Voyage blanc

     En ce coin de France où l’été n’en finit plus, où la terre se craquelle et les arbres se « cramoisissent » sous l’effet des chaleurs, ce lieu entre garrigue et mer où l’on déjeune parfois torse nu en février, bref en ce pays méditerranéen qui cherche l’hiver désespérément sans vraiment le trouver, il arrive parfois, une fois l’an, que ses paysages arides, de chênes kermes et de pins parasols ploient sous vingt à trente centimètres de neige lourde .
    La vie alors, se paralyse, se transit, les routes se ferment faute de matériel de « désenneigement », une hivernale torpeur envahit la contrée .
    Manuel sous ce déluge blanc, retrouvait soudain une joie oubliée, presque enfantine, déraisonnable .
    Il n’était pas pressé, il roulait au pas pour éviter toute glissade, sur une route qui disparaissait peu à peu sous une moquette immaculée, comblant les fossés, floquant les panneaux de signalisation et les troncs d’arbre. Le faisceau des phares balayait un mur pâle fait de millier de taches éblouissantes.
    Cette angélique blancheur ne suscitait pas en lui que de pures pensées.
    Son esprit s’évadait vers ses premières conquêtes d’adolescent, le premier baiser où cette langue féminine intrusive fit trembler tout son être. Il s’étonnait lui-même de ces songes jaillissant du passé. La couleur immaculée des flocons, les rondeurs du paysage enneigé, la douce chaleur de l’habitacle automobile dans ce décor de glace, avaient peut-être réveillé en lui des sens affaiblis par le chagrin.

 

    Des frissons agréables accompagnaient ses rêveries, alors qu’une ouate cristalline et étincelante se précipitait inlassablement dans le faisceau de ses phares. Il se remémorait le premier sein caressé, la première main qui plonge dans la dentelle blanche pour conquérir une aréole tendre et suave. Les années se passant ; la même main plongea quelquefois entre un ceinturon dégrafé et un ventre frémissant, à la recherche d’un Graal interdit qui se dérobait ou se donnait dans une cambrure voluptueuse. Une érection se fit sentir au bas du ventre de Manuel, histoire de le sortir de ses phantasmes et de le remettre dans la rigide réalité d’un homme seul abandonné au milieu d’une tempête de neige.

    Il était temps de se concentrer sur la route, ou ce qu’il pouvait en deviner, entre les bourrasques soudaines chargées de papillons blancs et les nuages bas laiteux qui se confondaient peu à peu au tapis de sol, blafard, de plus en plus épais. Le moteur hurlait parfois pour passer une plaque de glace ou des congères qui allongeaient leurs langues de neige sur la chaussée. Il devait être à 2 km du Mas et il lui tardait d’arriver, ne préférant pas penser à ce que serait le retour.

    Une zone, plus clémente, à l’abri de quelques collines, rendit la conduite plus facile. Des frissons de plaisir l’envahissaient à nouveau, dans la chaleur confortable de son véhicule.

    Le jour de ses dix-sept ans, les draps étaient blancs, comme la neige ce soir, quand il serra ce premier corps féminin entièrement nu.

    Toutes les impressions suaves des flirts passés se condensèrent dans une étreinte savoureuse ou sa bouche courrait partout, sur les lieux interdits soudainement offerts ensemble.

    Comme un papillon frénétique, ses mains, ses lèvres, butinaient là où le désir les attirait.

 

    La voiture fut charmée soudain par un fossé. Manuel, à nouveau en érection, dans ses pensées voluptueuses, avait oublié simplement de braquer à temps.

 

    Le premier contact avec le froid fut saisissant, il avait laissé ses gants sur le siège et il put constater que la neige qui atteignait en ce lieu trente centimètres, n’avait rien du drap de satin, tiède et doux d’après l’amour . La tempête à présent reprenait vigueur à coup de gifles glacées à couper le souffle . Il dut se rendre à l’évidence , la voiture ne sortirait pas seule de ce trou et il restait un bon kilomètre avant d’atteindre le mas perdu. L’humidité des flocons, le froid, les doigts gelés, n’incitaient plus à la rêverie érotique.

    Un kilomètre à traîner une valise pleine de science, et de potions pour soulager des souffrances et des maladies. La progression dans la poudreuse pulvérisée et givrée fut très éprouvante. Manuel apprécia bientôt la vision lointaine, des lueurs du Mas des collines blanches.