Au coin du feu

    
    
    
    
    Le crépitement du feu dans l’imposante cheminée du grand salon fut une récompense méritée ; il fallut au préalable, rechercher quelques brassées de sarments et quelques vieilles souches dans la séculaire remise à la lueur d’une lampe électrique, en affrontant des bourrasques cinglantes, dans une cour où l’on s’enfonçait dans la neige, presque jusqu’aux genoux.
    Si bien que Manuel et Marianne se retrouvèrent transis et trempés à grelotter devant un feu bien timide au début. Une fumée âcre faillit bientôt les chasser de la pièce.
    Ces grandes cheminées séculaires ont besoin de beaucoup d’air pour respirer, ce que ne leur donnent pas les belles baies modernes, double vitrage et hermétiques. Ils durent se résoudre à laisser une fenêtre entrouverte, laissant s’engouffrer par moments des bouffées d’air froid qui venaient leur saisir le dos.
    
    Manuel dormirait près de la cheminée, sur un petit matelas mousse de fortune. Ses habits étant trempés, Il avait enfilé un pyjama dans un coin de pénombre. Il se sentait un peu ridicule dans cet habit aux allures de tunique de bagnard, retroussé aux jambes et aux bras de dix bons centimètres. L’ex-mari de Marianne l’avait oublié dans une vieille commode. Le passé jaillit souvent des tiroirs pour faire pleurer ou faire le pitre.
    La maîtresse des lieux s’était parée d’un collant de laine épousant merveilleusement ses formes.
 

    Les yeux du Docteur Simon avaient changé d’éclat, il se sentait soudain d’une humeur euphorique.

 
    — Votre ex-mari devait être plutôt grand. Dit-il en riant.
    Oui et plutôt du genre classique !
    Fit-elle avec une moue narquoise, en le scrutant de bas en haut.
    Il trouvait les expressions de son hôtesse de plus en plus délicieuses. Il percevait en elle un changement d’attitude, un regard plus appuyé, plus curieux sur un visage jovial qui contrastait avec la mine triste de l’accueil.
    La neige au dehors semblait se tarir lentement, mais le vent hurlait, et les cyprès du champ voisin, dont la silhouette se découpait sur le ciel opalin presque phosphorescent, ployaient sous ses assauts.
    Un couple improbable se rapprochait peu à peu de l’âtre éclatant et chaud.
    Un bout de saucisson, du pain et un bon vin seraient, d’un commun accord, le festin du soir. La flamme vive aux lueurs changeantes, presque cadencées, donnait à leurs visages et à leurs gestes une rigidité stroboscopique.
    L’iris vert de Marianne étincelait comme le verre en cristal qui glissait sur ses lèvres.

 

 

    Manuel restait troublé par le conseil chuchoté de Juliette, il y avait dans ses mots une note incantatoire, prophétique qu’il ne pût se retirer de l’esprit. Comme si l’enchaînement des événements de cette soirée était comme écrit d’avance sur une partition étrange, où se mêlaient la flamme brûlante et le gel, l’obscurité de la nuit et la luminescence des collines enneigées, comme un homme et une femme qui n’auraient jamais dû se rapprocher.
 
    Les verres de vin réchauffèrent cette intimité forcée, jusqu’alors muette.
    Marianne en vint à évoquer son passé, sa séparation.
    Comment après vingt ans de vie commune et la naissance d’un garçon, elle avait réalisé peu à peu qu’elle n’aimait plus son mari, comment son quotidien devenait un enfer parce que sans amour, comment elle se voyait vieillir et voyait partir son fils devenu grand, comment Yves qui croisa son regard un dimanche d’avril lui donna l’envie folle d’aimer, comment enfin elle brisa son couple déjà moribond.
    Yves ne fut qu’une parenthèse exaltante, elle se retrouva seule, abandonnée de ses amis et de son fils qui lui reprochaient son attitude.
    Pierre, son mari, fut féroce dans le verbe et dans les actes, le divorce ne le fut pas moins. Elle avait tout perdu, pour avoir seulement espéré le regard amoureux d’un homme. Pierre se remit en couple six mois après son départ, et se remaria dans la foulée du divorce.
    C’est dire si son chagrin fut court.
    Marianne restait isolée dans le mas de sa mère depuis deux années. Elle fêterait demain ses cinquante ans.
    Manuel buvait ses paroles comme le vin qui l’enivrait, il écoutait l’amer destin d’une femme qui aurait pu s’appeler Myriam.