CHAPITRE VII
Ce fut une nuit bien courte. Romaric s’éveilla vers quatre heures et se rendit compte que les autres ne donnaient pas. Il fut tout de suite sur le qui-vive. Mais non, il ne se passait rien. C’était simplement l’angoisse qui les avait empêchés de se reposer.
Du coup il fut tout à fait réveillé. Il se redressa lentement.
— Vous n’avez pas dormi du tout ? il demanda doucement.
— Un peu.
— Guère…
Il s’en voulut. Il aurait dû penser qu’ils se feraient du souci. Ils étaient déracinés. Lui avait eu le temps de s’habituer, eux pas…
— On peut parler ?
Ils se redressèrent.
— T’as dormi, toi, gamin ?
— Oui.
— Rien entendu. T’as le sommeil discret, dis donc.
— C’est pas l’avis de la dame, répondit Rom en souriant dans l’obscurité. (Puis il ajouta, plus sérieux :) Vous êtes d’avis d’aller voir le reste de la Famille ?
— J’trouve pas ça idiot, et toi, petiote ?
— Je suis de cet avis depuis le début. C’est pourquoi j’ai suivi Romaric.
— Ben, alors reste à savoir comment on va s’y prendre.
— Étant donné ce qu’on a comme crédits, il me paraît difficile d’y aller tous, fit Prisca. Le plus indiqué me semble Romaric.
Il secoua la tête dans le noir.
— Non.
— Pourquoi ? demanda vivement la jeune fille.
— Parce que c’est trop dangereux de rester ici. Vous n’avez pas l’habitude de vous cacher dans la nature, moi si.
— D’mon côté, j’ai pas bien envie d’aller faire le godelureau sur les fusesps vers l’intérieur. J’serais pas bien à mon aise. J’crois bien qu’y a que toi, petite.
— Mais…
— Il a raison, la coupa Rom. Je serai plus tranquille de vous savoir plus loin.
Elle ne répondit pas tout de suite et quand elle reprit la parole sa voix était changée.
— Je ne sais même pas ce qu’il faudra leur dire.
— Laisse parler ton cœur, petite, y m’a l’air bien fait.
Ce sacré Hal avait des formules étonnantes !
— Avec un peu de chance, il nous reste encore quelques heures de tranquillité, dit-il, je vais vous expliquer des trucs. Pour le reste vous devrez improviser. Mais j’ai confiance, moi aussi. On va retourner au spatioport.
Au jour, ils la regardèrent s’embarquer dans une navette. Rom et Hal avaient à peu près vidé leur carte de crédits sur son compte, ne gardant qu’un minimum pour un cas exceptionnel. Ils n’en auraient plus besoin là où ils se cacheraient. Ils avaient convenu d’un signal radio pour le moment où elle reviendrait. Elle trouverait facilement un appareil à acheter et ils convinrent d’un type de quartz pour se procurer le même.
Dans le grand hall, ils n’étaient pas ensemble et n’avaient pu se dire adieu. Elle les regarda longuement, l’un après l’autre, de loin. Ce fut tout.
Rom n’était pas fier en regagnant le Poly… Ils avaient laissé le Trall au campement et y retournèrent.
Sans s’en rendre compte Romaric se mit à tutoyer Hal.
— On rentre dans mon coin. Il te plaira, tu verras. Plus chaud que chez toi mais il y a des lacs pour se baigner et assez de gibiers différents pour manger.
— En somme tu vas me faire coucher dehors, à mon âge !
Il n’avait pas tout à fait l’air fâché, mais un peu inquiet malgré tout. Romaric songea qu’il devrait prendre soin du « cousin ». L’un derrière l’autre, au ras du sol, ils revinrent en ville où Rom laissa le Trall pour le faire convoyer à Biskrand, au nom de Zogar. Après quoi ils partirent dans le Poly contenant tout le matériel. Prisca avait emmené le mini pisto-laser avec les trois batteries de rechange. Seize coups à tirer, pas grand-chose, mais ça ne devait lui servir qu’en cas de danger immédiat.
*
**
Cinq jours plus tard, Romaric avait établi leur campement près d’un cours d’eau à l’ouest du Grand lac, dans un petit bois. Il regrettait son Trall, plus maniable que le Poly mais, à deux plus leur matériel, ce n’était pas possible. Il avait joint Zogar et pris rendez-vous.
Il consacra la première journée à bricoler sur la machine. Il enleva carrément le système de blocage d’altitude pour pouvoir dépasser ces fameux vingt mètres réglementaires.
Et, dès le lendemain, il reprit son entraînement. Il était en meilleure forme qu’à son arrivée sur Stoll II, mais sentait qu’il pouvait devenir beaucoup plus fort. Du coup, Hal se mit aussi à marcher. Ils faisaient de longs trajets à travers la savane, s’entraînant à se cacher, à tirer.
