CHAPITRE III
C’est le huitième jour que le signal sonore des pièges-radio installés autour de la maison retentit !
Il trimbalait le récepteur en permanence sur lui. Il était en train de ramener une ligne de fond, posée la veille au soir, à une quarantaine de mètres du bord, quand il entendit le bip.
Eh bien, il avait pris son temps, le gars. A la réflexion il se dit que c’était probablement normal. Sa fuite était évidente et l’autre avait été obligé de vérifier à chaque escale qu’il ne s’agissait pas d’une ruse.
En tout cas maintenant il venait de se présenter devant la maison. Qu’allait-il faire ? Romaric essayait de se mettre à sa place. Il était parti du principe que le mec attendrait un moment sur place avant d’entrer dans la maison. Il y découvrirait la grande carte, au mur. Il y avait suffisamment d’indications pour qu’il voie que Romaric avait un lieu de séjour privilégié, vers le Grand lac.
A partir de maintenant il fallait estimer une planque de quarante-huit heures puis, disons une journée pour aller chercher un équipement à Biskrand. Dans trois jours il pouvait commencer à sillonner le coin.
Romaric avait imaginé un plan. Il installerait un faux campement, bien visible, et se cacherait à distance. Il poserait un micro dans le campement et interrogerait de sa cachette le tueur qu’il tiendrait dans la lunette de visée du flingue. Il voulait savoir pourquoi l’autre le traquait. Ensuite ce serait une rigolade de le descendre. Pour le corps, pas de problème avec les fauves… Pas très ragoûtant mais les délicatesses quand on a un tueur aux fesses, hein ?
Il reprit sa ligne et la hala sur le bord. Il y avait une jeunette au bout. Une bonne livre. C’est son grand-père qui appelait comme ça ces poissons, pleins d’arêtes, mais qui faisaient une délicieuse soupe.
Ses courbatures avaient disparu, maintenant, et il courait quatre heures par jour. Il y avait une bande de maques dans des arbres qui le regardaient passer en hochant la tête. Il s’attendait à les voir applaudir un de ces jours !
Il alternait des exercices différents, avec des pierres d’un kilo dans chaque main, pour muscler ses bras et ses abdominaux. Il avait aussi empli de sable deux longs sacs étroits, que Jos avait fabriqués dans une vieille combine, et les levait alternativement, un dans chaque main, en utilisant les avant-bras seulement, quand il était assis à ne rien faire. Il les portait suspendus au harnais en permanence pour s’alourdir et traîner du poids.
Avec le Trall il alla reconnaître des bouquets d’arbres et finit par choisir un coin, dans les buissons. De haut il serait nettement visible. Il y avait un petit bosquet à huit cents mètres où il pourrait se planquer tranquillement.
Dans l’après-midi il alla y monter la tente, avec le réseau de détection et le micro-émetteur. Au fond, il pourrait même y dormir une nuit ou deux ?
*
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Les jours passèrent et il commença à douter de son raisonnement. Et si c’était tout bonnement Zogar qui était venu aux nouvelles ? Si le tueur n’avait pas retrouvé sa trace ? Il faudrait vivre combien de temps avec cette menace au-dessus de la tête ? Comment savoir si le type continuerait sa traque ? II y laisserait sa peau, oui. Un jour ou l’autre…
Son moral baissa sérieusement. Le cinquième jour, après le signal sonore, un Trans s’amena. Il volait lentement et Romaric le suivit longtemps des yeux. Il disparut à l’horizon sans dévier de sa route. Si le pilote faisait des recherches il réapparaîtrait. Rien ne vint.
Maintenant il était vraiment mieux, physiquement, mais il broyait du noir, persuadé qu’il s’était complètement planté. Il se força à s’occuper et fuma de la viande pour avoir des réserves.
Au bout d’une semaine il n’y tenait plus. Rester ici ne rimait plus à rien. Le piège avait foiré. Il ne savait plus que faire. Aller voir Zogar, peut-être, pour lui demander si personne n’avait posé de questions à son sujet, en ville ?
Il se décida à rentrer. A la nuit il partit en Trall. Il avait au moins retrouvé l’habitude et conduisait vite.
*
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Dans la forêt, à trois kilomètres de la maison, il stoppa et continua à pied. Le jour n’était pas loin ; Quand le soleil apparut, il arrivait au sommet de SON arbre. Quand il était gosse, il avait bâti une cabane au cœur de trois grosses branches de sindra et y guettait le retour de son grand-père.
Tout était démoli, aujourd’hui, et il s’installa avec un peu de vague à l’âme. Il avait apporté le flingue, bien sûr, de la viande fumée et sa gourde. Il ne voulait prendre aucun risque pour pénétrer dans la maison.
