appris les tristes
nouvelles de l'attentat criminel commis cet après-midi à Paris et
dont ont été victimes des citoyens français de confession
israélite... C'est à travers votre personne, Monsieur le Président,
que je souhaite transmettre mes condoléances les plus sincères en
mon nom personnel et au nom de l'OLP aux familles des victimes...
»
Mardi 10 août
1982
Une bombe est désarmorcée dans un central
téléphonique du 17e arrondissement. Le
groupe arménien « Orly » prétend l'avoir déposée. Deux autres
explosent dans une société d'outillage, rue Saint-Maur, et devant
une banque parisienne: attentats revendiqués par Action
Directe.
Brejnev parle fort, mais agit peu: c'est décidé,
l'URSS ne mettra pas son veto à la création de la Force
multinationale. Alors qu'elle aurait pu saboter l'accord, ou à tout
le moins faire monter la tension d'un degré, la flotte soviétique
de Méditerranée reste discrète. L'URSS passe par profits et pertes
l'épisode actuel du conflit israélo-arabe. «L'apparent renoncement russe, note un télégramme
diplomatique reçu de Moscou, s'explique par la
reconnaissance réaliste que le Kremlin n'avait guère de cartes en
main, par la conviction que l'affaire n'est pas réglée au fond, par
la volonté de ne pas risquer dans un conflit périphérique de
compromettre si peu que ce fût les chances du dialogue stratégique
avec Washington. Enfin, Moscou doit déjà faire face aux crises
d'Afghanistan et de Pologne au moment où, selon les apparences, la
lutte pour la succession est ouverte. »
Le gouvernement israélien demande à Paris:
«La France peut-elle intervenir auprès des
autorités syriennes afin d'obtenir le nom des militaires israéliens
disparus, notamment prisonniers, dont Damas aurait connaissance ?
» Les relations de Paris avec l'OLP peuvent parfois
apparaître utiles à Israël...
Discussion au petit déjeuner. Michel May prendra
la présidence de TF1, Pierre Desgraupes
celle d'Antenne 2, André Holleaux celle
de FR3. Jacques Boutet quitte
TF1 pour prendre la direction des
Affaires culturelles au Quai d'Orsay.
Mercredi 11 août
1982
Le Président demande que notre ambassadeur à
Beyrouth remercie Arafat pour son message après l'attentat de la
rue des Rosiers. Le Président écrit : « Faire
remercier par l'ambassadeur.» L'ambassadeur remerciera
«au nom du Président ». Nuance...
Pierre Mauroy vient rue des Rosiers se recueillir
sur le lieu de l'attentat. Plus tard, le Président assiste à un
office à la mémoire des victimes. A sa sortie de la synagogue, il
déclare: « Ce fanatisme-là, comme tous les
fanatismes, me trouvera devant lui. » Quelques manifestants
émettent des cris hostiles. Il ne l'oubliera pas.
Le Mexique, où j'arrive, est au bord du dépôt du
bilan: 80 milliards de dollars de dette publique extérieure, une
inflation annuelle de 80 %, une incapacité à payer les intérêts de
la dette, supérieurs aux recettes pétrolières. Depuis janvier, pour
éviter la panique des grandes banques américaines, qui ont 56
milliards de dollars de créances sur le Mexique sur un encours
total de 220 milliards de dollars, la Réserve fédérale des
États-Unis a dû consentir trois prêts à la Banque centrale du
Mexique, de 600 millions de dollars à chaque fois. Au total, la
Réserve fédérale américaine, le Département de l'Énergie et celui
de l'Agriculture ont mis 3,5 milliards de dollars sur la table pour
reconstituer les réserves de la Banque centrale mexicaine, en
quasi-faillite.
Le Président Lopez Portillo, en place pour trois
mois encore, me reçoit dans son bureau. Très fatigué, sinon absent,
il impute la totalité des malheurs de son pays à une « conspiration du monstre américain visant à intimider son
successeur en politique étrangère (...). Les médias américains
créent la panique chez les riches Mexicains en annonçant tous les
jours la proximité d'une crise politique majeure. Voilà pourquoi
les capitaux quittent le pays. Ils veulent nous mettre à genoux.
L'avenir de l'Amérique centrale est très sombre. Je m'attends,
après l'encerclement du Nicaragua par des gouvernements de droite,
à un golpe militaire parti du
Honduras ». Pour le conjurer, il souhaite qu'une initiative
conjointe du Venezuela, de la Colombie, du Mexique et de la France
s'adresse au Honduras pour le menacer de sanctions en cas
d'intervention au Nicaragua.
Une heure plus tard, au siège du parti dominant,
le PRI, le candidat-désigné-élu, Miguel de la Madrid, très calme,
m'explique au contraire que l'essentiel de la crise actuelle du
Mexique est due à la croissance trop rapide des cinq dernières
années. Il n'attend le salut que d'« une
politique d'assainissement. Seul un gouvernement très fort pourra
faire accepter au Mexique cette longue pause dans la croissance,
qui a coûté son trône au Shah d'Iran dans des conditions
économiques très voisines. Il faut calmer le jeu en demandant que,
de part et d'autre, cesse l'outrance verbale ».
Miguel de la Madrid n'aura pas une politique
étrangère très différente de celle de Lopez Portillo. Sans doute y
mettra-t-il moins de fougue que son prédécesseur, afin d'obtenir
que s'installe dans la région la sérénité dont il aura besoin pour
régler ses très difficiles problèmes économiques intérieurs. Mais,
à l'inverse, la politique étrangère sera le seul secteur où il
pourra satisfaire l'aile gauche de son parti.
Étrange contradiction entre deux hommes dont aucun
ne cite le nom de l'autre; le nouveau, choisi pourtant par son
prédécesseur, en est l'absolu contraire. Grandeur du choix de Lopez
Portillo : entre un politique et un financier, il a choisi, dans
l'intérêt du pays, le financier, même si celui-ci est le plus
éloigné de ses propres idées. En échange, La Madrid le protégera
toujours des critiques rétrospectives.
Entre deux discussions sur la Force
multinationale, Shultz répète à Cheysson qu'il veut mettre fin à
l'embargo américain sur le gazoduc: « Nous
allons trouver un habillage. Il faut en parler. — Très bien
», répond Cheysson, toujours prêt à négocier.
Jeudi 12 août
1982
Robert Badinter propose au Président quelques
principes en matière d'extradition: la France terre d'asile, mais
non repaire ou sanctuaire; la France n'extrade pas vers un pays qui
méconnaît les droits de l'homme, ni vers une démocratie dans le cas
d'activités politiques ou intellectuelles, d'infraction matérielle
ou lorsque la personne extradée risque la peine de mort. Le Garde
des Sceaux préconise une nouvelle Convention européenne
d'extradition qui ne distinguerait pas la lutte contre le
terrorisme de la lutte contre toutes les autres formes de
criminalité.
A Beyrouth, tout est retardé. Philip Habib revient
voir « si l'OLP et le gouvernement libanais
sont prêts à faire preuve de souplesse sur les demandes
israéliennes ; s'ils consentent à partir avant l'arrivée des
troupes et à communiquer la liste nominative des partants ».
Il est accueilli sur l'aéroport par un terrible bombardement
israélien, comme si l'on voulait rendre sa mission impossible.
Reagan, furieux, proteste contre «l'action
militaire massive d'Israël (...), les inutiles destructions et les
nouvelles effusions de sang ».
Le cabinet israélien se réunit à nouveau. Cette
réunion extraordinaire est orageuse: Begin critique vivement le
général Sharon d'avoir décidé seul ce nouveau bombardement. Toute
opération militaire importante devra être désormais soumise au
Conseil des ministres. Sharon est enfin sous contrôle. Mais la
santé de Begin est au plus bas.
Après neuf heures de tirs, un onzième
cessez-le-feu est instauré.
Arafat fait savoir qu'il désire la protection de
la flotte française pour son propre départ. Shamir dit à Bonnefous,
ambassadeur de France en Israël, qu'il craint que le «contingent [français] ne soit
utilisé comme bouclier par les Palestiniens s'ils changent d'avis
et refusent de partir ». Cheysson rassure Shamir : «
Dans ce cas-là, la Force française s'en irait.
»
Vendredi 13 août
1982
A Latché, le Président me dit son amertume pour la
façon dont il a été accueilli rue des Rosiers: «C'est très injuste, mais je les comprends. »
Yasser Arafat envoie au Président de la République
un message particulièrement critique envers Habib qui, selon lui,
ne réussit pas à faire accepter aux Israéliens la présence de la
Force internationale à Beyrouth avant le début de l'évacuation des
Palestiniens, et veut disposer de listes nominatives des
Palestiniens partants :
« Les deux dernières
demandes israéliennes transmises par P. Habib (déploiement de
l'échelon précurseur après le départ des premiers contingents
palestiniens et communication de listes nominatives) sont
inacceptables par l'OLP. Elles confirment les dirigeants de l'OLP
dans l'impression que les Israéliens ne cherchent pas d'issue autre
que militaire et que la question de l'arrivée de l'échelon
précurseur au jour J est primordiale. La présence française, dès le
jour J, constitue toujours pour l'OLP une garantie sine qua
non de son départ dans la dignité et la
sécurité. »
Claude Cheysson en parle avec George Shultz, qui
accepte de tenter de convaincre Begin de renoncer à ces deux
conditions.
Samedi 14 août
1982
A Latché, François Mitterrand reçoit Michèle Cotta
et lui demande de prendre la présidence de la Haute Autorité. Elle
accepte immédiatement, sans chipoter. Il lui parle des nominations
à la tête des diverses chaînes.
Dimanche 15 août
1982
A Beyrouth, toujours la même question qui bloque
tout: et si les Palestiniens interrompaient leur évacuation une
fois les Français arrivés, que ferait la France?
De Jérusalem, au milieu d'une réunion de Begin et
Sharon avec Philip Habib, Shamir appelle Cheysson à Paris pour
« avoir confirmation de votre position dans le
cas où les Palestiniens arrêteraient soudain l'évacuation de
Beyrouth-Ouest ». Cheysson confirme, à l'intention de Begin
et Sharon, ce qu'il a dit, trois jours plus tôt, à Shamir:
«La présence de nos forces perdrait son sens
si l'objet en était modifié unilatéralement.» Les Israéliens
ne sont pas pour autant convaincus. Ils préféreraient malgré tout
que le détachement précurseur soit américain. Le ministre des
Affaires étrangères italien, Colombo, confirme par téléphone à
Cheysson que «les Italiens se récuseront si
les Français sont écartés de la Force d'interposition
».
A la même heure, l'ambassadeur israélien à Paris,
Meir Rosenne, rappelle Cheysson de la part de Shamir: « Shamir me confirme qu'il n'y a aucune exclusive à
l'égard des Français, mais que le débat porte "sur le détachement
précurseur".»
Aucun accord n'est encore passé entre les
Israéliens et Habib, non plus qu'entre Habib et l'OLP. Tout demeure
bloqué.
Mardi 17 août
1982
La situation du franc se raffermit. Depuis la
dévaluation, plus de 2,5 milliards de dollars sont revenus dans les
caves de la Banque de France... mais après avoir empoché la prime
de dévaluation!
Le chef de l'opposition israélienne, Shimon Pérès,
est à l'Élysée. Israël, dit-il, accepte la présence d'éléments
français au sein de la Force multinationale. François Mitterrand
réaffirme la position française sur le conflit: droit du peuple
d'Israël à vivre en paix dans un État reconnu et respecté; droit
des Palestiniens à disposer d'une patrie; droit du peuple libanais
à recouvrer son indépendance.
Le Président convoque Gaston Defferre et lui
impose la nomination comme secrétaire d'État à la Sécurité publique
de Joseph Franceschi, qui avait parfaitement géré le service
d'ordre de la campagne électorale présidentielle. Puis il
intervient à la télévision à la fois sur la sécurité et sur le
Liban. Une heure et demie de travail solitaire pour un texte de
cinq minutes.
Mercredi 18 août
1982
Le Conseil des ministres dissout Action Directe.
Dans l'après-midi, juste avant que ne commence un
Conseil restreint consacré au commerce extérieur et à la sortie du
blocage des prix et des salaires, j'apprends le désastreux résultat
du commerce extérieur pour le mois de juillet: déficit de 9
milliards. Quand il sera publié, demain au plus tard, les capitaux
reflueront. L'embellie aura été de courte durée. Il faut agir sur
ce déficit extérieur. Et d'abord sur les importations. Pour les
réduire, le Conseil restreint décide l'interdiction du crédit à la
consommation pour des produits importés (magnétoscopes, chaînes
haute fidélité, matériels de photo et de cinéma), la réduction du
crédit à la consommation pour les cyclomoteurs de plus de 240
cm3. Le Président refuse l'institution
d'une taxe sur les ventes de produits électroniques (magnétoscopes,
chaînes haute fidélité, jeux et jouets électroniques, caméras
vidéo, machines à sous et jeux publics électroniques) et la hausse
du taux de TVA sur divers produits agroalimentaires exclusivement
importés. Delors pense que les mesures retenues devraient suffire à
réduire le déficit.
Pour les salaires, il faudra arriver à des hausses
de 8 % en 1982 et en 1983, avec un rendez-vous en octobre 1983. Les
partenaires sociaux doivent décider avant le 30 septembre du
financement de l'UNEDIC pour 1982 et 1983. S'ils n'y parviennent
pas, il faudra préparer un scénario de crise. Bérégovoy y
travaille. Le besoin de financement de la Sécurité sociale en 1982
est couvert à 90 % par des reports de mesures nouvelles.
Il faudrait changer le gouvernement, ou pour le
moins opérer un remaniement ministériel avant le début du vote du
Budget, soit le 25 septembre: il appartiendrait aux nouveaux
ministres de faire voter leurs crédits.
Où va-t-on? Va-t-on buter sur le mur des Banques
centrales? Peut-on encore redresser? Et tout cela pour une relance
dérisoire, inférieure de moitié à celle de 1975 ! Il faut rectifier
le tir ; on peut le faire sans renoncer aux réformes sociales ni à
l'Europe.
L'ancien président de l'AS Saint-Étienne reconnaît
que son club possédait une « caisse noire » dont des hommes
politiques de droite auraient bénéficié.
Au Liban, un compromis se dessine enfin : l'OLP
accepte de remettre aux Israéliens le pilote prisonnier et les
corps des soldats tués. Israël se résigne à la présence de la
France dans la Force multinationale. François Mitterrand renonce à
la neutralisation de Beyrouth. Le gouvernement libanais donne son
accord au plan Habib.
On prépare l'annonce. Un projet de texte, émanant
du Quai d'Orsay, est soumis au Président: « La
France ne participera à la Force multinationale que si le
gouvernement israélien donne son accord au plan actuellement
examiné avec Philip Habib. L'objet de ce plan est de faciliter
l'évacuation des combattants palestiniens de Beyrouth...» Le
Président note en marge, en face des deux mots «combattants
palestiniens » : « N'aurait-il pu écrire: "de
l'OLP" ? »
A Beyrouth, les forces israéliennes reculent de
quelques pâtés de maisons pour permettre la tenue de l'élection
présidentielle. Prévue d'abord pour demain, elle est reportée au
23. Incidents entre l'armée libanaise et l'OLP.
Jeudi 19 août
1982
L'accord au Liban est annoncé comme convenu: le
gouvernement libanais demande à Washington, Paris et Rome l'envoi
de contingents militaires; Israël accepte la présence d'une force
multinationale d'interposition franco-américoitalienne. François
Mitterrand écrit à Leonid Brejnev pour répéter qu'il ne s'agit que
d'une opération humanitaire. L'ONU donne son aval.
Une autre résolution propose qu'une « session spéciale de l'ONU, au niveau des ministres, sur
la question palestinienne, se tienne à l'UNESCO à Paris du 15 au 26
août 1983 ». Les États-Unis et Israël ont annoncé qu'ils n'y
participeraient pas.
Notre ambassadeur au Liban écrit:
« La disparition de
l'autorité coordinatrice exercée par l'OLP et les forces syriennes
risque d'aboutir à une situation anarchique dans la ville la plus
armée du monde par tête d'habitant. »
Nuit bleue en Corse. Ironie du sort : l'arrivée de
Franceschi semble marquer la fin de la trêve.
Vendredi 20 août
1982
Le scénario continue de se dérouler comme prévu:
Claude Cheysson confirme par lettre au secrétaire général des
Nations-Unies l'accord de la France pour participer à la Force
multinationale. Chaque contingent restera sous autorité nationale;
la France envoie 833 hommes.
Au téléphone, George Shultz dit à Cheysson :
« Il faut chercher le cadre politique de la
suite des discussions au Proche-Orient, en insistant sur la
nécessité de donner aux Palestiniens un avenir, la pleine
jouissance de leurs droits. »
2 000 Syriens de l'armée régulière, de 4 à 500
hommes des forces spéciales commencent à partir, avec les 4 000
Palestiniens sous commandement syrien.
Pierre Mauroy est à Latché pour y discuter en
détail des étapes de la sortie du blocage des prix et des salaires.
On vise maintenant sérieusement une inflation inférieure à 10 % en
1982, et à 8 % en 1983. On examine minutieusement, quatre heures
durant, les conditions des négociations qui s'annoncent: sur les
prix agricoles, dans la fonction publique, sur la Sécurité Sociale,
sur le commerce extérieur. Il est convenu que Mauroy mettra par
écrit les résultats de cette réunion. Le Président répondra.
Le Groupe de coopération technologique de
Versailles se réunit à Paris. Cinq autres réunions, de deux jours
chacune, auront lieu avant décembre pour sélectionner les projets
les plus intéressants. La France propose la création, à Lyon, d'un
Centre international sur les biotechniques. Yves Stourdzé a
accompli un magnifique travail.
