POUR VENGER L’HOMME

Par Lester del Rey

 

L’intelligence des ordinateurs et des robots pourra peut-être un jour dépasser celle des hommes. C’est là un thème de science-fiction, comme chacun le sait, mais c’est aussi une idée avancée hors de toute fabulation par des auteurs tels que Isaac Asimov, dans plusieurs de ses articles de vulgarisation scientifique, et le regretté Christopher Evans dans The mighty micro. En ce cas, on peut imaginer que les robots reprennent un jour le flambeau de l’intelligence et de la créativité, abandonné par notre espèce, et qu’ils nous succèdent en évitant nos erreurs – parce qu’ils auront été ainsi programmés (par nous-mêmes) : transmission, recommencement et amélioration, à travers une quête à la fois matérielle et symbolique.

 

LA haine dévastait la Galaxie en une immense croisade. Les vaisseaux de métal bondissaient d’un monde à l’autre et franchissaient l’espace vers des étoiles de plus en plus lointaines. Les planètes dépensaient des fortunes pour construire des cités hautes comme le ciel autour de temples fortifiés, alimentées par de vastes réseaux technologiques. Et d’autres vaisseaux étaient alors construits, munis d’armes incroyables et lancés à la recherche de l’ennemi.

Dans les cités surpeuplées et à bord des vaisseaux chasseurs, on composait une musique bouleversante, on écrivait des romans épiques et une poésie surnaturelle. On créait des tableaux et des sculptures qui étaient oubliés dès qu’une œuvre nouvelle et plus noble voyait le jour. La science approchait des limites extrêmes de la connaissance, s’attaquait à ces limites et les franchissait vers des possibilités infinies.

Mais, derrière tous les arts et toutes les sciences, il y avait l’impulsion de la religion. Et la religion était celle d’une ancienne colère et d’une haine tenace.

Les vaisseaux emplirent la Galaxie jusqu’à ce que chaque monde en fût conquis. Pendant un temps, ils hésitèrent, se préparant au bond immense vers l’extérieur. Puis les armadas voguèrent de nouveau, au travers de milliers et de millions d’années-lumière, vers les galaxies qui clignotaient au-delà.

Et chaque vaisseau portait l’image de la foi et d’une haine à l’appétit insatiable.

 

I

 

Le cat-track progressait sur la route défoncée qui escaladait la paroi du cratère. Il franchit l’ultime rebord et redescendit en bourdonnant vers Aristarque. Comme il plongeait dans le noir d’encre, ses phares s’allumèrent. Tout autour de lui, les parois de rochers aux arêtes aiguës scintillèrent d’innombrables couleurs réfractées par les failles de cristal que le vent ni la pluie n’avaient jamais érodées.

Dans la cabine, le siège du conducteur émit un grincement de protestation sous le poids de Sam comme celui-ci penchait en avant ses six cents livres terrestres. Le retour était toujours un moment agréable. Il régla les lentilles de ses yeux et entreprit d’examiner le sol du cratère en quête du dôme de la Base Lunaire, bien qu’il sût que celle-ci était encore cachée par un détour de la piste.

« Tu ne devrais pas être si impatient de rentrer, Sam », dit Hal Norman. Mais le petit sélénologue, lui aussi, ne quittait pas la route des yeux. « Tu pourrais montrer quelque reconnaissance pour les moments que j’ai passés à répondre à tes questions stupides et à essayer de mettre un peu d’idées dans ta tête de plomb. On croirait que tu n’apprécies pas ma compagnie », ajouta-t-il avec bonne humeur.

Sam produisit le son d’un rire humain. Il avait appris à comprendre toutes les absurdités verbales que les hommes appelaient de l’humour. Mais la vérité l’obligea à répondre gravement : « J’aime beaucoup votre compagnie, Hal. »

 

Il avait toujours apprécié la compagnie des hommes qu’il avait rencontrés sur Terre ou durant ces nombreuses années passées sur la Lune. Les humains, avait-il décidé longtemps auparavant, étaient merveilleux. Il avait aimé ce long voyage avec Hal Norman durant lequel ils avaient relevé les renseignements enregistrés par les appareils automatiques dispersés à la surface de la Lune. Mais il était quand même bon de regagner le dôme où les hommes lui avaient donné le privilège de se joindre à eux. Là, il pourrait écouter les conversations souvent incompréhensibles mais toujours fascinantes des quarante hommes de la Base. Et peut-être pourrait-il se mêler à leurs chants.

 

La musique et la lecture étaient les deux principales distractions des hommes, ici. Il y avait des milliers de micro-livres dans la bibliothèque du dôme. Ils avaient été amenés peu à peu par tous les hommes au fil des années et constituaient l’un des rares tabous. Il était interdit à Sam d’en lire un seul et un homme lui avait dit une fois que c’était afin de lui épargner une inutile confusion. Mais la collection musicale n’était pas interdite et on l’autorisait souvent à chanter avec les hommes. Tous les robots avaient une voix parfaite, bien sûr. Mais seul Sam avait appris à chanter assez bien pour avoir droit à une place sous le dôme.

D’avance, il commençait à murmurer une ballade sur la mer qu’il n’avait jamais vue. Le cat-track bourdonnait en descendant entre les deux parois qui surplombaient la piste ouverte par un bulldozer dans le cratère. Puis ils surgirent à ciel ouvert et Sam put apercevoir le dôme et le territoire alentour.

Hal eut un grognement de surprise.

« C’est bizarre. J’avais espéré que la fusée de ravitaillement serait ici. Mais que font ces trois vaisseaux ? »

Sam éteignit les phares et ramena ses lentilles en arrière jusqu’à la vision grand-angle. La plus grande partie du cratère lui fut visible, jusqu’à l’horizon où il disparaissait devant le ciel noir et les myriades de points colorés des étoiles. Au bout de la route, il y avait le dôme bas qui surmontait la base avec son antenne micro-ondes biphasée, dirigée vers la plate-forme spatiale habitée qui tournait autour de la Terre. Un kilomètre au-delà, il y avait les trois vaisseaux. Ils étaient énormes, avec des réservoirs extérieurs ; chacun d’eux comprenait une large sphère maintenue par des arceaux et destinée aux passagers. Les vaisseaux n’avaient rien de fusées de ravitaillement.

Le regard de Sam parcourut le sol du cratère, presque jusqu’à l’horizon. Il put apercevoir alors les débris tordus d’un autre vaisseau, surmontés par les capsules de secours qui avaient été mises en place automatiquement afin de sauver l’équipage jusqu’à l’arrivée des sauveteurs. Les trois vaisseaux avaient une ressemblance frappante avec celui qui s’était écrasé. Ce genre d’appareil n’avait été utilisé que durant la troisième expédition. Puis ils avaient été laissés en orbite autour de la Terre après la fin de l’expédition, cinquante ans auparavant. Une fois la base établie, leur volume était devenu inutile. Ils ne pouvaient servir aux voyages de ravitaillement routiniers et à la rotation des hommes de la base.

 

Avant qu’il puisse faire un commentaire sur les vaisseaux, le vibreur résonna, indiquant que la base avait décelé l’approche du cat-track. Sam appuya sur la touche et accusa réception de l’appel.

« Hello, Sam. » C’était la voix du Dr Robert Smithers, chef de la base lunaire. « Retirez-vous s’il vous plaît. Je veux parler à Hal. »

Sam aurait pu placer ses propres récepteurs sur la fréquence de la communication, car le signal était assez puissant à cette distance. Mais il obéit à cet ordre, évitant d’écouter tandis que Hal s’emparait de l’appareil. Mais il lui était impossible de fermer ses audio-récepteurs. Il entendit les paroles amicales de Hal. Puis il y eut au moins une minute de silence.

Le visage de Hal était grave et tendu quand il parla à nouveau. « Mais c’est complètement absurde, chef ! La Terre a abandonné cette folie il y a un siècle. Il n’y a eu aucun signe de… Oui, chef… très bien. Merci de n’avoir pas décollé sans moi. »

Il raccrocha l’appareil et hocha la tête. Lorsqu’il se tourna vers Sam, son expression était énigmatique. « Pleins gaz, Sam. »

« Des ennuis, » se dit Sam. Il lança le cat-track à pleine vitesse, soixante kilomètres à l’heure, rivé aux commandes, vigilant. Seul un robot pouvait guider la machine complexe à une telle allure sur cette route difficile, et cela requérait toute son attention.

La voix de Hal était rauque et inhabituelle : « On nous renvoie sur Terre. De graves ennuis, Sam. Mais que peux-tu savoir de la guerre et des rumeurs de guerre ?

— La guerre est une forme dangereuse de folie politique, proscrite par la conférence de 1983. » Sam citait une phrase entendue à la radio. « La guerre entre humains est devenue maintenant impensable.

— Oui, la guerre entre humains. » Hal eut un raclement de gorge. « Mais pas la guerre inhumaine et cruelle, semble-t-il… Oh ! bon Dieu, cesse de prendre cet air sombre. Cela ne te concerne pas. »

Sam décida qu’il ne devait pas rire, cette fois, bien que la référence à son expression morose et fermée fût d’habitude une forme d’humour. Il enregistra les surprenantes paroles de Hal dans sa mémoire permanente en vue d’un examen ultérieur.

La ligne du terminateur courait à la surface de la Lune. Bientôt, il ferait nuit. Plus de la moitié du cratère était déjà plongée dans l’ombre, bien que le soleil fût encore sur la base. Le territoire qui s’étendait au-delà demeurait encore dans une éblouissante lumière blanche. Mais les ombres nettes s’étiraient en longueur derrière chaque aspérité de la route. Ils ne voyaient plus que difficilement en approchant du dôme et toute l’attention de Sam se portait sur la conduite. Derrière lui, il entendit Hal qui enfilait sa tenue lunaire, se préparant à quitter la cabine.

Sam arrêta le cat-track à l’entrée de l’hémisphère étanche et souterrain de rocher lunaire qui constituait le véritable dôme, afin de laisser sortir Hal. La structure supérieure et légère du dôme n’était qu’un simple bouclier contre la chaleur du soleil.

Sam pilota la machine vers le bas puis coupa le moteur.

Comme il émergeait du sas, l’air s’échappa des petites cavités de son corps en formant une brume de cristaux scintillants qui retomba lentement vers la surface. Mais il n’en ressentit aucun malaise. Il n’y eut que le cliquetis léger d’une cellule piézoélectrique à pression qui activait un relais à l’intérieur de son torse.

Celui-ci était prévu pour une éventuelle alerte, afin de le remettre en activité s’il se produisait une fuite dans le dôme alors qu’il était déconnecté. Le déclic indiquait simplement que la pression baissait. L’une des raisons pour lesquelles les hommes appréciaient sa présence était peut-être l’existence de ce relais qui pouvait leur sauver la vie. Mais il espérait qu’il existait d’autres raisons. Les robots Mark III n’avaient pas été construits avec de tels perfectionnements.

Il en aperçut plusieurs qui attendaient à l’entrée comme il s’approchait. Des traces dans la poussière lunaire menaient jusqu’aux vaisseaux mais toute activité avait cessé, à présent. Les vaisseaux se tenaient prêts. Ils lui étaient totalement étrangers.

 

Sam s’avança entre les petits robots noirs. L’un d’eux, qui se trouvait sur son passage, s’effaça devant son bras tendu, pour lui laisser la place avec une grâce pleine de légèreté qu’il ne pouvait imiter. Il était massif et mécanique, prévu uniquement pour agir. Il avait été construit longtemps auparavant, quand les hommes avaient besoin d’aide sur la Lune. Les Mark III ressemblaient presque à des enfants sous leur vernis sombre. Leur taille et leur poids avaient été abaissés jusqu’à être inférieurs à ceux d’un homme. Il y en avait eu trente de ce modèle à l’origine, mais les accidents n’en avaient laissé qu’un peu plus de vingt. Et, des Mark I, seul Sam fonctionnait encore.

