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dîner et aux réceptions de la haute société de la capitale. Certes, il aimait la compagnie des femmes mais sa vraie passion, c'était la NUMA.
L'Agence Nationale Marine et Sous-Marine lui tenait heu de famille. Il la couvait et en avait fait une gigantesque institution, révérée et respectée dans le monde entier.
Le dimanche, il longeait les berges du Potomac dans une vieille baleinière de la Marine américaine qu'il avait rachetée et remise en état. L'avant arrondi écarta l'eau brun‚tre et boueuse lorsqu'il arrêta l'hélice pour esquiver un morceau de bois flottant. Ce petit bateau de huit mètres avait une histoire. Sandecker s'était renseigné sur ce qui lui était arrivé
depuis sa construction, en 1936, dans un petit chantier de Port-smouth, dans le Maine, puis son transport à Newport News, en Virginie, o˘ il avait été chargé sur le porte-avions Enterprise. Au cours des années et de nombreuses batailles dans le Pacifique Sud, il avait servi de canot personnel à l'amiral Bull Halsey pour aller à terre. En 1958, quand YEnterprise fut désarmé et démoli, la vieille baleinière fut mise au rebut aux chantiers navals de New York, o˘ elle rouillait lentement. C'est là que Sandecker l'avait trouvée et achetée. Il l'avait magnifiquement restaurée, avec beaucoup d'amour, jusqu'à ce qu'elle paraisse aussi neuve que le jour o˘ elle était sortie du chantier du Maine.
Tout en écoutant le ronronnement du vieux moteur diesel Buda à quatre cylindres, il réfléchissait aux événements de la semaine écoulée et envisageait ce qu'il faudrait accomplir la semaine suivante. Ce qui le préoccupait le plus, c'était la peste acoustique créée par l'avidité
d'Arthur Dorsett et qui dévastait l'océan Pacifique. Cette inquiétude était suivie de près par l'enlèvement inattendu de Pitt et de Giordino et leur disparition. Il était inquiet aussi parce que ni l'un ni l'autre de ces événements ne semblait avoir l'ombre d'une solution.
Les députés du Congrès qu'il avait approchés n'avaient pas accepté de prendre les mesures énergiques qu'il demandait pour arrêter Arthur Dorsett tant que sa culpabilité ne serait pas prouvée dur comme fer. Pour eux, il n'y avait tout simplement pas assez de preuves pour l'accuser d'être, de près ou de loin, responsable des morts en masse, raisonnement que, bien s˚r, soutenaient les hommes de loi surpayés de Dorsett. " Ils sont tous pareils, pensait Sandecker, frustré. Les fonctionnaires n'agissent jamais que lorsqu'il est trop tard. " Son seul espoir était de persuader le Président de faire quelque chose mais, sans le soutien d'au moins deux des membres les plus en vue du Congrès, la cause était perdue d'avance.
Une neige légère tombait sur la rivière, recouvrant les arbres dénudés et la maigre végétation des rives. Son bateau était le seul visible sur l'eau par cette journée de froidure. Le ciel était d'un bleu de glace et l'air coupant et sec.
Sandecker remonta le col de son caban usé, enfonça son bonnet de 292
Onde de choc
laine noire sur ses oreilles et fit virer la baleinière vers la jetée, le long de la plage de Maryland o˘ il mouillait habituellement. De loin, il aperçut une silhouette qui sortait du confort d'un 4x4 et traversait le quai. Même de loin, à cinq cents mètres au moins, il reconnut facilement la démarche bizarrement pressée de Rudi Gunn.
Sandecker mit la baleinière dans le courant et ralentit le diesel Buda au maximum. En s'approchant du quai, il vit l'expression sinistre de Gunn derrière ses lunettes. Il réprima un frisson de peur et jeta la butée de caoutchouc sur le côté b‚bord de la quille. Puis il lança les amarres à
Gunn, qui tira le bateau pour le ranger parallèlement au quai avant d'attacher l'avant et l'arrière aux bittes d'amarrage.
L'amiral sortit d'un coffre une b‚che que Gunn l'aida à installer sur la baleinière. quand ce fut fait et que Sandecker eut sauté à terre, ni l'un ni l'autre n'avait échangé une parole. Gunn gardait les yeux fixés sur le bateau.
- Si jamais vous voulez le vendre, je serai à la tête des acheteurs, avec mon carnet de chèques à la main. Sandecker le regarda et comprit que Gunn souffrait.
- Vous n'êtes pas venu jusqu'ici pour admirer mon bateau? Gunn marcha jusqu'au bout du quai et regarda l'eau boueuse de la rivière.
- Le dernier rapport, depuis que Dirk et Al ont été pris sur l'Océan Angler à Wellington, n'est pas bon.
- Accouchez!
- Dix heures après, le yacht de Dorsett a disparu du champ des caméras de notre satellite.
- Le satellite de reconnaissance les a perdus ! interrompit Sandecker avec colère.
- Nos réseaux de surveillance militaire ne considèrent pas l'hémisphère Sud comme un nid d'activités guerrières, répondit sèchement Gunn. Les budgets étant ce qu'ils sont, aucun satellite capable de photographier la terre en détail n'est braqué sur les mers au sud de l'Australie.
- J'aurais d˚ y penser, murmura Sandecker au comble de la frustration.
Continuez, je vous en prie.
- L'Agence Nationale de Sécurité a intercepté une conversation par satellite d'Arthur Dorsett à bord de son yacht avec le directeur de sa mine de l'île du Gladiateur, un certain Jack Ferguson. Le message disait que Dirk, Al et Maeve Fletcher dérivaient sur un petit canot pneumatique sans moteur, loin au-dessous du quinzième parallèle, là o˘ l'océan Indien rejoint la mer de Tasmanie. Il n'a pas donné la position exacte. Dorsett a ensuite indiqué qu'il rentrait sur son île personnelle.
- Il a mis sa propre fille dans une situation mortelle ? murmura Sandecker, incrédule. Je trouve cela incroyable ! Vous êtes s˚r que le message a été
interprété correctement?
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- Il n'y a aucune erreur, affirma Gunn.
- C'est un monstre ! Cela signifie qu'on les a l‚chés au bord des quarantièmes Rugissants. Dans ce coin-là, les vents sont déchaînés toute l'année.
- Il y a pire, avoua Gunn. Dorsett les a l‚chés sur la trajectoire d'un typhon.
- Il y a combien de temps?
- Ils dérivent depuis plus de quarante-huit heures. Sandecker secoua la tête.
- S'ils ont survécu, ils vont être affreusement difficiles à trouver.
- Pour ne pas dire impossibles, quand on sait que ni notre Marine ni celle des Australiens n'ont de bateaux ou d'avions disponibles pour organiser des recherches.
- Vous y croyez vraiment?
- Pas une seconde, avoua Gunn.
- quelles sont leurs chances d'être découverts par un navire de passage?
- Ils ne sont pas sur une route maritime. A part un hypothétique bateau transportant des fournitures à une station de recherche subcontinentale, il ne reste que d'éventuels baleiniers. La mer entre l'Australie et l'Antarctique est considérée comme désertique. Il y a peu de chances pour que quelqu'un les trouve.