Le Président demande une nouvelle fois qu'on
réduise le service militaire. Une fois de plus, Hernu est
contre.
La FAR (Force d'action rapide) va devenir réalité.
On songe au général Forray pour la diriger.
Comme prévu, depuis l'annonce du résultat du
commerce extérieur de juillet, le franc va mal. De nouveau, comme à
chaque crise, on guette les résultats de change à 11 heures, 13
heures et 15 heures. Delors me téléphone encore: « C'est la Bérézina.» Le Président me demande de
réunir lundi prochain, pour faire le point, Jean Riboud, André
Rousselet, Pierre Bérégovoy, Charles Salzmann, Laurent Fabius,
Gaston Defferre. Étrange équipage. Il l'appelle le « groupe informel ». On les appellera bientôt « les
visiteurs du soir » !
Samedi 21 août
1982
Arrivée à Beyrouth des premiers soldats du
contingent précurseur français.
Deux artificiers qui tentaient de désamorcer une
bombe sont tués par l'explosion de la voiture de l'attaché
commercial américain à Paris. Attentat à nouveau revendiqué par les
FARL.
Les deux événements sont-ils liés?
Dimanche 22 août
1982
Annonce de la composition de la Haute Autorité,
avec Michèle Cotta à sa présidence.
Le colonel Coullon, qui a organisé l'arrivée des
troupes françaises à Beyrouth, écrit au ministre:
«L'ambassadeur et moi avons
été l'objet d'une offensive de charme de M. Ariel Sharon, venu
saluer nos troupes. Il m'a déclaré avoir une grande admiration pour
notre armée et nous faire toute confiance pour l'accomplissement de
notre mission. » Yasser Arafat adresse lui aussi ses
« plus vifs remerciements au Président
Mitterrand. Il demande que des forces militaires françaises soient
installées à l'entrée des camps palestiniens ».
Déclaration choquante, à Bonn, du professeur Kurt
Bidenkopf, vice-président de la CDU : « Nous
nous sommes peut-être affreusement fourvoyés avec la stratégie de
dissuasion nucléaire. Nous nous sommes égarés et, pour revenir dans
la bonne voie, nous avons continué de faire toujours de nouveaux
faux-pas, ce qui a conduit à un armement toujours plus poussé...
»
Ce n'est point trop grave : l'homme n'est qu'un
adjoint du chef de l'opposition. Tout de même, il ne faudra pas
l'oublier.
Lundi 23 août
1982
Ronald Reagan adresse à François Mitterrand une
lettre manuscrite:
« Je suis personnellement
profondément reconnaissant envers la France de mettre des troupes à
disposition pour une entreprise d'une telle portée humanitaire
(...). Je m attenas a travailler en étroite concertation avec vous
(...) afin d'assurer au Liban un avenir dans la sécurité..
»
A Beyrouth, l'élection à la Présidence de la
République libanaise a lieu. Le quorum de 62 députés est atteint
grâce à la présence — en dépit des consignes données — de 18 des 41
députés musulmans. Béchir Gemayel, candidat unique, est élu au
second tour par 57 voix et 5 bulletins blancs.
Comme convenu, après la réunion de Latché, Pierre
Mauroy propose au Président un plan économique sur dix-huit mois,
énonçant des conditions précises de sortie du blocage. Document
très important dont Jean Peyrelevade est l'auteur. Il propose
d'abord une «hausse des prix agricoles de 3 à
4 % à laquelle s'ajouteront, à ce moment seulement, les
suppressions des montants compensatoires monétaires pour arriver à
une hausse de 9 % ».
Le Président annote: «Cela
sera difficile à tenir, compte tenu de l'ambiance.»
Mauroy continue: « Les
négociations salariales sur 1982 et 1983 doivent aboutir au
maintien du pouvoir d'achat en niveau à la fin 1983, sur la base
d'une hausse de 18 % des prix sur deux ans, avec gel des revenus
supérieurs à 250 000 francs par an. Je veux conclure sur ces bases,
avant la fin de la négociation de la Fonction publique, le 15
octobre, des contrats exemplaires. Après, la Fonction publique
devra aboutir à une progression du pouvoir d'achat jusqu'à 45 000
francs.»
Le Président: « Oui.»
Mauroy : « La façon de fixer
les normes de discussion dans la Fonction publique est trop
imprécise. Avec un tel mandat, on peut aboutir à des hausses très
supérieures à la hausse des prix. Il faut donc dire, en plus, que
l'essentiel des hausses est en francs, et non en points pour les
revenus supérieurs à 45 000 francs, et que, pour les très hauts
revenus, elles sont versées en bons d'épargne. »
François Mitterrand en marge: « Oui. »
Pour le Budget, écrit encore le Premier ministre,
« un déficit de 3 % en 1982 et 1983 est
réaliste. Dès le début septembre, pour éviter à l'UNEDIC 38
milliards de déficit l'an prochain, l'État annoncera la création,
le 1er novembre 1982, de la
cotisation des agents publics et des indépendants au
1er
janvier 1983, soit 8 milliards. Je demanderai
aux partenaires sociaux de trouver en plus 18 milliards de
cotisations et 10 milliards d'économies. Si je n'y arrive pas, le
gouvernement les décidera lui-même par voie réglementaire
».
Le Président annote: «Ces
cotisations frapperaient les salaires? A quel taux ? A partir du
SMIC + 1/3 ? Tout cela à quatre mois des municipales? C'est trop.
Pas possible! L'idée d'équilibrer l'UNEDIC par décret si les
partenaires sociaux ne le font pas eux-mêmes me paraît très
dangereuse. Cela revient à nationaliser l'UNEDIC et donc à
s'engager à poursuivre ce formidable gaspillage. Il faut, me
semble-t-il, au contraire, tenir prêt dès maintenant un mécanisme
de remplacement en cas de crise... »
Mauroy: « Pour la Sécurité
sociale, la prévision est un déficit de 32 milliards en 1983. Il
faut réformer structurellement l'Assurance maladie ; lutter contre
l'alcoolisme, le tabagisme, les accidents de la route ; transférer
aux mutuelles certains risques lourds ; modifier le système
d'indexation des retraites en augmentant le rôle des retraites
complémentaires. Pour les familles, il faut développer les
conditions de ressources pour le versement des allocations,
harmoniser le régime général et les régimes particuliers, réformer
l'assiette à préparer pour 1983. »
Enfin, pour le commerce extérieur, « l'objectif est de 30 milliards de déficit des paiements
courants en 1983, et l'équilibre en 1985. Dans l'intervalle, pour
défendre le franc, le ministre de l'Économie doit être autorisé à
emprunter immédiatement les 2 milliards d'écus européens qui sont à
notre disposition ».
Le Président écrit: « Quelles
en seront les répercussions psychologiques? Il faut une politique
de déconnexion des taux d'intérêt intérieurs et extérieurs. Me
faire des propositions. »
Mauroy: « Sur l'emploi,
réduction de la durée du travail par la seule voie contractuelle et
sans compensation de salaire. »
Le Président note: «
Attention! Il faut savoir de quoi on parle. C'est impossible.
Quelles seront les dotations en capital des entreprises publiques
dans le Budget 1983 ? Il leur faut au moins 11 milliards de francs
et autant par financement non budgétaire. Les entreprises doivent
le savoir au plus vite, car leurs investissements de 1982 en
dépendent. Quelles réformes bancaires? Quelles grandes aventures
industrielles propose-t-on au pays? La biotechnologie appliquée,
l'agro-alimentaire, l'industrie de la mer? Nous avons entrepris la
plus formidable décentralisation jamais tentée en Europe. Nul n'en
a encore présenté la synthèse ni montré l'intérêt économique. Il
conviendrait d'avancer vers une décentralisation financière des
ministères et des banques. »
Un homme vient alors proposer un autre mode de
pensée : Jean Riboud, le président de Schlumberger, ami de toujours
de François Mitterrand. Devant quelques « visiteurs du soir» réunis
pour la première fois, il propose une politique radicalement
différente de celle de Mauroy. En cas de nouvelle crise, il suggère
de faire flotter le franc. Non par laxisme, mais au contraire, par
rigueur. Pour faire baisser les taux d'intérêt et donc les charges
des entreprises, on défendra une parité du Franc en utilisant nos
réserves de change et en appliquant des mesures protectionnistes.
« La France doit retrouver sa liberté
d'action, et cela passe par la mort du SME. Ou l'Allemagne et la
France d'abord, la Communauté européenne ensuite doivent faire
avancer ensemble le SME, en appliquant la coopération prévue des
banques centrales pour gérer en concertation les réserves de
devises, pour trouver ensemble des règles communes tendant à
régulariser (soit attirer, soit dissuader) le mouvement des
capitaux flottants, pour intervenir d'un commun accord sur les
marchés des changes en visant à stabiliser les cours (soit à la
hausse, soit à la baisse) du dollar vis-à-vis des monnaies
européennes. Voilà ce que l'Europe peut faire si elle en a la
volonté politique (...). Le déficit budgétaire en soi n'est pas la
cause première de l'inflation; en revanche, le laxisme budgétaire
l'est sans conteste. Les entreprises meurent beaucoup plus de
mauvaise gestion, de laxisme que d'erreurs de jugement sur les
investissements. Il en est de même pour l'État. Cela veut dire: la
rigueur dans le budget opérationnel de l'État. Cela veut dire :
l'assainissement financier des caisses d'allocations de chômage.
Cela veut dire : une analyse objective, sans préjugés, mais sans
indulgence, du laxisme dans les coûts de la santé et des pensions.
Bien entendu, la rigueur dans la gestion des pouvoirs publics
serait sans lendemain si l'on ne maîtrisait pas les coûts, en
particulier les coûts salariaux. Ma conviction est que les
syndicats seront réalistes s'ils croient à la réussite. Entre
syndicats, entreprises et pouvoirs publics, c'est l'éternel
problème de qui commence, l'œuf ou la poule. L'État a aujourd'hui
les moyens de donner l'exemple et d'entraîner la conviction. Tous
doivent savoir que l'on n'a plus le choix. Une nouvelle dévaluation
ne sera plus un remède, mais le symbole de l'échec.»
Jean Riboud conclut la réunion: « La réussite de l'opération chirurgicale "blocage des
prix et salaires" se précise. Des mesures spécifiques pour sortir
graduellement du blocage s'imposent. Elles ne sont ni très
difficiles à imaginer, ni très difficiles à appliquer. Pour
réussir, il faut de l'audace et de la rigueur. Il y faut aussi de
la chance. Or, précisément, la conjoncture mondiale est favorable.
Nous ne sommes pas dans un cycle ascendant du prix des matières
premières et du pétrole. La croissance du Japon et de l'Asie du
Sud-Est est ralentie. Comme après la fin de la guerre de Corée, la
tendance mondiale des prix est déflationniste. Certes, la France ne
relancera pas seule l'économie mondiale. Mais la réussite du plan
français permettra de rouvrir, dans de meilleures conditions, les
négociations nécessaires sur le Système monétaire international, le
désendettement des pays en voie de développement, la relance de la
croissance économique du monde. »
Étrange mélange...
François Mitterrand, à qui je rapporte, sceptique,
ces propositions, est enthousiasmé : « Il faut
faire baisser les charges. En cas de crise, ce sera le flottement
du franc! » De sa conviction, peu de gens sont alors
conscients. Il en fait part, pourtant, à qui veut l'entendre. Mais
chacun prend cela pour une boutade. Ou comme une façon de peser sur
l'Allemagne afin d'obtenir une meilleure dévaluation, le moment
venu. En cela, cette ambiguïté est utile, comme presque toujours en
politique étrangère.
Danger: il aurait fallu mettre en place un plan de
rigueur plus ample il y a un mois. Maintenant, le Président voudra
attendre les municipales. Ou faire tout autre chose...
Mardi 24 août
1982
Le FLNC annonce la « fin de la trêve ». On avait
déjà compris.
Jean-Louis Bianco et moi réunissons les trois
directeurs de cabinet des Finances, de l'Industrie et du Budget, et
Jean Peyrelevade, directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy,
pour connaître le degré d'avancement des comités interministériels,
d'où découle l'ordre du jour éventuel des Conseils
restreints.
Nouveau Conseil restreint, cette fois pour
préparer le prochain Budget. On parle de réduire impôts et aides,
de lutter contre la fraude fiscale, de réformer les impôts sur les
successions, de supprimer l'impôt sur les plus-values, de réviser
l'assiette de la Sécurité sociale. Voilà sept mois que le Président
a demandé que 1983 soit l'occasion d'une réforme fiscale majeure.
Nous avons tous les pouvoirs, exécutif et législatif. Et nous ne
ferons rien, ou presque! La société est trop lourde à bouger.
Début du départ des Palestiniens : 1 300 d'entre
eux quittent Beyrouth par bateau à destination des deux
Yémen.
Mercredi 25 août
1982
Le débat sur l'extradition des Basques continue.
Robert Badinter précise à nouveau les quatre critères de
l'extradition en général: nature du système politique de l'État
requérant (refus d'extrader vers des pays non démocratiques) ;
nature objectivement politique de l'acte (refus d'extrader pour des
infractions politiques ou des activités intellectuelles) ; risque
d'aggravation (refus d'extrader si la peine risque d'être aggravée
pour une raison d'opinion, de race, de religion, d'action
politique) ; proportionnalité entre la fin et les moyens
(extradition des auteurs de crimes de sang ou de prises d'otages
commis dans des pays démocratiques, quel que soit le mobile
invoqué).
Au Conseil des ministres, le commandant Prouteau
est nommé responsable à l'Élysée d'une mission contre le
terrorisme.
Jane Kirkpatrick, représentant américain à l'ONU,
confie à Hubert Védrine: «Ce n'est pas la
politique de George Shultz qui a succédé à la politique du général
Haig, mais la politique du Président qui a succédé à celle du
général Haig. Le général Haig n'admettait pas que le Président ait
sa politique. Dès avant le départ du général Haig, le Président
Reagan voulait se saisir de ce problème. La volonté des États-Unis
de rester maîtres du jeu au Proche-Orient explique leur attitude.
Cette volonté se manifeste lorsqu'ils veulent foire comprendre aux
Russes que "ce n'est pas leur affaire". Or cette volonté est battue
en brèche par Israël qui pratique à l'égard de son puissant
protecteur la politique du fait accompli. Cela, Washington ne veut
pas l'admettre. »
Vendredi 27 août
1982
Les 2 700 Syriens de la Force arabe de dissuasion
quittent Beyrouth avec les 2 630 Palestiniens de l'Armée de
Libération de la Palestine, sans leurs armes lourdes. Au total, 14
500 combattants palestiniens auront quitté le pays avant la fin du
mois. L'affaire libanaise semble réglée.
A Washington, Vernier-Pallez continue de négocier
la levée de l'embargo américain sur les exportations à destination
de l'URSS. Informé en parcourant des dizaines de télégrammes
diplomatiques qui ne lui sont pas particulièrement destinés mais
qu'il lit pourtant chaque jour, le Président écrit: «Ces dépêches signalent une action tout à fait inopportune
de notre diplomatie. Il n'y a pas à quémander des explications. Ne
pas recommencer, et même freiner la démarche commencée.
»
Aux Américains de trouver une porte de sortie,
s'ils le veulent.
Le remboursement du prêt de juin dernier de la
Bundesbank, lorsque le franc était au plancher, se fera début
septembre: soit 780 millions de dollars. Nos réserves en devises
sont aujourd'hui de 4,881 milliards de dollars. 4,1 milliards de
dollars resteront donc disponibles pour des interventions sur le
marché. C'est peu, et surtout insuffisant en cas de flottement.
Mais ce chiffre est ultra-secret. Pas question de le communiquer à
qui que ce soit. Pas même à Laurent Fabius, ministre du Budget. Si
le marché connaissait ce chiffre, la spéculation serait sûre de
l'emporter et le flottement entraînerait le franc au plus
bas.
Samedi 28 août
1982
Le professeur Olievenstein me remet un plan de
lutte contre le développement de la toxicomanie en France:
« Il est évident, à la fin
de l'été 1982, et malgré certains succès spectaculaires, que nous
assistons à un développement massif tous azimuts de la toxicomanie.
Toxicomanie légale avec l'invasion du territoire français par
l'héroïne et l'implantation, notamment aux Antilles, d'une zone de
marketing. Toxicomanie aux solvants organiques qui, sans atteindre
les proportions catastrophiques redoutées, se développe lentement
et sûrement. Retour en force des toxicomanies médicamenteuses et du
LSD.
1 Le chef de la mission contre la drogue doit avoir des
pouvoirs accrus de décision et non seulement de réflexion. Il doit
pouvoir désigner dans les quatre ou cinq régions frappées un
"Monsieur Drogue " chargé de dépasser les rivalités et les limites
territoriales et coordonner aussi bien la lutte policière que
l'information, que la répartition des toxicomanes dans les centres
de soins.
2 L'action policière doit s'orienter vers des sanctions
fiscales vis-à-vis des hôteliers, cafetiers, tenanciers de boîtes
qui abritent ou tolèrent le trafic de stupéfiants ou le séjour
prolongé de toxicomanes en leur sein.
3 Des mesures d'assignation à résidence en milieu non urbain
doivent être envisagées pour les toxicomanes trafiquants
récidivistes.
4 Tout étranger sanctionné pour trafic de drogue et faisant
l'objet d'une mesure d'expulsion doit voir son arrivée dans son
pays d'origine signalée à la police locale.
5 Une émission d'information hebdomadaire brève doit être
envisagée à la télévision et à la radio, comme c'est le cas à Hong
Kong.
6 Sous l'autorité de Monsieur Colcombet, la Commission
interministérielle des stupéfiants doit être réactivée afin que
l'action des différents ministères soit coordonnée.
7 Des sanctions devraient être prises contre les fabricants
de solvants (en fait, une ou deux marques seulement) qui refusent
d'altérer leur produit.