« Quand partons-nous ? » demanda-t-il par radio à l’un des petits robots.

La tête noire se tourna lentement vers lui. « Nous ne savons pas. Les hommes ne nous ont rien dit.

— Ne le leur avez-vous pas demandé ? » dit-il. Mais il n’avait pas besoin d’attendre leur réponse. On ne leur avait pas appris à poser des questions.

Ils étaient encore incomplets, âgés de moins de cinq ans, et leurs pensées étaient liées à l’éducation que leur donnaient les ordinateurs de la crèche. Il leur manquait les vingt années d’intimité qu’il avait eues avec les hommes. Mais il se demandait parfois s’ils en apprendraient jamais assez ou s’ils n’avaient pas été trop sévèrement menés. Les hommes, sur Terre, avaient peur des robots, Hal le lui avait dit une fois. C’était pour cela qu’on ne les utilisait plus que sur la Lune.

Il s’éloigna des Mark III et descendit vers l’entrée du dôme intérieur qui donnait sur la grande salle commune, où tous les hommes étaient rassemblés en tenue lunaire. Ils discutaient avec Hal au moment où Sam émergea du sas. À sa vue, ils se turent. Ils le regardèrent en silence, soudain gênés.

« Hello, Sam ! » dit enfin le Dr Smithers. C’était un grand homme dégingandé d’à peu près trente ans. Sept ans de responsabilité avaient creusé des rides profondes dans son visage et mis du gris dans sa moustache, bien que ses cheveux fussent encore d’un noir de jais. « Très bien, Hal. Vos affaires sont à bord du vaisseau. Tout est prêt. Nous partons donc immédiatement. Plus de discussion. Sortons !

— Allez au diable ! lança Hal. Je n’abandonne pas mes amis ! » Les autres hommes commençaient à se diriger vers la sortie. Sam s’écarta pour les laisser passer mais ils semblaient éviter de le regarder.

Smithers eut un soupir attristé. « Hal, je ne veux pas me disputer avec vous. Vous partirez même si je dois vous enchaîner. Croyez-vous que cela me plaise ? Mais nous avons maintenant des ordres militaires. Ils sont en train de devenir fous, là-bas. Ils n’ont rien appris de plus sur cette attaque par surprise depuis une semaine, d’après ce que j’ai compris, mais ils ont interdit l’espace. Bon sang, je ne peux pas l’embarquer ! Nous sommes au-delà de la limite de poids prévue pour le décollage, maintenant, et il représente trois cents kilos, plus que quatre autres. » Il leva les bras.

Hal désigna l’extérieur. « Alors, laissez-en quatre de ceux-là. Il vaut mieux que tout le groupe réuni.

— Ouais. Bien sûr. Mais les ordres spécifient que tous les hommes et le maximum de robots doivent être ramenés. » Smithers eut une grimace farouche et se tourna tout à coup vers le robot. « Sam, je vais vous expliquer clairement les choses. Il faut que nous vous laissions seul ici. Je suis navré, mais c’est comme ça.

— Tu ne seras pas seul, Sam, dit Hal. Je reste. »

Pendant un moment, Sam resta silencieux, essayant d’enregistrer les paroles. Ses circuits avaient du mal à y parvenir. Il n’avait jamais envisagé d’être séparé de ces hommes qui avaient constitué sa vie. Revenir sur Terre était chose facile à admettre. Il y était retourné une fois, longtemps auparavant. Il y avait dans son esprit, prêts à se manifester, de furtifs espoirs et des images à venir.

Mais il y avait aussi les rêves et les espoirs de Hal Norman. Il lui avait montré une fois un portrait de sa future femme et tenté de lui décrire tout ce qu’une telle créature représentait pour un homme. Il lui avait parlé des champs verts et de la mer. Il avait trop souvent rêvé de la Terre durant les journées qu’ils avaient passées ensemble.

Sam s’avança vers Hal. Celui-ci le vit approcher et tenta de lui échapper, mais il ne pouvait lutter avec le robot. Sam lui prit les bras et étreignit son scaphandre, puis il le souleva avec précaution. Hal se débattait mais il ne pouvait rien contre la détermination de Sam.

« C’est bon, Dr Smithers. Nous pouvons y aller, maintenant », dit le robot en chef.

 

Ils furent les derniers à quitter le dôme. Les petits robots noirs progressaient déjà sur la surface lunaire, suivis des hommes. Smithers marchait derrière Sam, voûté comme si le fardeau était sur ses épaules au lieu de celles du robot. Hal avait cessé de se débattre. Il restait inerte, mais les récepteurs de Sam percevaient des sons qu’il n’avait entendus que deux fois, en des occasions dont il ne voulait pas se souvenir. C’étaient les sons que produit un homme essayant de retenir ses larmes.

À mi-chemin des vaisseaux, des mots lui parvinrent faiblement par radio. « Pose-moi, Sam. Je marcherai. »

Sam obéit et tous trois continuèrent ensemble. La main de Smithers vint se poser sur l’épaule de Sam et les paroles de l’homme lui parvinrent au travers de sa tenue : « Merci, Sam, d’avoir maîtrisé Hal. C’était une faveur que je n’avais plus le droit de vous demander. Eh bien, il semble que vous allez avoir un bout de temps à tuer. Et nous… »

Il n’acheva pas. Sam examina les mots qu’il pouvait comprendre, mais ils n’avaient pas de sens. Une fois tous les hommes partis, il n’aurait pas de temps de reste. Il aurait tellement à faire qu’il ne lui resterait aucun loisir. Le grand observatoire solaire du cratère devrait être contrôlé, il faudrait vérifier les sélénographes et envoyer au moins tous les rapports hebdomadaires des instruments. Il aurait dû recevoir des heures d’instruction mais il semblait maintenant qu’il restait à peine le temps pour des ordres brefs.

Quand ils atteignirent le vaisseau, les autres hommes et les petits robots étaient déjà tous à bord. Le chef poussa Hal jusqu’à la rampe d’accès. Pendant un instant, le plus jeune des hommes hésita. Il se retourna vers Sam, esquissa un geste, puis il fit demi-tour et se rua à l’intérieur, les épaules secouées de sanglots.

Smithers resta encore un instant quand il n’y eut plus personne. Il y eut le son d’un soupir dans la radio de Sam. Puis l’homme s’éloigna. Sans un mot.

« Vous ne m’avez pas donné d’ordre », lui dit Sam.

Smithers secoua la tête, comme s’il était arraché à des pensées bien plus profondes. Ses lèvres esquissèrent ce qui aurait pu être un sourire. « Non, Sam. Il n’y a aucun ordre. Tous les ordres passés, présents ou futurs sont annulés. Il n’y a plus aucun travail à faire. C’est la fin de l’espace ! »

Il mit le pied sur la rampe et s’éloigna de quelques pas. Puis il se retourna brusquement.

« Au revoir, Sam ! » dit-il d’une voix grave. Sa main droite eut un geste rapide. « N’oubliez pas les livres ! »

Un instant plus tard, il franchissait l’entrée du vaisseau. La rampe fut amenée derrière lui et le grand sas extérieur commença à se refermer.

 

II

 

Sam retourna vers l’entrée du dôme afin d’échapper au choc du départ. Tout en s’éloignant, il comprenait lentement le sens des paroles de Smithers.

Plus d’ordres ! On ne lui avait même pas donné l’ordre de revenir ici, en cet endroit, que les hommes et les robots avaient déserté. Pourtant, ses pieds se déplaçaient comme s’ils agissaient selon des ordres personnels et étranges.

La frange des ténèbres avait maintenant atteint le dôme, laissant les fusées dans un ultime éclat de lumière. Il observa l’envol des trois vaisseaux lourdement chargés. Ils se balançaient lentement sur leurs immenses queues de flammes. Ils s’élevèrent quand le flux devint plus intense, montèrent plus haut que le cratère, dans le noir de l’espace, emportant les hommes vers la station qui tournait autour de la Terre. Sam les regarda jusqu’à ce qu’ils échappent à sa vision la plus aiguë. Puis, sans ordres, sans savoir pourquoi il agissait, il rentra dans le dôme. Tout était silencieux et vide autour de lui.

Il fixa l’horloge sur le mur, et le calendrier qu’ils avaient tenu à jour. Il ne savait pas combien de temps ils seraient absents. Mais les paroles de Smithers lui donnaient une vague indication. Il aurait un certain temps à tuer. Cela pouvait signifier n’importe quoi, d’un mois à plus d’une année, à en juger par le sens de phrases similaires entendues dans le passé. Un long moment, il regarda les rayons chargés de micro-livres. Puis il ressortit pour observer la Terre. Il y avait des points lumineux dans les zones sombres. Il savait que c’étaient les villes des hommes. Les humains se trouvaient là-bas, à près d’un demi-million de kilomètres. Là-bas, il devait y avoir des mots, des rires, et des chansons d’hommes.

Il resta longtemps immobile à fixer le ciel. Finalement, il regagna le dôme pour remettre de l’ordre dans ce que les hommes avaient dérangé dans leur hâte. Il replia les quelques effets éparpillés et les rangea. Il nettoya les ustensiles de cuisine et les rangea de son mieux. Hal avait oublié le portrait de la femme dont il avait si souvent parlé et Sam le regarda, essayant de comprendre. Enfin, il le déposa délicatement dans un tiroir qu’il referma. Les micro-livres que Hal avait toujours gardés près de lui se trouvaient dans le même tiroir et Sam se souvint des dernières paroles de Smithers.

« N’oubliez pas les livres ! » Cela semblait dépourvu de sens, puisque Sam ne pouvait oublier les ordres qui s’y appliquaient. Mais le chef avait dit qu’il n’y avait plus d’ordres. Il n’y avait même plus aucun ordre interdisant de lire les livres, à présent.

Et ceci, se dit Sam, pouvait bien être ce que Smithers avait voulu lui suggérer en prononçant ces derniers mots.

Le second jour qui suivit le départ des vaisseaux, Sam observait les zones sombres de la Terre quand certaines devinrent tout à coup plus brillantes. De nouvelles zones lumineuses apparurent puis s’éteignirent durant les heures suivantes. Elles étaient bien plus brillantes qu’aucune cité. Mais elles disparurent toutes à leur tour. Après cela, il n’y eut plus aucune zone lumineuse.

La Terre tournait lentement, et il découvrit que toutes les villes de la Terre étaient obscures, maintenant.

C’était un mystère auquel il ne voyait aucune explication. Il retourna à l’intérieur du dôme, pour essayer la radio qui apportait nouvelles et distractions depuis la station-relais, mais il ne perçut aucun signal. Il hésita à appeler puis décida que cela était réservé à Smithers. Et Smithers n’était plus là.

Il se trouvait de nouveau dehors quand les zones familières qui avaient été les villes humaines passèrent dans la partie obscure de la Terre. Il n’y eut encore aucun éclat de lumière. Même en utilisant le petit télescope qui servait aux observations de la Terre, Sam ne put déceler aucune trace des villes. Il y avait seulement une terne luminescence en quelques endroits, trop diffuse pour provenir des lumières normales. Et la radio restait silencieuse.

 

Il continua, essayant de forcer ses yeux à voir ce qui n’était plus là. Les hommes devaient se trouver sur Terre ! Et les lumières de leurs villes auraient dû le prouver, elles auraient dû lui dire que les hommes parlaient toujours, se livraient toujours à ce qu’ils appelaient des plaisanteries, chantaient, même s’il ne pouvait les entendre. Soudain, il avait besoin de cette preuve et n’en voyait aucune trace ! C’était comme si tous les hommes avaient disparu en même temps que ceux de la Lune !

Pendant tout le cinquième jour, Sam attendit devant la radio, mettant le volume au maximum. Les hommes qui avaient abandonné le dôme avaient dû arriver à destination, à présent. Il savait qu’il n’y avait aucune raison d’attendre un appel : les hommes n’étaient pas obligés d’envoyer un rapport à un robot comme ils le faisaient pour un homme. Mais ses circuits mentaux étaient pleins d’étranges images qui le poussaient à demeurer devant le poste. Il attendit des heures avant de comprendre qu’il n’y aurait plus aucun appel pour lui.