Rudi Gunn avait l'air fatigué et vaincu. Pourtant, s'il y avait eu une équipe de football de la NUMA dont Sandecker aurait été l'entraîneur, Pitt aurait joué arrière et Giordino attaquant, mais Gunn aurait sans nul doute été celui qui analyse le jeu et la tactique. Il était indispensable, plein d'entrain. Aussi Sandecker était-il surpris de le voir si déprimé.
- J'ai l'impression que vous ne croyez guère à leurs chances de survie?
- Trois personnes sur un tout petit canot à la dérive, assiégés par des vents hurlants et une mer démontée... Même si, par miracle, ils survivaient au typhon, il reste la soif et la faim. Dirk et Al sont revenus d'entre les morts en plusieurs occasions dans le passé, mais je crains que, cette fois, les forces de la nature ne leur aient déclaré la guerre.
- Si je connais bien Dirk, dit Sandecker avec force, il crachera à la figure de cet orage et restera en vie, même s'il doit mener ce canot à la rame jusqu'à San Francisco. (Il enfonça ses mains au fond des poches de son caban.) Alertez tous les vaisseaux de recherches de la NUMA à cinq mille kilomètres à la ronde et envoyez-les dans cette zone.
- Pardonnez-moi l'expression, amiral, mais c'est trop peu et trop tard.
- Je ne déclarerai pas forfait, affirma Sandecker dont les yeux lançaient des éclairs. Je vais exiger qu'on déclenche une recherche dans les grandes largeurs ou, par Dieu, je ferai en sorte que la Marine et l'Armée de l'Air regrettent d'avoir un jour été créées.
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Yaeger découvrit Sandecker au restaurant favori de l'amiral, une petite auberge hors des sentiers battus, au sud de Washington. Il partageait avec Gunn un dîner morose. quand le téléphone sans fil Iridium Motorola sonna dans sa poche, Sandecker but une gorgée de vin pour faire passer le morceau de filet mignon qu'il avait dans la bouche et répondit à l'appel.
- Ici Sandecker.
- Hiram Yaeger, amiral. Désolé de vous déranger.
- Ne vous excusez pas, Hiram. Je sais que vous ne m'appelleriez pas hors du bureau si ce n'était pas urgent.
- Pouvez-vous venir au centre de données?
- C'est trop important pour en parler au téléphone?
- Oui, monsieur. Les communications par satellite sont souvent écoutées par des oreilles étrangères. Sans vouloir avoir l'air de dramatiser, il est urgent que je vous mette au courant en privé.
- Rudi Gunn et moi serons là dans une demi-heure. Sandecker remit le téléphone dans la poche de son manteau et poursuivit son repas.
- Mauvaises nouvelles? demanda Gunn.
- Si je sais lire entre les lignes, Hiram a rassemblé de nouvelles données sur la peste acoustique. Il veut nous les communiquer au centre de données.
- J'espère que les nouvelles sont bonnes.
- D'après le ton de sa voix, ça ne doit pas être le cas, dit Sandecker. Je crains qu'il n'ait découvert quelque chose qu'aucun de nous n'a envie de savoir.
Yaeger était affalé sur sa chaise, les pieds tendus, et contemplait l'image reproduite sur un terminal d'ordinateur à écran géant quand Sandecker et Gunn entrèrent dans son bureau personnel. Il se retourna pour les accueillir sans quitter sa chaise.
- qu'avez-vous pour nous? demanda Sandecker en allant droit au but. Yaeger se redressa et montra l'écran vidéo.
- J'ai mis au point une méthode permettant d'estimer les positions de convergence de l'énergie acoustique dégagée par les opérations minières de Dorsett.
- Bon travail, Hiram, dit Gunn en prenant une chaise et en regardant l'écran. As-tu pu déterminer o˘ se produira la prochaine convergence ?
Yaeger fit signe que oui.
- En effet, mais il faut d'abord que je vous explique le procédé. Il tapa une série de commandes et reprit :
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- La vitesse du son dans l'eau de mer varie en fonction de la température de la mer et de la pression hydrostatique à différentes profondeurs. Plus on descend, plus la colonne d'eau est lourde, donc plus le son se propage vite. Il y a une centaine d'autres variables que je pourrais vous expliquer, parmi lesquelles les conditions atmosphériques, les différences saisonnières, l'accès à la zone de convergence et la formation de caustiques sonores, mais je vais essayer de faire simple et d'illustrer ce que j'ai découvert.
L'écran afficha une carte du Pacifique, avec quatre lignes vertes partant des mines de Dorsett et se croisant à l'île Seymour, dans l'Antarctique.
- J'ai commencé par remonter à la source à partir du point o˘ l'onde de choc avait frappé. En commençant par le plus difficile, l'île Seymour, parce qu'elle s'élève en haut de la péninsule Antarctique, dans la mer de Weddell qui fait partie de l'Atlantique Sud, j'ai déterminé que les ondes sonores dans la partie la plus profonde de l'océan étaient déviées par la géologie montagneuse du fond marin. J'ai eu une chance extraordinaire parce que ça ne coÔncide pas avec un modèle normal. Après avoir établi une méthode, j'ai intégré un fait plus élémentaire, celui qui a tué l'équipage du Mentawai.
- «a, c'était au large de l'île Howland, presque au centre de l'océan Pacifique, commenta Sandecker.
- C'est plus simple à calculer que la convergence de Seymour, dit Yaeger en tapant une donnée qui fit changer l'image. Elle montrait maintenant quatre lignes bleues issues des îles Kunghit, du Gladiateur, de P‚ques et Komandorskie et se rejoignant au large de l'île Howland. Puis il ajouta quatre lignes rouges.
- Voici l'intersection des zones de convergence qui ont rayé des vivants la flotte de pêcheurs russes au nord-est de HawaÔ, expliqua-t-il.
- De sorte que tu sais o˘ se trouve la prochaine zone de convergence?
hasarda Gunn.
- Si les conditions ne changent pas pendant les trois prochains jours, le dernier point mortel devrait se trouver par ici.
Les lignes, jaunes cette fois, se rejoignirent à 900 kilomètres au sud de l'île de P‚ques.
- Il n'y a pas trop de navires de passage dans ce coin de l'océan, dit Sandecker. Mais pour ne prendre aucun risque, je vais faire transmettre à
tous les navires d'éviter cette zone.
Gunn s'approcha de l'écran.
- quelle est ta marge d'erreur?
- Plus ou moins deux kilomètres.
- Et la circonférence jusqu'o˘ frappe la mort?
- Nous avons un diamètre qui peut varier de cinquante à quatre-vingt-dix kilomètres, suivant l'énergie des ondes après qu'elles ont parcouru de longues distances.
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- Le nombre de créatures marines qui s'inscrivent dans une zone aussi étendue doit être énorme!
- Combien de temps à l'avance pouvez-vous déterminer l'intersection des ondes de choc? demanda Sandecker.
- Les conditions océaniques ne sont pas faciles à prévoir, en fait, répondit Yaeger. Je ne peux pas garantir une prédiction raisonnablement précise au-delà de trente jours. Après ça, ça devient n'importe quoi.
- Avez-vous calculé d'autres lieux de convergence après celui-là?