8 La prise en charge gratuite et payée par le contribuable
devrait être supprimée à toute personne séjournant plus de dix-huit
mois dans une même institution, ce qui éviterait la chronicisation
de certains toxicomanes telle qu'elle est actuellement organisée
dans certaines institutions.
9 Un groupe d'étude devrait étudier les modalités destinées
à rendre efficace la procédure d'injections
thérapeutiques.
10 Une plainte devrait être déposée par les autorités
françaises vis-à-vis du médecin belge qui fournit du Burgodin aux
toxicomanes français.
11 Un certain nombre de médecins et de pharmaciens qui
délivrent par complaisance des produits toxiques devraient être
officiellement et spectaculairement poursuivis. »
A 20 heures, un communiqué de l'Élysée annonce
l'arrestation de trois Irlandais à Vincennes, qualifiés de «
membres importants du terrorisme international ». Le porte-parole
de l'Élysée, Michel Vauzelle, l'apprendra par la télévision.
Lundi 30 août
1982
Avec les derniers de ses hommes, Yasser Arafat
quitte Beyrouth à bord d'un navire marchand battant pavillon grec,
l'Atlantis, protégé par une escorte
conjointe franco-américaine. Mille précautions sont prises pour
éviter une attaque israélienne.
A Beyrouth, les Israéliens veulent maintenant
fouiller eux-mêmes les camps palestiniens.
François Mitterrand rencontre ses «visiteurs du
soir ». Il y a là Charles Salzmann, André Rousselet et Jean Riboud.
S'y ajoutent aujourd'hui Pierre Bérégovoy, Laurent Fabius et
J.J.S.S. Désormais, il les recevra régulièrement. En général vers
18 heures, dans la bibliothèque du rez-de-chaussée. Au début avec
moi, puis sans moi. Ils comparent les stratégies de sortie du
blocage de Mauroy et de Delors.
François Mitterrand :
Que se passerait-il si la décision était prise
de faire flotter le franc?
Jean Riboud :
Les réserves de la Banque de France seraient
protégées quoi qu'il arrive, et on pourrait ne plus se poser tous
les jours la question de la sortie des capitaux. La dévaluation du
franc par rapport au mark entraînerait une réduction du déficit de
la France par rapport à l'Allemagne, et donc, à moyen terme, une
réévaluation du rapport franc/mark.
Je suis sceptique : tout cela prendrait du temps.
Au début, les importations seraient plus chères, et il faudrait
dépenser davantage de réserves pour défendre le franc. Avec le
flottement, il faudrait plus d'austérité qu'avec une dévaluation.
Il s'ensuivrait une dévaluation d'où découlerait une hausse des
prix et une augmentation du déficit extérieur, entraînant lui-même
une nouvelle baisse du franc...
Mardi 31 août
1982
Le nouveau ministre de l'Industrie, Jean-Pierre
Chevènement, écrit à tous les présidents d'entreprises publiques
pour leur demander « d'intégrer à leur
stratégie de compétitivité les exigences de la solidarité
nationale, notamment en matière d'emploi et de balance commerciale
».
Ils reçoivent cela assez mal. Et d'abord Roger
Fauroux, président de Saint-Gobain.
Que faire avec les centraux téléphoniques MT 20 ?
François Mitterrand: « Puisque les États-Unis
veulent nous interdire de construire le gazoduc, il n'y a pas de
raison de ne pas vendre aux Russes les centraux MT 20. Pas les
composants, mais les centraux. De toute façon, les États-Unis
considèrent toujours une concession comme une marque de faiblesse.
»
Mercredi 1er septembre 1982
Jacques Chirac, de Nouméa: «L'expérience socialiste ne durera pas deux ans. »
Rendez-vous est donc pris pour le 21 mai 1983 !
Le Président: « Il a raison.
La gauche, en France, n'a jamais été au pouvoir plus de deux ans. A
nous de faire que cela soit différent, cette fois. »
Au Conseil des ministres, Fabius présente le
projet de loi de finances pour 1983.
Après l'exposé habituel de politique étrangère au
cours duquel Cheysson évoque des conversations en cours à
Washington sur la levée de l'embargo, le Président intervient: «
Reagan a pris une décision aberrante tant sur
le plan politique que sur le plan du droit. Il convient donc qu'il
revienne sur cette décision. La France n'a pas à en tenir compte.
Elle n'a surtout pas à négocier avec les États-Unis. Il convient
que des directives très fermes soient données sur ce point à tous
les ministres.» Cheysson approuve d'un hochement de
tête.
Tandis que s'achève l'évacuation des Palestiniens
de Beyrouth, Reagan, dans un discours prononcé à Burbank, présente
de nouvelles propositions en sept points pour la paix au
Proche-Orient: 1) Fin des implantations israéliennes dans les
territoires occupés; 2) Autonomie entière des habitants de
Cisjordanie et de Gaza pour leurs propres affaires au cours de la
période transitoire de cinq ans prévue par les accords de Camp
David; 3) Au terme de cette période, il ne doit y avoir ni annexion
ni contrôle permanent d'Israël sur ces territoires; 4) «
Pas d'État palestinien indépendant » ;
5) Retrait d'Israël des territoires occupés; 6) Autogouvernement en
Cisjordanie et à Gaza, « en association avec
la Jordanie » ; 7) Jérusalem doit rester unie, mais son
statut final doit être décidé par des négociations.
Ces propositions sont aussitôt rejetées par le
gouvernement israélien.
Je repense au discours sur le même sujet dont
m'avait parlé Dick Allen, le conseiller pour la Sécurité de Reagan,
lors de notre première rencontre à Washington. C'eût été plus
drôle.
L'OLP demande à la France d'accueillir dans ses
hôpitaux « des blessés palestiniens ».
François Mitterrand écrit en marge d'une note que lui a passée un
collaborateur, lequel propose de ne recevoir que les « blessés civils » et non pas les « blessés militaires » : «
Pourquoi cette distinction entre civils et militaires ? Ils sont
tous, à nos yeux, redevenus civils. Ne la posons pas, et
accueillons un nombre raisonnable de blessés. »
Le bateau de Yasser Arafat arrive en Grèce. Il est
accueilli par le Premier ministre Papandréou et le ministre des
Affaires étrangères, Haralambopoulos.
A la même heure, François Mitterrand décolle de
Paris pour une visite officielle à Athènes, prévue depuis
longtemps. Dans l'avion, Cheysson propose de lui faire rencontrer
Arafat, demain, au Musée national d'Athènes où le Président donne
une réception. Le Président: « Pas maintenant
et pas à l'étranger. »
Jeudi 2 septembre
1982
Les ministres des Finances des Sept sont réunis à
Toronto, en marge de l'assemblée annuelle du FMI et de la Banque
mondiale, afin d'examiner le premier projet de rapport du groupe de
travail créé à Versailles pour réfléchir sur les interventions sur
le marché des changes. Aux yeux de la France, ce groupe doit
procéder à des études pratiques pouvant constituer un guide
d'action. Pour Don Regan et Paul Volker, au contraire, il ne doit
s'agir que d'études théoriques. Le rapport final doit être remis en
janvier 1983 pour mise au point par les ministres courant avril,
avant le Sommet prochain qui se tiendra aux États-Unis.
Une solution est trouvée au problème du
financement de l'AID, l'Agence chargée de financer les plus pauvres
des pays pauvres : les pays riches lui verseront 7 milliards de
dollars d'ici la fin de 1984.
Les relations entre le Président et son ministre
des Relations extérieures ne revêtent pas la forme de rendez-vous
réguliers, comme avec le Premier ministre et le ministre des
Finances. Ils se voient sans cesse en voyage. François Mitterrand
lit et annote une cinquantaine de télégrammes diplomatiques par
jour. Parfois Cheysson adresse au Président de brèves lettres ou de
plus longues, manuscrites. Aujourd'hui, à Athènes, il lui remet une
note précisant sa conception d'une stratégie pour le Moyen-Orient.
Remarquable document, révélateur d'un exceptionnel esprit d'analyse
de Claude Cheysson :
« Supposons que, demain, le
Liban ait recouvré indépendance et unité, sans perdre son
intégrité. Supposons que la Syrie et la Jordanie d'une part, Israël
de l'autre se soient mutuellement reconnus et que leurs frontières
aient été garanties. Supposons que les Palestiniens aient le droit
de constituer un Etat dans des territoires actuellement occupés.
Comment évoluent alors les trois grandes préoccupations des peuples
de la région: la sécurité, la souveraineté, le développement? C'est
le problème essentiel pour beaucoup — Israël, évidemment, mais
d'autres aussi, la Syrie, la Jordanie, le Liban, la nouvelle
Palestine. "Reconnaître Israël, bien, mais qui garantira ma
frontière orientale ?" me disait Assad il y a un an. Les frontières
des différents États étant formellement reconnues, enregistrées aux
Nations-Unies et par les États membres de l'ONU, des dispositions
précises devront donc être adoptées pour créer objectivement et
contrôler effectivement les conditions de la sécurité. Elles
couvriront les secteurs les plus vulnérables et menacés.
L'expérience acquise au Sinaï mérite réflexion par la conjugaison
des obligations échelonnées sur le terrain, partielles puis
totales, portant sur les armes et les troupes, par les
interdictions plus ou moins complètes de mouvements, par la
surveillance physique, humaine et électronique, qui y est établie,
par l'implantation d'éléments étrangers de contrôle. Rien
n'empêcherait d'étendre cette expérience tout autour d'Israël, en
recourant à des forces multi ou internationales, en implantant des
moyens modernes d'observation et de détection (un réseau Awacs
international permettrait à Israël de porter loin son regard, mais
donnerait aussi une bonne vision à la Syrie et à la
Jordanie).
Contrairement aux thèses
habituelles, je suggère que les forces armées et de surveillance
garantissant l'équilibre et les modalités de la sécurité
comprennent des contingents de quelques grandes puissances, afin de
les engager physiquement sur le terrain et de conférer leur pleine
signification aux garanties qu'elles auront données par ailleurs.
Ceci n'exclurait pas, cependant, l'intervention d'observateurs des
Nations-Unies choisis parmi les neutres et les non-alignés. Enfin,
il est raisonnable de proposer que ce réseau de garanties, inter ou
multinationales, soit complété par des garanties particulières
bilatérales. Un engagement formel, public des États-Unis vis-à-vis
d'Israël — symétrique de celui de l'Union soviétique au bénéfice de
la Syrie — pourrait contribuer puissamment à créer le climat de
sécurité.
L'État palestinien qui
pourrait être esquissé demain, au terme d'une période transitoire
d'autonomie, sera aussitôt confronté à un problème politique majeur
dû à l'existence d'un très grand nombre de citoyens palestiniens
au-delà de la frontière orientale, c'est-à-dire dans l'actuelle
Jordanie et les autres. Il serait évidemment impossible de dénouer
les liens qui existent à l'heure actuelle entre Palestiniens de
Cisjordanie. Il serait dangereux de refuser à ces derniers la
reconnaissance de la citoyenneté palestinienne une fois l'Etat
palestinien créé... En bref, il est certain qu'un État palestinien
cisjordanien devra chercher une formule d'union politique avec la
Transjordanie largement palestinienne. Sera-ce une fédération? une
confédération? ou une forme nouvelle sera-t-elle trouvée? Il
importe peu. Les liens administratifs et politiques devront être si
nombreux qu'en fait, on sera, au terme de l'évolution, très proche
de ce que les Israéliens envisageaient sous le gouvernement Rabin
et de ce que le Parti travailliste déclare encore pouvoir accepter,
à savoir une Jordanie allant au-delà du Jourdain dans quelques
territoires évacués par Tsahal. Dans plusieurs parties du monde, on
voit apparaître la nécessité de reconnaître et garantir des espaces
politiques relevant de plusieurs souverainetés, mais également
neutralisés et placés sous surveillance internationale.
L'État-croupion dessiné sur la carte à l'ouest du Jourdain n'a
aucune possibilité d'existence économique autonome. La recherche
d'une entité économique correspondant à l'ancien mandat britannique
est un impératif évident. Ygal Allon, me parlant en privé il y a
quelques années, envisageait d'ouvrir à la Jordanie (Trans et
Cisjordanie) l'accès privilégié à une zone allant du lac de
Tibériade à la mer; cette zone pourrait être dotée d'un statut
international rappelant celui de l'ancienne zone de Tanger. Il y a
quelques semaines, M. Begin a, sous une forme différente, repris
une idée semblable (pour lui, la Transjordanie reste partie
intégrante d'Israël). Il serait intéressant d'examiner plus
attentivement cette perspective, d'en montrer les avantages
indéniables, d'en étudier les formes. L'exemple fourni par la
Communauté économique européenne mériterait d'être gardé à l'esprit
(...). A terme, il ne fait pas de doute que les territoires évacués
par les Israéliens en Cisjordanie et la Jordanie sont appelés à une
union politique. »
Dîner à l'ambassade de France. Le président de
Rhône-Poulenc, Jean Gandois, à ma table, me déclare non sans
violence que la France a manqué à sa parole en ce qui le concerne.
Sa véhémence me désole. L'homme est de grande qualité.
Vendredi 3 septembre
1982
A Washington, les diplomates continuent de
négocier à propos de l'embargo et les conseillers diplomatiques à
l'Élysée, comme le Président lui-même, reçoivent les télégrammes
rendant compte de ces pourparlers. Les Italiens sont également dans
la négociation, à présent, de même que la Commission, puisqu'il
s'agit d'une question commerciale relevant de la compétence
communautaire.
Se rangeant à l'avis de Gaston Defferre, François
Mitterrand veut renoncer au découpage de Paris en vingt communes.
Pierre Joxe et Pierre Mauroy, mécontents, cherchent une solution
qui ne soit pas le retour au statu quo
ante.
L'ambassadeur israélien vient dire au Quai d'Orsay
que, les Palestiniens ayant quitté Beyrouth, plus rien ne s'oppose
à ce que la Commission culturelle franco-israélienne, ajournée en
juin, reprenne ses travaux. Le Quai répond que l'ajournement n'a
pas été motivé par la présence palestinienne à Beyrouth, mais par
l'invasion israélienne du Liban. Nuance.
Le général italien Carlo Alberto Dalla Chiesa,
chargé de coordonner la lutte contre la Mafia, est assassiné à
Palerme.
Barre dénonce « l'échec
cinglant» du gouvernement. Les attaques de la droite se font
de plus en plus virulentes. François Mitterrand enrage que personne
n'y réponde. En quittant Athènes, il m'interroge: « Votre ami Bercoff, qui avait rédigé ce livre si drôle
sous un pseudonyme, ne pourrait-il pas en faire un autre avant les
municipales, un livre qui dirait sur la droite ce que ni les
journalistes ni les socialistes ne disent ? » Je lui en
parlerai.
Plans Câble: 1,4 million de foyers seront câblés
en 1985. On ne sait toujours pas combien de canaux seront
disponibles sur le satellite: deux? quatre? cinq?
Samedi 4 septembre
1982
Les combattants palestiniens partis, faut-il que
la Force multinationale reste au Liban «pour
éviter un massacre civil», comme le demande Arafat au
secrétaire général du Quai d'Orsay, Francis Gutmann, qu'il voit à
Turin: «L'OLP a tenu ses engagements quant aux
opérations d'évacuation. Il appartient désormais à la Force
d'interposition, et tout spécialement au bataillon français, qui a
la confiance des Palestiniens, de remplir la seconde partie de son
mandat: assurer la protection des populations civiles de
Beyrouth-Ouest. L'OLP n'a aucune confiance dans le jeu américain et
encore moins dans celui de Gemayel (...). Si la France se retire
avant que la sécurité ne soit assurée à Beyrouth, il y aura
massacre. »
Je parle à André Bercoff : «
Le Président a pensé à toi pour un projet, mais je ne pense pas que
cela t'intéressera. Il aimerait que tu écrives un autre livre de
politique-fiction avant les municipales de 1983.
— Pas sous cette
forme, répond André, je serais tout de
suite découvert. Mais laisse-moi réfléchir. »
Dimanche 5 septembre
1982
Sur Europe 1, Pierre
Mauroy évoque la nécessité d'une phase «
d'assainissement de dix-huit mois», rendant ainsi
implicitement publiques les conclusions de la discussion de
Latché.
Lundi 6 septembre
1982
Le ministre égyptien des Affaires étrangères,
Boutros Boutros-Ghali, vient dire à Claude Cheysson que le
gouvernement égyptien «va rendre publique une
condamnation de la poursuite des implantations israéliennes dans
les territoires occupés et qu'il souhaiterait que nous fassions de
même». François Mitterrand, interrogé, annote : «
Me consulter avant toute intervention.
»
Le Président Sarkis demande à la France de laisser
ses soldats à Beyrouth jusqu'au 21 septembre, date d'expiration de
son mandat et de la prise de fonctions de Béchir Gemayel. François
Mitterrand ne veut pas que la France reste seule. Quant aux
Américains, ils souhaitent partir au plus vite. Au surplus, Sarkis
n'entend pas formuler sa demande officiellement.
Mardi 7 septembre
1982
George Shultz téléphone à Claude Cheysson :
«Pas question pour les Américains de rester,
sauf si Béchir Gemayel le demande. » Gemayel, consulté, est
clair : « Pas de troupes occidentales à
Beyrouth. » Cheysson : «Je le comprends
! Il ne veut pas gêner Tsahal. »
La quatrième chaîne sera à péage. Michel Deheu, du
cabinet de Pierre Dreyfus, l'étudie. André Rousselet trouve le
projet trop théorique et souhaite s'en occuper lui-même.
Mercredi 8 septembre
1982
Shultz rappelle Cheysson : «
Philip Habib se répand à travers Washington en compliments sur la
qualité professionnelle, la discipline, la discrétion, le
dévouement du contingent français de la Force d'interposition.
