CHAPITRE XVIII

 

 

Ils étaient au moins une quinzaine dans le petit bâtiment du Centre communication. Une bâtisse plate, toute en longueur.

— Pas facile de les surprendre, là-dedans, chuchota Bovit, près de Romaric, dans les grandes herbes qui entouraient l’aire vitrifiée. Et tu as vu comment ils portent leur arme… Ils savent s’en servir. Sans surprise on aura des dégâts !

Rom ne répondit pas, observant les cinq Trans, sur le côté. Il faisait chaud, immobile, et il épongea son front du bras gauche avant de remonter la binoculaire devant ses yeux.

Il ne savait quoi décider. Le C3 n’était pas là. Péral l’aurait utilisé ? Il approcha son communicateur et appela Taref.

— Demande, à notre salopard, qui pilote en général le C3 ? Il n’est pas là.

— Reçu.

Il revint presque tout de suite.

— Il dit que Péral a un autre pilote et que le C3 est souvent garé près de la maison… Je suppose qu’il s’agit de la nôtre…

La maison ! Romaric ne l’avait jamais imaginée. Il se sentit curieusement contracté.

— Il faudrait savoir si le C3 est là-bas. Envoie deux types à la nuit. Ils auront une sacrée trotte à faire mais on doit savoir. Qu’ils fassent très gaffe à ne pas se faire voir.

— D’accord, je m’en occupe. Et de ton côté ?

— Beaucoup de monde, ici. Une quinzaine. On surveille.

— OK.

Il n’y avait pas grand-chose à ajouter. Ils étaient bloqués, un point c’est tout.

Les heures passèrent. Rom se demandait ce que fichaient là ces types et fit poser la question à Fazec qui ne connaissait pas la réponse. C’était inhabituel disait-il et Romaric s’en inquiéta.

Les frères étaient un peu en arrière, surveillant les alentours. Ils avaient tous déposé près d’eux leur casque, insupportable avec cette température.

— Tu tiens beaucoup à la discrétion ? demanda Bovit en remuant près de Romaric.

— Oui. Et je préférerais qu’il n’y ait pas de mort. Ne pas laisser de traces pour l’enquête de la Spatiale. Si Péral n’a aucune preuve à avancer, les enquêteurs de la Spatiale penseront qu’il dit n’importe quoi. La disparition d’un engin est moins grave, elle peut toujours être interprétée comme la fuite de certains de ses hommes.

Bovit rit en silence.

— Tu es drôlement vicelard.

Romaric lui jeta un coup d’œil rapide. Il ne paraissait pas particulièrement choqué. Plutôt amusé.

Taref lui annonça que les deux gars préféraient partir avant la nuit, en faisant gaffe. Ils avaient probablement raison. Plus le temps passait, plus la situation devenait dangereuse et les chances de s’en sortir plus minces.

Dans l’après-midi ils appelèrent. Romaric reconnut la voix de Taij.

— On doit être encore à une quinzaine de kilomètres de la maison, peut être un peu plus. Ça bouge devant nous.

— Vous êtes planqués ? dit Rom, très vite.

— Oui.

— Qu’est-ce que vous voyez ?

— Des Trans viennent de passer, venant du nord-ouest.

— Beaucoup de monde dedans ?

— Pas pu voir… Attends, en voilà deux autres. On dirait une concentration…

De deux choses l’une : ou Péral était sur Stoll II et avait déjà été arrêté ou il était encore ici. Dans le second cas il rameutait ses hommes. Sans informations, Romaric était paralysé.

— Eh, ça bouge aussi ici, fit Bovit.

Des hommes sortaient du bâtiment et se dirigeaient vers les Trans…

— Restez planqués, jeta rapidement Rom dans le communicateur.

Les types grimpaient dans les Trans et le premier décollait déjà, prenant le cap ouest.

— On dirait qu’ils vont vers la maison, lâcha Bovit, non plus au nord…

Romaric ne quittait plus le bâtiment des yeux.

— Il nous faut un Trans, il dit soudain.

Les hommes de Péral n’avaient pas l’air de partir avec hâte. Certains discutaient avant d’embarquer. Bientôt il ne resta plus que deux engins.

— Mettez vos casques, lança Romaric en enfilant le sien.

Bovit se ramassa, comme s’il allait démarrer. Là-bas quatre silhouettes apparaissaient à gauche des engins.

Trois d’entre elles se détachèrent et montèrent dans le Trans le plus proche qui s’éleva.

Dès qu’il fut à quelques kilomètres, Romaric donna le signal, fonçant vers le dernier type, immobile, tourné de l’autre côté. Bovit avait suivi et les frères démarrèrent avec un temps de retard.