- Oui, dans dix-sept jours d'ici. (Yaeger jeta un coup d'oeil à un grand calendrier qu'illustrait la photo d'une jolie fille court vêtue assise devant un clavier d'ordinateur.)
- Le 22 février.
- Si tôt?
Yaeger jeta à l'amiral un regard gêné.
- J'ai gardé le pire pour la fin. (Ses doigts jouèrent sur le clavier.) Messieurs, je vous annonce pour le 22 février une catastrophe d'amplitude atterrante.
Ni Gunn ni Sandecker n'étaient préparés à ce qui s'afficha sur l'écran. Ce qu'ils virent leur parut impensable, un événement sur lequel ils n'auraient aucun contrôle, une toile rampante de désastre qu'ils distinguaient sans pouvoir intervenir. Ils contemplèrent, malades d'écourement, les quatre lignes pourpres qui se rencontraient et se croisaient sur l'écran.
- N'y a-t-il aucune possibilité d'erreur? demanda Gunn.
- J'ai refait mes calculs plus de trente fois, dit Yaeger d'une voix cassée, j'ai essayé de trouver une paille, une erreur, une variable qui prouverait que je me suis trompé. Mais que je le prenne à l'endroit ou à
l'envers, le résultat a toujours été le même.
- Seigneur ! Non ! murmura Sandecker. Pas là ! Pas alors que ça pourrait se produire au milieu du désert marin!
- A moins d'un bouleversement imprévisible de la nature altérant la mer et l'atmosphère, dit Yaeger d'une voix brisée par l'émotion, les zones de convergence se croiseront à environ quinze kilomètres au large de la ville d'Honolulu.
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Contrairement à son prédécesseur, ce Président prenait rapidement ses décisions, fermement et sans hésiter. Il refusait d'assister à des réunions Diamants... magnifique illusion
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de conseillers qui prenaient un temps fou pour un résultat minimum et détestait particulièrement les aides de camp qui couraient dans tous les sens en se lamentant ou qui se félicitaient des résultats des dernières élections. Les conférences n'ayant d'autre but que de se défendre des critiques des médias ou du public ne l'enthousiasmaient guère. Il était décidé à accomplir le plus possible pendant ces quatre années de mandat. Et s'il échouait, aucune rhétorique, aucune excuse sucrée, aucun moyen de rejeter le bl‚me sur le parti opposé ne lui ferait gagner de nouvelles élections. Les représentants de son parti s'arrachaient les cheveux et le suppliaient de donner de lui-même une image plus positive, mais il les ignorait et poursuivait sa t‚che, gouvernant au mieux des intérêts du pays, sans chercher à savoir s'il écrasait des pieds au passage.
La demande que présenta Sandecker pour voir le Président n'impressionna pas le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Wilbur Hutton. Il était imperméable à toutes ces requêtes émanant de gens n'appartenant pas aux leaders du parti au Congrès ou du vice-président. Même les membres du cabinet personnel du Président avaient du mal à obtenir un tête-à-tête avec lui. Hutton mettait un zèle exagéré à jouer le chien de garde du Bureau du Président. Il n'était pas homme à se laisser intimider. Grand et massif comme un lutteur de foire, les cheveux blonds déjà rares mais soigneusement lissés et d'une coupe militaire, il avait un visage sanguin en forme d'ouf, o˘ son regard d'un bleu limpide semblait toujours fixé sur la ligne bleue des Appalaches. Il ne cillait jamais. Diplômé de l'Etat d'Arizona, docteur en économie de l'université de Stanford, il avait la réputation d'être irascible et abrupt avec quiconque se vantait d'avoir appartenu à la Ivy League *.
Contrairement à tous les assistants de la Maison-Blanche, il affichait un grand respect envers les membres du Pentagone. Enrôlé dans l'infanterie, bardé de médailles pour conduite héroÔque pendant la guerre du Golfe, il avait de la tendresse pour les militaires. Les généraux et les amiraux avaient droit à plus de courtoisie de sa part que les politiciens en costumes sombres.
- Jim ! C'est toujours un plaisir de vous voir ! dit-il en accueillant chaleureusement Sandecker en dépit du fait que l'amiral arrivait sans s'être annoncé. Votre demande de rendez-vous avec le Président avait l'air urgente mais je crains que son emploi du temps ne soit complet. Vous n'auriez pas d˚ faire tout ce chemin pour rien.
Sandecker sourit puis reprit très vite son sérieux.
- Ma mission est trop délicate pour que je l'expose au téléphone, Will. Je n'ai pas le temps de passer par les voies habituelles. Moins nous serons nombreux à connaître le danger, mieux cela vaudra.
1. Association très fermée, réservée aux meilleurs élèves des grandes écoles américaines.
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Hutton montra une chaise à Sandecker et alla fermer la porte de son bureau.
- Excusez-moi de paraître froid et insensible, mais j'entends ce genre d'histoire plus souvent qu'à mon tour.
- Je suis s˚r que vous n'avez pas entendu celle-ci. Dans seize jours, tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants de la ville d'Hono-lulu et presque tous les habitants de l'île d'Oahu seront morts.
Sandecker sentit le regard de Hutton tenter de percer sa nuque.
- Allons, Jim! qu'est-ce que vous racontez?
- Les scientifiques et les analystes de la NUMA ont élucidé le mystère de la menace qui pèse sur les gens et détruit toute vie sur et dans l'océan Pacifique. (Sandecker ouvrit sa serviette et posa un dossier sur le bureau de Hutton.) Voici le rapport de notre étude. Nous l'appelons la peste acoustique parce que les morts sont causées par des ondes sonores de très forte intensité qui se concentrent par réfraction. Cette énergie extraordinaire se propage dans la mer puis converge et fait surface, tuant tout ce qui se trouve dans un rayon de 90 kilomètres.
Hutton resta un moment silencieux, se demandant un instant si l'amiral n'avait pas pété les plombs. Un instant seulement. Il connaissait Sandecker depuis trop longtemps pour ne pas reconnaître son sérieux et son dévouement à son travail. Il ouvrit le dossier et jeta un coup d'oil au contenu tandis que l'amiral attendait patiemment. Il leva enfin les yeux.
- Vos adjoints sont s˚rs de ça?
- Absolument, dit Sandecker.
- Il y a toujours la possibilité d'une erreur, non?
- Aucune erreur. Ma seule concession, c'est une erreur de moins de cinq pour cent sur la distance entre la convergence et l'île.
- J'ai entendu dire par le téléphone arabe du Congrès que vous avez essayé
d'approcher les sénateurs Raymond et Ybarra à ce sujet mais que vous n'aviez pu obtenir leur soutien pour que les militaires frappent les propriétés de la Dorsett Consolidated.
- Je n'ai pas réussi à les convaincre du sérieux de la situation.
- Alors vous vous tournez vers le Président.
- Je me tournerais vers Dieu le Père si je pouvais sauver ainsi deux millions de vies.
Hutton regarda fixement Sandecker, la tête penchée, le regard plein de doute. Il frappa un moment le dessus de son bureau avec un crayon puis hocha la tête, convaincu qu'il fallait tenir compte de l'avis de l'amiral.
- Attendez ici, dit-il enfin.
Il poussa une porte donnant sur le Bureau ovale et disparut dix longues minutes. quand il revint, il fit signe à Sandecker de le suivre.