Reagan m'a chargé d'en féliciter la France. »
Begin vient à Paris le 24 octobre pour un congrès
sur la situation des Juifs en URSS. Il demande à rencontrer le
Président.
Bercoff a une idée superbe: il écrira bien un
livre sous pseudonyme, mais, cette fois, comme s'il était un homme
de droite, cynique, lucide et critique vis-à-vis de son propre
camp. Il me suggère un titre: De la
Reconquête, et un pseudonyme, Caton. Le Président est enthousiaste. L'accord est
passé avec Claude Durand, chez Fayard. Le livre devra paraître en
janvier. François Hollande aidera André pour les chiffres.
Cinq personnes en tout sont au courant: le secret
peut être gardé. Caton est né.
Jeudi 9 septembre
1982
Un Sommet arabe à Fès adopte un plan reprenant le
plan Fahd, avec de légères différences aux points 4, 6 et 7, ainsi
rédigés:
« 4/ Réaffirmation du droit
du peuple palestinien à l'autodétermination et à l'exercice de ses
pleins droits nationaux inaliénables sous la conduite de l'OLP, son
représentant unique et légitime, et dédommagement de tout
Palestinien ne désirant pas le retour.
6/ Création d'un État
palestinien indépendant ayant Jérusalem pour capitale.
7/ Le Conseil de sécurité de
l'ONU apporte des garanties de paix à tous les États de la région,
y compris l'État palestinien indépendant. »
Notre ambassadeur à Washington rencontre un haut
fonctionnaire du Département d'État qui prétend qu'il y aurait
contradiction entre notre position actuelle sur le contrat
Thomson-CSF et la position qui nous a été prêtée par Haig lors d'un
debriefing organisé à l'issue des
entretiens du Président avec le Président Reagan, au mois de mars.
Le compte rendu cité dans le télégramme indique: «A propos du contrat téléphonique Thomson-CSF destiné à
l'URSS, M. Mitterrand s'est engagé à annuler la partie sensible du
contrat et à poursuivre sur le reste. Il s'interrogeait s'il n'en
résulterait pas une annulation par les Soviétiques de la totalité
du contrat. En tout état de cause, la France soumettrait cette
vente au COCOM. La France considère cela comme un geste politique
important. » Le compte rendu fait par Cheysson de cet
entretien ne contient pas cette phrase sur le COCOM. Et, de toute
façon, la décision est prise: la vente a lieu sans que soit demandé
l'aval du COCOM.
Le franc est de nouveau attaqué. Depuis le 18
août, 6,1 milliards de francs sont sortis de nos caisses, à un
rythme compatible avec notre déficit commercial mensuel. Mais, au
rythme de ces derniers jours (511 millions de dollars du
1er au 9 septembre), la poursuite de ces
sorties de devises serait impossible.
Vendredi 10 septembre
1982
Delors remet au Président un document très secret:
les pronostics du FMI sur l'économie française: « Handicapée par une inflation rigide, la France a reculé
dans la bataille de l'exportation et le seul chiffre disponible
pour 1983, celui du déficit extérieur, est inquiétant. Le FMI
manifeste un grand scepticisme vis-à-vis des effets à court terme
de la nouvelle politique engagée avec le blocage des prix et des
revenus. »
On ne fait pas plus net. Voici l'humiliation du
pronostic; après viendra, si rien n'est fait, celle des
recommandations, puis celle des contraintes.
Un nouveau projet de statut des grandes villes est
prêt. Il ne s'agit plus que de créer, à Paris, ville unique, vingt
conseils d'arrondissement aux compétences floues. Gaston Defferre,
qui a reçu Place Beauvau les élus socialistes à l'Hôtel de Ville de
Paris, demande au Président de les modérer.
A Marseille, il s'est, dit-il, choisi un
successeur de moins de quarante ans. Le provincial parle en
provincial. Il faut casser Paris, mais pas les métropoles. Sa
lettre est prémonitoire:
« Il ne faut pas se le
dissimuler, nous sommes arrivés à l'extrême limite sur le plan
politique et sur le plan administratif. La création de conseils
d'arrondissement d'une couleur politique différente de celle de la
majorité municipale va alourdir, compliquer et ralentir
considérablement le fonctionnement des municipalités des grandes
villes. Nous risquons d'aboutir à un véritable monstre et de rendre
ingouvernables certaines villes. La décentralisation a notamment
pour objectif d'éviter les retards et les complications
administratives, de permettre de gérer plus vite et mieux. Avec le
système que nous préparons, s'il est poussé trop loin, nous
aboutirons au résultat inverse. Et ceci, pour un résultat politique
aléatoire. Paris est la ville de France dans laquelle le courant
politique prévaut le plus sur les situations personnelles. Si nos
amis sont — et cela risque d'arriver — assez largement battus aux
élections municipales de Paris, tout cela aura été inutile (...).
Je vais donc être amené à résister aux demandes de nos camarades de
Paris et de Mauroy. Il ne s'agit pas pour moi d'une question
personnelle, d'un problème marseillais. J'ai l'intention de me
représenter aux élections municipales. J'espère bien être élu,
mais, à mon âge, j'ai l'intention de préparer ma succession et de
laisser assez vite la direction de la Mairie à un jeune socialiste
entre trente et quarante ans. Mais je n'ai le droit ni de proposer
un monstre administratif, ni de laisser le gouvernement commettre
une faute politique dont vous supporterez les conséquences,
puisque, si nous nous trompons, cela entamera le capital de
confiance dont vous avez besoin pour redresser la situation
économique, sociale et monétaire. »
Il poursuit en annonçant qu'il demandera au
Président d'arbitrer, la semaine prochaine, entre lui et les
socialistes parisiens alliés à Mauroy:
« Certains camarades, si
intelligents soient-ils, ne pensent qu'à limiter les possibilités
d'action de Chirac, sans mesurer les conséquences politiques
nationales de leur comportement. Je suis allé à l'extrême limite de
ce qui peut être fait. Aller plus loin serait une erreur politique
et administrative majeure. Hélas, Mauroy, n'étant plus en cause,
participe allègrement de cet état d'esprit des élus parisiens. Il
regrette encore, parce qu'il pense que c'était politiquement
possible, que nous ayons renoncé au système de la Communauté
urbaine avec la création de vingt municipalités de plein exercice à
Paris. »
Les troupes américaines quittent le Liban. Claude
Cheysson est à Beyrouth. Le Premier ministre Wazzan — bloqué chez
lui par des troupes israéliennes — critique violemment au téléphone
ce départ et lui dit: « Nous avons été
trompés. Nous avons apporté notre caution au plan Habib, au départ
des Palestiniens en armes, obtenu l'acceptation des Libanais
musulmans, parce que nous croyions à la parole des Américains.
Aussitôt après, Tsahal avance, attaque les camps palestiniens, agit
à sa guise, et nous avons une responsabilité... »
Pourtant, les autorités libanaises, malgré nos
suggestions, ne présentent pas de proposition formelle de
prolongation de la présence de la Force multinationale.
Cheysson: «La Force
d'interposition n'avait pas pour mandat de protéger les populations
civiles... Je regrette que la proposition française du 24 juin
d'une force multinationale surveillant à la fois le départ des
Palestiniens et des Israéliens ait été bloquée par le veto
américain. »
Comme le dollar monte, le franc baisse; le marché
prévoit la reprise de l'inflation à la sortie du blocage des prix,
alors que rien ne la laisse encore présager. Les taux de
l'Eurofranc sont d'impitoyables indicateurs (près de 20 % à six
mois, contre 8 1/4 % pour l'Euromark). Cela indique que le marché
prévoit une nouvelle dévaluation dans les deux mois.
Échec du premier tir commercial d'Ariane.
Décidément, mauvaise journée.
Samedi 11 septembre
1982
Les troupes italiennes quittent le Liban. Les
Français sont les derniers.
Le programme des « visiteurs du soir » est au
point. En leur nom, Pierre Bérégovoy propose une autre politique économique, fondée sur le
flottement du franc, pour permettre la réduction des charges et la
relance de l'investissement. Sa lettre au Président, après les
brouillons de Fabius et Riboud, fournit le meilleur cadre théorique
de cette autre politique:
« La forte montée du dollar
fera baisser le franc qui franchira le cours pivot. Que peut-on
faire ? Je suis sceptique à l'égard de mesures limitées ; une
hausse de 2 à 3 points du taux d'intérêt risque d'avoir peu d'effet
dissuasif techniquement, mais de révéler notre inquiétude et
d'encourager la spéculation. Deux options se présentent à
nous:
1) engagement solennel de ne
pas sortir du SME et mise en place de mesures drastiques: cette
option, s'inspirant de l'attitude de De Gaulle, suppose un élément
psychologique et politique (la solennité de l'engagement personnel
du Président de la République de ne pas sortir du SME) et la mise
en place de mesures drastiques (relèvement des taux de marché
monétaire à un niveau de combat [20 %], durcissement de la
réglementation — déjà sévère - sur les changes, renégociation avec
la RFA des marges de fluctuation du SME, emprunts auprès de pays
amis ou du FMI, de la BRI, etc., mesures déflationnistes de
réduction des prestations sociales ou d'alourdissement significatif
de l'impôt sur le revenu).
Les risques d'un tel
scénario sont réels. Risque politique, dans l'hypothèse où ces
mesures ne suffiraient pas et où la spéculation se révélerait plus
forte. Or, ce risque ne peut être durablement écarté (la référence
à 1968 montre que la dévaluation n'a pu être différée que de moins
d'un an), pour les trois raisons suivantes : même si les mesures de
désinflation de notre économie portent leur plein effet, il
subsistera en 1983 un différentiel d'inflation substantiel entre la
France (8 %) et la RFA (4 %) ; notre
commerce extérieur connaît un déficit important et sans remède
immédiat; les milieux financiers internationaux éprouvent une
incontestable hostilité envers notre expérience. Risque économique,
ensuite, car si ces mesures suffisent à nous maintenir au sein du
SME, elles auront de graves effets sur notre économie: la hausse
des taux d'intérêt (à un moment où le taux d'inflation sera
redescendu à un niveau de 10 %, puis de 8 %) atteindra un tissu
industriel déjà malade, et provoquera une recrudescence du chômage.
A moyen terme (sortie du blocage), ces mesures auront épuisé leur
efficacité ; et la sortie du SME, à mon sens inévitable à cette
échéance, devra être préparée et revendiquée comme élément d'un
plan d'ensemble qui doit être annoncé simultanément.
2) Un scénario d'apparence
technique devrait être préparé: il suppose, à court terme, la mise
en place de mesures discrètes et aussi efficaces que
possible ; à moyen terme, à la sortie
du blocage, la préparation technique et politique d'une sortie
provisoire ou durable du SME, cette fois-ci revendiquée comme
élément d'une politique plus globale, accompagnée d'une
renégociation monétaire européenne. Autrement dit, ce serait
d'abord le flottement. Tout en récusant l'idée que le flottement
nous évite une contrainte et une discipline (la politique de
désinflation devrait être poursuivie et amplifiée), une relance de
l'investissement (par la baisse, enfin possible, des taux d'intérêt
internes) et un soutien de l'activité générale et de la croissance,
sur laquelle repose en fin de compte notre projet social, seraient
les deux axes de ce plan d'ensemble sur lequel je continue à
réfléchir.»
Pierre Bérégovoy sait bien que le flottement n'est
envisageable que si la Banque de France dispose d'assez de
réserves. Et que, sans réserves, rien n'est possible. Il
ajoute:
« Si vous l'estimiez utile,
je pourrais essayer de rencontrer discrètement Lanhstein pour
négocier un prêt swap contre notre maintien dans le SME, et amorcer
une réflexion avec lui sur les marges de fluctuation du Système
monétaire européen. Dans un premier temps, le calme et la
discrétion me paraissent des atouts décisifs. Je crois surtout
qu'il vaut mieux précéder l'événement que le subir.
Je manque d'éléments
d'information sur la situation exacte de nos réserves et sur les
mécanismes techniques, n'ayant voulu alerter personne.
»
L'option est claire. Elle n'est pas la mienne, non
plus que celle de Jean-Louis Bianco, François-Xavier Stasse,
Élisabeth Guigou, Christian Sautter, qui suivent cela à l'Élysée.
Elle est cependant celle qui tente le plus le Président:
s'affranchir des contraintes et ne pas procéder à une troisième
dévaluation, favoriser l'entreprise, réduire les charges. Defferre,
Chevènement, Rocard, Jobert, Riboud, Fabius, Bérégovoy, les
communistes sont, pour des raisons contradictoires, de cet avis.
Cela commence à faire du monde.
Au Comité directeur, la mutation du parti
d'opposition en parti de gouvernement s'est manifestée
concrètement. Des critiques limitées mais très nettes au
gouvernement, qui passent pour un avertissement mais aussi comme la
volonté du Parti d'affirmer son identité et sa liberté. Ces
critiques se sont exprimées en direction de Pierre Bérégovoy (et le
remboursement de l'IVG), Charles Hernu (et les ventes d'armes),
Gaston Defferre (et les «bavures
policières »), mais aussi à propos du manque de cohérence du
discours économique du gouvernement.
Lundi 13 septembre
1982
Le Président Moubarak est reçu à l'Élysée. Il
propose de renoncer au projet franco-égyptien : « Je pense gu'il vaut mieux appuyer l'initiative Reagan et
encourager dans la mesure du possible les États-Unis à poursuivre
le processus de paix. » Pas moyen de continuer sans
lui.
Manifestation à Paris de quinze mille patrons des
petites et moyennes industries contre le gouvernement.
Bernard Deleplace, secrétaire général de la
Fédération autonome des syndicats de police, affirme qu'une partie
de la hiérarchie policière organise « le sabotage ».
Pierre Bérégovoy commence à rédiger un projet de
discours pour le Président dans l'esprit de la lettre qu'il a
envoyée il y a une semaine. Il proposera de réduire les charges des
entreprises et, en particulier, leurs dettes, particulièrement
lourdes en période de désinflation. A l'Élysée, seuls Salzmann et
Boublil travaillent à ce discours. Les « visiteurs du soir » sont
de plus en plus nombreux.
Or l'action devient nécessaire. Nos réserves
filent, l'accident approche. Jacques Delors m'appelle: « Il n'y a plus qu'un moyen, c'est de faire comme
l'Amérique au temps de Carter et d'empiler les réserves pour
montrer que nous sommes prêts à tout pour défendre la parité.
» Michel Camdessus propose d'emprunter 4 milliards de
dollars. L'emprunt est organisé avec les banques et gardé secret
jusqu'à mercredi prochain. Jean-Yves Haberer, que je consulte,
confirme : « Cela devrait marcher.
»
Un expert monétaire, un de ces sages discrets que
je consulte de temps à autre, me dit : « Le
franc peut et doit gagner s'il sait se faire oublier. » Très
jolie formule. Autrement dit, que le gouvernement cesse de parler à
tort et à travers de réformes, surtout lorsqu'il ne les fait
pas...
Mardi 14 septembre
1982
Le Président, au petit déjeuner avec Mauroy et
Jospin: «Nul n'a le droit de s'exprimer sur la
monnaie, en privé ou en public, sauf autorisation expresse du
Président ou du Premier ministre. » Il réduit cette fois à
presque rien le projet de loi sur le statut de Paris.
Shimon Pérès écrit au Président de la République:
«Je ne crois pas à l'illusion qui prévaut dans
certains partis israéliens, lesquels soutiennent qu'on pourrait
faire la paix sans les Arabes. »
Georges Lemoine est à Beyrouth pour assister au
départ des dernières troupes françaises. Reçu par Béchir Gemayel au
siège des Phalangistes, un bunker fortifié, il note: «Béchir Gemayel m'est apparu à la fois très volontaire et
très "léger". Encore chef de bande. Déjà un peu piégé par les
Israéliens et les Américains. Son idée essentielle est d'appuyer
son pouvoir sur l'armée. Son ambition est de la porter de 15 000 à
150 000 hommes. Il semble prêt à remettre en cause la présence des
Palestiniens dans leurs camps du Liban par tous les moyens.
»
Il est encore à Beyrouth lorsque l'explosion d'une
bombe détruit le siège des Phalangistes et tue Gemayel. Beaucoup
d'hypothèses sont avancées, mais aucune certitude.
Panique dans les chancelleries. Une heure plus
tard, Shultz téléphone à Begin pour lui intimer l'ordre «
de ne pas bouger ».
Mercredi 15 septembre
1982
Shamir a approuvé Shultz. Il n'empêche que, peu
après trois heures du matin, le général Yavon, commandant le
secteur sud de l'armée israélienne, annonce au commandement de
l'armée libanaise la décision de Tsahal «de
procéder à l'occupation de l'ensemble de Beyrouth à titre
"préventif" ; l'armée libanaise est
invitée à rester dans ses casernements ».
Au Conseil des ministres, François Mitterrand
dénonce l'attentat: « Il appartient au Liban
et à lui seul d'assurer la continuité de ses propres institutions.
La France juge indispensable le retour immédiat de l'armée
israélienne aux positions qu'elle occupait le 14 septembre dernier,
afin que soit engagée aussitôt la négociation sur les conditions
d'évacuation de toutes les forces armées étrangères du Liban.
» Amère recommandation.
A Rome, Jean-Paul II reçoit Arafat, qui demande
aux trois gouvernements de la Force multinationale de renvoyer
immédiatement leurs troupes au Liban «pour
protéger les camps palestiniens. Il y va de la dignité des trois
armées et de l'honneur de leurs pays. Je pose à l'Italie, à la
France et aux États-Unis la question suivante: qu'en est-il de
l'engagement pris de protéger les habitants de Beyrouth?
».
Tout le problème est là. Pour certains, à
Beyrouth, le mot «habitant» ne désigne
pas les Palestiniens.
