MON PASSEPORT ? UN COMPLICE…
12 septembre, 8 heures. Ai dormi douze
heures d’affilée. Mari et enfants ont déserté la maison. Sans me
réveiller. Ma conscience est plus légère. Pourtant, je n’en ai pas
fini avec mes petits arrangements. Loin de là. En ai un
particulièrement gratiné… Me couvre la tête avec la couette,
submergée par la honte.
Liste des choses à
faire :
- - Penser à faire refaire mes papiers d’identité.
- - Appeler Virginie dès que j’aurai fini ce chapitre.
Ma grande copine au bureau, c’est Virginie. Corse,
grande gueule, la trentaine, 1,80 mètre, 80 kilos, directrice
artistique du journal. Je l’adore. Il y a quelques mois, elle me
coince dans le bureau et me dit : « La photo de ton édito
est moche, il faut en changer, en faire une belle avec un bon
photographe au lieu de prendre tes photos vieilles de dix
ans ! » – Et là, je lui tends mon passeport que je viens de faire
renouveler avec une photo immonde.
« C’est toujours mieux que ça ! »
Elle, épatée : « T’es née en 69 ? Mais t’es super
jeune !!! » Je n’ai pas osé lui dire…
Lui dire que.
Flash-back. Nous sommes en 1998. Je m’aperçois que
ma seule pièce d’identité, à savoir mon passeport, est périmée au
moment de partir en Espagne. En toute hâte (il s’agit d’un
déplacement professionnel), je fais refaire mon passeport à la
préfecture et je constate que l’administration s’est trompée. Je ne
suis plus née en 1963 mais en 65. Une aubaine.
Dix ans plus tard. Nous sommes en 2008, mon
passeport expire à nouveau. Et là je plaisante avec François :
« Ce serait marrant de truander les dates…
– T’es vraiment une gamine. Tu vas avoir des
problèmes, un de ces jours.
– Ils ont commis l’erreur une fois, il ne
s’est rien passé. Je ne vois pas ce que ça change si c’est moi qui
remplis mal mes dossiers, ça peut arriver…
– Tu es dingue, tu dois jurer sur l’honneur
que tes déclarations sont exactes, sur leur papier.
– Si je me fais attraper, je pourrai toujours
leur dire qu’il s’agit d’un acte manqué. Et puis, aux anges :
Changer un 5 en un 9, c’est l’enfance de l’art.
Quelques jours plus tard, je me retrouve à la
mairie, François m’a convaincue. Qui va croire que je suis née en
69. De toute façon, c’est débile.
Arrive mon tour. J’ai tout, mes photos, la
photocopie de mon précédent
passeport, le passeport lui-même, mes quittances de loyer, etc. La
fille me tend le formulaire à remplir. Et je commence, nom, prénom,
date de naissance… et je ne sais pas, ma main se met à écrire toute
seule « 1969 ». Idem sur mon passeport où je n’ai qu’un
tout petit trait à faire… À côté des battements de mon cœur, les
concerts à la batterie d’Ethan dans la cave c’est de la rigolade.
Je fais un boucan d’enfer. Suis déjà en garde à vue pour faux et
usage de faux, imagine les enfants me rendant visite…
Puis me calme un peu. Après tout, si la fille,
Corinne (c’est écrit sur son badge), me demande quoi que ce soit,
je me confonds en excuses, recommence et puis c’est tout…
Rien.
Elle me remercie (à peine), prend le tout et, sans
même me regarder : « Il sera prêt dans quinze jours.
Suivant ! »
Et voilà comment depuis un an, j’ai
40 ans.
RÉCAPITULONS
Mentir sur son âge est une addiction. Plusieurs
causes peuvent être à l’origine de cette habitude prise selon les
femmes à partir de 30, 40 ou 50 ans :
– Vous vous êtes toujours trouvée trop
vieille et pensez qu’en avouant votre âge réel, la
personne en face de vous (homme, femme, enfant) va tourner les
talons et ne plus jamais vous adresser la parole. Vous êtes comme
moi, coupable, victime d’un traumatisme aussi vieux que vous, ou presque, qu’il faut
identifier, et pour cela revenir à vos jeunes années.
– Vous disiez adorer votre jeune sœur,
alors qu’en fait votre pistolet à eau pointé sur elle, vous rêviez
de la supprimer. Les « Qu’elle est mignonne, comme elle est
vive, elle a l’air de comprendre tout ce qu’on dit » vous ont
tapé sur le système. C’est bien légitime.
– Vous aviez 4 ans, quand votre
père a eu le malheur, en feuilletant votre album de
naissance, de dire : « Là, regarde comme tu étais
mimi. » Dans votre esprit de petite fille, le sous-entendu est
clair : « Maintenant, ce n’est plus le cas. »
– Votre mère allaitait votre petit frère
(6 mois) et commentait à sa copine sur le ton de
la confidence : « Ce que je préfère, c’est quand ils sont
bébés… » Pas de chance, vous étiez dans les parages.
– Votre mère ment sur son âge depuis
toujours. Refuse qu’on lui souhaite son anniversaire.
Petite, vous ne compreniez pas pourquoi elle faisait cela, mais
prendre un an avait l’air d’être une catastrophe, un sujet tabou.
Cela vous est resté et vous faites comme elle.
– Votre mère s’est retrouvée seule, abandonnée pour
une femme plus jeune. Elle vous répète donc depuis
toujours qu’il faut être plus jeune que son mari pour le garder.
Idée fixe qui vous obsède et vous fait haïr les femmes qui ont cinq
ans de moins que vous… et surveiller votre mari comme s’il allait
se précipiter sur la première « jeune » venue.
Conclusion : Ce type
d’actes ou de phrases a priori
anodines restent gravés. Vieillir est une faute grave. Et chaque
année ajoute à votre culpabilité. Réagissez :
Vous êtes
du type extrême. Dans ce cas, la cure de
désintoxication radicale est pour vous : ce livre
refermé, envoyez un mail rectificatif avec toutes vos excuses à vos
amis, proches, collaborateurs, avec en caractère gras, corps 24,
votre nouvel âge.
Vous
n’êtes pas prête à franchir le pas. Un régime
progressif s’impose. Commencez par prononcer votre âge devant… le
miroir de la salle de bains. Puis attaquez-vous à votre voisine
sourde comme un pot. Ensuite, parlez-en avec naturel à votre
boucher, monsieur Lebœuf, et à votre fromager, qui vous adore et
vous trouve si sexy, etc.
Au bout de quelque temps vous ne vous rendrez même
plus compte que vous avez accepté votre grand âge…
Très important : N’oubliez
pas de changer d’âge à votre prochain anniversaire. Une récidive
est toujours possible pour une ancienne menteuse
addict.