- Par ici, Jim. Le Président va vous recevoir.
- Merci, Will. Je vous revaudrai ça.
quand l'amiral entra dans le Bureau ovale, le Président fit le tour de l'ancien bureau du Président Roosevelt et vint lui serrer la main.
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- Amiral Sandecker, je suis ravi de vous voir.
- Merci de me consacrer un moment, monsieur le Président.
- Will dit qu'il s'agit d'un sujet urgent concernant la cause de tous ces morts du Polar queen.
- Et beaucoup d'autres.
- Dites au Président ce que vous m'avez dit, le pressa Hutton en tendant au Président le rapport sur la peste acoustique pour qu'il y jette un coup d'oil pendant que l'amiral résumait la menace.
Sandecker présenta son cas avec fougue. Il se montra énergique et vibrant.
Il avait une confiance aveugle en ses collaborateurs de la NUMA, en leur jugement et en leurs conclusions. Il se tut pour donner du poids à ses paroles puis poursuivit, en demandant que l'on utilise la force armée pour arrêter les excavations d'Arthur Dorsett.
Le Président écouta attentivement jusqu'à ce que Sandecker ait terminé son exposé puis continua à lire en silence quelques minutes avant de relever les yeux.
- Vous réalisez, bien s˚r, amiral, que je ne peux pas faire détruire arbitrairement une propriété privée sur un sol étranger.
- Sans compter les vies innocentes que l'on détruirait en même temps, ajouta Hutton.
- Si nous pouvons arrêter l'excavation d'une seule des mines de la Dorsett Consolidated, dit Sandecker, et empêcher l'énergie acoustique de se propager depuis cette source, nous pourrons sans doute affaiblir suffisamment la convergence pour sauver deux millions d'hommes, de femmes et d'enfants vivant à Honolulu et alentour et qui risquent une mort affreuse.
- Vous devez admettre, amiral, que l'énergie acoustique n'est pas une menace contre laquelle le gouvernement est prêt à se mobiliser. Tout ceci est absolument nouveau pour moi. J'ai besoin de temps pour que mes conseillers du Bureau National des Sciences étudient les résultats de la NUMA.
- La catastrophe se produira dans seize jours, dit Sandecker d'un air sombre.
- Je vous donnerai la réponse dans quatre jours, assura le Président.
- Cela nous laissera suffisamment de temps pour mettre au point un plan d'action, dit Hutton. Le Président tendit la main.
- Merci de m'avoir signalé ce problème, amiral, dit-il sur le ton officiel habituel. Je vous promets d'y consacrer toute mon attention.
- Merci, monsieur le Président, dit Sandecker. Je n'en espérais pas moins.
En le raccompagnant, Hutton lui dit :
- Ne vous inquiétez pas, Jim. Je ferai en sorte que votre rapport atterrisse sur les bons bureaux.
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Sandecker lui lança un regard br˚lant.
- Assurez-vous seulement que le Président ne le passe pas aux oubliettes, sinon il ne restera personne à Honolulu pour voter pour lui.
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quatre jours sans eau. La chaleur incessante du soleil et l'humidité
constante vidaient leurs corps de leur transpiration. Pitt ne voulait pas qu'ils restent immobiles sur l'immensité déserte qui ne pouvait qu'anéantir leur énergie physique et toute idée créative. Le bruit monotone des vagues contre le canot les rendit presque fous jusqu'à ce qu'ils réussissent à
s'en immuniser. L'ingéniosité, c'était le seul moyen de survivre. Pitt avait étudié de nombreux récits de naufrages et savait que bien des marins naufragés étaient morts de léthargie et de la perte de toute espérance. Il ne cessait d'occuper Maeve et Giordino, les poussant à ne dormir que la nuit. Tant qu'il faisait jour, il les empêchait de penser.
Et le procédé fut efficace. Maeve occupa la fonction de bouchère du bord et en plus péchait en attachant des fils à un mouchoir de soie et en le traînant à l'arrière du canot. Le mouchoir jouait son rôle de fine toile de criblage : du plancton de toute sorte et des animaux minuscules se collèrent à sa surface. Après quelques heures, elle partagea les échantillons recueillis en trois piles bien nettes sur le dessus d'un siège, comme s'il s'agissait d'une sorte de salade marine. Giordino, en se servant de la lame la plus dure du couteau suisse, creusa des entailles dans l'hameçon fabriqué à partir du cran de la ceinture de Pitt. Il se consacra à la pêche, tandis que Maeve, se servant de ses connaissances en biologie et en géologie, nettoyait et disséquait les prises de la journée.
La plupart des naufragés se seraient contentés de mettre l'hameçon dans l'eau et d'attendre. Giordino sauta la première étape consistant à séduire le poisson. Après avoir app‚té avec ce que le poisson devait préférer, des morceaux d'entrailles de requin, il se mit à lancer la ligne comme un cow-boy attrape un veau au lasso, remontant lentement son fil en l'enroulant autour de son épaule et entre le pouce et l'index, l'agitant tous les mètres pour donner à l'app‚t une apparence de vie. Apparemment, les proies paraissaient apprécier que leur dîner s'agite et bientôt Giordino ferra son premier poisson. Un petit thon avala le leurre et, moins de dix minutes plus tard, il tira à bord sa première prise.
Les annales des marins naufragés sont pleines de récits de malheureux morts de faim alors que les poissons pullulaient autour d'eux mais qu'ils Diamants... magnifique illusion
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ne savaient comment faire pour en attraper. Giordino, lui, savait. quand il eut pris le coup de main et amélioré son système, il commença à remonter autant de poissons qu'un pêcheur confirmé. Avec un filet, il aurait pu remplir le canot en quelques heures. L'eau, autour du petit bateau, ressemblait à un aquarium. Des poissons de toutes les tailles et de toutes les couleurs s'étaient rassemblés pour les escorter. Les plus petits, de couleurs vives, attiraient les plus gros qui, à leur tour, attiraient les requins, dangereux parce qu'ils ne cessaient de se cogner contre la petite embarcation.
Menaçants et gracieux à la fois, les assassins des profondeurs glissaient de l'avant à l'arrière du bateau, leurs ailerons triangulaires fendant l'eau de la surface comme un couperet. Accompagnés par les légendaires poissons-pilotes, les requins roulaient sur eux-mêmes pour glisser sous le canot. Hissés sur la crête des vagues quand le bateau se trouvait dans un creux, ils pouvaient étudier leurs victimes potentielles de leurs yeux de chat, aussi vides que des cubes de glace. Pitt repensa à un tableau de Winslow Homer dont il avait vu une reproduction sur un des murs de sa classe, au cours élémentaire. Cela s'appelait Le Gulf Stream. On y voyait un homme noir flottant sur un sloop dém‚té, entouré d'une troupe de requins, avec une trombe d'eau au fond de la toile. Homer voyait ainsi la lutte de l'homme et des forces de la nature.
Les trois naufragés appliquèrent une vieille méthode qui avait maintes fois fait ses preuves : ils m‚chaient du poisson cru en guise de repas, ainsi que la chair séchée du requin. Ce sushi ' fut rehaussé par la dégustation de deux poissons volants qu'ils avaient découverts au matin dans le fond du canot. Le go˚t un peu huileux du poisson cru ne leur parut certes pas délectable mais leur permit au moins de diminuer un peu les souffrances de la faim et de la soif. Leurs estomacs vides s'apaisaient après quelques bouchées.