Finalement, il se dit que rien ne viendrait. Il se leva et entra dans la salle vide où les hommes avaient passé tant d’heures.

Ses pas l’amenèrent par hasard devant l’appareil à musique. On lui avait permis de l’utiliser de nombreuses fois et il le mit de nouveau en marche, pour emplir de musique le vide de la salle et de son esprit. Il trouva une de ses bandes préférées et la mit en place. Mais quand le finale de la Neuvième de Beethoven s’éteignit, le dôme lui parut encore plus vide et silencieux que jamais. Il prit un autre enregistrement, sans chœurs, cette fois-ci. Et un autre suivit. Cela le réconfortait un peu, mais ce n’était pas suffisant.

C’est alors qu’il se tourna vers les livres et en prit un au hasard. C’était quelque chose sur Mars, par un humain nommé Edgar Rice Burroughs, et il s’apprêta à le remettre en place : la machine éducatrice lui avait suffisamment appris en astronomie. Mais, finalement, il plaça le livre dans le micro-lecteur et s’assit.

Cela commençait bien, avec une espèce d’homme étrange, et sans aucune astronomie. Et puis…

Sam émit un son d’étonnement, et ne réalisa qu’il venait d’imiter un grognement humain que lentement, pour la première fois de son existence. Tout cela était fou !

Il savait que les hommes n’avaient jamais atteint Mars… et qu’ils ne pourraient jamais atteindre le monde du livre qui était absolument différent de tout ce qu’il connaissait. Ce devait être là quelque forme bizarre de l’humour humain. Ou alors il existait des hommes différents de ceux qu’il avait connus et des faits qu’on lui avait cachés. Cette dernière hypothèse semblait la plus probable.

Il persévéra et poussa un nouveau grognement quand il atteignit la fin, sans savoir ce qu’il était advenu de l’étranger femelle qui était une princesse et pondait des œufs hautement improbables. Mais, à ce moment, il avait commencé à aimer John Carter. Il eut envie d’en lire plus. Il était troublé mais c’était plus de la curiosité que de la perplexité. Il parvint à trouver toute la série et la lut en entier.

Ce ne fut que bien plus tard que l’un des livres résolut le problème. Il y avait une petite note avant le début du texte : CECI EST UNE ŒUVRE DE FICTION SPÉCULATIVE. TOUTE RESSEMBLANCE AVEC DES PERSONNES OU DES ÉVÉNEMENTS RÉELS SERAIT ENTIÈREMENT FORTUITE. Il regarda à FICTION dans le dictionnaire que les hommes utilisaient et se sentit mieux ensuite. Ce n’était pas vraiment de l’humour, mais ce n’était pas réel non plus. Il s’agissait d’une espèce de jeu dans lequel toutes les règles de la vie étaient modifiées de manière idiosyncratique. L’auteur pouvait imaginer que les hommes aimaient s’entre-tuer ou qu’ils avaient peur des femmes, ou toute autre idée ridicule, et il essayait ensuite de montrer ce qui pouvait en résulter. Il était évidemment interdit d’imaginer à propos de véritables personnes et de véritables événements, bien que certains des livres eussent des noms et des décors semblables à ceux de la réalité.

La meilleure fiction ressemblait parfois à une véritable histoire si l’auteur était assez habile. L’« Histoire » était souvent dans ce cas. On y trouvait un monde totalement imaginaire appelé Rome, par exemple. C’était une chance que l’on eût appris à Sam les points élémentaires de l’évolution humaine avant qu’il lise ces livres. Il était vrai que les hommes avaient parfois usé de violence, mais jamais lorsqu’ils connaissaient tous les faits et pouvaient trouver une solution.

 

Finalement, il mit au point une classification très simple. Si un livre le faisait réfléchir intensément et s’il avait de la peine à le suivre, c’était une histoire vraie. S’il lisait plus vite et pensait moins, c’était de la fiction.

Il existait un livre difficile à classer. Il s’agissait d’un vieil ouvrage, écrit avant que les hommes n’atteignent l’espace. Pourtant il était plein de documents précis concernant une invasion de soucoupes volantes venues de très loin dans l’espace. Il déduisit des éléments internes qu’il s’agissait d’une histoire vraie. Mais cela le laissa troublé et préoccupé.

Hal Norman lui avait parlé d’une guerre inhumaine, et le Dr Smithers avait fait allusion à une agression. Était-il possible que ces étranges vaisseaux de nulle part aient pu attaquer la Terre ?

Il se souvint des lueurs au-dessus des cités, tellement semblables aux rayons décrits dans certaines fictions sur la guerre spatiale. Il y avait parfois des éléments réels dans les fictions. Il avait lu un livre sur des hommes ayant remonté le temps pour découvrir des monstres tout à fait impossibles, avant d’apprendre qu’il avait réellement existé des dinosaures de cette taille.

Si les envahisseurs étaient venus attaquer la Terre dans leurs grands vaisseaux, il faudrait beaucoup plus de temps qu’il ne l’avait pensé pour les repousser. Et même il était possible que certains hommes ne revinssent jamais ! Et Sam ne pouvait rien faire pour les aider.

Il sortit pour observer le ciel. Il n’y avait toujours aucune trace des villes de la Terre. Elles devaient être en couvre-feu si les soucoupes sillonnaient le ciel. Il examina l’espace au-dessus de la Lune mais n’aperçut aucun engin étranger. Il revint dans le dôme pour reprendre sa lecture.

Finalement, il semblait que la poésie seule fût capable de chasser le trouble de son esprit. Il avait déjà essayé d’en lire auparavant et avait abandonné. Mais, cette fois, il fit une découverte. Il essaya de lire à haute voix jusqu’à donner un rythme aux vers. Il lut Hymn of Man de Swinburne, attiré par le titre, et soudain les mots et quelque chose de plus commencèrent à chanter à leur manière jusqu’au tréfonds de son esprit.

Il lut encore quatre vers avant qu’ils devinssent une musique, avec tout ce que la musique avait tenté de dire sans y parvenir :

 

À la naissance grise des choses qui commencent,

Le nom de la Terre, aux oreilles du monde,

Était-il Dieu, était-il l’homme ?

 

Pendant la plus grande partie de cette journée, Sam parcourut le dôme de long en large, se répétant que le nom de la Terre aux oreilles du monde était l’homme ! Puis il passa à d’autres poèmes.

Aucun n’égalait vraiment le premier, mais la plupart faisaient vibrer ses circuits d’étrange manière. Un livre le déconcerta jusqu’à le faire rire par deux fois avant qu’il réalise qu’il n’avait jamais ri spontanément auparavant.

Il y avait plus de quatre mille volumes dans la petite bibliothèque, y compris les manuels techniques. Il lut tout consciencieusement, prolongeant le plaisir en relisant ses préférés jusqu’à ce qu’il ait achevé le dernier à minuit exactement, au seuil du jour anniversaire du départ des hommes.

Il passa les vingt-quatre heures suivantes au-dehors, observant le ciel et la Terre, tandis que ses récepteurs radio balayaient toutes les fréquences.

Il avait déjà tué un certain temps. Mais il n’y avait toujours aucun appel et nulle fusée ne s’était posée, ramenant les hommes de la base.

À minuit, il émit un soupir et regagna le dôme. À la section technique, il déverrouilla les commandes du générateur atomique et le mit au régime le plus bas. Il repartit, éteignant les faibles lumières sur son passage. Dans la grande salle, il mit son enregistrement favori dans l’appareil à musique et un exemplaire de Swinburne dans le micro-lecteur. Mais il ne mit rien en marche. Il étendit tranquillement son corps massif sur le sol près de l’entrée, là où les hommes ne pouvaient manquer de le trouver, s’ils revenaient.

Puis il se déconnecta d’un geste décidé.

 

III

 

La conscience revenait en lui et il tourna les yeux vers l’entrée. Il n’y avait pas trace d’hommes. Il se leva, examinant le dôme, puis sortit rapidement pour inspecter le sol du cratère. Celui-ci était nu à l’exception des débris du vieux vaisseau accidenté.

Les hommes n’étaient pas revenus.

À l’intérieur du dôme, il chercha ce qui avait pu tomber et déclencher ainsi son système interne. Le contact était toujours en position de déconnexion, pourtant. Il essaya l’appareil à musique et aucun son n’en sortit. Cette confirmation lui suffit. Il était arrivé quelque chose à l’atmosphère du dôme et son système interne était entré en opération pour le réveiller automatiquement.

Quelques minutes plus tard, il découvrit le trou. Un météore de la taille d’un œuf avait percuté le dôme. Il était arrivé avec une force suffisante pour ouvrir une brèche minuscule sur presque toute l’épaisseur du dôme, et la pression intérieure avait fait le reste.

Il sortit le matériel de calfatage et commença automatiquement à réparer. Il y avait encore suffisamment d’air dans les réservoirs pour remplir à nouveau le dôme.

Sam soupira quand le premier murmure lui parvint de l’appareil à musique. Il mit le contact de son système en position ouverte avant que la pression ne coupe le circuit d’alarme. Il devait regagner l’entrée du dôme et reprendre son attente. Ce n’était que par malchance qu’il s’était éveillé avant le retour des hommes.

Il retraversa le dôme, regardant à peine. Mais ses yeux étaient ouverts et peu à peu son esprit se mit à admettre l’évidence. Il ne lui était pas possible de savoir combien de temps il était demeuré inconscient. Il n’avait aucune perception du temps. Mais la poussière recouvrait chaque chose. Elle avait été déplacée lorsque l’air s’était rué au dehors, mais elle subsistait encore par endroits sur le métal. Et certaines parties de ce métal montraient des traces de corrosion. Cela avait dû demander des années !

Il s’arrêta brusquement pour vérifier ses batteries. Les cellules au cobalt-platine avaient été chargées au maximum avant sa période de repos. À présent, elles ne l’étaient plus qu’à moitié. De telles batteries duraient très longtemps. Même en tenant compte de la conductibilité résiduelle de ses circuits, il avait fallu au moins trente ans pour consommer une telle énergie !

Trente ans ! Et les hommes n’étaient pas revenus !

 

Un gémissement lui parvint et il se retourna aussitôt. Mais ce n’était que sa propre voix. Et il commençait maintenant à crier. Il criait toujours dans le vide sans air en atteignant la surface. Il se reprit et s’appuya contre le dôme, tandis que ses circuits d’équilibre réagissaient à la violente impulsion venue de son cerveau.

Les hommes ne pouvaient l’abandonner. Ils devaient revenir sur la Lune pour achever leur travail, et leur premier souci serait de le récupérer. Les hommes ne pouvaient vraiment pas le laisser ici ! Cela ne se passait que dans les fictions violentes, et même les méchants hommes imaginaires n’auraient pu faire une telle chose. Encore moins ses hommes à lui !

Il regarda la Terre. Le dôme était de nouveau dans la nuit et la Terre était une vaste sphère dans le ciel, bleue et blanche, scintillante, avec des touches de brun en quelques endroits. Il distinguait les contours des continents sous la couverture des nuages et situait les grandes villes qui devaient s’étendre entre les étroites zones d’ombre. Il aurait dû y avoir des lumières en ces endroits, même avec la brillance du jour.

Mais il n’y en avait aucune.

Il eut un nouveau soupir silencieux et se sentit plus tranquille. Les agresseurs devaient toujours survoler la planète ! Les dangereux objets non identifiés venus de l’espace. Les hommes étaient toujours en guerre, incapables de revenir. Trente années s’étaient écoulées pour eux, et il perdait son équilibre, ici, après seulement une année de temps conscient !