Il apprenait aussi au vieux à chasser, à repérer des traces et à les identifier.
Quand vint le jour du rendez-vous avec Zogar ils partirent tôt, de façon à être sur place de nuit, au cas où ils seraient attendus. Rom plaça Hal en recueil, à deux cents mètres, avec le flingue. Il pouvait maintenant se servir de la lunette et Rom savait qu’il ferait ce qu’il faudrait.
Couché dans l’ombre d’un buisson, près d’une source, il attendit. Dans l’après-midi, un Trans apparut. Romaric se redressa tout de suite et mit le broyant en tension.
L’engin décrivit les trois virages convenus et descendit pour venir se poser au milieu des rochers d’où il n’était plus visible qu’à la verticale. Une silhouette souleva la bulle et Zogar descendit tranquillement. Rom se leva au bout de quelques secondes et vint à lui. Tout de suite il raconta, alors que Hal approchait.
— Il y a eu de nouvelles têtes. Personne ne t’a vu quand tu es venu chez moi, l’autre soir ?
— En tout cas moi, j’ai fait attention et je n’ai vu personne. Mais si un type était planqué…
Zogar fit la moue.
— Je ne pense pas que j’étais surveillé. Enfin il y a des types qui se baladent. Qui posent des questions, aussi.
— Et alors ? Comment réagissent les gens ?
— Au début ils tombaient des nues. Et puis des bruits ont commencé à circuler, ils se sont rappelés les histoires d’autrefois. Tous les jeunes n’étaient pas très au courant. Quand ils ont appris que des Van Teflin se planquaient, ils se sont plutôt mis en rogne. Sur le principe, tu vois.
— Eh, mais c’est bon, ça, fit Hal.
— Pas tellement. Parce qu’un jeune mec a pris une raclée, un soir. Trois types l’ont attrapé, dans le noir. Ça a jeté un sacré froid. Les anciens ont retrouvé la vieille trouille et les jeunes ont dû subir des pressions parce qu’ils ne parlent plus de rien en public.
Romaric fit la grimace.
— En somme on est tout à fait isolés, comme autrefois.
Zogar hésita un moment.
— Peut-être pas… Il me semble que ça fait réfléchir du monde. Si tu veux, il y en a qui sont assez contents que Péral ne soit pas capable de vous prendre. Que quelqu’un se dresse contre lui. Vous représentez quelque chose d’assez mystérieux. Personne ne vous connaît par ici. Toi, Rom, tu étais très jeune, ils ne savent pas ce que tu es devenu et Hal ils ne l’ont jamais vu. Tout ça est assez flou, mais il me semble bien qu’on bavarde dans ce sens.
Romaric réfléchit en silence.
— Y connaissent nos noms, tout de même, dit le vieux.
— Les hommes de Péral doivent les avoir cités.
— Et la Sécurité, là-dedans, qu’est-ce qu’elle fait ? demanda Romaric.
— C’est le grand point d’interrogation. Pas d’enquête, les Sécu se baladent comme avant, pas l’air préoccupés. C’est sûr, Péral les contrôle plus ou moins, d’une manière ou d’une autre.
— Et à part ça ?
— Rien de particulier, la petite vie habituelle, quoi.
— De quoi on parle, qu’est-ce qu’on raconte à la Tridi ?
Zogar regarda Romaric avec insistance.
— Tu cherches quoi, exactement ? Ce serait plus facile si tu me le disais.
Rom allongea les jambes avant de répondre.
— Je ne sais pas au juste. Une idée, je suppose. Il faudrait pousser Péral à faire une connerie, aller trop loin. Les temps ont changé.
— Tu veux dire qu’il s’en tirerait pas, cette fois ?
— Oui… je pense que c’est ça.
— Bon, eh bien, je vais ouvrir les oreilles. Quand tu veux que je revienne ?
— Trois semaines, ça irait ?
— Bien sûr. A quel endroit ?
— Pas ici. Pas deux fois au même endroit. Tu connais le lac de l’œil ?
— Attends, c’est pas ce coin où vous alliez chasser les rénics ?
— Oui. Il y a une petite avancée sur la rive sud. On se retrouve exactement en face, sur l’autre rive. Ça marche ?
— D’accord.
Ils revinrent vers le Trans et Zogar embarqua après avoir déchargé les vivres. Ils le suivirent des yeux jusqu’à l’horizon avant que Romaric n’aille chercher le Poly pour le charger. Deux heures plus tard ils avaient retrouvé le campement.
Les jours suivants passèrent sans problèmes. Ils avaient installé des pièges le long de la rivière et les relevaient chaque matin. Hal était maintenant capable de se débrouiller seul durant quelques jours et Rom décida d’allonger ses entraînements. Il commença à courir en ligne droite, s’éloignant du campement sur un cap donné et Hal venait le rechercher en fin de journée.
C’est comme ça que le pépin survint.