Ils avaient aussi besoin de renouveler les réserves de liquides de leurs corps. Pour cela, ils se baignaient plusieurs fois par jour, chacun son tour, pendant que les deux autres surveillaient les requins. La sensation de fraîcheur qu'ils ressentaient dans leurs vêtements mouillés en se mettant à l'ombre de la tente improvisée les aida à combattre la déshydratation et le tourment que leur causait la br˚lure du soleil. Et cela permettait aussi de faire fondre le sel qui s'accumulait rapidement sur leur peau.
Les éléments simplifiaient considérablement la t‚che de navigation de Pitt.
Les vents d'ouest arrivant des quarantièmes Rugissants les poussaient vers l'est. Les courants aidaient en filant dans le même sens. Pour déterminer -
bien approximativement - leur position, en gros, il se fia au 1. Plat japonais de poisson cru.
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soleil et aux étoiles ainsi qu'à une croix de bois qu'il avait confectionnée avec deux lamelles prises sur le manche de la pagaie. Cette croix de bois lui permettait de calculer la latitude à la manière des très anciens marins. On tenait l'une des branches de la croix au niveau des yeux et on faisait pivoter l'autre, en avant ou en arrière, jusqu'à ce que l'on soit exactement à mi-chemin entre l'horizon et le soleil ou une étoile. On lisait ensuite l'angle de la latitude sur les entailles marquées sur les branches. Une fois l'angle établi, le marin pouvait, par un calcul simple, établir une latitude sans recourir aux tables de références publiées depuis. Déterminer la longitude - dans le cas de Pitt, pour savoir de combien ils avaient dérivé vers l'est - c'était une autre histoire.
Le ciel nocturne resplendissait d'étoiles, qui figuraient autant de points lumineux sur la boussole céleste s'étirant de l'est à l'ouest. Après avoir passé quelques nuits à repérer leurs positions, Pitt put tenir un journal de bord rudimentaire en inscrivant ses calculs sur un des côtés de la couverture de nylon avec un petit crayon que Maeve avait découvert par hasard, enfoncé sous le tube de flottaison. Au début, il eut du mal car les étoiles et les constellations de l'hémisphère Sud ne lui étaient pas aussi familières que celles du Nord et il dut t‚tonner avant de s'en débrouiller.
Le petit bateau répondait au moindre souffle de vent et glissait souvent sur l'eau comme s'il avait une voilure. Pitt mesura leur vitesse en lançant une de ses chaussures à semelle de caoutchouc à l'avant du canot, au bout d'une corde de cinq mètres. Puis il compta les secondes que mit le bateau pour dépasser la chaussure en la retirant de l'eau avant qu'elle ait le temps de dériver vers tribord. Il découvrit ainsi que le vent d'ouest les poussait à près de trois kilomètres à l'heure. En se servant de la couverture de nylon comme d'une voile et de la pagaie comme d'un m‚t, il calcula qu'il pouvait augmenter cette vitesse à cinq kilomètres, ce qui e˚t été appréciable s'ils avaient pu sortir du canot et marcher.
- On est là à dériver sans gouvernail, comme les épaves de notre société
sur les grandes mers de la vie, philosopha Giordino à travers ses lèvres couvertes de sel. Il faut absolument trouver un moyen de diriger ce machin!
- N'en dis pas plus! dit Pitt en utilisant le tournevis pour ôter les gonds du siège en fibre de verre qui recouvrait le petit compartiment de rangement. En moins d'une minute, il enleva le couvercle rectangulaire, de la taille
d'un fond de placard.
- Une image par seconde.
- Comment allez-vous l'attacher ? demanda Maeve qui ne s'étonnait même plus des inventions continuelles de Pitt.
- En utilisant les gonds des sièges qui restent et en les attachant au couvercle. Je pourrai les visser sur le support o˘ aurait d˚ se trouver le moteur hors-bord. Ainsi, il pourra facilement balancer d'avant en arrière.
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Ensuite, en attachant deux cordes à la partie supérieure, on pourra le faire fonctionner comme n'importe quel gouvernail de bateau ou d'avion.
C'est ainsi que l'on transforme le monde pour le rendre plus confortable.
- Tu ne manques de rien, dit stoÔquement Giordino. Dons artistiques, logique élémentaire, vie facile, sex-appeal, tout est là. Pitt regarda Maeve en souriant.
- Ce qu'il y a de bien avec Al, c'est qu'il a un grand sens thé‚tral.
- Alors, maintenant que nous avons une petite parcelle de possibilité de contrôle, grand navigateur, o˘ allons-nous?
- O˘ la dame le désire, dit Pitt. Elle connaît mieux ces eaux que moi.
- Si nous allons droit vers le nord, répondit Maeve, nous avons une chance d'arriver en Tasmanie. Pitt secoua la tête et montra leur pauvre voile.
- Nous ne sommes pas équipés pour naviguer par vent de travers. A cause de notre fond plat, on kait cinq fois trop vite à l'est et au nord. Je pense qu'en accostant tout au sud de la Nouvelle-Zélande, nous avons une petite chance. Il faudra faire un compromis en dirigeant la voile un peu nord-est, disons à 75 degrés sur ma brave boussole de boy-scout.
- Plus on ira vers le nord, mieux cela vaudra, dit-elle en croisant les bras sur sa poitrine pour se réchauffer un peu. Les nuits sont trop froides, aussi loin vers le sud.
- Savez-vous s'il y a un moyen d'accoster dans cette direction? demanda Giordino à Maeve.
- Pas beaucoup, répondit-elle. Les îles au sud de la Nouvelle-Zélande sont peu nombreuses et très éloignées les unes des autres. On pourrait facilement passer entre deux d'entre elles sans les voir, surtout la nuit.
- Elles sont pourtant notre seul espoir, remarqua Pitt. Tenant la boussole dans une main, il en surveilla l'aiguille.
- Vous rappelez-vous leur position, même en gros?
- L'île Stewart est juste au-dessous de l'île du Sud. Puis il y a les Snares, les îles Auckland et, neuf cents kilomètres plus au sud, les Macquaries.
- L'île Stewart est la seule dont le nom me paraisse vaguement familier, dit pensivement Pitt.
- Les Macquaries ne vous plairont guère, poursuivit Maeve en frissonnant.
Il n'y a que des pingouins et il y neige souvent.
- Elles doivent être balayées par les courants froids venus de l'Antarctique.
- Si nous en manquons une, c'est " bon voyage jusqu'en Amérique du Sud ", dit Giordino découragé. Pitt mit une main au-dessus de ses yeux et fouilla le ciel vide.
- Si les nuits froides ne nous tuent pas, sans pluie, nous serons déshydratés bien avant d'avoir pu mettre le pied sur une plage de sable. Il vaut
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mieux nous diriger vers les îles du Sud et espérer en rencontrer une. Bien s˚r, cela veut dire mettre tous nos oufs dans le même panier pour diminuer les risques.
- Alors, tentons le coup pour les Macquaries, dit Giordino.