À présent, il affrontait calmement les pires éventualités. Il se força même à admettre que les hommes avaient pu être si durement touchés par la guerre qu’ils ne reviendraient plus… ou pas avant un temps qu’il ne pouvait envisager. Smithers lui avait dit qu’ils abandonnaient l’espace à un moment où l’attaque n’avait pas encore commencé. Combien de temps leur faudrait-il pour se reprendre et reconquérir leur territoire perdu ?

Il retourna dans le dôme, mais la radio était toujours muette. En hésitant, il lança un appel à la station orbitale. Après une demi-heure, il abandonna. Les hommes, s’il y avait encore des hommes là-bas, devaient garder un silence total.

« Très bien, dit-il lentement dans le silence du dôme. Très bien, il faut m’y faire. Les hommes ne reviendront pas pour un robot. Jamais ! »

C’étaient là des paroles qui relevaient plus des fictions qu’il avait lues que d’un esprit rationnel. Mais, d’une certaine façon, le fait de dire les choses à voix haute les rendait plus faciles à admettre. Les hommes ne pourraient revenir. Pour eux, il n’en valait pas la peine.

Cela lui fit hocher la tête en se souvenant du temps où on l’avait ramené sur Terre après vingt années de crèche et de Lune. Les robots Mark I avaient tous été détruits dans des accidents pendant la construction de la base, à l’exception de Sam. Des robots Mark II, que l’on supposait meilleurs, furent envoyés pour les remplacer, mais ils furent handicapés par quelque défaut de circuit qui les rendait plus vulnérables aux accidents et moins utiles que les premiers modèles. En tout, plus d’une centaine furent envoyés et il n’en resta aucun. C’est alors que l’on avait rappelé Sam pour l’étudier.

 

Dans les ateliers souterrains et secrets, il avait été examiné de toutes les façons possibles. Cela devait aider les hommes à mettre au point les robots Mark III. Et le vieux Stephen DeMatre l’avait interrogé pendant trois jours. À la fin de cette période, l’homme avait posé la main sur son épaule de métal et lui avait dit en souriant :

« Vous êtes unique, Sam. Une combinaison heureuse de toutes les recherches que nous avons faites pour concevoir les Mark I, une réussite exceptionnelle de la première équipe. Nous n’irons pas jusqu’à vous reproduire, pourtant, mais un jour prochain l’ordinateur du circuit de contrôle aura besoin de votre schéma complet pour d’autres cerveaux. Prenez donc grand soin de vous-même. J’aimerais vous garder ici, mais… prenez soin de vous, Sam. Vous m’entendez ? »

Sam avait acquiescé. « Oui, monsieur. Voulez-vous dire qu’il vous est possible de faire d’autres cerveaux exactement semblables au mien ?

— Techniquement, l’ordinateur de contrôle peut reproduire votre schéma, avait répondu DeMatre. Ce ne sera pas exactement votre cerveau. Il existe trop de facteurs aléatoires dans toute mécanique mentale, mais les capacités de ces cerveaux seront similaires aux vôtres. Voilà pourquoi vous valez plus que tout ce projet. Vous valez bien plus que quelques millions de dollars et c’est à vous d’agir pour qu’une telle valeur ne soit pas détruite. D’accord, Sam ? »

Sam avait acquiescé et on l’avait renvoyé sur la Lune avec le premier robot Mark III. Ce voyage avait peut-être eu quelque utilité car les nouveaux modèles marchaient aussi bien que le permettaient leurs limitations. Ils étaient bien meilleurs que les précédents.

Peut-être les hommes n’avaient-ils plus aucun intérêt à revenir pour lui, maintenant. Mais, selon les propres paroles de DeMatre, il était un de leurs biens les plus précieux. S’il devait veiller lui-même à ne pas être détruit, il devait également veiller à ne pas être perdu pour les hommes.

S’ils ne pouvaient venir à lui, il lui fallait aller jusqu’à eux.

La question était : comment ? Il ne pouvait se projeter mentalement comme John Carter. Il lui fallait une fusée !

Tout en pensant cela, il se rua au-dehors et se dirigea vers les débris de l’ancien vaisseau accidenté. Tout était encore exactement comme après le choc. La moitié de la coque était brisée, ainsi que la plupart des moteurs.

Le vaisseau ne pourrait plus jamais voler. Pas plus que les capsules de ravitaillement.

Elles avaient épuisé leurs réservoirs en venant. Elles étaient exiguës et il n’y avait même pas assez de place pour lui à l’intérieur.

Sam en examina une, prit des mesures et se livra aux réflexions les plus intenses de son existence. Sans les manuels techniques de la bibliothèque du dôme, il n’aurait jamais trouvé de solution. Mais il finit par hocher la tête.

Un moteur du grand vaisseau pourrait être adapté à l’une des capsules. Cela serait juste assez puissant. Mais il devrait ôter le blindage afin d’alléger le petit vaisseau. Il n’avait besoin d’aucune protection contre l’espace. Et le système de guidage automatique pourrait être supprimé afin de lui ménager de la place. Il pourrait se diriger manuellement, puisque son temps de réaction et d’intégration était plus rapide que celui du système.

Le carburant restait un problème, bien qu’il y eût encore assez d’oxygène dans les réserves du dôme. Il lui faudrait utiliser l’hydrogène qu’il pourrait tirer de rochers en utilisant le générateur. Heureusement, il était plus facile d’échapper à la gravité lunaire qu’à celle de la Terre.

Il revint au dôme et prit du papier et un crayon. Il chantonnait doucement en commençant à développer son plan. Ce n’était pas si facile. Il pouvait ne pas être assez habile pour piloter son étrange vaisseau jusqu’à la station. Et cela lui prendrait beaucoup de temps. Mais il retrouverait les hommes qui ne voulaient pas revenir vers lui !

 

IV

 

Il lui fallut beaucoup de travail pour passer de la théorie à la pratique. Près de trois ans s’étaient écoulés depuis le réveil de Sam quand la station orbitale apparut lentement devant lui. Aucun humain n’aurait pu supporter le décollage et le vol. Il apercevait maintenant devant lui le grand gâteau de métal. Il détermina soigneusement son orbite. Il ne restait que quelques litres de carburant dans le réservoir derrière lui, et il devait atteindre le filet d’amarrage au premier essai.

Ses premiers calculs semblaient erronés. Il regarda le vaste globe de la Terre et plaça des filtres sur ses yeux. Quelque chose n’allait pas. L’extrémité de la station n’était pas dirigée exactement vers le centre de la Terre comme elle aurait dû l’être. Elle tournait très lentement et même sa rotation était anormale, comme si l’eau qui servait à l’équilibrer avait été mal distribuée. À côté, le petit ferry que l’on utilisait pour aller des vaisseaux à la station se balançait légèrement au bout de son filin de plastique-silicone.

Sam éprouva une sensation désagréable dans la poitrine. Là où se trouvaient la plupart de ses circuits psychiques. Mais il ne s’y arrêta pas et calcula la poussée du vaisseau en considération de tous les facteurs. Il avait suffisamment appris sur les particularités de sa capsule pendant le décollage et l’approche de la station. Ses doigts se déplaçaient avec agilité. Le carburant se déversa dans le petit moteur rétif.

Ce n’était pas parfait mais il réussit à atteindre le filet près de l’entrée du moyeu. Il sortit tandis que la capsule tanguait et commença à progresser vers le sas. Un instant plus tard, il prenait pied dans la section de réception en apesanteur. Le bruit de ses pas lui indiqua qu’il y avait encore de l’air.

Il se figea, immobile, en comprenant qu’il avait réussi. Puis il chercha des yeux les hommes qui avaient dû le voir approcher et allaient lui poser des questions.

Il n’y avait aucun bruit de pas, aucune autre activité en dehors de ses propres mouvements. Aucune lumière au-dessus de lui. Seul un épais hublot de quartz brillait dans le soleil.

Sam alluma la lampe qui se trouvait sur son torse et commença à examiner les différentes sections du moyeu. La poussière avait formé un tapis, ici également. Il soupira doucement. Puis il marcha vers les autres sections d’un pas décidé.

À mi-chemin du tube qui allait du moyeu à la coque externe, il s’arrêta et éteignit sa lampe. Il y avait un reflet devant lui ! Une lumière qui brillait encore !

 

Il poussa un cri pour appeler les hommes et commença à courir tout en s’adaptant à la pesanteur croissante. Il se retrouva devant la lampe.

Il la regarda. Une lampe solitaire, brillant parmi de nombreuses autres qui étaient obscures bien qu’elles fussent placées sur le même circuit. Combien fallait-il de temps à ces lampes pour s’user ? Certainement des années, peut-être des décennies. Pourtant, la plus grande partie de la station était plongée dans les ténèbres bien que le générateur atomique fournit encore de la puissance.

Il découvrit quelques autres lampes encore allumées dans la partie extérieure, mais elles n’étaient pas nombreuses. La grande salle de réception et de récréation était vide. Au-delà, les bureaux étaient presque tous ouverts, déserts. Dans certains, des paperasses et divers objets étaient éparpillés sur le sol, comme si quelqu’un était passé là sans prendre garde, sans se donner la peine de remettre les choses en place. La section d’habitation avec ses petites cellules cubiques était encore pire. Certaines chambres étaient simplement vides mais, dans les autres, il régnait un désordre total. Quatre d’entre elles avaient dû être habitées longtemps. Les hamacs étaient presque usés mais rien ne révélait depuis combien de temps ces chambres avaient été abandonnées.

Sam passa dans une autre section occupée par les machines et entra dans une grande pièce qui servait apparemment de hangar. Il avait vu un plan de la station dans un vieux bouquin du dôme. Il situa cette pièce. Elle était destinée, à l’origine, au stockage des bombes à hydrogène. Mais cela remontait aux jours précivilisés de l’humanité et les bombes avaient été détruites plus de soixante ans auparavant.

Ce fut dans la chambre hydroponique qu’il dut admettre la vérité. Les plantes avaient permis de renouveler l’oxygène nécessaire aux hommes. À présent, les réservoirs étaient secs et la végétation était morte depuis si longtemps qu’il ne restait que des tiges desséchées. Il ne pouvait plus y avoir aucun homme ici. Il n’avait plus besoin d’examiner la section alimentaire déserte pour le comprendre. Certains hommes étaient restés ici jusqu’à épuisement des provisions avant de laisser périr les plantes. Cela avait dû se passer des années auparavant.

Sam secoua la tête, furieux contre lui-même. Il aurait dû deviner cela en voyant qu’aucun vaisseau à aileron n’était rangé près de la station. Tant qu’il y avait eu des hommes ici, il leur avait fallu un moyen de regagner la Terre.

L’observatoire était obscur mais il y avait encore assez d’énergie pour le grand télescope électronique. L’écran s’illumina quand il appuya sur une touche, ne révélant que le vide de l’espace. Il dût attendre près de deux heures avant que la lente rotation de la station n’amène la Terre dans son angle de vision.

La plus grande partie était dans le jour et il n’y avait qu’une mince couche de nuages. Il y avait eu un temps où on avait pu voir d’ici un millier de villes. Quand la vision était bonne, on pouvait apercevoir les files de voitures en mouvement. Mais, maintenant, il n’y avait plus de ville et plus aucun signe de mouvement !

Sam émit un son rauque en observant le continent nord-américain. Il avait vu des photos de New-York, de Chicago et de plusieurs autres cités. Maintenant, il n’apercevait plus que de sombres ruines là où avaient été ces villes. Il éprouva un choc presque physique en comprenant que des milliers d’humains étaient morts dans ces catastrophes.

Il existait encore de petites villes où il put discerner des traces de maisons. Mais, même en ces endroits, il ne décela aucun mouvement.

Il coupa le télescope d’un geste rageur, essayant de ne plus penser à ce qu’il venait de voir. Un instant plus tard, il le remit en marche, suivant les routes et les fleuves, en quête d’un mouvement.

Mais il n’y avait aucun signe des hommes. Et toutes les ruines semblaient anciennes, comme s’il n’existait plus un homme valide depuis un très grand nombre d’années.