A Moscou, à l'issue d'un dîner en l'honneur d'un
visiteur — le Président du Sud-Yémen —, Leonid Brejnev présente, en
réponse au « plan Reagan », son plan en six points de règlement du
conflit israélo-arabe. Élément nouveau: l'appel à une
reconnaissance réciproque d'Israël et des Palestiniens.
«La cessation de l'état de guerre (...)
signifie que toutes les parties du conflit, y compris Israël et
l'État palestinien, doivent s'engager à respecter la souveraineté,
l'indépendance et l'intégrité territoriale des autres.»
Décidément, depuis un mois, les Russes sont bien modérés...
Jeudi 16 septembre
1982
Giscard lance à la télévision un appel aux
«déçus du socialisme »...
Le Premier ministre préside une ultime réunion
d'arbitrage sur le statut de Paris. Les observations formulées par
le Président ont été portées à sa connaissance ainsi qu'à celle du
ministre de l'Intérieur. Les conseils d'arrondissement comprennent
les élus du Conseil municipal originaires de l'arrondissement et
les élus de l'arrondissement. Ils sont élus au suffrage direct et à
la proportionnelle en même temps que le Conseil municipal. Ils sont
présidés par un «maire
d'arrondissement», obligatoirement conseiller municipal. Le
maire est assisté par des adjoints pris au sein du Conseil. Le
maire n'a aucun pouvoir de nomination sur les fonctionnaires
municipaux, mais le secrétaire général de la mairie
d'arrondissement est désigné par le maire de la Commune sur
proposition (et donc avec l'accord) du maire
d'arrondissement.
Gaston Defferre est en désaccord avec les élus PS
de Paris sur les effectifs des conseils d'arrondissement: il
souhaite un petit nombre d'élus, en raison de l'effet psychologique
sur l'opinion; les seconds veulent davantage d'élus. Le Premier
ministre tranche en leur faveur.
Les conseils d'arrondissement reçoivent les
recettes des services qu'ils gèrent et une dotation budgétaire
accordée par le Conseil municipal, soit en accord avec
l'arrondissement, soit en fonction de critères objectifs fixés par
la loi. Leurs compétences consultatives sont très larges. Ils
doivent être consultés par le Conseil municipal sur tout ce qui
concerne l'arrondissement et peuvent faire des propositions au
Conseil municipal ou lui sommettre des vœux ou des demandes.
L'exposé des motifs précisera que ce texte est
l'un des volets d'une vaste réforme tendant à renforcer la
démocratie locale dans les villes de plus de 100 000 habitants, qui
sera déposée ultérieurement.
Le texte devrait être définitivement mis au point
dans la journée de lundi prochain. Le calendrier parlementaire
conduit à envisager de l'inscrire au Conseil des ministres du 29
septembre.
A Washington, « on est
extraordinairement déçu et exaspéré au plus haut niveau de
l'administration américaine par l'attitude israélienne »,
dit le sous-secrétaire d'État chargé du Moyen-Orient, M. Velioles,
à l'ambassadeur de France.
François Mitterrand envoie Cheysson à Beyrouth. Il
est reçu par Élias Sarkis et s'entretient au téléphone avec Wazzan,
président du Conseil libanais, toujours bloqué à Beyrouth-Ouest.
L'un et l'autre parlent du retour des troupes multinationales, sans
vraiment le demander.
Cheysson explique: « L'envoi
de cette force était destinée à assurer le départ de Beyrouth de
l'OLP dans la dignité et l'honneur. Il ne s'agissait pas d'assurer
la sécurité de la population de Beyrouth. La mission de cette force
se termine donc avec l'achèvement de l'évacuation de l'OLP,
c'est-à-dire jusqu'au 21 ou 23 septembre. Si on avait envisagé — ce
qui ne fut pas le cas — de maintenir cette force, trois raisons s'y
seraient opposées. Il s'agit d'une force multinationale fondée sur
la juxtaposition de contingents de trois pays. Or, dès le début, il
était clair que les Américains désiraient partir au plus tôt. Un
minimum de troupes, leur peu d'empressement à débarquer: ils
avaient annoncé leur intention. Les Italiens les suivaient. Si
jamais la France avait décidé de rester, elle n'était plus dans le
cadre de la Force multinationale. C'eût été une décision française
dans un ancien pays sous mandat français, avec toutes les
connotations de relent colonialiste qu'elle impliquait. La France
avait toujours subordonné l'envoi d'une force quelconque à la
demande des autorités légitimes du Liban. Or vous, par la seule
autorité légitime, le Président Sarkis, vous ne nous l'avez jamais
demandé. Tous, y compris les passants s'adressant à nos soldats,
souhaitaient le maintien du contingent français. Sarkis ne l'a
jamais exprimé. Quand bien même la France aurait demandé à rester,
rien ne prouve — compte tenu des forces en présence, de la
disposition géographique, etc. — que sa présence aurait empêché
quoi que ce soit. »
Cheysson quitte la capitale libanaise dans la
soirée. A ce moment, l'armée israélienne laisse entrer les
miliciens chrétiens d'Amine Gemayel dans les camps palestiniens.
Les accords avec Habib l'interdisaient formellement.
Au même instant, lors d'une réunion du Conseil des
ministres israélien, le vice-premier ministre, David Lévy, met en
garde: «Nous risquerions de ne pas être
crédibles au moment où j'apprends que les Phalangistes sont déjà en
train de pénétrer dans certain quartier et alors que je sais ce
qu'est pour eux la vengeance : le massacre. »
De fait, au crépuscule, les miliciens chrétiens
pénètrent dans les camps. Le « poste de
commandement le plus avancé » de l'armée israélienne dans le
secteur est situé sur le toit d'un immeuble, à deux cents mètres de
Sabra et Chatila. Amnon Kapeliouk note: «Pour
reprendre l'expression d'un officier israélien, du toit de ces
immeubles, on voit "comme au théâtre au premier rang".
»
Ariel Sharon affirme que, dans la nuit, des
officiers israéliens ont « commencé à
soupçonner que quelque chose n'allait pas bien » et que «
des rumeurs au sujet de ce qui se passe dans
les faubourgs [de Beyrouth] ne
cessaient d'arriver ».
Vendredi 17 septembre
1982
Dans la matinée, soit moins de quarante-huit
heures après le départ du contingent français, l'armée israélienne
investit Beyrouth-Ouest à partir du port, du passage du Musée et de
la zone des camps palestiniens. Les Américains exigent le retrait
des Israéliens de Beyrouth-Ouest dans les quarante-huit heures. Au
Conseil de sécurité, une résolution, adoptée à l'unanimité,
condamne cette occupation de Beyrouth-Ouest par Israël.
Quatre obus, tirés depuis la mer, tombent en fin
d'après-midi dans le parc de la Chancellerie de France, à proximité
immédiate des bâtiments; aucune victime.
La voiture d'un diplomate israélien explose, rue
Cardinet, à Paris, devant le lycée Carnot : 51 blessés. Les FARL
revendiquent l'attentat.
La coalition SPD-libéraux, qui gouverne en
République fédérale d'Allemagne, éclate. Le gouvernement d'Helmut
Schmidt tombe. Helmut Kohl va le remplacer.
Le Président s'inquiète de la date du prochain
Sommet des Sept qui aura lieu aux États-Unis: « Maintenant que Schmidt est parti, essayez d'obtenir
qu'il ait lieu après le 1er juillet. La
Communauté sera alors présidée par la Grèce et Papandréou pourra
venir. Je ne serai pas le seul socialiste... »
De nouvelles spéculations sur la hausse du mark ne
sont pas à exclure. Le Président remarque: «Le
franc va souffrir. » Alors que, jusqu'à 15 heures, le marché
est calme, la hausse du mark s'accélère. Le déficit de la balance
des paiements doit être à tout prix réduit.
La détérioriation de la situation financière des
pays en développement non pétroliers ébranle le système bancaire
international. Exprimé en pourcentage du déficit de leurs paiements
courants, le service de leur dette est passé de 54 % en 1975 à 92 %
en 1981 et 114 % en 1982.
La Haute Autorité nomme les présidents de
l'audiovisuel public. Comme prévu, ce sont: Michel May à
TF1, Pierre Desgraupes pour A2,
François Labrusse à la SFP, Jean-Noël Jeanneney à Radio-France et André Holleaux à FR3.
Samedi 18 septembre
1982
D'après une information reçue par notre
ambassadeur à Tel Aviv et reprise ce matin par la radio
israélienne, les milices chrétiennes ont procédé depuis hier soir à
un millier d'arrestations dans les camps de réfugiés du quartier de
Sabra. On peut donc s'attendre, pendant ce délai, à une
intensification des opérations de police menées par Tsahal en
collaboration avec les milices chrétiennes, en vue de débusquer et
arrêter les éléments palestino-progressistes encore cachés dans
l'agglomération.
Mais les nouvelles sont contradictoires. Selon les
Américains, les milices ne se contentaient pas, hier, d'arrêter les
Palestiniens: « La situation dans les camps de
réfugiés est dramatique. Les forces israéliennes, aidées,
semble-t-il, d'éléments des Kataeb et d'unités du commandant
Haddad, procèdent à l'élimination sommaire des suspects
palestiniens, tandis que des bulldozers rasent les dernières
habitations debout. »
L'ambassadeur de France nous envoie ce télégramme
de Beyrouth:
« Les combats se sont
poursuivis une bonne partie de la nuit, les chars ouvrant la voie à
l'infanterie, écrasant tout sur leur passage. Les Israéliens
atteignent le secteur de l'ambassade, rue Clemenceau, vers huit
heures, se heurtant à cet endroit à la résistance des miliciens de
gauche réfugiés dans plusieurs immeubles. Au niveau du Musée, la
progression semble plus lente. La radio libanaise annonce que les
camps palestiniens de Sabra et de Chatila ont été investis dans le
courant de la nuit. Partout sur son passage, l'armée israélienne
s'applique à éliminer brutalement toute forme de résistance. Les
chars tirent à coups de canon sur les immeubles abritant miliciens
et francs-tireurs. Les destructions sont considérables, de
nombreuses artères de la capitale sont dévastées; à l'heure qu'il
est, les combats se poursuivent. En ce qui concerne la Résidence
des Pins, j'ai pu moi-même constater qu'une dizaine d'obus avaient
atterri dans le parc ; le portail d'entrée et le mur d'enceinte,
récemment restaurés, ont à nouveau été détruits. »
Des milliers de morts. Abominable.
François Mitterrand pense alors que les Israéliens
sont les auteurs du massacre. Il déclare: «
Les nouvelles qui me parviennent de Beyrouth provoquent une
réaction d'horreur. Ceux qui portent la responsabilité de tels
excès trahissent la cause qu'ils croient servir. La Communauté
internationale doit se dresser contre de tels massacres et arrêter
les mesures nécessaires pour les prévenir.»
On apprendra plus tard que les gardes israéliens
postés à l'entrée des camps ont laissé pénétrer les
Phalangistes.
Dimanche 19 septembre
1982
« Le mal est fait, il ne
fallait pas partir de Beyrouth.» François Mitterrand décide
immédiatement le retour de nos troupes. Shultz informe Cheysson du
retour des marines américains. Les Italiens acquiescent. Les trois
ministres se mettent d'accord pour annoncer ensemble leur décision
dès demain.
Ces quelques jours d'absence des Occidentaux ont
coûté de 2 000 à 3 000 vies.
Pour le Président, il s'agit cette fois de
protéger Beyrouth, et non pas tout le Liban.
Lundi 20 septembre
1982
Claude Cheysson, Michel Rocard et Catherine
Lalumière s'inquiètent du projet de réforme de l'ENA. Ils pensent
que Le Pors en est l'instigateur. Quand je leur annonce que,
derrière ce projet, il y a François Mitterrand, ils ne renoncent
pas: ils feront tout pour que la réforme soit enterrée.
Le franc va mieux. Le cours est revenu en deçà du
pivot. Les «visiteurs» se manifestent
encore. L'un d'eux, un expert discret dont le nom ne paraîtra
jamais nulle part, m'écrit:
« La crise aiguë du franc
est passée. Notre monnaie dispose d'un répit opportun, mais
coûteux. N'est-ce pas le moment de mettre en place les mesures
propres à prévenir la répétition des troubles que nous venons de
traverser (...), telles les possibilités de "déconnexion" de
l'Eurofranc ? »
Surréaliste diplomatie américaine ! Alors que la
tragédie se joue au Liban et que, d'un moment à l'autre, les deux
Présidents, français et américain, vont annoncer à la télévision le
retour de leurs troupes dans des termes identiques, Ronald Reagan
écrit à François Mitterrand pour demander... l'annulation du
contrat Thomson-CSF de vente de centraux MT 20 à l'URSS:
« Vous vous souvenez qu'au
cours de votre visite à Washington, en mars dernier, nous avions
évoqué la vente prévue par une firme française, Thomson-CSF, d'un
commutateur téléphonique digital à l'Union soviétique. J'ai
beaucoup apprécié la décision que vous m'aviez alors communiquée de
modifier l'accord afin de tenir compte d'une certaine inquiétude
des États-Unis concernant la défense.
Ces jours derniers, on a
attiré mon attention sur une préoccupation majeure de nature
différente, résultant de ce transfert proposé, concernant les
renseignements. Ce danger est si sérieux que j'estime nécessaire de
le porter à votre connaissance de la façon la plus urgente. Nous
avons été négligents, je le reconnais, de ne pas avoir porté plus
tôt cette affaire à votre attention. Malheureusement, comme je l'ai
souligné, c'est seulement au cours de ces derniers jours que mes
principaux conseillers et moi-même avons eu connaissance des
implications de ce transfert pour nos capacités de renseignements.
»
Il demande au Président de recevoir l'ambassadeur
itinérant, Vernon Walters, la semaine prochaine. Nous savons très
bien ce que celui-ci veut nous dire de si secret: la technologie du
MT 20 rend plus difficile les écoutes téléphoniques; la chose est
étalée dans tous les journaux.
François Mitterrand est irrité : il y aurait
vraiment d'autres sujets de discussion, en ce moment, avec les
Américains: « Qu'il voie Cheysson !
»
Comme convenu, à 23 heures (heure de Paris),
Reagan, Spadolini et Mitterrand annoncent le retour à Beyrouth des
forces américaine, italienne et française: «A
la demande du gouvernement libanais, et pour répondre aux appels
venus de toutes parts, notamment du monde arabe, la France, les
États-Unis et l'Italie participeront à la formation d'une nouvelle
force multinationale qui aura pour charge de contribuer au retour à
la sécurité et au respect du droit des gens (...). Les soldats
français qui assureront cette mission se trouveront une fois de
plus côte à côte avec des soldats américains et italiens. Nos
premiers contingents seront prêts à prendre leurs responsabilités
au Liban même dans les trois jours qui viennent. »
Mardi 21 septembre
1982
Le répit monétaire aura été de courte durée. Le
franc est de nouveau attaqué: Michel Jobert vient d'annoncer qu'il
prévoyait 100 milliards de déficit extérieur pour 1982. Delors
proteste: «C'est du sabotage que de dire ça !
Jusqu'ici, il ne servait à rien. Maintenant, il nuit!
»
Michel Jobert souhaite réunir tous les mois les
ministres concernés par le commerce extérieur — Jacques Delors,
Laurent Fabius et Jean-Pierre Chevènement — pour décider
discrètement de mesures de protectionnisme. Aucun d'entre eux
n'entend y aller. Le Premier ministre suggère qu'un comité de hauts
fonctionnaires placé auprès de lui s'en occupe, de manière plus
efficace et plus discrète. François Mitterrand: «Non. C'est Jobert qui est en charge: le cabinet
ministériel, cela n'existe pas ! » Attitude constante qu'il
renouvelle en chaque occasion.
Conseil restreint, comme chaque mardi. Cette fois,
sur les grands équipements. Étrange, de parler de relance en pleine
crise de change ! C'est l'agenda qui veut cela. Delors expose que
la croissance pour 1983 sera de 2 %. C'est déjà trop. Il refuse une
nouvelle tranche de grands travaux. François Mitterrand aurait pu,
ce jour-là, accepter sa démission — s'il l'avait alors
proposée.
Le frère aîné de Béchir Gemayel, Amine, est élu à
sa succession, au premier tour de scrutin, par 77 voix et 3
bulletins blancs. Il entrera en fonctions après-demain.
François Mitterrand rumine : «Sommes-nous responsables? Si nous avions été à Beyrouth
pendant les massacres, cela aurait été pire, car nous n'aurions pu
sortir de notre zone pour les empêcher, et on nous aurait
considérés comme responsables ! » Il approuve l'idée d'une
commission d'enquête internationale, persuadé que le massacre est
le fait de soldats israéliens. «Avec Begin, on
ne pourra rien faire. Il veut le Grand Israël. Je le comprends,
mais aucune paix n'est possible sur ces bases. » Quand
Cheysson lui fait remarquer que « la France
n'a rien dit jusqu'ici sur la responsabilité et la culpabilité dans
cette affaire », il répond: « Il n'y a
pas urgence. » Et quand Cheysson suggère que le porte-parole
du Quai d'Orsay s'exprime à ce propos, le Président répond:
«Non, je n'ai pas confiance dans ce que dit ce
porte-parole...»
André Rousselet envoie deux de ses collaborateurs
enquêter sur les chaînes cryptées existant aux États-Unis.
Mercredi 22 septembre
1982
Les premiers éléments du détachement français —
350 hommes — reviennent dans le port de Beyrouth. Charles Hernu et
le général Saulnier sont avec eux.
Au Conseil des ministres, François Mitterrand,
expliquant le retour des soldats français, prévient: « Il pourra y avoir au Liban des soldats français
tués. »
Vendredi 24 septembre
1982
Pierre Joxe, au nom des députés socialistes, et
Charles Salzmann, au nom des sondages, demandent instamment au
Président de renvoyer Pierre Mauroy.
