NE PLUS DIRE « NOUS »…
21 septembre. Découvre avec stupéfaction que Garance, Delphine, Sonia et moi, nées entre 1963 et 1966, ne sommes pas de la même génération…
Liste des choses à faire :
  • -  Ne plus faire mes courses chez Mohamed. Il se croit tout permis.
  • -  Penser à remplacer à la maison toutes les ampoules de 60 watts par des 10 watts.
  • -  Jeter ce CD de Stevie Wonder, Happy Birthday, il me tape sur les nerfs.
Me suis évidemment excusée auprès de Garance et Sonia. Ai mis cette nervosité sur le compte des antidépresseurs préconisés par Wish qui me font autant d’effet que des fraises Tagada. Ma vieillesse toute récente ne me quitte pas d’une semelle. Prends tout mal.
Pour ma défense, le complot qui s’ourdit contre moi depuis dix jours s’étend maintenant aux commerçants de ma rue.
Mohamed, l’épicier qui m’accueille habituellement avec un tonitruant « Bonjour mademoiselle », n’a rien trouvé de mieux ce matin que de me lancer un « Comment ça va aujourd’hui, madame ? ». Ai pris la mouche, mes deux kilos d’oranges, ma monnaie et suis sortie sans piper mot, le cœur sens dessus dessous. Et dire que j’étais contre la mort du petit commerce.
– C’est marrant, moi c’est mon boulanger qui m’a fait le coup, me dit Garance, que j’ai appelée pour lui raconter. Te froisse pas pour si peu, va !
Froissée.
Oui, c’est exactement ça. Il m’a froissée, cet imbécile. Je suis entrée dans sa boutique, la peau lisse, et en suis ressortie froissée comme ses vieilles goldens qu’il laisse des jours entiers dans ses cagettes. Qu’il ne compte plus sur moi pour écouler ses stocks, Mohamed, j’irai uniquement chez Leclerc désormais. Là au moins, personne ne me rappellera le processus de vieillissement qui me frappe de plein fouet.


Heureusement il y a les amies. Ce soir, j’ai rendez-vous pour notre dîner mensuel avec Delphine, Sonia et Garance. La dernière fois que nous nous sommes vues toutes les quatre, c’était avant le « drame ». J’étais alors jeune et belle.
Ai choisi le No Stress Café, place Gustave-Toudouze.
Pour son nom : tout indiqué, vu mon incapacité à contenir mes sautes d’humeur assassines.
Pour son éclairage : tamisé, le seul que mon teint supporte en ce moment.
Mes chères amies ! Toutes plus jeunes que moi, les veinardes. Elles savent que je ne supporte pas d’être la plus vieille de la bande et ne ratent pas une occasion de me le rappeler. C’est plus fort que moi, chaque fois que j’entends : « Mais c’est vrai, au fait Alice, t’es la plus vieille ! » Je pars au quart de tour : « Ça va, les nanas, j’ai deux ans de plus que toi (à Sonia), une petite année d’écart avec toi (à Garance) et nous (à Delphine), à six mois près on est jumelles ! »
Ce soir, je ne suis pas la seule à cran. L’ambiance est électrique. Du 100 watts au moins.
Il a suffi que Delphine dise à Garance : On a le même âge de toute façon, on va pas s’étriper, pour s’entendre répondre du tac au tac : Ah pardon, j’ai six mois de moins que toi…
Bêtement, j’ai voulu calmer le jeu : Enfin, on va pas s’engueuler pour des conneries de mois en plus ou en moins, elle veut simplement dire qu’on est de la même génération…
Sonia a alors grimpé aux rideaux : Ah non, les filles, moi, je suis née en 66, et non, c’est pas la même génération, puis à moi en particulier : Avoue, Alice, tu aimes quand Brigitte, qui a 53 ans, dit « nous » en faisant comme si elle et toi aviez le même âge ?
– Ah non, c’est horrible…
– Tu vois ? conclut Sonia, satisfaite.
Fin du match.
RÉCAPITULONS
Souvenez-vous, il y a quinze ans, de votre petit Raphaël qui avait 13 mois, de la gentille Marine la petite voisine qui en avait 19, et de l’écart immense que vous mettiez entre les deux…
À partir de 40, 45 ans, vous recommencez à parler des mois qui vous séparent, prêtes à tout pour grappiller quelques semaines sur le dos de vos meilleures amies… Six mois d’écart = une génération.
Inutile de leur raconter des salades sur votre âge. Si elles sont normalement constituées, elles connaissent l’année de votre naissance, à l’heure, à la minute près, et le temps qu’il faisait. Et vous le leur rendez bien.
Ce foutu jour de votre anniversaire :
– Éteindre votre mobile pour éviter les textos de félicitations ne changera rien.
– Refuser de consulter votre boîte mail ne fera que repousser le problème.
– Partir en voyage pour échapper au jour fatidique constituera une dépense vaine.
– Être née un 29 février ne vous épargne pas les années non bissextiles. Vous recevez de douloureux messages la veille ou le lendemain.
Donc…
Prenez les devants :
Marquez le coup. Organisez une immense fête ce jour-là. Faites-vous offrir plein de cadeaux, buvez du champagne sans modération… Vous serez plus vieille, mais comblée et saoule.
Détournez l’attention. Avec quelques amis nés le même mois que vous, mettez au point une soirée commune : la fête des Taureaux, la fête des Lions, etc. Noyée dans la masse, vous échapperez peut-être à la fatidique épreuve des bougies.
Inversez la situation. À bien y réfléchir, c’est surtout votre mère qu’il faut féliciter ce jour-là ! C’est elle qui vous a mise au monde et qui s’en souvient encore comme si c’était hier. Alors, créez la fête des naissances. Votre mère est gagnante sur tous les tableaux si elle a plusieurs enfants… Vous bénéficierez à votre tour de cette bonne idée lorsque vos enfants auront l’âge de vous offrir autre chose que des colliers de nouilles.