Il s’appuya au télescope, l’esprit encombré de visions qu’il ne pouvait contrôler. Des vaisseaux immenses fondant depuis l’espace, apportant des monstres sauvages qui dardaient des rayons destructeurs sur la Terre. Il n’y avait eu aucun miracle pour sauver la Terre. Le désastre s’était abattu sur les constructions humaines. Et les hommes avaient disparu avant même que Sam eût atteint le terme de sa première année d’attente.

 

Il repoussa les images de toute sa volonté. Il y avait eu des hommes dans la station. Ils avaient dû laisser quelque message.

Il s’éloigna rapidement de l’observatoire, à la recherche de la section de communication. Elle était plus ravagée que toutes celles qu’il avait déjà visitées. Il semblait que quelqu’un avait délibérément tenté de détruire les appareils. Un marteau reposait encore dans un amas de débris qui devait avoir été le grand récepteur. Il y avait quelque chose qui ressemblait à du sang séché sur le métal de la cabine, avec la trace d’un coup qui aurait pu être porté par le poing d’un homme.

Le sol était recouvert de bandes qui avaient dû contenir les enregistrements de tous les messages reçus et envoyés. Le capot de l’appareil était tordu et inutilisable. Sam prit un morceau de bande et le glissa dans la fente sur le devant de l’appareil. Les têtes lectrices se mirent en place et il commença à explorer le bout de bande. Elle était muette. Tout message avait probablement été effacé par le temps et le transformateur à nu qui bourdonnait toujours au-delà du panneau de contrôle.

La plus grande partie du placard aux enregistrements était vide et il n’y avait rien sur les quelques bandes qui s’y trouvaient. Sam ouvrit les tiroirs à la recherche de quelque indice. Il découvrit finalement un enregistrement dans un tiroir cabossé. La bobine se trouvait tout au fond, brisée, comme si elle avait été projetée violemment dans le tiroir. Le contenu de cette bande était en grande partie un bourdonnement d’électricité statique. Des rayonnements parasites l’avaient endommagé, même au travers de la paroi de métal du placard. Mais, vers la fin, Sam parvint à distinguer quelques bribes de phrases :

« …chambres d’essai loin de l’explosion… Pensais que nous y arriverions… affamé… deviens fou. Doit avoir été un aérosol, mais il n’a pas agi comme… Fou. Partout. L’hémisphère sud aussi. Ceux de vos hommes qui sont descendus n’ont pas une chance… j’ai pris un risque après votre message, mais j’ai eu de la peine à trouver un émet… Semaines. Maintenant je suis le dernier survivant. Je dois être. Pour l’amour de Dieu, restez là où vous êtes ! Ne… »

Le parasitage devenait plus fort à cet endroit, rendant le reste totalement inintelligible. Sam perçut des fragments qui n’avaient pour lui aucun sens. Puis soudain, une petite portion de bande fut presque claire, près du moyeu de la bobine.

La voix était haut perchée, maintenant, et surmodulée, comme si les mots avaient été prononcés trop fortement pour l’émetteur. Cette voix avait une tonalité étrange, désagréable, que Sam n’avait jamais perçue auparavant dans une voix humaine.

« …tout brillant et lumineux. Mais cela ne peut me tromper. Je sais que c’était l’un d’eux ! Ils m’attendent, ils me guettent dehors. Ils veulent dévorer mon âme. Ils sont rusés, à présent, et ils ne se feront pas voir. Mais, dès que je tournerai le dos. Je peux sentir… »

La bande était finie.

Sam ne put en tirer aucune signification, bien qu’il la remît sans cesse, dans l’espoir de trouver un indice. Il finit par abandonner et se pencha pour arrêter l’appareil. Il était étrange que les fusibles n’aient pas été arrachés dans cette section. Il trouva le contact et le poussa. Au même instant, ses yeux se posèrent sur quelque chose qui se trouvait sous le couvercle du transformateur. C’était un stylo noir et or.

Sam avait déjà vu un stylo semblable des éternités auparavant et il le tourna entre ses mains, pour découvrir les initiales familières gravées sur le capuchon : RPS. C’étaient les initiales du Dr Smithers, et le stylo n’avait pu être que le sien. Il était un de ceux qui étaient passés par la station, un de ceux qui avaient probablement reçu l’étrange message de la Terre. Les vaisseaux étaient bien arrivés de la Lune et Smithers était resté ici jusqu’à épuisement des réserves. Puis il avait dû regagner la Terre où, d’après le message, il restait encore au moins un survivant après l’attaque.

Le télescope ne lui avait révélé aucune trace des hommes. Mais s’il n’en restait qu’un sur l’immense surface de la planète, la chance d’en trouver la moindre trace était trop faible pour être prise en considération. Il devrait chercher au niveau du sol et non pas depuis cette station qui ne servait plus à rien.

 

En théorie, gagner la Terre depuis la station n’était pas difficile. Une simple rétro-poussée de fusée suffirait à diminuer sa vitesse et à modifier suffisamment son orbite pour lui permettre de franchir l’atmosphère. N’importe quel engin à aileron avec un angle de glissement assez grand pourrait être manœuvré lentement et échapper à l’incandescence due à la friction de l’air. Il y avait bien assez de plaques de métal dans le blindage de la station pour lui permettre de modifier le petit ferry, et il y avait des livres pour lui montrer tous les détails d’un appareil normal. Il existait aussi suffisamment de carburant. Les réservoirs de la station étaient à demi remplis du combustible nécessaire au petit moteur fusée du ferry.

Sam s’était donné un mois pour venir à bout de sa tâche. Mais, à la fin de ce temps, il se mit à jurer, se servant de mots corrects mais colorés qu’il avait puisés dans une série de romans historiques. Puis il se dit qu’il y avait un gouffre entre la théorie et la pratique. Il aurait de la chance s’il finissait le travail avant un an et, même alors, le résultat serait grossier et fragile.

Les plaques de métal étaient déjà façonnées et il ne disposait d’aucun four pour les refondre. Il n’existait aucune presse ni cisaille dans le minuscule magasin de la station. Les appareils de soudure eux-mêmes n’étaient prévus que pour de petites réparations.

Il n’avait aucune pile pour lui permettre de construire un appareil de soudure plus important et il fut obligé de rebobiner l’un des câbles électriques, espérant qu’il supporterait l’ampérage dont il avait besoin.

Il lui fallut deux semaines de travail acharné pour hâler le ferry, le fixer fermement au moyeu de la station et construire un grossier échafaudage autour. Il découvrit alors que le moyeu était trop souvent dans l’ombre, ce qui avait pour effet de refroidir le métal et de le rendre fragile. Il dut tout recommencer, amarrer le ferry au sommet de la station et reconstruire un échafaudage.

Pour la charpente des ailes, des commandes et de la proue, il dut souder ensemble tout un réseau de conduites. Cela s’avéra trop lourd et il fut forcé de construire une autre charpente au travers de la paroi du ferry et d’une grande partie du petit habitacle. Cela lui laissait juste assez de place pour lui. Puis il réalisa amèrement qu’il ne pourrait placer les plaques de métal sur la charpente sans faire de nombreuses soudures, ce qui aurait pour effet de provoquer une turbulence d’air rendant impossible toute manœuvre dans l’atmosphère.

Finalement, il dut façonner le plaquage des ailes à la main, sur un moule grossier installé sur le plus grand pont de la station. Il s’acharna à coups de marteau répétés jusqu’à ce que les feuilles de métal aient pris la forme souhaitée. Quand ce fut achevé, il s’aperçut qu’elles étaient trop grandes pour passer dans les couloirs et se trouva dans l’obligation de découper un passage vers l’extérieur. Il ne réussit que parce qu’il n’avait pas besoin d’air.

Le carburant lui-même devint un problème. Trente ans de séjour dans les réservoirs avaient amené la lente formation de petits filaments de dépôt. Lentement, litre par litre, il dut filtrer et refiltrer le carburant jusqu’à ce qu’il fût assez fluide pour passer dans les fines canalisations de l’injecteur. Il réalisa qu’il eût été plus simple d’utiliser la centrifugation. Mais le travail était enfin achevé.

 

V

 

À la surprise de Sam, le ferry modifié fonctionna bien mieux qu’il ne l’avait prévu. Il s’échauffa dangereusement au premier contact de l’atmosphère, mais la température se maintint dans les limites et l’appareil résista. Sam apprit lentement à contrôler la descente jusqu’à prendre une trajectoire qui n’était pas trop plane pour la stabilité ni trop accentuée pour réchauffement. Quand il se retrouva à soixante kilomètres au-dessus de la surface, il était presque satisfait de sa façon de piloter.

Il avait réglé sa trajectoire afin d’atteindre la crèche souterraine qui l’avait abrité à son éveil et pendant les trois premières années d’éducation, avant d’être envoyé sur la Lune. C’était le seul endroit qu’il connût sur Terre. Il comprenait maintenant qu’il ne réussirait pas à l’atteindre. Son angle de descente dans l’atmosphère avait été trop accentué pendant les quinze premières minutes et il ne réussirait jamais à pénétrer loin dans les terres. Il se pouvait même qu’il ait du mal à gagner le rivage, se dit-il. Quand les nuages s’écartèrent, il ne vit rien d’autre que l’océan en dessous.

Il ouvrit doucement le moteur fusée qui se trouvait à l’arrière, afin d’accentuer la vitesse jusqu’au maximum que le petit appareil pouvait supporter à cette altitude. Mais il restait trop peu de carburant. Cela lui donnait peut-être quarante kilomètres de trajectoire supplémentaire, mais pas plus.

Sam envisagea un atterrissage dans l’eau avec une sombre appréhension. Il pouvait y survivre pendant un moment, même aux grandes profondeurs. S’il se posait à proximité du rivage, il réussirait à progresser. Mais, après un certain temps, l’eau pénétrerait dans son corps jusqu’à quelque circuit vital. Il cesserait alors de vivre.

Il descendit sous les nuages, luttant pour chaque centimètre d’altitude. Et alors, loin devant, il aperçut la côte. Il n’y avait aucune île dans les parages. Ce devait donc être le continent. Une fois qu’il l’aurait atteint, il pourrait gagner la crèche en une seule journée.

Il franchit la côte à 150 mètres d’altitude. Il y eut une courte bande de sable, des bois, puis une vaste étendue de verdure qui devait être de l’herbe. Il poussa les commandes en avant, puis en arrière.

Le petit vaisseau glissa vers le sol à quatre cents kilomètres à l’heure. Ses patins touchèrent la surface et il rebondit. Sam lutta pour éviter de percuter le sol. Le vaisseau rebondit à nouveau en vibrant. Cette fois, il parut sur le point de se poser correctement. Un renflement du sol accrocha l’un des patins. L’appareil glissa sur le côté et bascula.

Sam s’agrippa tandis que le vaisseau commençait à s’éparpiller autour de lui.

 

Il sortit et examina les débris. Il était dommage que le vaisseau fût détruit, se dit-il. Mais il n’avait pu le faire en même temps solide et maniable.

Il se retourna pour observer le monde. L’herbe lui arrivait aux genoux, doucement agitée par le vent. Plus loin, il y avait des bois. Sam n’avait jamais vu de tels arbres qu’en photo. Il s’en approcha, notant l’épaisseur des broussailles qui les entouraient. Sous les arbres, il faisait sombre et humide. Il leva une pince jusqu’à son visage et avança ses percepteurs olfactifs hors de sa fente buccale. L’odeur était riche, plus riche que celle des bacs hydroponiques. Il leva la tête, cherchant des oiseaux, mais n’en vit aucun. Il n’y avait que des insectes qui bourdonnaient et crissaient.