Le Président suit les indices d'inflation au
millimètre. Je reçois maintenant chaque semaine le directeur
général des Prix, Jouven, qui accomplit un magnifique travail. Il
faut être en-dessous de 10 % par an. Chaque dixième compte!
Hubert Védrine note:
« Sur notre force et notre
présence au Liban, il est impératif de : ne pas être pris dans des
engrenages, c'est le sens des instructions du Président; ne pas
risquer d'être placé à découvert par un nouveau retrait américain
prématuré.
Il faut prévoir dès
maintenant les conditions du retrait de notre force pour éviter la
situation de la mi-septembre. Un programme assez "spectaculaire"
d'aide au Liban, en accord avec le Président Gemayel, et incluant
un volet d'aide à l'armée libanaise, serait annoncé avant ou au
moment même du retrait de notre contingent. »
Guy Lux fait le point sur le résultat de ses
démarches après son déjeuner avec le Président, il y a quelques
semaines : « Côté TF1, et comme l'avait prévu
le Président, un silence total, presque "méprisant", s'est
installé. L'annonce des futurs programmes, même ceux de janvier, ne
fait en rien allusion à l'émission qui devait m'être confiée.
Est-ce bien utile de nourrir actuellement la mauvaise humeur du
public par la seule faute de quelques directeurs qui semblent avoir
oublié, volontairement ou non, ce qu'ils avaient formellement
promis? Que dois-je répondre à la presse? Côté FR3,
les choses sont plus favorables. A plusieurs
reprises, les proches collaborateurs de Serge Moati m'ont rencontré
pour envisager la mise en place d'une émission qui serait
programmée le samedi soir à partir de janvier. »
Samedi 25 septembre
1982
Étrange connivence! Les Russes tardent à signer le
contrat MT 20: comme s'ils avaient passé un accord avec les
Américains... Deux possibilités: soit faire un geste à l'égard de
l'URSS, ce que Michel Jobert suggère dans une lettre au chef de
l'État (« accepter que la dix-septième session
mixte permanente franco-soviétique se tienne à Moscou, alors que la
règle de l'alternance voudrait qu'elle ait lieu à Paris»),
soit se montrer ferme. Le Président choisit la seconde
option.
Robert Hersant est l'invité de « Droit de Réponse
», sur TF1 : comme un lapin convié à un
dîner de chasseurs. Mais il s'en sort sans la moindre
égratignure.
Lundi 27 septembre
1982
Inutile frayeur: les Russes acceptent l'annulation
du premier contrat et signent. Ils achètent des centraux, sans
communication des procédés de pointe.
A Figeac, place Vival, François Mitterrand
improvise un discours à partir de deux fiches préparées par Pierre
Bérégovoy, Alain Boublil et Charles Salzmann. Discours très
important, reflet de ses conversations avec les « visiteurs du soir
»:
« Il y avait deux sortes de
moratoires pour les entreprises en péril, surendettées: l'inflation
ou la faillite. Et moi, je ne veux pas choisir entre la faillite et
l'inflation! Ma préoccupation est que l'esprit d'initiative des
entreprises puisse échapper aux trois menaces du moment:
l'alourdissement de leurs charges, la lourdeur des taux d'intérêt
et la surcharge de leur endettement financier. C'est dans ces trois
directions que je demande au gouvernement d'agir pour, dans le
courant de 1983, écarter ces trois menaces.
J'ai donné l'ordre que
soient lancés de grands travaux pour soutenir les Travaux publics
et le Bâtiment: 4 milliards tout de suite, dont la moitié pour les
économies d'énergie ; 4 milliards à la
fin du premier trimestre 1983, dont la moitié encore pour les
économies d'énergie. Si cela avait été fait, nous n'aurions pas à
le faire...
Il a fallu naturellement
serrer la vis, il a fallu veiller à tout, il a fallu rogner sur des
dépenses parfois bien nécessaires, mais j'ai demandé qu'en dépit de
cette orientation, quatre budgets soient accrus : le budget de la
Recherche, le budget de la Culture, le budget de l'Éducation
nationale et le budget de l'Industrie, c'est-à-dire — et ce n'est
pas un pari, c'est une volonté —, c'est-à-dire que la volonté de la
France, celle que j'exprime en son nom, est de prendre position sur
la capacité de créer, de transformer, d'inventer sous toutes les
formes.
(...) Ah, cette diversité,
ce pluralisme, comme j'y tiens! Le pluralisme des pensées, des
philosophes, le pluralisme spirituel, celui des idéologies, le
moyen, des philosophies, le pluralisme spirituel, celui des
idéologies, le moyen de les exprimer... Ah, comme je veux que la
France reste en ses profondeurs aussi diverse et colorée —
contraire, mais non pas contradictoire! Ah, comme j'aime ceux qui
me contestent dès lors que je trouve avec eux le langage commun de
ceux qui veulent servir la France et qui l'aiment! Rien ne se
refait, rien n'a jamais été fait, rien ne sera fait sous mon
autorité qui puisse en quoi que ce soit altérer cette diversité!
»
Le moratoire qu'annonce ce discours est à peu près
inapplicable, sauf si le Président a l'intention de laisser flotter
le franc. Le veut-il vraiment?
Mercredi 29 septembre
1982
Au Conseil des ministres, on décide de mesures
permettant d'équilibrer les comptes de la Sécurité sociale en 1983
: une contribution de solidarité est demandée aux fonctionnaires
pour financer l'indemnisation du chômage. Delors y tient. Fiterman
s'y oppose, parlant au nom des ministres communistes, comme il le
fait parfois.
On adopte le projet de loi sur Paris, ou ce qu'il
en reste.
Pendant le Conseil, le Président relit et annote
le discours que Mauroy doit prononcer à l'ONU demain.
Les soldats israéliens évacuent enfin Beyrouth.
Sharon n'a plus le contrôle de la situation. Mais le mal est
fait.
A La Sapinière, au Canada, où commence demain la
réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN, un dîner
réunit, comme d'habitude, les ministres des Affaires étrangères des
États-Unis, de France, de Grande-Bretagne et de République fédérale
d'Allemagne. Le secrétaire d'État George Shultz rend compte de sa
récente rencontre avec Gromyko: « L'état
général des relations américano-soviétiques s'est détérioré, mais
l'Union soviétique ne change rien à sa politique. Le problème n'est
pas que Reagan n'aime pas le socialisme, mais que l'Union
soviétique a un type de comportement de moins en moins acceptable:
surarmement, SS 20, Afghanistan, Pologne, Cambodge, violations de
l'Acte d'Helsinki, usage d'armes chimiques. Nous sommes prêts à
défendre nos intérêts, mais nous préférons des relations
constructives fondées sur un comportement raisonnable. Sur la
question: "Qu'est-ce qui intéresse les Russes? ", les droits de
l'homme les laissent complètement indifférents. J'ai pourtant lu
quelques passages des accords d'Helsinki (...). Ce qui les
intéresse vraiment, ce sont les négociations de limitation des
armements: quatre minutes sur les droits de l'homme, une heure sur
l'arms control. Ils doivent penser que
s'ils peuvent arrêter les déploiements en Europe et affecter nos
programmes militaires, ils seront dans une position très puissante.
S'ils n'y parviennent pas, ils seront prêts à négocier : ce sont de
vrais professionnels. Sur l'Afghanistan, apparemment, rien de
nouveau. On n'a pas parlé de l'Afrique du Sud. Il a écarté toute
discussion sur la Pologne. Il faut que nous restions fermes. S'ils
obtiennent quelque chose, ils doivent le payer. Une relation
constructive suppose un modèle de comportement. Nous, nous avons
l'Alliance, qui n'est pas si mal. Réduire les armements est de
l'intérêt mutuel: il faut que les Soviétiques en paient le prix...
»
Jeudi 30 septembre
1982
Pierre Bérégovoy prévient le Président que les
députés socialistes veulent absolument voter le remboursement de
l'IVG par la Sécurité sociale. Mauroy aussi y tient beaucoup. Le
Président est hostile. Il demande que l'on ne fasse rien avant les
élections municipales.
Journée nationale de protestation des professions
libérales et des professions de santé: 50 000 personnes à
Paris.
Déjeuner avec le Président pour étudier les
conditions de la sortie du blocage. On doit s'assurer que les
instructions et les normes élaborées par le Premier ministre en
matière de salaires seront correctement appliquées dans le secteur
public et dans la fonction publique. Matignon s'engage à bloquer
les rémunérations supérieures à 25 000 francs. Un projet de loi
doit être déposé dans un délai assez bref. Enfin, un échéancier
précis des hausses de tarifs publics doit être proposé, et des
priorités doivent être fixées (EDF, GDF, SNCF) en fonction des
contraintes financières pesant sur ces entreprises. Une nouvelle
enveloppe du Fonds spécial de grands travaux doit être prévue dès
le début de l'année prochaine pour entamer la deuxième phase des
grands projets d'investissement, tels le câblage d'une ville et le
TGV Paris-Francfort.
Nouvelle réunion des «visiteurs du soir » avec
François Mitterrand. Laurent Fabius parle aujourd'hui en leur nom.
Comme le Président l'a dit à Figeac, ils proposent de réduire les
charges des entreprises et, pour cela, de baisser les taux
d'intérêt, donc de laisser flotter le franc. Mais comment? Il faut
entrer dans les détails.
Jean Riboud propose: « Au
lieu de doter les entreprises publiques de nouveaux fonds propres
au niveau réclamé par elles, avec tous les inconvénients que cette
dotation entraîne d'un point de vue budgétaire, on pourrait leur
consentir des prêts à long terme (cinq à dix ans) à intérêt nul,
que les entreprises auraient le droit de classer dans la rubrique
"Fonds propres". »
Mais qui consentirait ces prêts? Quelles
banques?
Réponse de Jean Riboud : « La
Banque de France fait une avance gratuite au Trésor de 35
milliards. Le Trésor accorde des prêts aux entreprises très
endettées à la même hauteur, sans intérêts et sur cinq ans, sous
réserve d'un engagement de modération de prix. Les entreprises
concernées remboursent aux banques les 35 milliards: les crédits
consentis par le Trésor se substituent à ceux des
banques.
De plus, s'agissant du
secteur privé, l'État, ayant au préalable fait son devoir pour ses
entreprises, pourrait plus facilement demander aux actionnaires
privés de faire le leur.
A titre illustratif et afin
de mieux faire saisir l'importance de ce dont nous parlons, on peut
estimer à 6 milliards de francs l'endettement de la CII/HB
et à 8 milliards celui du groupe
Thomson. Au total, celui de la filière électronique serait de
l'ordre de 20 milliards. »
Le grand tournant idéologique est pris: on ne
parle plus que d'allégement des charges des entreprises, de
moratoire, de baisse des taux d'intérêt. Quelques grands patrons de
gauche ont fixé la direction. Reste à la suivre. Mais personne ne
sait vraiment encore comment.
Il est convenu que Bérégovoy réunira les «
visiteurs du soir » jeudi prochain à son ministère, et le mardi
suivant à l'Élysée, autour du Président, à son retour d'Afrique,
pour élaborer une série de propositions concrètes pour le 15
octobre.
A la tribune de l'ONU, Pierre Mauroy dénonce «
l'aveuglement des deux grandes
puissances» et «la montée des égoïsmes
nationaux ». Les Américains n'apprécient pas.
Incroyable impolitesse : sans aucun préavis, le
Président des États-Unis informe ses partenaires de son intention
d'annoncer aujourd'hui même que le prochain Sommet des pays
industrialisés se tiendra du 10 au 12 juin à Williamsburg. Je fais
savoir à l'ambassadeur des États-Unis que les dates proposées
paraissent bien difficiles, compte tenu de l'emploi du temps du
Président: «Le mois de juillet serait
préférable. » J'obtiens de Clark qu'on retarde
l'annonce.
Comme il le fait après chaque mission, Jean-Pierre
Chevènement, de retour des États-Unis, rend compte de son voyage au
Président: «Il est aisé de constater que, du
point de vue des "reaganiens", notre échec ne peut qu'être non
seulement attendu, mais inconsciemment désiré, car notre réussite
signifierait qu'eux-mêmes sont dans l'erreur. Si M. Verniez-Pallez
fait un bon travail de relations publiques, bien souvent nos pires
ambassadeurs sont nos propres compatriotes. La maison de couture
Saint-Laurent n'a pas trouvé de meilleur slogan que "Vive the poor
french franc !" Bien des Français résidant aux États-Unis, hostiles
au nouveau cours de la politique française, jouent le rôle d'une
médiation négative. »
Helmut Kohl, président de la CDU, succède à Helmut
Schmidt comme Chancelier de la RFA. Est-ce la fin de la fermeté
face aux Soviétiques? Le Président s'inquiète. Genscher fait savoir
à Cheysson que la politique étrangère allemande ne sera pas
modifiée: il en conservera la charge.
Vendredi 1er octobre 1982
Réunion tous les jours à l'Élysée entre Élisabeth
Guigou, Christian Sautter, François-Xavier Stasse, Jean-Louis
Bianco et moi-même. Les notes se multiplient: comment réduire les
importations sans sortir du SME? Comment dévaluer sans aggraver le
chômage? Comment convaincre que le flottement de la monnaie nous
fera entrer dans un cercle vicieux?
Samedi 2 octobre
1982
Les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN
sont réunis à l'hôtel de La Sapinière, au Canada. Avant que le
conclave ne commence, Shultz invite Cheysson à un petit déjeuner.
Il lui montre un document informel, un «
non-paper» sur le commerce Est/Ouest, qui commence par : «Nos
gouvernements reconnaissent la nécessité de conduire leurs
relations avec l'URSS sur la base d'une politique globale destinée
à servir nos propres intérêts fondamentaux de sécurité... »
Puis le document souligne « la volonté
américaine de concertation sur les domaines suivants: produits
stratégiques et technologiques de caractère militaire
(COCOM) ; technologie avancée, défense
stratégique, y compris les équipements pour le pétrole et le gaz ;
produits agricoles, politique de crédits ; énergie. » Et, à l'avant-dernière page, cette
ultime précision : « Pendant la période de
l'étude sur l'énergie, les gouvernements alliés ne signeront aucun
nouvel achat de gaz naturel avec l'URSS. » Par ce document,
les Européens prendraient des engagements en matière de transferts
de technologie stratégique, de crédits et d'énergie, plus
contraignants que ceux qu'ils ont refusés à Versailles.
Pourtant, Cheysson approuve l'esprit du « papier »
et remarque: « Les contraintes que nous
accepterons sur nos échanges avec l'URSS ne peuvent être liées
qu'au renforcement du potentiel militaire soviétique », et
il ajoute : « Il n'est pas question de le
corriger, car c'est un texte qui doit rester américain.» Les
deux ministres descendent, en retard. A la réunion à quatre qui
suit, Shultz lit le « non-paper » aux
deux ministres allemand et anglais. Selon un témoin — l'ambassadeur
de Grande-Bretagne au Canada —, « on a eu le
sentiment que M. Shultz et M. Cheysson étaient parfaitement
d'accord à La Sapinière lorsque le Secrétaire d'État a donné la
teneur d'un non-paper sur l'approche globale Est/Ouest ».
Les Anglais, du moment que la France n'y voit pas d'obstacle, sont
d'accord.
Par une lettre manuscrite, Claude Cheysson rend
compte immédiatement de cette conversation au Président:
« Je joins à cette lettre la lettre
personnelle dont Shultz s'est servi pour résumer les conclusions
auxquelles il aimerait aboutir [le "non-paper"].
Je lui ai dit votre intérêt pour cette
orientation, qui comporte enfin la recherche d'une cohérence entre
les économies individuelles de nos États et une politique
d'ensemble de l'Alliance, qui entraîne aussi la nécessité de la
consultation entre alliés avant que ne soient prises des décisions
unilatérales affectant les intérêts des autres. Le texte est
actuellement étudié par les services compétents. Bien qu'il n'ait
aucune existence, j'ai déjà émis quelques réserves. »
Sur la première page du « non-paper » annexé, le Président note simplement: «
Pas question. »
François Mitterrand me dit: «Mais il continue! C'est fou, cette histoire!
Dites-le-lui! Je ne veux pas d'un organisme nouveau qui gérerait
nos relations commerciales avec l'URSS. L'Europe
disparaîtrait.»
J'en parle avec Cheysson, qui insiste:
«Je crois que nous avons raison d'accepter la
concertation. Nous serions lâchés par nos partenaires si nous
refusions. L'embargo est spécialement grave pour la Grande-Bretagne
et la RFA ; les Italiens s'en moquent,
car, de toute façon, ils sont bien décidés à détourner tous les
interdits (...). Un tel texte ne nous lie pas, parce que c'est une
déclaration unilatérale des Américains. »
Je suis sceptique. Comment les Américains
pourraient-ils annoncer unilatéralement le résultat d'une
discussion multilatérale!
Pour sa première visite à l'étranger sitôt après
avoir formé son gouvernement, le Chancelier Kohl est à Paris.
Genscher l'accompagne. Beaucoup décrivent le nouveau Chancelier
comme un homme lourd et rudimentaire. Je le trouve cultivé, direct,
passionné par l'Europe et grand admirateur de la France. Il voit
loin en avant — l'unité de l'Allemagne — et en arrière — l'héritage
d'Adenauer. «Ne vous y trompez pas,
dit-il à François Mitterrand qu'il voit pour la première fois,
je suis le dernier Chancelier allemand
pro-européen. Vous êtes un homme d'histoire et de littérature, moi
aussi; et je crois que, dans l'Histoire, il y a plusieurs périodes.