Il brancha la lunette de visée et braqua l’arme en direction de la maison. Aucun Trans visible, rien ne bougeait. Mais il ne voyait pas entièrement la construction. D’abord, de là on ne l’apercevait que de trois quarts et ensuite il y avait des branches qui la dissimulaient en partie.
Il fit la sieste dans son arbre, récupérant du voyage de la nuit. Quand il s’éveilla, la nuit arrivait. Il fut mécontent. Pas envie d’aller là-bas dans le noir. Il était mal à l’aise. D’un autre côté, passer la nuit éveillé dans son arbre ne l’enchantait pas. Il sélectionna la vision nocturne sur la lunette et fit un tour d’horizon sans rien repérer.
Il retourna au Trall et prit un comprimé pour dormir. L’arbre n’était guère confortable mais il s’en accommoda.
Quand le soleil se leva, il commença par boire longuement et manger un peu de viande fumée, après quoi il épaula le flingue. Toujours le néant. Machinalement il balaya lentement.
Et soudain un type fut là, devant la maison, se grattant la tête d’un geste ensommeillé !
Il ressentit une crispation dans la poitrine. Bon Dieu, le mec l’attendait dans la maison…
Il baissa l’arme sans s’en rendre compte. Son cerveau tournait sec. Il venait d’en apprendre sur ce type, sur sa mentalité. L’autre avait probablement flairé le piège et voulait rester sur un terrain connu. Manifestement c’était un type des mondes intérieurs, avec tout ce que ça comportait.
Romaric descendit de son arbre et revint au Trall. Il réfléchit longuement avant de se décider. Il prit le récepteur du réseau de détection volumétrique et le démonta. Tant bien que mal il le coupla avec celui des pièges-radio. Au moment de partir il prit le broyant qu’il accrocha dans son dos. Puis, le flingue à la main, il se dirigea vers la maison en passant à gauche de la sente.
Il en était encore à deux cents mètres quand la lumière rouge du récepteur de détection s’alluma faiblement !
Il stoppa immédiatement et tendit l’appareil, balayant l’espace devant lui.
La lampe passa au rouge vif quand il eut le bras complètement à droite. Il y avait un avertisseur radio, ou en tout cas quelque chose utilisant la radio et une source d’énergie, quelque part du côté de la sente !
Celle qu’il avait utilisée pour se rendre à son arbre ! S’il avait continué encore cent mètres, la veille, il déclenchait le bazar !
Quand il repartit il ne quitta plus la lampe de l’œil, avançant lentement. Il obliqua à gauche pour faire un long tour qui l’amènerait devant la maison. C’est ainsi qu’il repéra trois autres avertisseurs…
Quand il s’estima assez loin, il piqua vers la maison et grimpa à un arbre pour observer. Il n’osa pas monter trop haut pour éviter de se faire voir et les branches le gênèrent.
Pourtant il revit le type, devant la maison. L’autre buvait quelque chose. Il avança, leva la tête vers la maison et fit un signe du bras.
Romaric mit plusieurs secondes à comprendre… Le tueur n’était pas seul !
Il ne comprenait plus. D’ailleurs étaient-ils deux ou plus ? Il installa le flingue sur une branche pour ne pas avoir à le supporter et commença sa surveillance.
Ils ne se montrèrent plus avant la fin d’après-midi. A ce moment-là, celui qu’il avait aperçu le matin sortit et se dirigea sur la gauche. Romaric comprit en le voyant emprunter la petite sente. Il allait vérifier les avertisseurs. Il descendit à toute vitesse de son arbre. C’était le moment ou jamais. Ils s’étaient séparés !
Il fonça vers l’avertisseur le plus loin, celui qu’il avait localisé en premier, du côté du Trall. En coupant, il devrait y être avant l’autre. Dans la forêt il était invisible.
L’air lui manquait quand il arriva sur la sente. D’après son détecteur rudimentaire l’avertisseur était plus loin. Il s’embusqua derrière un épais buisson d’épineux et tenta de maîtriser sa respiration. C’est à ce moment qu’il se demanda comment il allait attaquer. Pas l’expérience de ces trucs. Il fallait l’assommer, le… les sacs de sable !
Il fonça au Trall et prit un sac qu’il soupesa. Ça devrait coller. Ses héros avaient souvent fait ça ! Restait à voir ce que ça donnerait dans la réalité ?
Tout fut d’une simplicité qui le surprit. Il se dressa derrière l’homme, le bras déjà en l’air et abattit le sac sur la nuque.
Le mec tomba d’un seul coup, comme un gibier touché au cœur. Il se pencha pour vérifier que le gus respirait… Oui. Il entreprit de l’attacher, les bras dans le dos, reliés aux chevilles, entravées elles aussi. La méthode utilisée pour les fauves capturés. Il ne pourrait pas se libérer en se réveillant.
Le type portait un désintégrant qu’il suspendit sur sa hanche gauche. Il allait devenir une armurerie ambulante !