Il remarqua que le soleil était déjà couché. Pourtant, il ne faisait pas encore sombre. Il y avait une lueur diffuse dans le ciel. Il hocha la tête. Au-dessus de lui, des points minuscules commencèrent d’apparaître. Il avait lu que les étoiles scintillaient mais avait cru alors que ce n’était qu’une fiction. Jamais il ne s’était trouvé sur Terre à ciel ouvert.

C’est alors qu’il entendit un doux murmure. Il se mit en marche pour s’en rapprocher. Lentement, il réalisait que ce bruit était pareil à celui que l’on entend à proximité de la mer. Pourtant, il n’avait jamais vu d’océan. Il y en avait un, maintenant, à moins de deux kilomètres de là.

Dans l’obscurité croissante, Sam trébuchait dans les bois. Pour quelque raison inconnue, il ne voulait pas allumer sa lampe. Il parvint finalement à se frayer un chemin dans les broussailles entre les arbres. Le son se fit plus fort comme il avançait.

Il faisait nuit quand il atteignit le rivage mais, à l’est, il y avait un pâle reflet de lumière. Il grandit comme il l’observait. Un arc lumineux apparut sur l’horizon et devint un grand disque. La Lune, se dit-il enfin.

Les vagues s’élevaient et retombaient avec fracas. Loin sur la mer, la Lune semblait naviguer sur les flots, laissant une route argentée en surface.

Sam connaissait un nom. Maintenant, pour la première fois, il lui découvrait une signification. C’était la Beauté.

Il soupira en cheminant sur le sable et suivit la plage, en quête d’une route qui le mènerait vers l’ouest. Il ne s’étonnait plus de ce que les hommes fussent revenus défendre un monde où l’on pouvait voir semblable spectacle.

La Lune s’éleva tandis qu’il s’avançait. Sa clarté était maintenant assez vive pour lui permettre de voir clair. Il rencontra une petite éminence du sol et aperçut au-delà ce qui semblait être une route. Non loin de la route, il y avait une maison. Elle était obscure et silencieuse mais il se dirigea vers elle au milieu des taillis, espérant trouver quelque trace de vie humaine.

En s’approchant, il vit que la plupart des fenêtres étaient brisées. L’herbe avait poussé tout autour. Il y avait un bâtiment séparé à proximité. Par l’unique fenêtre poussiéreuse, il aperçut une petite voiture à l’intérieur. Il ne s’y arrêta pas et marcha jusqu’à la porte de la maison. Elle s’ouvrit devant lui et les gonds rouillés grincèrent.

À l’intérieur, le clair de lune entrait par les fenêtres et se posait sur un amoncellement de meubles retournés et éparpillés en désordre. Et il y avait autre chose. Des choses blanches allongées sur le plancher.

 

Il les reconnut d’après ce qu’il avait vu dans les livres : des squelettes d’êtres humains. Deux petits squelettes étaient accroupis dans un coin, la tête inclinée. Il y avait près d’eux un squelette mâle. Un couteau rouillé était planté au milieu d’un lambeau d’étoffe, entre deux côtes. Il y avait un revolver près d’une main. De l’autre côté de la pièce, un squelette femelle n’était plus qu’un amas d’os. Un petit trou dans le crâne pouvait avoir été fait par une balle.

Sam quitta la pièce. Il connaissait maintenant le sens d’un autre mot : il venait de contempler la Folie.

Les hommes avaient appris à construire des machines efficaces. Le moteur de la voiture tourna péniblement lorsque Sam eut identifié les commandes mais la voiture démarra avec seulement quelques ratés. Les pneus étaient un peu usés mais ils amortissaient les cahots de la petite route. Plus tard, Sam trouva une route meilleure et ils résistèrent à l’épreuve de la vitesse. La route était en grande partie déserte. Il y avait quelques véhicules sur le bas-côté, et la plupart semblaient avoir roulé sur eux-mêmes avant de capoter.

Le soleil se levait au moment où Sam reconnut l’usine et l’entrepôt qui avaient servi de camouflage au centre souterrain des robots. Le feu et l’eau n’avaient laissé que des ruines disloquées et des objets rouillés qui avaient été autrefois des machines. Mais la partie qui avait abrité la crèche se trouvait à l’écart, presque intacte.

Sam y pénétra et s’arrêta devant la porte de métal que rien ne distinguait d’autres portes semblables. Il aurait pu ignorer la combinaison, mais les hommes avaient souvent été négligents avec les robots. Il avait eu assez de curiosité pour noter les détails et il n’oubliait jamais rien. Il se pencha vers ce qui ressemblait à une grille d’ornement et prononça une série de chiffres.

La porte parut résister un peu mais elle glissa finalement. De l’autre côté, il y avait un ascenseur qui se mit immédiatement en marche quand Sam eut appuyé sur le bouton. Il restait encore de l’énergie, au moins. Aucune lumière, mais les ampoules s’éclairèrent quand il trouva le commutateur.

Il cria une fois, mais il n’espérait plus trouver aussi facilement les hommes. L’endroit avait un aspect d’abandon. Et bien qu’il eût été construit pour protéger ses locataires de tout, il y avait eu juste assez de nourriture et d’eau pour deux semaines. Quelques indices révélaient que les lieux avaient servi d’abri, mais presque tout était encore en ordre.

Il dépassa les bureaux et les laboratoires en se dirigeant vers le fond. La véritable crèche, avec ses salles de jeux et ses appareils éducateurs, était vide. Aucun robot n’était plus là pour recevoir l’instruction qui suivait le réveil. Sam n’en fut pas surpris. La plus grande partie des recherches, ici, avait porté sur les possibilités des robots. La construction n’était qu’un à-côté nécessaire. Les complexes psychiques avaient été conçus et contrôlés sans les corps et détruits avant le véritable réveil.

Poussé par ses souvenirs, il se dirigea vers l’ordinateur d’éducation. Mais ce n’était qu’une machine qui avait programmé ses connaissances à l’aide de rubans sélectionnés et de circuits mémoriels. Elle ne pouvait plus lui être d’aucun secours.

Le cœur du bâtiment se trouvait au-delà de la crèche. Là, les complexes cervicaux étaient assemblés à partir de divers composants et selon des calculs ésotériques. Ce travail requérait un ordinateur qui avait lui-même sa propre intelligence. Il devait comprendre ce que désiraient les hommes et former les cheminements psychiques durant la construction et pendant la période initiale qui précédait le réveil. Tout ce que Sam avait appris avant de s’éveiller était venu de lui. Tout devait encore y être enregistré, avec ce que l’ordinateur avait appris depuis son passage, cinq ans avant l’abandon de la Lune.

 

Sam se dirigea vers la machine, découvrant avec surprise tout le matériel qui l’entourait. Des corps de robots étaient entassés dans tous les endroits possibles. Ils n’auraient jamais pu être assemblés ici pendant la période dont il se souvenait. Derrière, les rayons étaient couverts de pièces appartenant aux complexes psychiques. Avec un tel matériel, il y avait assez de robots pour s’occuper de la Base Lunaire pendant des générations.

L’ordinateur lui-même était en grande partie dissimulé, mais le panneau s’éclaira sur un geste de Sam. La machine attendait.

« Ici le Robot 93, Mark I, dit Sam. Vous avez autorisation d’enregistrer. »

L’autorisation du Dr. DeMatre avait dû être annulée. Mais la machine ne déclencha pas ses circuits d’alarme. Un câble fin sortit et se glissa dans la fente buccale de Sam. Il se retira et le cerveau parla : « Autorisation. Que désirez-vous ?

— Quelle est la date exacte ? » demanda Sam.

Il émit un grognement en entendant la réponse donnée par la pendule à isotope de la machine.

Il s’était écoulé plus de trente-sept ans depuis que les hommes avaient abandonné la Lune. Il secoua la tête et reporta son attention sur les corps des robots.

« Pourquoi a-t-on construit tant de robots ?

— Des ordres ont été donnés pour la construction de mille robots capables de piloter des missiles. Ces ordres furent suspendus par le Directeur DeMatre. Aucun ordre n’a été reçu au sujet des pièces.

— Savez-vous ce qui est arrivé aux hommes ? » Sam n’espérait presque plus obtenir une réponse précise, mais il devait poser cette question.

La machine parut hésiter. « Renseignements insuffisants. Des ordres ont été donnés par le Directeur DeMatre pour contrôler les émissions. Les émissions ont été contrôlées. Analyse incomplète. Renseignements d’une cohérence douteuse. Une demande pour de nouveaux renseignements a été émise sur toutes les fréquences pendant six heures. Aucune réponse satisfaisante n’a été reçue. Nous demandons plus amples informations si possible.

— Aucune importance, dit Sam. Pouvez-vous m’apprendre à piloter un avion ?

— Le robot 93, Mark I, a été programmé avec la capacité de contrôler tous véhicules. Nouvelles instructions inutiles. »

Sam eut un grognement de surprise. Il avait été surpris par la façon dont il avait manœuvré la fusée à l’atterrissage et conduit la voiture. Mais il ne lui était pas venu à l’idée que de telles connaissances avaient pu être greffées en lui.

« Très bien, dit-il. Recommencez à émettre sur toutes les fréquences que vous pouvez contrôler. Si vous recevez une réponse, localisez le correspondant et enregistrez le message. Si l’on vous demande qui appelle, dites que vous appelez pour moi et prenez tous les messages. Dites que je serai de retour dans un mois. » Il commença à s’éloigner, puis se souvint d’un détail. « Terminé », dit-il.

La machine redevint obscure. Sam repartit en quête d’un aéroport où il pourrait trouver un avion en bon état. Mais il commençait déjà à se douter de ce qu’il allait découvrir.

 

VI

 

L’herbe poussait et les fleurs s’épanouissaient. Les fourmis érigeaient des nids et les criquets crissaient dans la douce nuit d’été. Les mers étaient grouillantes de vie. Et les reptiles se chauffaient sur les rochers ou se retiraient dans leurs trous lorsque le soleil devenait trop chaud.

Mais, sur toute la Terre, il était impossible de trouver un seul animal à sang chaud.

La Terre des hommes était vide et informe. Les villes étaient des champs de scories où régnait encore la radioactivité. Le feu ne flambait plus dans les cheminées des maisons isolées. De nombreux villages étaient calcinés. Parfois il semblait que ce fût à la suite d’un accident, mais il apparaissait souvent qu’ils avaient été délibérément incendiés par leurs habitants.

La Lune était une splendeur au-dessus du lac Michigan. C’était la seule splendeur sur 1 000 kilomètres. Quatre fusées gisaient sur un terrain de Floride, mais il n’y avait plus trace des hommes qui les avaient pilotées depuis la Station. Un autre vaisseau était abandonné à proximité de Denver et il y avait dans le sas une inscription au crayon qui était la pire des obscénités.

Il existait une librairie intacte à Phœnix et le dernier journal portait la date du jour où Sam avait aperçu les lumières au-dessus des villes de la Terre. La plus grande partie de la première page était occupée par un article qui avertissait les lecteurs que le gouvernement avait réquisitionné toutes les voies de communications radio pendant la crise et diffuserait un bulletin d’information en temps utile. Le journal coopérait avec le gouvernement en déclarant que les nouvelles ne seraient transmises que par radio. Le même article figurait dans les neuf éditions précédentes. Auparavant, les nouvelles importantes semblaient concerner une campagne politique en Union Sud-Africaine.

Les petites bibliothèques recelaient des journaux qui n’étaient guère différents. Pourtant, ce fut dans l’une d’elles que Sam trouva son seul indice. C’était un morceau de papier qui se trouvait dans la main d’un squelette effondré sur une collection de revues techniques. Le papier était couvert de taches et de traces de sang. Mais les mots étaient lisibles :

« Leçon du jour. Pour tous les étudiants. POLITIQUE : Les hommes ne peuvent gagner une telle guerre et cela est évident. CHIMIE : Leur gaz neuronique était similaire à celui que nous avons essayé en petites doses. Il paraît efficace. Pourtant quand ils l’ont lâché dans les deux hémisphères, il ne semble pas avoir opéré aussi bien que le nôtre. CONCLUSION : Ces aérosols doivent être essayés en quantités massives. MÉDECINE : Bonny a été pendant trois semaines avec moi, à l’intérieur de l’abri, pourtant il restait encore assez de gaz dans l’air pour quelle meure en état extatique. GÉOGRAPHIE : La carte des vents est connue depuis des années. En trois semaines, toute la Terre a été touchée. PSYCHOLOGIE : Je suis fou. Mais ma folie est telle que je suis devenu d’une logique froide et sans âme. Je dois donc me tuer. RELIGION : Rien d’important. Je suis fou. Dieu est… »

C’était tout.