Rom courait de toutes ses forces. Il avait sorti son désintégrant.

A trente mètres l’autre se retourna. Romaric bloqua ses jambes et leva le bras armé.

— Stop, il lança, tu ne bouges plus !

L’autre, ahuri, esquissa un geste qu’il interrompit avant de lever les mains.

Bovit avait obliqué vers le bâtiment où il s’engouffra, suivi de Pool. Diston avait continué sa course, sur la droite et arrivait à la hauteur du type, hors de la ligne de tir de Romaric qui le nota au passage. Le jeune gars réfléchissait bien et gardait son sang-froid.

Il passa derrière l’inconnu et enleva le fulgurant de l’étui.

— Personne, c’est vide, cria Bovit en sortant du bâtiment.

Romaric se remit en marche et approcha du mec pendant que Diston grimpait à bord du Trans. Pool était toujours dans le bâtiment.

Ils portaient les visières baissées et devaient être assez impressionnants. Suffisamment en tout Cas pour que le type ait marqué le coup.

— Surveille-le, jeta Rom à Diston, brûle-le s’il bouge un cheveu.

Il cavala vers le bâtiment dont Pool sortait.

— Personne.

— Pas de radio ?

— Si.

— Branchée ?

— Oui, pou…

Il ne le laissa pas achever et pénétra à l’intérieur.

— Par là, fit Pool qui avait suivi.

Une petite pièce sur le côté avec une grande baie. Les voyants d’une assez belle installation étaient allumés. Il chercha des yeux et découvrit le système d’enregistrement. Rapidement il bascula plusieurs rupteurs. Une lumière orange montrait que le quartz contenait quelque chose.

— Préviens tout le monde de grimper dans le Trans, qu’il soit prêt à tailler, il dit à Pool qui s’éloigna dans la pièce à côté, le communicateur devant les lèvres.

Voilà, le quartz commençait à débiter… Une communication sans importance, des types qui discutaient le coup… Ah ça… Non. Une longue distance à propos de conserves.

Il passa en accéléré, guettant l’interruption du voyant, indiquant l’enregistrement suivant.

« – … patron. Je sais pas c’qui s’passe mais moi j’me mets en veilleuse. Pas question de venir charger avec la Spatiale dans le coin. »

« – Pourquoi tu veux que la Spatiale se ramène de ce côté ? Elle vient peut-être à Stoll II mais sûrement pas ici. »

« – Possible, mais moi je passe pas loin, et avec ces conneries de piratage j’tiens pas à m’faire contrôler. J’ai deux jours pour les éviter et j’trouve même qu’c’est pas beaucoup. Si t’avais un peu d’jugeote… Salut et garde ton nez propre. »

Romaric jeta rapidement un œil vers le cadran-dateur… L’enregistrement datait… de la nuit précédente. Donc une unité de la Spatiale serait dans le secteur de Stoll II avant trente-six heures !

Il prit immédiatement sa décision, coupant l’enregistrement et happant son communicateur.

— Taref, passe-moi Fazec, d’urgence.

— Tout de suite.

Il devait être à l’écoute parce que la réponse avait été immédiate.

— Ouais.

La voix du pilote.

— Tu as dit que le C3 pouvait emmener douze passagers, mais si on fait l’impasse sur le confort on peut tous y loger et passer en sub ?

— Si vous avez une carcasse assez costaud pour supporter l’accélération-passage ouais. Mais c’est dingue, un voyage comme ça.

— Combien de temps pour Stoll II, en sub ? Au max de vitesse.

Vingt-sept à vingt-huit heures en faisant vraiment vite.

Juste, salement juste ! Le cerveau de Romaric tournait à plein régime. Il prit sa décision.

— A tout le monde : on va piquer le C3 de Péral… Taij, restez sur place, on passe vous chercher. Est-ce qu’il y a encore des passages de Trans ?

— Non, répondit une voix essoufflée.

— On arrive en Trans, vous nous guiderez dès qu’on appellera. Taref, fais préparer tout le monde et commence à faire une liste de ceux qui résisteraient le mieux à cette accélération machin chose.

Il ramena l’enregistrement à zéro et sortit en cavalant, suivi de Pool. Diston se tenait à la porte du Trans, l’extrémité de son arme collée contre la tempe du prisonnier. Bovit était aux commandes de l’engin.

Romaric stoppa à la porte, levant les yeux vers le type qui paraissait avoir retrouvé son calme et le regardait avec insolence.

— Une question-une réponse, pas de réponse je te brûle une jambe tous les vingt centimètres, il fit froidement, reçu ?