- Je crois que c'est notre meilleur espoir, assura Pitt.
Avec l'aide efficace de Giordino, Pitt mit le cap sur la direction indiquée par la petite boussole, à 75 degrés. Le gouvernail rudimentaire fonctionna si bien qu'ils purent bientôt affiner leur direction à presque 60 degrés.
Encouragés par l'idée qu'ils avaient enfin une toute petite influence sur leur destin, ils sentirent revenir l'optimisme, surtout lorsque Giordino annonça soudain :
- Un grain se dirige vers nous!
En effet, des nuages noirs s'étaient rassemblés et arrivaient de l'ouest aussi vite que si, là-haut, un géant déroulait un tapis au-dessus des naufragés. En quelques minutes, de grosses gouttes de pluie commencèrent à
frapper le canot. Puis la pluie se fit plus lourde, plus concentrée et tomba finalement comme un torrent de montagne.
- Ouvrez tous les compartiments et sortez tout ce qui ressemble à un conteneur! ordonna Pitt en abaissant rapidement la voile de nylon. Tenez la voile en pente au-dessus du bord une minute pour laver le sel qui s'y est accumulé. Ensuite, nous en ferons un entonnoir pour faire tomber l'eau dans la glacière.
Sous la pluie battante, ils tendirent leur visage vers les nuages, ouvrant grande la bouche, avalant le précieux liquide comme des oisillons gourmands et exigeants. Son odeur pure et fraîche, son go˚t merveilleux, furent aussi doux que du miel à leur gorge parcheminée. Aucune sensation n'aurait pu leur être plus agréable.
Le vent courait sur la mer et, pendant douze minutes, ils jouirent d'un déluge aveuglant. Les tubes de néoprène du canot résonnaient comme des tambours sous les gouttes énormes qui frappaient leur toile tendue.
La glacière fut bientôt pleine d'eau pure qui déborda sur le fond du canot.
Le grain revivifiant s'arrêta aussi brutalement qu'il avait commencé. Les naufragés n'en perdirent pas une goutte. Ils enlevèrent leurs vêtements et les essorèrent au-dessus de leur bouche avant de mettre soigneusement tout ce qu'ils purent prendre au fond du bateau dans tout ce qui pouvait servir de réceptacle. Maintenant que la pluie s'était arrêtée et qu'ils avaient de l'eau fraîche, leur moral remonta en
flèche.
- A votre avis, combien en avons-nous recueilli? demanda Maeve.
- Je dirais entre dix et douze litres, supputa Giordino.
- On peut en faire trois litres de plus en la mélangeant à de l'eau de mer, dit Pitt.
Maeve ouvrit de grands yeux.
- Est-ce que cela n'engendrera pas un désastre ? Boire de l'eau avec du sel n'est pas le meilleur moyen d'étancher la soif.
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- Pendant les saisons chaudes et étouffantes sous les tropiques, les humains ont tendance à avaler de l'eau jusqu'à ce qu'elle leur sorte par les oreilles, sans étancher leur soif pour autant. Un corps peut supporter plus de liquide qu'il n'en a besoin. Mais ce dont notre système a vraiment besoin, quand on a beaucoup transpiré, c'est de sel. Votre langue retiendra peut-être le go˚t désagréable de l'eau salée mais croyez-moi, si on la mélange à de l'eau douce, ça étanchera votre soif sans vous lever le cour.
Après un repas de poisson cru et une bonne lampée d'eau, ils se sentirent redevenir humains. Maeve trouva un peu de graisse à l'endroit o˘ avait été
le moteur, sous la console. Elle la mélangea à l'huile qu'elle avait retirée des poissons, pour en faire une sorte de lotion solaire. Elle baptisa en riant sa création le " Blindage peaucier " de chez Fletcher et lui conféra un indice de protection de moins six. Les seules affections qu'ils ne pouvaient pas soigner étaient les plaies qui se formaient sur leurs jambes et leur dos, causées par les frottements incessants dus aux mouvements du bateau. La lotion improvisée de Maeve les soulagea un peu mais ne put résoudre ce problème de plus en plus douloureux.
Une brise assez forte se leva dans l'après-midi. La mer se mit à
bouillonner autour d'eux, les jetant vers le nord-est suivant les caprices des vagues imprévisibles. Ils jetèrent l'ancre faite du blouson de cuir et Pitt abaissa la voile qui risquait de s'envoler. Ils avaient l'impression de glisser le long d'une colline de neige dans un tube géant, sans pouvoir contrôler leurs mouvements.
Ce temps dura jusqu'au lendemain matin à dix heures, puis céda enfin. Dès que la mer fut calmée, les poissons reparurent. Ils semblaient énervés par l'interruption de leur voyage, déchirant l'eau et se cognant contre le canot. Les plus voraces, les tyrans de la troupe, eurent de quoi faire avec leurs cousins plus petits. Pendant près d'une heure, l'eau autour du canot se teinta de sang tandis que les poissons se livraient à la lutte sans fin que gagnaient toujours les requins.
Epuisée d'avoir été sans cesse ballottée par la tempête, Maeve ne tarda pas à s'endormir et rêva de ses enfants. Giordino fit lui aussi une petite sieste et admira en rêve un buffet garni de tout ce dont il pouvait avoir envie. Pitt, lui, ne rêva pas. Il essaya d'oublier sa fatigue et réinstalla la voile. Il regarda le soleil avec son compas de fortune et sa boussole pour calculer un cap. Installé confortablement à l'arrière, il cala avec des cordes le gouvernail vers le nord-est.
Comme souvent par mer calme, il se sentait loin des problèmes de survie, loin de la mer qui les entourait. Après avoir pensé et repensé à la situation, il ne pouvait empêcher son esprit de se concentrer sur Arthur Dorsett. Il s'obligea à retrouver toute sa colère. Nul ne pouvait infliger autant d'horreurs indicibles à des innocents - et, entre autres, à sa propre fille - et s'en tirer sans ch‚timent. C'était maintenant pour lui plus important que jamais. Les visages diaboliques de Dorsett et de ses filles Deirdre et Boudicca le hantaient.
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II n'y avait pas de place, dans l'esprit de Pitt, pour les souffrances de ces cinq derniers jours ni pour aucune émotion engendrée par les tourments de la mort qui les avait presque emportés. Il n'y avait plus que son désir tout-puissant de vengeance. Il était impensable de laisser Dorsett continuer à faire régner le mal. Pas après avoir volé la vie à tant de victimes. Il devait payer pour chacune de ces vies.
Pitt se concentrait donc sur deux objectifs : délivrer les fils de Maeve et tuer l'horrible marchand de diamants.
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II y avait maintenant huit jours que Pitt dirigeait de son mieux la petite embarcation sur l'immensité de la mer. Ce soir-là, au coucher du soleil, Giordino prit le relais pendant que Pitt et Maeve dînaient de poisson cru et de poisson séché. Une lune ronde et pleine sortit de l'horizon comme une grosse boule d'ambre qui, peu à peu, traversant le ciel nocturne au-dessus d'eux, diminua et devint blanche. Après quelques gorgées d'eau pour faire passer le go˚t du poisson, Maeve se nicha entre les bras de Pitt et regarda sur la mer la route argentée qui menait à la lune.