En faisant un détour pour éviter les avertisseurs, il se dirigea vers la maison, le flingue à la main, prêt à tirer. Hors de vue des ouvertures, il s’accroupit à une vingtaine de mètres à droite de la porte et attendit.
Pas longtemps. Moins de dix minutes plus tard la porte s’ouvrait et un grand mec sec apparaissait, qui regarda à droite et à gauche. Romaric amena doucement la lunette devant son œil droit et ajusta la poitrine.
— Si tu bouges tu y passes, lança-t-il alors. Tout se déroula très vite, il n’eut pas le temps de réfléchir. La main de l’autre se leva avec un désintégrant prêt à tirer, sans que Romaric ne l’ait vu démarrer…
Il pressa la mise à feu de son arme par réflexe. Il y eut le petit grésillement habituel et le tueur, touché en pleine poitrine, partit en arrière. Rom fonça dans la même seconde, sans se rendre compte de ce qu’il faisait.
Le type était allongé dans la pièce, une tache noire à la hauteur du cœur. Il le traîna dehors, derrière des buissons, et revint fouiller la maison. Il ne découvrit rien. Ils n’avaient aucun bagage.
Il repartit en direction de sa première victime, qui était réveillée, maintenant, mais pas bien vaillante. Il ne dit pas un mot et s’éloigna. Il fallait aller chercher le Trall.
Quand il revint, le mec avait l’air d’avoir récupéré. Il lui jeta un œil mauvais. Rom avait autre chose à penser et n’ouvrit pas la bouche, posant l’autre en travers de ses genoux pour aller ainsi jusqu’à la maison. Là, il le hissa sur ses épaules et le laissa tomber au sol au milieu de la pièce. Il jeta un œil autour de lui pour vérifier qu’il n’y avait rien qui puisse lui servir à se libérer et fila au repaire. Il faisait nuit noire mais il ouvrit la porte sans utiliser de lumière. Il récupéra des attaches pour animaux dont on se servait pour entraver les prises et revint en se demandant comment il allait faire parler ce mec.
L’autre avait l’air vraiment dur et Rom se voyait mal lui tapant sur la figure. Pourtant il devait savoir pourquoi ils le poursuivaient comme ça. C’était vital.
Le type s’était glissé jusqu’à une table qu’il avait tenté de renverser. Il ne désarmait pas facilement. Rom changea les liens, certain, maintenant, que l’autre ne pourrait pas se libérer de ces trucs métalliques.
Le tueur n’ouvrait toujours pas la bouche et Rom pensa qu’il voulait l’impressionner. Il y réussissait, d’ailleurs ! Mais on peut jouer à deux. Lui aussi était un silencieux. Il en avait l’habitude. Plus il y pensait, plus ça lui paraissait la meilleure solution, prendre l’autre à son propre jeu pour le forcer à le respecter.
Il referma la maison et laissa le prisonnier sur le sol, devant. Puis il alla charger le cadavre sur le Trall et s’éloigna. A une vingtaine de kilomètres il déposa sa victime et fit demi-tour. Dans quelques jours il ne resterait plus rien du tueur…
De retour il installa le prisonnier derrière lui, sur le Trall, dos à dos, et démarra sèchement. Le gars aurait assez de mal à rester sur la machine pour songer à faire l’andouille.
Au jour, il installa son campement près de l’eau. Il attacha le mec à un arbre en passant ses bras autour du tronc, à une vingtaine de mètres de la tente, et alla se baigner et tendre deux lignes de fond. Puis il se coucha.
Le soleil était haut quand il s’éveilla. L’inconnu souffrait visiblement du soleil. Rom approcha et le fit boire. Puis il l’attacha différemment, pour qu’il puisse s’asseoir. Après quoi il releva les lignes. Il y avait deux jeunettes. Il sourit et alla les faire cuire sur un feu, la pire façon de les cuisiner !
Malgré ses liens l’autre était capable de manger seul, tant bien que mal. Rom posa une jeunette sur une feuille, sur le sol, et revint se faire à manger. Il se baigna encore et alla courir avant la nuit, déposant au passage plusieurs collets.
Il dormit comme un ange, ce soir-là.
*
**
Les jours suivants, il se comporta comme s’il était seul. Il continuait son entraînement, laissant l’autre au campement. Il raffina encore en laissant le flingue près de la tente ! Il en avait enlevé la batterie en douce mais le type ne le savait pas. Il devait se torturer le crâne à chercher le moyen de s’en emparer…
Rom faisait mine de s’en moquer. Il se prélassait au soleil, se baignait. Le second jour il avait donné du mou aux liens pour que le type puisse satisfaire les besoins dits naturels… Il lui avait découpé le bas de sa combine et le gars était à poil en permanence ! Pour l’instant ça pouvait aller mais dans plusieurs jours il commencerait à humer, le frère ! Là non plus ça n’était pas très élégant mais c’était ça ou la torture…
Il voulait le forcer, moralement, à parler, l’humilier. Après tout c’était un tueur. Pourtant, au fil des jours ce fut de plus en plus dur pour lui. L’autre empestait, commençait à avoir des tics nerveux. Son visage était couvert d’une barbe sale.