Quelque chose se modifia dans le regard de l’autre. Il n’avait en face de lui qu’un casque-visière anonyme, était incapable de jauger l’homme qui le menaçait.

Romaric sortit son arme.

— Où est le C3 ?

Un temps… puis :

— Près de la demeure.

Il s’était décidé juste au bon moment, Romaric allait tirer !

— Quelle distance ?

— Ben, j’sais pas trop, dans les trois cents mètres.

— Gardé ?

— Non, c’est pas la peine… Eh, mais qu’est-ce que…

— On le voit de la maison ? le coupa Rom.

— Hein ?… Oui, j’crois qu’oui.

— Du monde dans la maison ?

— Quelques mecs.

— Combien ?

— Vorèle, j’sais pas, moi…

— Les autres, tout à l’heure, où ils sont allés ?

— Au village, à Cork, quoi… C’est au nord, il ajouta rapidement.

Romaric lui fit signe de reculer dans l’appareil et monta derrière.

— Vas-y, Bovit, il cria.

*

**

Bovit et Romaric progressaient devant, le désintégrant à la main. La silhouette du C3 paraissait bien petite, plus encore que la navette, posée à une dizaine de kilomètres derrière.

Rom s’arrêta. Rien à la binoculaire. Il parla dans le communicateur :

— Amène-toi, Taref on va foncer. Laisse la porte ouverte.

Le Trans fut là presque tout de suite, volant au ras du sol. Il s’immobilisa à la hauteur des deux hommes qui grimpèrent à bord en voltige. Impossible de savoir qui était là, les cinq combines surmontées des casques ne dévoilaient rien.

— Attention, fit la voix de Taref dans les communicateurs, il y a du monde près du C3, sur la gauche. Quatre types.

— Droit vers eux, gueula Rom ; Bovit, tu essaies d’en avoir tout de suite… Les autres : on débarque et on liquide. Pas de sentiment.

Tout se déroula tellement vite qu’ils auraient été incapables d’en établir la chronologie.

Ils découvrirent les hommes qui se retournèrent en entendant le Trans mais ne bougèrent pas. A la porte, accroché de la main gauche, Bovit leva son arme et tira à plusieurs reprises, au moment où l’engin touchait le sol assez brutalement. Romaric sauta et ouvrit le feu immédiatement.

Cette bagarre avait quelque chose d’irréel. Un silence total, des rayons lumineux striaient l’espace dans tous les sens. Puis il y eut quelques cris… Et tout redevint normal. A part des corps tordus, sur le sol.

— Taij est touché, hurla quelqu’un.

Romaric se détourna vers deux des siens penchés sur un corps en combine, l’épaule droite noircie… Il eut un vertige puis se reprit.

— Taref… fonce. Les autres à l’intérieur du C3.

Il tournait la tête de tous les côtés, surveillant les abords. Il fallait tenir ce coin jusqu’à ce que tout le monde soit à bord.

— Personne dedans, fit la voix de Bovit. Je viens avec toi.

Les minutes suivantes furent éprouvantes. Le Trans devait faire deux voyages pour amener tout le monde et il faudrait encore aller balancer la navette dans un océan. A tout instant, des hommes de Péral pouvaient s’amener… Bovit avait été se mettre en position à une trentaine de mètres.

Au second voyage, Taref embarqua les corps des hommes de Péral et repartit vers la navette. Il chargea le Trans à bord avec les cadavres. L’engin ne pouvait y entrer entièrement et dépassait largement, expliqua-t-il par radio, mais ça irait. Romaric entra dans le C3 et vint se glisser près de Fazec.

— Décolle aux anti-g, il commanda et suis la navette. Tâche de trouver un endroit où on récupérera Taref facilement.

Machinalement il enleva son casque.

— Combien d’heures ? il demanda encore.

— Trente et une, répondit le pilote. Mais il en faudra trois ou quatre pour flanquer l’autre à la baille et prendre notre vitesse de départ. C’est pas un Fusesp spatial, ce truc-là.

Tant bien que mal Taref conduisit la navette sur une île, en pleine mer, et la posa sur une longue plage. Après quoi il déchargea le Trans, laissant les corps dans la navette et revint à l’autre appareil. Il programma toute la puissance des propulseurs pendant dix secondes, puis fonça vers la porte latérale. Il était juste à l’abri derrière un rocher quand la navette se souleva. Elle décrivit une trajectoire courte. La puissance stoppa à moins de deux cents mètres d’altitude et l’appareil tomba à l’eau…

Un quart d’heure plus tard le C3 fonçait en orbite basse.