Elle murmura les mots de Moon river : " Deux errants partis voir le monde... " Elle se tut, leva les yeux vers le solide visage de Pitt et étudia la ligne dure de sa m‚choire, les sourcils sombres et épais et les yeux verts qui brillaient chaque fois que la lumière les frappait. Il avait un joli nez pour un homme, quoiqu'on puisse voir qu'il avait été cassé
plusieurs fois. Les ridules, autour des yeux et aux coins des lèvres, vaguement relevées, lui donnaient l'apparence d'un homme plein d'humour, toujours souriant, un homme avec lequel une femme ne peut que se sentir bien, un homme qui jamais ne menaçait. Il y avait en lui un curieux mélange de dureté et de sensibilité qui le rendait incroyablement attirant.
Elle resta immobile, comme hypnotisée, jusqu'à ce que, baissant les yeux, il vît l'expression de fascination sur le visage de la jeune femme. Elle ne fit pas un mouvement pour détourner les yeux.
- Vous n'êtes pas un homme ordinaire, dit-elle sans savoir pourquoi. Il la regarda avec étonnement.
- qu'est-ce qui vous fait dire cela?
- Les choses que vous dites, les choses que vous faites. Je n'ai jamais rencontré personne qui f˚t autant que vous au diapason de la vie.
Il sourit, ravi.
- Voilà des mots qu'aucune femme ne m'avait jamais dits.
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- Vous avez d˚ en connaître beaucoup ! dit-elle avec une curiosité
d'adolescente.
- Beaucoup?
- De femmes...
- Pas vraiment. J'ai toujours rêvé d'être un tombeur, comme Al, mais je n'en ai jamais vraiment eu le temps.
- Marié?
- Non, jamais.
- Mais très amoureux?
- Peut-être une fois, oui.
- qu'est-il arrivé?
- Elle est morte.
Maeve comprit que Pitt n'avait jamais complètement comblé le fossé séparant la tristesse des souvenirs doux-amers. Elle regretta d'avoir posé la question et se sentit embarrassée. quelque chose l'attirait vers lui avec l'envie de fouiller dans son esprit. Elle devinait qu'il était de ces hommes qui rêvent de quelque chose de plus profond qu'une simple relation physique et qu'un flirt hypocrite n'avait aucune chance de le retenir.
- Elle s'appelait Summer, poursuivit-il d'une voix douce. C'était il y a très longtemps.
- Je suis désolée, dit Maeve dans un souffle.
- Elle avait les yeux gris et les cheveux roux, mais elle vous ressemblait beaucoup.
- J'en suis très flattée.
Il allait lui parler de ses fils mais s'arrêta, pensant que cela risquait de g‚cher l'intimité de cette minute. Deux êtres tout seuls, enfin presque seuls, dans un monde fait de lune, d'étoiles et de mer sombre et agitée.
Sans humains, sans terre ferme, des milliers de kilomètres d'eau et de vacuité tout autour. Il était si facile d'oublier o˘ l'on se trouvait et de s'imaginer sur un yacht, en train de traverser la baie menant à une île chaude des tropiques.
- Vous ressemblez aussi de façon incroyable à votre trisaÔeule, ajouta-t-il. Elle leva la tête et le regarda.
- Comment savez-vous que je lui ressemble?
- Le tableau sur le yacht représentant Betsy Fletcher.
- Un jour, il faudra que je vous parle de Betsy, dit Maeve en se lovant dans ses bras comme un chaton.
- C'est inutile, dit-il en souriant. Je pense que je la connais presque aussi bien que vous. Une femme héroÔque, arrêtée et envoyée à la colonie pénitentiaire de Botany Bay et qui a survécu sur le radeau du Gladiateur.
Elle a aidé à sauver la vie du capitaine Scaggs dit la Brute et de Jess Dorsett, un bagnard voleur de grand chemin devenu son mari et votre trisaÔeul. Après avoir échoué sur ce qui devint l'île du Gladiateur, Betsy 308
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découvrit l'une des plus grosses mines de diamants du monde et fonda une dynastie. Là-bas, dans mon hangar, j'ai tout un dossier sur les Dor-sett, commençant par Betsy et Jess, en passant par tous leurs descendants jusqu'à
vous et vos abominables sours.
Elle se redressa, ses yeux bleus pleins de colère.
- Alors, vous avez fait faire une enquête sur moi, espèce de fouine !
Probablement par votre CIA! Pitt secoua la tête.
- Pas tant sur vous que sur l'histoire de la famille Dorsett en tant que diamantaires. Mon intérêt pour eux concerne les recherches qu'a faites un adorable vieux monsieur qui serait très f‚ché d'être confondu avec un agent de la CIA.
- Vous en savez moins sur ma famille que vous ne le croyez, dit-elle avec hauteur. Mon père et ses ancêtres sont des gens très secrets.
- Maintenant que j'y pense, dit-il d'un ton apaisant, il y a un membre de votre tribu qui m'intrigue plus que les autres. Elle le regarda de biais.
- Si ce n'est pas moi, qui cela peut-il être?
- Le monstre marin qui vit dans votre lagon. La réponse la prit complètement par surprise.
- Vous voulez parler de Basil?
- qui ça? répondit-il après une seconde de silence.
- Basil n'est pas un monstre, c'est un serpent de mer. «a fait une énorme différence. Je l'ai vu trois fois de mes propres yeux. Alors Pitt éclata de rire.
- Basil? Vous l'appelez Basil?
- Vous ne ririez pas si fort s'il vous tenait dans ses m‚choires ! siffla-t-elle, vexée. Pitt secoua la tête.
- Je n'arrive pas à imaginer qu'une zoologue distinguée croie dur comme fer aux serpents de mer!
- Pour commencer, serpent de mer est une appellation erronée. Il ne s'agit pas de véritables serpents, comme les reptiles.
- On a raconté des histoires folles ! Des touristes prétendent avoir vu des bêtes étranges dans tous les lacs d'Ecosse, du Loch Ness au lac Champlain, mais je n'ai jamais entendu dure qu'on en avait vu dans l'océan depuis le siècle dernier.
- On ne fait plus à ces apparitions en mer la publicité qu'on leur faisait autrefois. Les guerres, les catastrophes naturelles et les massacres de populations ont pris leur place à la une des journaux.
- Ce qui ne devrait pas arrêter les reportages.
- Les voies maritimes des navires modernes sont toutes bien déterminées, expliqua patiemment Maeve. Les navires d'autrefois traversaient des mers peu fréquentées. Les baleinières, qui poursuivaient ces mammi-Diamants... magnifique illusion
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fères au large plutôt que près des ports, ont souvent raconté ces apparitions. Et puis les bateaux d'autrefois naviguaient à la voile, donc sans bruit, de sorte qu'ils pouvaient s'approcher des serpents de mer en surface. Maintenant les navires fonctionnent au diesel et on les entend à
des kilomètres. Ce n'est pas parce qu'elles sont énormes que ces créatures ne sont pas craintives et discrètes. Ce sont des voyageurs infatigables des océans, qui ne veulent pas se laisser capturer.
- Si elles ne sont ni des illusions ni des serpents, que sont-elles ? Des dinosaures oubliés?