Romaric continuait à lui apporter régulièrement des jeunettes, matin et soir, sans un mot, sans un regard. Il ne voulait surtout pas rencontrer ses yeux. Le salopard devait parler de lui-même, sans s’y croire amené, sans trouver un alibi.
Un matin, c’était le douzième jour que le mec était attaché à son arbre, Rom posa une jeunette comme à l’ordinaire quand l’autre marmonna d’une voix rauque :
— Fumier de Van Teflin !
Rom fut tellement surpris qu’il ne réagit pas. Il aurait probablement fallu embrayer tout de suite. Maintenant il était trop tard…
Il fit demi-tour en se maudissant. Pendant qu’il préparait son propre repas, l’autre se mit à gueuler.
Tout l’après-midi il hurla et Romaric alla longtemps courir pour ne pas l’entendre. Lui aussi était au bout du rouleau. Il appréhendait terriblement son retour et le repas. Il dut faire un violent effort pour rentrer et faire cuire une jeunette.
Il la posa sur le sol et allait se détourner quand le tueur murmura.
— Pourquoi tu me gardes prisonnier ?
— Pourquoi vous vouliez m’abattre, ton copain et toi ?
L’autre leva la tête et Rom rencontra son regard perdu.
— Parce qu’on en a reçu l’ordre, forcément.
C’était parti ! Rom avait tellement peur de rompre le fil qu’il n’osait pas bouger.
— De qui ?
Il eut l’air surpris, comme s’il ne comprenait pas la question.
— Ben… Péral.
C’est Romaric qui n’y comprenait plus rien.
— Raconte tout, depuis le début, avec tous les détails.
Il y eut un long silence. Et puis…
— On travaille pour Péral depuis dix ans, avec mon équipier. Il nous a fait venir de Procyon pour en terminer avec les Van Teflin. Depuis, on les traque.
Il s’interrompait souvent, comme s’il faisait encore des efforts.
— Toi… on t’a repéré quand tu as été interviewé à la Tridi sur Firma…
Romaric se souvenait, en effet. Il avait réalisé une cassette qui avait bien marché. Une histoire qui se déroulait sur une planète de chasse. Il avait réussi à composer une héroïne qui ressemblait à la femme d’un homme d’affaires célèbre et le public avait aimé. C’est cette ressemblance, voulue évidemment, qui lui avait valu cette interview.
— … Avec tes cheveux blonds… enfin cette couleur-là, quoi, on a tout de suite compris.
Machinalement Rom passa la main dans ses cheveux. Qu’est-ce qu’ils avaient de particulier ? Il ne comprenait pas. Il ne manquait pas de blonds dans le monde ? Ils n’étaient pas si blonds que ça, d’ailleurs, une nuance entre le blond et le châtain. Blond foncé, en somme !
— On a essayé de t’avoir en douceur mais tu t’en es tiré. Il a fallu du temps pour te repérer de nouveau. Heureusement on connaissait ton métier. Mais là encore… Et puis tu t’en es encore sorti… et puis t’as fini par comprendre et tu t’es taillé. Mais c’était si con qu’il a fallu quelques jours pour te retrouver. Et en plus tu revenais par ici… on n’a pas pensé à tout ça, il fit avec un geste vague autour de lui.
Il s’était arrêté, comme s’il avait tout dit.
— Pourquoi moi et pourquoi Péral veut me tuer ?
Il n’avait pas osé demander qui était Péral ?
Pourtant le tueur eut l’air ahuri. Il leva lentement la tête.
— Tu te fous de moi ?
Il se passa un moment.
— Enfin t’es bien un Van Teflin, non ?
Romaric se doutait de quelque chose comme ça depuis un bout de temps. Pas tout à fait dès la découverte du flingue, mais tout de même.
— Et alors ?
— Ben alors Péral veut pas vous laisser en vie, c’est tout. Normal après la vieille histoire, non ?
Rom le regarda longtemps. La colère montait en lui. Voilà un homme, ce Péral, qui voulait le tuer simplement parce qu’il s’appelait Van Teflin ? Mais quel genre de sauvage était-ce ?
Il se pencha en avant, l’œil dur et saisit le tueur par le haut de la combine.
— Écoute-moi bien, commença-t-il en détachant les mots. Tu vas tout me raconter, tout, tu entends bien ? En commençant par le début, cette vieille histoire, par exemple.
— Mais…
— Tout !
Il avait gueulé et l’autre recula légèrement.