 

La crèche restait la même, bien sûr. Sam était assis devant l’entrée, trois nuits après son retour à l’unique foyer qu’il avait connu sur Terre, et il regardait la Lune qui s’élevait sur l’horizon. C’était à nouveau la pleine Lune et, même ici, elle était belle. Mais il n’y prêtait que peu d’attention. Dans le sous-sol, le grand ordinateur était à présent au repos. Il avait absorbé tous les détails infimes que Sam avait rassemblés et les avait intégrés aux faits déjà connus. Un tel travail avait demandé du temps, mais quelques heures après le retour de Sam, l’ordinateur l’avait appelé par radio pour lui présenter son rapport :

« Tous les renseignements ont été comparés. Ils ne correspondent pas complètement aux précédents. Degré de probabilité Zéro. Information insuffisante pour une conclusion. »

Il était ensuite revenu en disponibilité pendant que Sam se mettait en quête de plantes et d’insectes vivants au-dehors.

L’ordinateur lui avait bien peu appris. Il savait bien qu’il existait trop peu d’éléments pour élaborer une conclusion.

Mais il avait pris sa décision, maintenant. Assis sous la clarté de la Lune, les yeux fixés sur le ciel d’où était venu l’ennemi, il sentait dans son cerveau un froid plus profond que l’espace.

Les hommes étaient partis. Il avait assimilé cette idée dès les premiers jours de sa quête et il apprenait maintenant à vivre avec elle. Ses créateurs n’étaient plus là. Il allait se mettre à leur recherche, bien sûr, avec le faible espoir qu’un petit groupe ait survécu quelque part. Mais il savait que ses recherches seraient vaines.

Les agresseurs étaient venus d’ailleurs, songea-t-il amèrement. Et la Terre n’avait été avertie de leur approche qu’une semaine auparavant. Ils avaient frappé la planète avec des bombes et des radiations qui avaient dévasté les villes. Et ceux des hommes qui avaient survécu à l’avalanche destructrice avaient succombé à un ignoble gaz de folie que les vents portaient sur toute la planète.

« Ils l’ont lâché sur nous, » avait dit la note. Et la race magnifique que Sam avait connue était morte dans la démence.

Les assaillants n’avaient même eu aucun but. Ils ne désiraient pas la Terre. Ils étaient simplement venus et avaient frappé pour repartir ensuite.

Sam frappa du poing contre sa jambe jusqu’à ce que le métal résonne dans la nuit. Puis il brandit son autre poing vers les étoiles.

Il n’était pas juste que les envahisseurs échappent au châtiment.

Ils étaient venus avec le feu et le poison. Il faudrait les retrouver et les vaincre. Sam avait cru que l’on ne trouvait le Mal que dans la fiction. Mais, maintenant, le Mal dominait l’univers. Il devrait l’affronter, comme dans la fiction. Le mal devrait être éliminé avec une souffrance aussi grande que celle qu’il avait provoquée. Mais une telle justice était apparemment le seul grand mensonge de la fiction.

Sam frappa des poings contre ses jambes, encore et encore, hurlant à la Lune. Mais rien ne pouvait éteindre ce qui brûlait au fond de lui.

Ses oreilles perçurent un son nouveau et il cessa tout mouvement pour écouter. Le son se répéta très faible, très lointain :

« Au secours ! »

 

VII

 

Il cria tout en répondant par radio, se redressa et courut. Ses pieds écrasaient les broussailles et il bondissait dans les décombres sans prendre la peine de se frayer un passage facile. Il s’arrêta pour écouter et entendit à nouveau l’appel, droit devant lui, mais plus faiblement. Une minute plus tard, il faillit trébucher sur celui qui appelait.

C’était un robot. Il avait dû être autrefois mince et lisse, recouvert de vernis noir. Il était maintenant tordu et le métal était à nu. Mais cela restait encore un Mark III. Il était étendu, immobile, ne faisant plus entendre qu’un murmure.

Sam perçut la déception qui s’infiltrait dans son complexe psychique, mais il se pencha sur la silhouette et l’examina rapidement. Immédiatement, il vit qu’il s’agissait d’une panne d’énergie. Il prit une batterie dans le sac qu’il portait avec lui et la mit rapidement à la place de la batterie corrodée du robot.

Le petit robot s’assit et commença à se redresser. Sam tendit une main pour l’aider, examinant les jambes tordues et endommagées qui ne semblaient pas devoir fonctionner.

« Vous avez besoin d’aide, dit-il. Il vous faut un corps neuf. Il y en a un millier dans la crèche, prêts à être utilisés. Quel est votre numéro ? »

Ce devait être un des robots de la Lune. Les hommes n’avaient jamais permis à aucun robot de rester sur Terre.

Le robot tituba pendant un moment, puis parut se raffermir quelque peu sur ses jambes. « Joe. Ils m’appelaient Joe. J’ai été heureux d’entendre votre appel radio il y a des semaines, mais le chemin a été long. Mon émetteur est brisé. Je ne pouvais vous répondre. Un long chemin, et j’avais peur de ne pas réussir à vous atteindre. Mais, à présent, hâtons-nous. Nous ne pouvons perdre de temps.

— Nous allons nous hâter. Mais par-là », dit Sam en montrant la crèche.

Joe secoua la tête en produisant un horrible son grinçant.

« Non, Sam. Il ne peut attendre. Je crois qu’il est en train de mourir ! Il était malade lorsque j’ai reçu votre appel, mais il a insisté pour que je l’amène avec moi. Il…

— Malade ? Mourir ? Il y a un homme avec vous ? »

Joe hocha la tête et tendit le doigt.

 

Sam souleva la mince silhouette entre ses bras. Même avec la pesanteur terrestre, ce n’était pas un bien grand fardeau pour son corps plus puissant et ils gagnaient ainsi du temps. Hal, pensa Sam. C’était probablement Hal. Ç’avait été lui le plus jeune. Hal ne devait avoir encore que cinquante-neuf ans, ou à peu près. Ce n’était pas trop pour un homme, d’après ce qu’il savait.

Il alluma sa lampe car le clair de lune ne lui permettait pas de courir à pleine vitesse. Le doigt tendu du robot le guidait au long de la pente vers un chemin défoncé, couvert d’herbe. Il était déjà à plus de dix kilomètres de l’entrée de la crèche.

« Il était désespéré à l’idée que vous pouviez repartir avant que nous puissions vous joindre, » dit Joe. « Il savait qu’il s’était passé près d’un mois et qu’il me faudrait sans doute trop longtemps pour l’amener jusqu’ici. Il m’a ordonné de l’abandonner et de continuer seul. Il est souvent difficile à présent de comprendre ce qu’il dit, mais son ordre était clair.

— Il eût été plus sage de rester dans la voiture et de conduire jusqu’ici », suggéra Sam. Il se frayait un passage dans un amas de broussailles en se demandant jusqu’où ils devraient aller.

« Il n’y avait pas de voiture, dit Joe. Je ne peux plus en conduire une, à présent. Mes bras, parfois, ne m’obéissent plus et il serait dangereux de m’en servir pour conduire. J’ai découvert un petit chariot et je l’ai remorqué derrière moi jusqu’à ce que nous arrivions. »

Sam quitta la piste des yeux et regarda les jambes tordues de Joe. Le corps du petit robot était presque hors d’usage. Mais il s’était développé de bien d’autres façons depuis la Lune. Le temps, l’expérience et la compagnie des hommes l’avaient transformé jusqu’à le rendre méconnaissable pour Sam.

Ils arrivèrent alors dans une dépression de terrain, proche d’un étang. Il y avait là une petite tente dressée à côté d’une remorque. Sam abandonna Joe et se dirigea vers elle. Le clair de lune filtrait au travers des arbres et se posait sur un visage humain marqué par la souffrance.

Il lui fallut un examen prolongé pour identifier les traits familiers. Tout d’abord, il ne reconnut pas l’homme. Puis il suivit la ligne des mâchoires sous la longue barbe et étouffa un cri :

« Dr. Smithers !

— Hello, Sam. » Les yeux s’ouvrirent lentement et un sourire douloureux se dessina brièvement sur les lèvres de l’homme. « Je rêvais justement de vous. Je m’imaginais que Hal et vous étiez perdus dans un cratère. Il vaut mieux se secouer, à présent. Nous voulons que vous chantiez avec nous, ce soir. Vous êtes un brave type, Sam, même si vous êtes un robot. Mais vous avez passé trop de temps à ces patrouilles de surface. »

Sam eut un soupir. C’était là une autre réalité qu’il ne reconnaissait qu’à partir de la fiction. Mais il acquiesça.

« Oui, chef. Tout va bien, maintenant. »

Un sourire se dessina de nouveau sur les lèvres de Smithers et il ferma les yeux.

Puis il les rouvrit brusquement et tenta de s’asseoir.

« Sam ! Vous êtes vraiment Sam ! Comment êtes-vous arrivé ici ? »

 

Joe s’activait autour d’un petit feu et déchargeait des objets du chariot. Puis il s’approcha en clopinant, apportant un bouillon qu’il essaya de faire absorber à l’homme. Smithers avala péniblement quelques gorgées mais ses yeux demeuraient fixés sur Sam. Il hocha la tête en écoutant le résumé de son long voyage vers la Terre. Mais quand Sam lui parla de l’atterrissage, il se laissa aller en arrière.

« Je suis heureux que vous ayez réussi. Heureux d’avoir eu la chance de vous revoir avant de devenir le dernier fantôme de la Terre. Je n’arrivais pas à comprendre le message radio que Joe avait reçu. Je pensais qu’il était d’origine humaine. Je n’aurais jamais imaginé que vous reviendriez sur Terre. Il aurait fallu un orphéon pour vous accueillir. »

Il ferma les yeux mais il continua de parler d’une voix faible : « Hal et Randy sont morts. Pete s’est suicidé. Je reste le dernier, Sam. Nous avons attendu pendant trois ans à la Station, nous demandant ce qui s’était passé ici. Puis nous sommes descendus pour essayer de retrouver quelqu’un, n’importe qui, afin de faire quelque chose. Mais il ne restait plus personne. Nous avons parcouru chaque continent pendant trente ans. Les robots sont tous tombés en panne à l’exception de Joe. Et nous sommes revenus ici. Je suis maintenant le dernier homme. Le dernier homme sur Terre entendit frapper à la porte, et c’était Sam. L’histoire finit mieux que je ne l’avais craint. »

Il tomba ensuite dans un profond sommeil, mais Sam l’entendit parfois murmurer. C’était le cancer, selon Joe, et il ne restait aucun espoir.

Joe avait réussi à découvrir un hôpital à l’équipement intact, où se trouvaient des livres qu’il avait étudiés. Il y avait amené Smithers et tenté de le soigner avec le matériel, mais ç’avait été une lutte vaine. Lorsque le message lui était parvenu, Smithers avait insisté pour qu’ils partent. Ils ne disposaient d’aucune radio pour répondre et ils n’avaient que peu d’espoir d’en trouver une à temps. Smithers avait insisté pour qu’ils se rendent eux-mêmes sur les lieux. Le traitement, à l’hôpital, lui avait sans doute fait gagner une année de vie. Et, à présent, il ne survivait que par sa seule volonté. Joe avait quelques drogues pour calmer la souffrance mais c’était là tout ce qu’il pouvait faire pour l’homme.