Si je ne me trompe, il semble que les années à venir seront des
années où des décisions majeures devront être prises; surtout dans
le domaine de la politique étrangère et de la sécurité. J'espère
que les négociations de Genève accéléreront le désarmement, car si,
cet automne, il n'y a pas eu de résultats, nous sommes absolument
décidés à installer les fusées Pershing, quelle que soit la
résistance que nous rencontrerons. Nous connaissons la valeur de la
paix, je l'ai dit à Brejnev quand je l'ai vu, à l'automne dernier.
Je veux vous dire quelque chose: mon grand-père avait un fils qui
est mort à la guerre de 1914. Son autre fils, mon père, a nommé son
fils aîné comme lui, et ce garçon, mon frère aîné, donc, est mort à
la guerre de 1939-1945. Mon fils porte le même nom que ce frère et
commence aujourd'hui son service militaire: il sait très bien, lui
aussi, ce que c'est que la paix. Mais nous savons aussi ce que
c'est que la liberté. Et nous voulons relever le défi qui consiste
à préserver à la fois la liberté et la paix. En tant que député de
l'opposition, je dois dire que j'étais étonné de voir que le
gouvernement ne s'inquiétait pas plus du stationnement des SS 20 à
l'Est. J'espère que les États-Unis négocieront sérieusement à
Genève. Mais si l'URSS ne met aucun contenu dans ses concessions,
comme elle le fait souvent, je ne vois pas comment nous éviterons
d'installer les fusées Pershing l'an prochain. Bien sûr, il ne faut
pas non plus que les États-Unis ne fassent que semblant de
négocier, pour pouvoir installer leurs fusées envers et contre
tout. Nous devons être extrêmement attentifs. L'équipe au pouvoir
aux États-Unis en ce moment ne connaît pas l'Europe, sauf peut-être
Shultz. Ils ne comprennent pas que l'Allemagne est assise sur une
poudrière, et que cela inquiète la population allemande.
»
Tout est dit: l'angoisse, la détermination, la
solitude, le sentiment, mille fois répété plus tard, que le pire
est devant nous. Le même souci que Helmut Schmidt, mais exprimé
avec beaucoup plus de sincérité, d'humanité et de volonté. François
Mitterrand sera profondément marqué par cette première rencontre.
Face à lui, le Chancelier allemand n'est plus un homme sceptique et
résigné. Un vaste chantier s'ouvre. Il est décidé qu'au prochain
Sommet franco-allemand, les ministres des Affaires étrangères et de
la Défense tiendront une session commune.
Mardi 5 octobre
1982
Au petit déjeuner hebdomadaire avec le Premier
ministre, Lionel Jospin proteste contre le fait que le projet de
loi d'amnistie concerne aussi les généraux putschistes d'Alger.
François Mitterrand: «Ne soyez pas naïfs ! Ces
généraux en ont fait beaucoup moins que Michel Debré. »
L'après-midi, Raymond Courrière présente le texte au groupe
socialiste. Lionel Jospin prend contre son gré, à la demande du
Président, la défense du projet, déplorant seulement que le Parti
n'ait pas été consulté. La plupart des députés sont hostiles et
veulent modifier au moins l'exposé des motifs, jugé trop indulgent
à l'égard de l'OAS et des officiers factieux. Ils demandent que
Raymond Courrière s'en tienne devant le Parlement à une
présentation aussi dépouillée et laconique que possible. Ce texte
ne doit pas avoir valeur de «pardon »,
mais de réconciliation nationale. Il s'agit de tourner une page de
notre Histoire, pas de la récrire. «Les
engagements du Président de la République doivent certes être
tenus; mais il y en a d'autres dont la réalisation est au moins
aussi urgente... »
Investiture en Bolivie de Hermán Siles Suazo,
Président démocratiquement élu de l'Union démocratique populaire.
Klaus Barbie est peut-être de nouveau accessible. Régis Debray
continue de négocier avec le ministre de l'Intérieur bolivien, son
ami Gustavo Sanchez; Klarsfeld a une idée: les Boliviens
livreraient Barbie à Cayenne où nous en prendrions livraison.
Mercredi 6 octobre
1982
Le Conseil des ministres approuve le document
d'orientation du IXe Plan. Savary rend
publiques les principales orientations de son projet de loi sur
l'enseignement supérieur.
Robert Armstrong vient à Paris me parler du «
chèque » britannique: «Il est
impossible, démontre-t-il, d'augmenter
la part de la RFA sans remettre en
cause formellement l'accord du 22 mai. » Il a raison.
Genscher s'est personnellement porté garant de cet accord. Et il
est toujours là. Impossible de revenir sur la parole donnée par
Cheysson, quoi qu'il dise. Nous financerons donc 39 % du
remboursement, et la RFA 17 %.
Mises à part les devises qu'il faudra sortir — et
nous en avons peu ! —, cette concession donne à nos partenaires
l'image d'une France faible, avide de compromis. Très
ennuyeux.
On peut espérer maintenant que la hausse des prix
restera voisine de 8 à 9 % en 1982, et sera de 8 % en 1983 (sans
mouvements sociaux). Deux premiers accords sont signés, l'un dans
les laboratoires de prothèses dentaires, l'autre dans les jeux et
jouets; ils sont excellents. Deux conflits importants lancés à
l'initiative de la CGT retiennent particulièrement l'attention:
Citroën et Job Bastos.
Pourtant, depuis ce matin, le franc est attaqué.
Compte tenu de la guerre du Liban, des Falkland et des grondements
soviétiques, nul ne peut prédire jusqu'où va monter le dollar. Il
peut aller lundi jusqu'à 7 francs. Le cynisme de Washington est
total: le Trésor américain dit maintenant que les taux d'intérêt
resteront durablement élevés, car leur déficit budgétaire est
incontrôlable. Et cela pousse le dollar à la hausse.
S'il faut lâcher le système monétaire et « flotter
» dans les jours qui viennent, il faut surtout éviter de le faire
alors que le Président se trouverait déjà à l'étranger.
François Mitterrand demande donc qu'on étudie les
possibilités de flottement du franc pour ce soir, avant son départ
pour l'Afrique, en attendant que les désordres du dollar se
calment.
Pourquoi cette précipitation? Est-on prêt, dès ce
soir, à opérer une ponction importante sur le pouvoir d'achat? à
réduire le déficit budgétaire? à viser une réduction à 5 % du
rythme annuel de hausse des prix et des revenus? à équilibrer la
Sécurité sociale et l'UNEDIC? à bloquer les prix et les revenus
pour deux mois de plus, en attendant le résultat d'une grande
négociation sociale?
Le choix entre dévaluation et flottement dépend de
la confiance dans les capacités du gouvernement à appliquer une
politique de rigueur. A défaut, l'effet bénéfique d'une nouvelle
dévaluation serait mangé avant les municipales, et un flottement
serait un désastre.
Nouveau Conseil de Défense. Pour la première fois,
l'armement chimique est abordé; le Président demande que l'on
continue à développer nos connaissances sur la technologie des
produits binaires, sans décider la fabrication d'un armement
chimique avec des stocks importants. La France respecte ainsi le
protocole de Genève dont elle est dépositaire.
François Mitterrand part dans la soirée pour sa
deuxième tournée africaine: Burundi, Rwanda, Zaïre, Congo.
Jeudi 7 octobre
1982
Dans la Communauté comme aux États-Unis, le
chômage, pour la première fois depuis quarante ans, franchit la
barre des 10 %.
A l'atterrissage au Burundi, je raconte au
Président, devant Cheysson, la plaisanterie qui courait sur le
ministre des Relations extérieures, à Bruxelles, lorsqu'il était
Commissaire européen: «Quelle est la
différence entre Dieu et Claude Cheysson ? A priori
aucune, car tous deux savent tout. Mais il y
en a une: l'un est partout, et l'autre est partout... sauf à
Bruxelles ! » Claude Cheysson éclate de rire. Je lui dis: «
Ici, au moins, c'est la première fois
que tu viens. » Il réfléchit gravement
: « Non, c'est la trente-quatrième.
»
Vendredi 8 octobre
1982
A Kinshasa, ville de cauchemar, de misère et de
corruption, je découvre la tradition qui nous conduit à recevoir
dans notre chambre le grand cordon d'un Ordre national. En échange,
nos hôtes reçoivent des Légions d'honneur au mètre.
Avant que ne s'ouvre le Sommet franco-africain,
petit déjeuner avec le Président du Zaïre. Jean-Pierre Cot donne
une leçon sur les droits de l'homme à un Mobutu ahuri devant tant
d'audace.
Hissène Habré est là: cela vaut reconnaissance de
fait. Le Président, s'adressant à lui: « Avant
le 10 mai 1981, la France vous livrait des armes. Je vous ai coupé
les vivres. Vous savez par conséquent que je ne soutiens pas les
rebelles! »
On dénombre trente-sept délégations, alignées dans
un grand Palais des Congrès financé par les Chinois, construit par
les Belges, entretenu par les Français, à côté d'une gigantesque
tour de télévision au financement aussi éclectique, le tout dans
une ville sans eau courante ni tout-à-l'égout. Symbole du désastre
des rapports entre l'Europe et l'Afrique où les dictatures sont
soutenues sous prétexte d'une hypothétique menace rouge.
Dîner avec les journalistes à l'ambassade de
France, qui donne sur le fleuve. François Mitterrand critique les
sommets des Sept: «Cela ne sert à rien, et je
ne sais pas si j'irai au prochain. »
Longue conversation avec le Président:
« Tout sera très difficile pendant deux ans,
mais la crise ne peut durer toujours. Mon vrai projet, c'est de
construire l'unité de l'Europe pour qu'elle ait le courage et les
moyens d'aider le Sud, en particulier l'Afrique. Il est presque
inquiétant de voir la somme d'espérances qui repose sur notre pays.
On peut se demander si celui-ci est capable de la satisfaire. C'est
une situation que même de Gaulle a rarement rencontrée dans ses
rapports avec l'Afrique, qui ont varié suivant les périodes. Le
discours de Brazzaville n'a pas eu du tout la signification qu'on
lui donne aujourd'hui: on y trouve une condamnation du
self-government. Et, pendant quelques années,
de Gaulle a brisé les chances d'une évolution en Afrique. Mais,
quand il a constaté ses erreurs, et comme c'était un grand
stratège, il en a tiré les conséquences.
Aujourd'hui, les Africains
savent que la France n'est ni colonialiste, ni impérialiste. Ils
savent très bien que partout où les Américains ou les Russes
apparaissent, l'autre arrive aussitôt. On le constate du côté de
l'Angola, on le constate du côté de l'Éthiopie, et même du côté de
la Libye. La France apparaît comme moins dangereuse que les autres.
En plus, il y a toute une histoire, des affinités. Ce fut une
puissance colonisatrice, mais elle a été humaine, elle a formé des
hommes.
Au Zaïre, la situation est
dramatique. Toutes les machines sont grippées. Tout est concussion.
Nous avons affaire à un personnel politique fragile et à des États
qu'un rien peut faire basculer. Il faudra constamment retisser la
toile, mais la France représente quelque chose de grand pour tout
ce continent... »
La Diète polonaise dissout le syndicat
Solidarité. «Jaruzelski, pense François
Mitterrand, va être débordé. »
Samedi 9 octobre
1982
Attentat contre une synagogue à Rome: un mort, 36
blessés.
Par note, Pierre Bérégovoy revient à la charge
pour que le remboursement de l'IVG soit décidé toute de suite.
Pierre Mauroy l'appuie, évidemment. François Mitterrand ne veut
toujours pas d'une banalisation de l'acte médical. Il
rechigne.
Claude Cheysson est à Dar-es-Salaam. Il retrouve
le problème angolais, qui le passionne, et déclare: « Les Angolais n'ont jamais caché le fait qu'ils espèrent
un jour se trouver dans une situation où ils n'auront plus besoin
de troupes étrangères. Nous ne voyons donc aucune justification à
une demande précise adressée au gouvernement angolais. Nous savons
que les Américains n'ont pas la même opinion et qu'ils ont entamé
une sorte de négociation avec les Angolais. C'est là leur affaire.
Comme je l'ai dit, tout est prêt et personne ne peut soulever un
prétexte, s'agissant de la préparation de l'application de la
Résolution 435. Si un pays étranger prend la responsabilité de
bloquer l'application de cette décision internationale alors que
tout est prêt, ce pays doit en porter seul la pleine
responsabilité. Nous verrons bien. J'espère qu'aucun pays ne
souhaitera agir ainsi. »
Les Américains sont furieux. Et d'abord Bill
Clark, le nouveau conseiller pour la sécurité. Il a commencé sa
brève carrière diplomatique, il y a un an, en s'occupant de ce
dossier sans même savoir localiser le pays sur la carte.
Dimanche 10 octobre
1982
Reagan écrit à François Mitterrand pour demander à
la France de s'opposer, comme les États-Unis l'ont fait, à la
ratification du Traité de la Mer, qui vient d'être signé.
Conformément à une technique désormais classique, il prie tous les
dirigeants européens de recevoir un même envoyé. Cette fois, c'est
le brillant Don Rumsfeld, qui fut ambassadeur à l'OTAN à quarante
ans et secrétaire à la Défense de Gerald Ford trois ans plus
tard.
« Les stipulations qui
concernent la recherche minière au fond des mers, telles que
prévues par le traité, seront contraires aux intérêts de nombreux
pays, et notamment des États-Unis et de nos proches amis et alliés.
La mise en œuvre des ressources du fond des mers selon des critères
économiques, en conformité avec le Traité, serait très difficile,
si ce n'est impossible. En d'autres termes, le Traité créerait des
précédents qui sont contraires à une vaste gamme d'intérêts, et
ceci affecterait négativement les positions des pays développés
pour ce qui concerne le développement futur des institutions
internationales en général.
Enfin, laissez-moi vous dire
que, bien que le droit de la mer soit le sujet qui m'a conduit à
proposer cette mission à Don Rumsfeld, je la conçois dans le
contexte plus large de nos relations en tant qu'alliés faisant face
à de nombreux problèmes. Dans la mesure où chacun d'entre eux a sa
complexité propre, je crois profondément que nous sommes capables,
aujourd'hui comme peut-être jamais auparavant, de les résoudre et
de démontrer un degré de cohésion entre alliés sans précédent
jusqu'ici. Pour cette raison, Don sera disposé à vous écouter sur
tous les autres aspects de nos préoccupations communes. Inutile de
dire que j'attacherai beaucoup de prix à vos réflexions et que
j'attends avec impatience de recevoir le rapport que me fera Don.
»
On envoie « Don, qui est
disposé à vous écouter », afin « de
faire un rapport ». Encore une fois, la conception
américaine de l'Alliance refait surface: l'OTAN a vocation
planétaire et exige la solidarité sur tous les sujets. Alors que,
pour la France — la France seule —, l'Alliance est limitée
géographiquement à l'Atlantique et à la défense de l'Europe.
François Mitterrand accepte néanmoins de recevoir
Rumsfeld pour ne pas ajouter un sujet de friction par ces temps
difficiles.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne considèrent
que les dispositions relatives au régime des fonds marins
internationaux sont incompatibles avec les principes de l'économie
de marché. Par ailleurs, ils ont peur qu'au sein de la future
Autorité, le Tiers Monde et l'Est soient dominants. Ils souhaitent
la remplacer par des accords de réciprocité avec les États ayant
déjà effectué des travaux de recherche dans les fonds marins et
s'étant antérieurement dotés d'une législation nationale, sorte de
traités permettant la reconnaissance mutuelle des permis
d'exploration délivrés par chacun de ces États. De tels accords
videraient de tout son sens la notion de «patrimoine commun de l'humanité » qu'a créé la
Convention.
Les dispositions de la Convention font de la
France la troisième puissance maritime mondiale (11 millions de
km2 d'espaces marins placés sous notre
juridiction) et protègent nos intérêts militaires en garantissant
notamment le libre passage de nos flottes de guerre et de commerce
et de nos aéronefs dans les détroits internationaux. Cependant,
l'exploitation des nodules — si elle a un jour un sens économique,
ce qui est douteux — et la mise en place de l'Autorité
internationale des fonds marins risquent de conduire à la paralysie
totale de toute décision d'exploitation si la règle du consensus y
est appliquée.
C'est dans un an, au vu des travaux de la
Commission préparatoire, après signature, que nous déciderons de
soumettre la ratification au Parlement.
Lundi 11 octobre
1982
Pierre Joxe est déchaîné. Il considère l'amnistie
des généraux comme « une injure personnelle à
sa famille ». Vision dynastique de la politique! Il demande
à être reçu par le Président. Il fait tout pour obtenir que le
groupe socialiste vote contre. « Je quitterai
la politique si ce texte est voté. » Le Président n'en croit
rien.
Bataille minutieuse sur les prix, dixième de point
par dixième de point.
François Mitterrand n'apprécie pas que Jacques
Delors ait accepté la hausse des prix de l'automobile demandée par
les industriels, qui fragilise la lutte contre l'inflation à la
veille de la fin du blocage. Cela ne lui ressemble pas.
Les Américains prétendent que tous les autres
participants sont d'accord pour que le Sommet de Williamsburg ait
lieu début juin... Ils insistent pour annoncer la date. Il faut
décider: céder ou ne pas y aller. Ayant encore la présidence des
sherpas jusqu'à fin décembre, je convoque une réunion pour passer
le relais aux Américains et tenter de fixer un agenda conforme aux
intérêts européens.
A la suite du discours de Figeac, le ministère des
Finances est mis en demeure d'étudier les modalités possibles d'une
réduction de la dette des entreprises. Jacques Delors est horrifié:
on ne peut demander aux banques de remplacer leurs prêts à court
terme aux entreprises par des prêts à très long terme et à bas taux
d'intérêt. « C'est un moratoire de fait d'une
partie de la dette privée, nécessitant la renégociation des
contrats de crédits passés depuis des années entre entreprises et
banques! »
Mardi 12 octobre
1982
La grogne du groupe socialiste est à son comble.