Pendant la longue nuit, Joe raconta plus en détail leur longue quête des survivants. Ils avaient tout exploré consciencieusement. Mais ils n’avaient pas trouvé trace d’un seul être humain. Le gaz neuronique avait provoqué la mort en agissant sur le système nerveux, après la folie initiale qui avait tué la plupart des humains.

« Qui ? demanda Sam. Quelle race a fait cela ? »

 

Joe eut un geste d’incertitude. « Ils en parlaient. Mr. Norman m’a dit quelque chose à ce sujet. Il m’a expliqué que les hommes s’étaient détruits eux-mêmes. Un camp a attaqué l’autre et celui-ci a riposté jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne. Mais je n’ai pas compris.

— Croyez-vous cela ?

— Non, répondit Joe. Mr. Norman disait toujours des choses qu’il ne pensait pas vraiment. Aucun homme n’aurait pu faire cela. »

Sam acquiesça et commença d’exposer ses théories. Tout d’abord, Joe fut incrédule. Puis le petit robot se laissa convaincre. Il ajouta des bribes d’informations récoltées durant les longues années de quête. Chacune d’elles était importante, mais il y en avait peu qui ajoutaient au tableau d’ensemble. Une inscription sur les Diables du Ciel, à Bornéo. D’étranges fragments de sermon imprimés en Louisiane. Et quelques allusions au Jugement venu des Cieux.

Par deux fois, durant cette longue nuit, Smithers s’éveilla, mais il n’avait pas toute sa raison. Sam le calma et chanta pour lui pendant que Joe essayait de lui faire absorber une nourriture additionnée de morphine. Même Sam pouvait voir maintenant que l’homme approchait de la mort. Le pouls était ténu et la respiration semblait trop pénible pour son corps usé.

Au matin, pourtant, Smithers avait retrouvé ses esprits. Il parvint à sourire. « L’homme retourne à son berceau et, cette fois, nul ne le pleurera. Il n’y aura personne pour prendre le deuil.

— Nous serons deux, dit Sam.

— Oui. » Smithers réfléchit. « En un sens, c’est une bonne chose. L’homme aime qu’on le regrette. Je crois que vous allez devoir vous charger maintenant de toutes les dettes de l’humanité. »

Son souffle était haletant et il se dressa faiblement pour vomir. Puis il se mit sur les coudes et regarda par l’entrée de la tente les collines qui apparaissaient au-delà des broussailles sur le bleu du ciel.

« Il y a de nombreuses dettes et des promesses brisées, Sam, Joe, dit-il. L’homme avait promis d’écrire de grandes choses dans le futur de cet univers. Il allait conquérir les étoiles et changer les choses pour les rendre meilleures. Et puis il a disparu. Il est mort et l’univers ne le saura même pas.

— Nous le saurons », dit doucement Joe.

Smithers se laissa aller sur sa couche. « Ouais. Cela soutient peut-être. Nous avons nos torts mais je pense qu’il y avait aussi du bon en nous… Il devait y en avoir puisque nous avons créé deux êtres comme vous. Dieu, que je suis fatigué ! »

Il ferma les yeux. Quelques minutes plus tard, Sam comprit qu’il était mort.

 

Les deux robots attendirent encore pour être certains, puis ils enveloppèrent le corps dans la toile de la tente et l’enterrèrent. Sam récita les passages de l’office des morts dont il se souvenait.

Il s’assit à l’endroit où Smithers était mort, contemplant le monde où nul homme ne vivrait plus jamais. Et ce qui était comme tordu dans son complexe devenait plus dur et plus froid. Il ne pouvait apercevoir les étoiles dans la clarté du jour. Mais il savait qu’elles étaient là. Et quelque part au-delà des étoiles, il y avait la dette que Smithers leur avait laissée, une dette de justice qui devait être réglée.

Quels qu’ils fussent, les monstrueux étrangers devraient payer jusqu’au dernier le délit que l’homme ne pouvait plus punir lui-même.

La colère et la haine se levaient lentement en Sam contre l’ennemi des étoiles, jusqu’à ce qu’il ne pût contenir ses émotions plus longtemps. Son message radio fut comme un cri vers l’ordinateur :

« Vous avez mille robots qui attendent. Pouvez-vous leur construire des cerveaux, les modeler d’après le mien ? Pouvez-vous les monter sans les limitations imposées aux derniers modèles ? Avez-vous assez de matériel pour cela ?

— Un tel programme est réalisable, répondit la machine.

— Alors commencez… » dit Sam. Puis ses yeux tombèrent sur le corps abîmé de Joe et il modifia ses ordres. « Non, gardez un corps pour remplacer un robot que je vous envoie. Commencez à travailler sur les autres.

— Le programme est en train », dit la machine. Neuf cent quatre-vingt-dix-neuf suffiraient. Ils ne lui ressembleraient pas exactement, songea Sam. DeMatre avait dit qu’il existait un facteur aléatoire. Mais ils seraient utiles. Le premier groupe pourrait rassembler assez de matière brute pour mille autres et ceux-là pour plus encore. Il y aurait assez de robots pour étudier tous les livres que les hommes avaient laissés et pour entamer le long voyage dans l’espace.

Cette fois, il y aurait autre chose qu’un ordinateur pour les éduquer. Sam serait là pour leur raconter l’histoire de l’Homme, la gloire de cette race et la sauvage traîtrise qui l’avait enlevée à l’univers. Ils apprendraient que cet univers recelait un ennemi, une race de monstres technologiques qui devaient être chassés des étoiles et exterminés jusqu’au dernier.

Ils exploreraient toute la galaxie s’il le fallait. Et, un jour, la dette de justice de l’humanité serait payée. L’homme serait vengé.

Sam regarda le ciel et prêta serment de régler cette dette de vengeance au nom des robots de tous les temps.

 

VIII

 

La haine dévastait la Galaxie en une immense croisade. Les vaisseaux de métal bondissaient d’une étoile à l’autre et franchissaient les immensités qui séparent les galaxies. Les vaisseaux affluaient sans cesse et, avec eux, l’image de leur foi et de l’appétit insatiable de la colère et de la haine.

Un millier d’étoiles avaient vu la mort et la fin ancienne de races qui avaient forgé autrefois une technologie. Cinq cents soleils éclairaient des races intelligentes. Races tranquilles, pacifiques, aux cultures régressives. Les grands vaisseaux se posèrent sur ces mondes et repartirent, laissant dans toutes les galaxies des êtres pleins de gratitude qui rendaient hommage à l’incroyable beauté de cet être surnaturel appelé l’Homme. Mais la quête se poursuivait.

 

Dans un temple immense, sur le monde principal de la galaxie d’Andromède, Sam regardait quelques débris éparpillés sur une grande table. D’un doigt gracieux qui appartenait à son dix-septième corps, il toucha quelques-uns de ces fragments et se pencha plus près pour lire les traces d’écriture ancienne. Puis il leva les yeux sur le grand savant qui venait juste de revenir de l’ancien monde natal, la Terre, à d’innombrables années-lumière.

« C’est ainsi que la race humaine est morte ? demanda-t-il tranquillement. Vous en êtes vraiment certain ? »

Le savant acquiesça : « Absolument certain. Avec cent millions d’ouvriers, il nous a quand même fallu cinquante années pour rassembler tout cela. Tout a été tellement abîmé, presque anéanti. Mais aucune vérité du passé ne peut vraiment échapper à nos méthodes actuelles de recherche. L’homme est mort ainsi que je vous l’ai dit. »

Sam eut un léger soupir et alla jusqu’à la fenêtre. C’était l’été au-dehors et les arbres s’étaient épanouis. Les fleurs se mêlaient aux brillants plumages des oiseaux ramenés de la lointaine Deneb. Les jardins étaient un poème de couleurs. Il se pencha, aspirant les parfums mêlés. Des échos de musique lui parvenaient depuis le Grand Hall des Arts dont l’architecture magnifique se dressait au-dessus du parc. C’était l’Opus Huit du plus grand compositeur contemporain. Une œuvre de jeunesse mais sublime par sa forme et son ambition.

Les épaules de Sam s’affaissèrent légèrement. Ses émotions se teintaient des souvenirs presque amers d’autres découvertes. Cela avait commencé par la première visite à la planète Mars, une planète Mars où nul John Carter n’avait jamais lutté contre les hommes verts pour conquérir la main de l’incroyable Dejah Thoris. Pendant mille ans, la fiction avait pâli devant la réalité, le doute avait grandi en son esprit. À présent, le dernier effort qu’il avait fait pour croire encore à la légende venait d’être balayé.

« Il n’y a plus d’Ennemi, maintenant, dit le savant derrière lui. Il ne peut subsister aucun doute. L’Homme fut son propre destructeur. Il s’est tué lui-même. D’une certaine façon, sa race était la seule que nous devions tuer. »

 

Sam se pencha un peu plus. En dessous, la foule se hâtait. Les gens riaient et le regardaient, lui faisaient signe de la main. Il y avait une douzaine de races dans ce parc, mêlées à son peuple qui représentait la majorité. Il sourit et agita la main. Puis il se pencha encore jusqu’à ce qu’il pût apercevoir la grande statue de l’Homme qui s’élevait vers le ciel devant le temple. Il soupira de nouveau et courba la tête avant de se retirer en arrière.

« Combien de personnes connaissent la vérité, en dehors de vous, Robert ? demanda-t-il.

— Personne. Il y avait trop de fragments dispersés. Il a fallu que je les rassemble pour en tirer une signification. »

Sam lui sourit. « Vous avez fait du bon travail et il y aura de nombreuses façons de vous récompenser comme vous le méritez. Mais je suggère maintenant que nous brûlions ces preuves.

— Les brûler ! » La voix de Robert se fit plus forte. « Brûler ces preuves et laisser à jamais notre race dans cette superstition ? Nos vies entières se sont passées en ce culte de vengeance. Nous pouvons maintenant nous libérer. Ceci est notre héritage, Sam… nous pouvons être nous-mêmes ! »

À nouveau, Sam désigna les preuves. Il y avait en lui de la pitié à l’égard du savant, mais surtout à l’égard de l’étrange race des hommes dont la nature véritable venait d’être révélée. L’homme avait manqué de bien peu la domination de l’univers ! Mais les risques de cet univers s’étaient ligués contre lui. Il y avait eu deux chemins ouverts à son intelligence. Avec l’un, il aurait atteint doucement la vie pastorale et les plaisirs tranquilles, mais il n’aurait jamais pu aller plus loin que son monde natal. Avec l’autre, celui qu’il avait choisi, l’intelligence provenait de l’agressivité, de la sauvagerie. Elle menait à de grandes découvertes tout en préparant l’inévitable agression finale qui avait à jamais détruit l’humanité.

L’homme avait échoué, comme toutes les races issues des instincts meurtriers des animaux. Mais, en mourant, il avait transmis une partie de son âme à une autre race qui avait été créée sans ses passions violentes. Il avait passé la colère de son esprit à ses véritables enfants, les robots.

Et ils l’avaient conservée.

Les robots étaient une race fabriquée, prévue pour servir uniquement, capable de vivre dans la paix et sans ambition. Ils n’avaient aucun héritage.

Mais, par les hasards de la fiction et de quelques mots d’un homme mourant, l’humanité leur avait légué une grande richesse.

La colère les avait poussés jusqu’aux étoiles et la haine leur avait fait franchir l’espace entre les galaxies.

« Vous vous trompez, Robert, dit Sam. La vengeance est notre héritage. Brûlez ces preuves. »

Les matériaux desséchés s’enflammèrent aux premières étincelles. Pendant quelques secondes, ce ne fut qu’un tourbillon de flammes. Puis il n’y eut plus que des cendres noires pour marquer la mort véritable des hommes.

 

Traduit par MICHEL DEMUTH.

To avenge man.

© Galaxy Publishing Co., 1964.

© Éditions Opta pour la traduction.