Le projet d'amnistie y est à nouveau évoqué, alors qu'il ne figure
pas à l'ordre du jour de sa réunion. Un amendement excluant les
officiers généraux, proposé par le jeune député rocardien Alain
Richard, est rejeté de justesse, par 39 voix contre 37; Lionel
Jospin s'est abstenu. Le projet du gouvernement étant adopté,
Guidoni est mandaté pour le soutenir, seul, en séance.
Le grand économiste anglais Nicholas Kaldor vient
me proposer un programme qu'il n'a pu convaincre Harold Wilson
d'appliquer en 1967, lors de la crise de la Livre: il s'agit de
mettre en place des quotas d'exportation pour éviter de toucher à
la parité et en faire un instrument de politique industrielle. Il
tombe bien! Un Conseil restreint sur le commerce extérieur a lieu
dans l'après-midi, pour préparer des mesures destinées à réduire le
déficit extérieur. On envisage tout. On ne retient que la
vérification obligatoire de l'origine, permettant de bloquer
discrètement l'importation de certains produits. Le Président
n'entend pas remettre en cause la dynamique européenne, même pour
le bénéfice des entreprises françaises.
Journée d'action des artisans et des commerçants:
de 30 à 40 000 manifestants à Paris.
Arrestation de Frédéric Oriach, d'Action
Directe.
Michel Jobert reçoit l'ambassadeur d'URSS,
Tchervonenko, pour lui dire: «Si les mesures
nécessaires de rééquilibrage de nos échanges n'intervenaient pas,
la France réduirait ses importations de gaz. Je n'irai à Moscou que
si je reçois des assurances formelles sur le rééquilibrage de nos
échanges. » Terrible menace qui effraiera sans nul doute le
Kremlin !...
Mercredi 13 octobre
1982
Au Conseil des ministres, le Président accepte
enfin le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. C'est
assurément la décision pour laquelle il aura le plus traîné les
pieds.
Le Conseil adopte aussi la loi prévoyant la
disparition du secteur privé dans les hôpitaux publics. Là encore,
le Président trouve qu'on va trop loin.
Cheysson rencontre Arafat à Tunis et lui transmet
de nouveau la proposition de Shultz: «Reconnaissez Israël et vous devenez un interlocuteur de
la négociation. » Arafat refuse une fois de plus.
Vendredi 15 octobre
1982
Interrogé par un journaliste du New York Times, le nouveau Président bolivien,
Siles Suazo, confirme: la Bolivie donnerait une suite favorable à
toute demande d'extradition de Klaus Barbie si celle-ci venait à
être renouvelée. Il faut donc le faire. Verra-t-on enfin s'ouvrir
le grand procès de la Collaboration? Devant cette perspective,
beaucoup masquent leur hostilité par l'indifférence, et leur
panique par la passivité.
Le franc est encore attaqué. Il faut s'y faire.
Cela ne cessera plus, désormais, jusqu'en mars. On tiendra à coups
de taux d'intérêt élevés, qui aggraveront le chômage. Trois causes
: la hausse du dollar, qui a renchéri l'énergie des deux tiers en
deux ans, la croissance du pouvoir d'achat et de l'inflation, plus
forte qu'en Allemagne, et la chute brutale de nos exportations
industrielles. De tous les pays développés, nous sommes le seul
soldat hors de la tranchée, sous la mitraille. Aussi, contrairement
aux premières prévisions de l'OCDE, trop rassurantes, le déficit de
la balance des paiements sera-t-il de 14 milliards de dollars et
notre endettement atteint-il déjà 40 milliards de dollars. Il faut
rembourser 6 milliards par an. Et nos réserves sont quasi nulles,
mis à part l'or. Le temps ne travaille pas pour nous: chaque jour
qui passe nous coûte au moins 100 millions de dollars.
Si nous ne changeons pas de politique, même sans
nouvelle hausse du dollar, le déficit de la balance des paiements
pour 1983 sera égal à celui de 1982. Nous ne pourrions le financer
que par des emprunts à l'étranger — ce qui nous ferait atteindre
une zone très dangereuse pour notre indépendance politique — ou par
une vente d'or. Mais si nous ne redressons pas la situation, dans
deux ans au plus tard, le FMI nous imposera bien davantage. Le
fonctionnaire du Fonds chargé de la France est d'ailleurs revenu
faire un tour, fort discrètement, à la Direction du Trésor.
Jacques Delors, qui attend d'être reçu par
François Mitterrand, me dit : « Mauroy doit
partir. Il faut cesser de promettre tout à tout le monde. C'est ça
qui tue le franc. » Bien vu !
Devant la fonte rapide des réserves, y compris de
l'emprunt du mois dernier, Delors vient proposer au Président un
nouveau plan de rigueur qui permettra, dit-il, d'éviter une
troisième dévaluation.
La facture est sévère. Il faut annuler au plus
vite 7,5 milliards de francs de crédits publics. Pour 1983, placer
en réserves 20 milliards de francs, au besoin en pratiquant une
réduction proportionnelle de toutes les lignes budgétaires. Toute
dépense supplémentaire serait gagée par des économies ou par un
prélèvement sur cette réserve. Pour la Sécurité Sociale, il propose
de rendre public, avant la fin du mois d'octobre, un plan de
financement complet, avec des mesures chiffrées et datées. Un autre
prélèvement serait décidé pour l'UNEDIC, réparti par moitié entre
les employeurs et les salariés, par négociation ou sinon par
décret, au 1er novembre.
Il en vient ensuite au discours prononcé par le
Président à Figeac. Il propose tout simplement de ne pas
l'appliquer: «La part la plus importante (70
%) de l'endettement des entreprises non agricoles du secteur
concurrentiel est à taux variable ou révisable. La baisse
progressive des taux d'intérêt, au fur et à mesure que la réduction
de l'inflation est constatée, et à un rythme compatible avec la
défense du franc, sera donc le moyen essentiel de réduction des
frais financiers: la réduction d'un point du taux de base bancaire
fait économiser 4 à 5 milliards aux entreprises en année pleine.
» Autrement dit, la réduction de l'inflation réduira les
charges des entreprises. Il ajoute: «Enfin,
comme le Premier ministre l'a récemment réaffirmé, il doit être
clair que cette politique de rigueur devra être continuée tant que
la crise durera et tant que l'assainissement de notre économie et
le renforcement de notre appareil industriel n'auront pas été
achevés. Il faudra donc viser pour 1984 une nouvelle réduction
significative de l'inflation, ramenant celle-ci à 5 ou 6 %. Il en
résulte qu'aucun relâchement ne pourra être admis en 1983 dans la
maîtrise des finances publiques et sociales, dans la gestion des
entreprises publiques qui devra au contraire être vigoureusement
corrigée ou améliorée, et dans la maîtrise des prix, coûts et
rémunérations de toute nature. »
François Mitterrand me demande de faire étudier ce
programme par les « visiteurs du soir»
qui se réunissent justement aujourd'hui.
Réponse nette: «Tout cela ne
suffit pas. C'est un programme de pure déflation ; rien n'est
proposé pour annuler les dettes des entreprises. Pour défendre le
franc, il ne nous reste que deux moyens, le dépôt à l'importation
et la vente de l'or, en attendant que notre commerce extérieur soit
redressé. Ces mesures doivent être annoncées la semaine prochaine,
avec le flottement (...), en dramatisant et en insérant celui-ci
dans un paquet de mesures économiques, par un ministre du Commerce
extérieur qui se batte et qui dispose à part entière de la DREE
(...), de ses implantations régionales et internationales. Il faut
un resserrement de la politique économique de sortie de blocage, le
bouclage d'ici la fin octobre de l'UNEDIC, un allégement massif des
charges financières des entreprises industrielles, un allégement
des cotisations sociales de l'industrie payé par un relèvement de
la TVA, un serrage des prix et des salaires du secteur public, la
concentration de moyens massifs sur le développement industriel
(Budgets 1982 et 1983). Et, enfin, un grand programme d'économies
d'énergie, et un comportement plus responsable des partenaires
sociaux: la CGT doit s'engager dans la bataille de la production et
ne pas faire la grève du zèle. Pour défendre le pouvoir d'achat et
s'implanter, le CNPF doit accepter un paquet de cotisations UNEDIC,
compensé par une baisse des charges financières et de la TVA.
»
François Mitterrand approuve. C'est en fait la
stratégie qu'il préfère: l'économie de guerre. Et il ne voit pas
d'autre Premier ministre que Pierre Mauroy pour la réaliser. Dans
une telle hypothèse, Jean Riboud lui a refusé de devenir ministre
de l'Industrie. Mauroy, quant à lui, ne sait rien de ces idées,
qu'il devine et redoute.
Mais la consommation est toujours trop forte.
Comment la réduire sans réduire le pouvoir d'achat? Je conseille au
Président de décider le lancement, au prochain Conseil restreint,
mardi prochain, d'un emprunt forcé pour qu'une part du revenu,
maintenu, soit investie et non plus consommée. Et aussi de tenter
d'obtenir du Chancelier Kohl, dans dix jours, lors du Sommet
franco-allemand, une réévaluation immédiate du mark.
Dans une nouvelle lettre aux Sept, Ronald Reagan
propose un agenda pour le prochain Sommet. Elle sonne comme une
critique de Versailles:
«Le risque de faire naître
des attentes excessives est également inhérent aux rencontres des
dirigeants des sept économies les plus puissantes. Nous avons
besoin d'examiner comment faire comprendre la vraie nature de ces
rencontres sans donner l'impression qu'elles ne mènent à
rien.
La situation sérieuse de
l'économie mondiale et de la plupart d'entre nous, pris
individuellement, nous contraint à rechercher des réponses. Le
Sommet devrait nous aider dans cette recherche. Tel est mon
objectif. Les démocraties industrielles et notre engagement en
faveur de la liberté, de la paix et de la prospérité sont
certainement plus qu'à la hauteur des défis auxquels nous faisons
face.
Allan Wallis, que j'ai
désigné comme mon représentant personnel pour le Sommet, sera en
Europe dans la semaine du 25 octobre pour discuter certaines de ces
idées avec vos représentants. Je serais également très intéressé de
recevoir directement de vous vos réactions à ces réflexions
préliminaires. »
Le nouveau sherpa est
donc un professeur de statistiques à la retraite à Roches-ter,
Allan Wallis, vieil ami de Shultz. Il a largement dépassé les
soixante-dix ans. Brillant anachronisme... Il m'appelle pour fixer
rendez-vous. Le prochain Sommet, m'annonce-t-il, aura lieu à
Williamsburg. Il ajoute: «Quelle date
proposez-vous ?
— Après le
1er
juillet.
— Impossible. Nous ne voulons
pas des Grecs. »
Au moins, voilà qui est clair.
Dimanche 17 octobre
1982
Jacques Delors dîne avec Pierre Mauroy et lui
communique copie de la note qu'il a remise vendredi à François
Mitterrand.
En rentrant au ministère, Delors rédige un résumé
manuscrit de leur conversation, «pour
l'Histoire », et l'envoie à Mauroy:
« Au cours de notre séance
de travail de ce dimanche soir, nous avons évoqué les divers
aspects politiques, économiques, sociaux et financiers de notre
situation et dressé le bilan de l'action entreprise pour assainir
l'économie française sans perdre de vue nos objectifs essentiels:
le sursaut industriel, la lutte contre le chômage, la reconquête du
plein emploi (marché intérieur et équilibre commercial), la lutte
contre les inégalités. Dans l'ensemble, nous sommes sur la bonne
voie, notamment en matière de lutte contre l'inflation, sans pour
autant que notre effort s'en ressente en ce qui concerne le
chômage. Et je demeure persuadé qu'avec une politique active et
moderne de l'emploi, nous pourrions faire mieux encore, à taux de
croissance inchangé. Si bien qu'en dehors de toute considération
sur la confiance des acteurs — que nous nous attachons, non sans
succès, à inverser dans le bon sens —, notre "talon d'Achille"
demeure le déséquilibre des échanges commerciaux. D'où la
nécessité, au-delà des actions traditionnelles vis-à-vis des pays
de l'Est, des pays en voie de développement et des nations membres
de l'OPEP, d'une politique tenace, patiente et de tous les jours
sur le commerce courant, notamment avec les pays industrialisés. Le
redressement est à notre portée si nous réalisons l'intégralité du
programme de dix-huit mois mis en œuvre en juin dernier (...).
Aucun dérapage ne pourrait être accepté, sans dommages sérieux, par
rapport à la ligne en cours.
Je demeure à votre entière
disposition pour la mise en œuvre d'un ensemble de dispositions
concernant l'action interministérielle. »
Le ministre de l'Économie et des Finances ne veut
ni dévaluation, ni flottement. Il pense qu'une action têtue,
entreprise par entreprise, peut réussir. Sinon, il démissionnera.
Il constitue déjà son dossier.
Lundi 18 octobre
1982
Mort de Pierre Mendès France. Robert Badinter
suggère qu'on lui fasse une place au Panthéon. Le Président est
réservé: « Un jour, peut-être. Mais deux
personnes devraient y aller avant lui: René Cassin et Léon
Blum.»
Une fois de plus, Claude Cheysson explique au
Président l'intérêt des discussions de Washington sur la levée de
l'embargo américain sur le gazoduc:
« L'absence de toute
concertation sérieuse entre les principaux alliés, qui caractérise
la situation actuelle, est détestable. Dans nos rapports avec les
Américains, c'est la pire situation. Une conclusion s'impose: nous
avons intérêt à convenir de modes de concertation sur les
politiques menées vis-à-vis de l'Union soviétique et de ses alliés
européens. La volonté de concertation étant affirmée, il serait
relativement aisé de traiter du reste. Le Groupe des Sept pays
industrialisés (auquel la Communauté est associée) est capable de
discuter des grandes options économiques. Les représentants
désignés par les Sept peuvent se réunir, à Washington ou à Paris,
pour en discuter et examiner les problèmes (tels que la
différenciation entre pays de l'Est, la nécessité de procéder à des
études communes sur tel sujet, etc.). Je propose donc que nous
confirmions et fassions confirmer la volonté de tous, Américains
compris, de procéder à une concertation dans l'avenir, de renoncer
à prendre des décisions unilatérales majeures blessantes pour les
autres, et que les Sept plus la Communauté s'efforcent d'examiner
les principes de cette concertation et d'arrêter la liste des
sujets à faire étudier par les organes existants. »
La demande est claire: Cheysson souhaite organiser
une concertation régulière à Sept sur tous les sujets économiques,
pour éviter des décisions unilatérales. Pour François Mitterrand,
ces discussions sont très dangereuses: à Sept, dans un cadre
informel, les Américains peuvent imposer leurs décisions. En dehors
de nous, personne ne leur résiste, et, de surcroît, ils le feraient
sous couvert d'une solidarité globale allant jusqu'au Japon. Le
Président confirme : «Pas de négociation à
Sept, sur aucun sujet. Et encore moins sur celui-là. Les Américains
ont décidé un embargo. Nous n'en tenons pas compte. S'ils veulent
revenir sur leur décision, qu'ils le fassent, nous n'avons pas à
leur sauver la face. »
Certes, le G7 existe entre ministres des Finances,
pour gérer les taux de change. Cheysson aimerait avoir droit aux
mêmes réunions avec ses collègues. Mais ce que le Quai y gagnerait
en influence, la France et l'Europe le perdraient en liberté.
Il faut se résigner à payer le chèque britannique:
1,75 milliard de francs, auquel Cheysson a ajouté, par son cadeau à
la RFA, 550 millions. Pour limiter les dégâts, le Président demande
à Chandernagor d'affirmer à Bruxelles qu'on ne paiera pas cette
somme aussi longtemps que la Grande-Bretagne n'aura pas remboursé
ce qu'elle a perçu en trop par ailleurs.
L'affaire des généraux n'est pas réglée. Malgré le
vote du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Pierre Joxe
obtient du Bureau exécutif du Parti de mettre le Président en
demeure de choisir entre retirer ce texte ou accepter l'amendement
d'Alain Richard. Le Bureau refuse même d'entendre les arguments de
Raymond Courrière. Colère froide du Président.
Pour Barbie, la décision est prise: la France
demandera son extradition en commençant par soutenir la demande
allemande.
Mercredi 20 octobre
1982
A quatre heures du matin, un télex de la Maison
Blanche parvient à l'Élysée. Après avoir rappelé «à quel point nos vues coïncidaient à propos de tous les
grands problèmes qui se posent de nos jours... », Ronald
Reagan note : «Au fur et à mesure que
nous avons abordé les problèmes particuliers, il est apparu des
différences fondamentales (...). Il se peut aussi que le consensus
qui, je pense, a existé entre nous ait disparu. » Il demande
à François Mitterrand de recevoir « son ami
intime et conseiller» Bill Clark, afin de «permettre une meilleure compréhension ».
De quel désaccord s'agit-il ? Ni au Liban, ni en
Amérique latine, ni en Afrique, il n'y a de différend assez
important pour justifier une telle démarche. Sans doute s'agit-il
encore du gazoduc, pense le Président. On recevra Clark.
Le directeur d'Amérique, Dorin, télégraphie à
notre ambassadeur à La Paz et lui demande de faire une nouvelle
démarche de soutien à la demande allemande d'extradition de
Barbie.
Au déjeuner des socialistes, le Président est
furieux: «Vous ne comprenez rien! L'extrême
droite est aujourd'hui à l'intérieur du RPR Et, pendant la guerre
d'Algérie, Debré et Massu ont fait pire que les généraux
félons. » Joxe est très amer. Il en veut au Premier
ministre, au Président. Il traite même Mauroy d'« imbécile ». Le Président: «Ça
suffit, Joxe ! »