- Très bien, monsieur le sceptique, dit-elle avec sérieux, un peu d'orgueil et de défi dans la voix. Je prépare une thèse en cryptologie, la science des animaux légendaires. Pour votre information, il y a eu 467 apparitions confirmées après qu'on a éliminé la possibilité de vision défectueuse, de canular et de on-dits. Elles sont toutes cataloguées sur mon ordinateur à
l'université : nature des apparitions, y compris conditions atmosphériques et marines au moment des faits, distribution géographique, caractéristiques distinctives, couleurs, formes et tailles. Gr‚ce aux techniques graphiques, je peux retracer l'évolution des bêtes. Et pour répondre à votre question, il est vraisemblable qu'elles sont de lointains cousins des dinosaures, comme le sont les alligators et les crocodiles. Mais ce ne sont pas vraiment des " survivants ". Les plésiosaures, l'espèce dont on pense souvent qu'elle pourrait avoir survécu sous la forme actuelle des serpents de mer, n'ont jamais dépassé seize mètres, ce qui est beaucoup plus petit que Basil, par exemple.
- Très bien, je réserve mon jugement jusqu'à ce que vous me convainquiez de leur existence.
- Il y a six espèces principales, insista Maeve. La plupart des apparitions montraient des créatures au long cou avec un tronc principal et une tête aux m‚choires semblables à celles d'un gros chien. Ensuite il y a celui que l'on décrit toujours comme ayant une tête de cheval avec une crinière et des yeux comme des soucoupes. Cette créature-là aurait une barbiche de chèvre sous la m‚choire inférieure.
- Une barbiche de chèvre? répéta Pitt d'un ton moqueur.
- Ensuite, il existe une variété possédant un vrai corps de serpent, un peu comme une anguille. Une autre a l'apparence d'une loutre de mer géante, tandis qu'une autre aurait une rangée d'énormes nageoires triangulaires.
Celle que l'on décrit le plus souvent a de nombreuses bosses dorsales, une tête en forme d'ouf et un gros museau canin. Presque tous les serpents seraient noirs sur le dessus et blancs sur le ventre. Certains ont des palmes ou des nageoires, comme les phoques ou les tortues marines, d'autres non. Certains ont de longues queues énormes, d'autres de petites protubérances. Beaucoup seraient recouverts de fourrure mais la plupart auraient la peau lisse et soyeuse. Les couleurs varient du jaun‚tre au brun ou au noir. Presque tous les témoins s'accordent à dire que
!
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la partie inférieure des corps est blanche. Au contraire de la plupart des vrais reptiles marins ou terrestres, qui se meuvent en s'agitant latéralement, le serpent de mer avance par ondulations verticales. On pense qu'il se nourrit de poissons, qu'il ne se montre que par temps calme et on en a observé dans toutes les mers du globe, sauf autour de l'Arctique et de l'Antarctique.
- Comment pouvez-vous être s˚re que toutes ces apparitions n'ont pas été
mal interprétées? demanda Pitt. Il aurait pu s'agir de requins pèlerins, de touffes d'algues, de marsouins nageant en file ou même de calmars géants.
- Dans la plupart des cas, il y a eu de nombreux observateurs, rétorqua Maeve. Beaucoup de ces témoins sont des commandants de navires tout à fait intègres. Le capitaine Arthur Rostron, entre autres.
- Je connais ce nom. Il commandait le Carpathia, le navire qui a secouru les survivants du Titanic.
- Il affirme avoir vu une créature qui lui a semblé en grande détresse, comme si elle était blessée.
- Ces témoins peuvent être parfaitement honnêtes mais se tromper, insista Pitt. Tant qu'un serpent ou un morceau de serpent n'aura pas été remis à
des scientifiques pour être disséqué et étudié, il n'y aura pas de preuve.
- Pourquoi vous paraît-il impossible que des reptiles de vingt à cinquante mètres de long, ressemblant à des serpents, vivent encore dans les mers comme ils le faisaient à l'ère mésozoÔque? La mer n'est pas une vitre de cristal. On ne peut pas voir ses profondeurs ni les étudier comme on voit l'horizon sur terre. qui sait combien d'espèces géantes, encore inconnues de la science, habitent au fond des eaux.
- J'ai presque peur de poser la question, dit Pitt, les yeux pleins de sourire. A quelle catégorie appartient Basil?
- J'ai classé Basil dans les méga-anguilles. Il a un corps cylindrique de trente mètres de long, terminé par une queue pointue. Sa tête est légèrement arrondie, comme celle d'une anguille commune, avec une large bouche canine remplie de dents aiguisées. Il est bleu‚tre avec le ventre blanc et ses yeux très noirs sont aussi larges que de grandes assiettes. Il ondule à l'horizontale, comme les anguilles et les serpents. Deux fois, je l'ai vu soulever la partie avant de son corps au moins dix mètres au-dessus de l'eau avant de retomber dans un grand éclaboussement d'eau et d'écume.
- quand l'avez-vous vu pour la première fois?
- quand j'avais dix ans, répondit Maeve. Deirdre et moi faisions du bateau dans le lagon, dans un petit cotre que notre mère nous avait offert, quand soudain j'ai eu l'étrange sensation qu'on me regardait. Comme un long frisson le long de ma colonne vertébrale. Deirdre agissait comme s'il ne se passait rien de spécial. Je me suis lentement retournée. Là, à une vingtaine de mètres derrière nous, il y avait une tête et un cou qui sortaient de l'eau, à trois mètres de haut. La chose avait deux yeux noirs brillants qui nous dévisageaient.
- Son cou était-il très épais?
- Au moins deux mètres de diamètre, aussi gros qu'une barrique, comme Père l'a souvent décrit.
- Lui aussi l'a vu?
- Toute la famille a vu Basil en de nombreuses occasions mais plutôt quand quelqu'un est sur le point de mourir.
- Continuez votre description.
- «a ressemblait aux dragons des cauchemars d'enfant. J'étais pétrifiée et je ne pouvais ni parler ni hurler. Deirdre continuait à regarder vers l'avant. Elle s'attachait à m'expliquer comment je devais tirer un bord pour que nous ne sortions pas du récif.
- Est-ce que la bête s'est approchée de vous?
- Non. Elle nous a juste regardées et n'a rien fait pour retourner le bateau pendant que nous nous éloignions.
- Deirdre ne l'a jamais vue?
- Pas cette fois-là mais plus tard, en deux occasions.
- Comment a réagi votre père quand vous lui avez raconté ce que vous aviez vu?
- Il a ri et m'a dit : " Alors, tu as enfin rencontré Basil. "
- Vous avez dit que le serpent se manifestait lorsque quelqu'un devait mourir?
- C'est ce qu'on dit dans la famille avec un brin de vérité. L'équipage d'un baleinier qui lui rendait visite a vu Basil dans le lagon quand Betsy Fletcher est morte et, plus tard, quand ma grand-tante Mildred puis ma mère moururent, toutes deux de mort violente.
- CoÔncidence ou destin? Maeve haussa les épaules.
- qui peut le dire ? La seule chose dont je sois s˚re, c'est que mon père a assassiné ma mère.
- Comme le grand-père Henry est supposé avoir tué sa sour Mildred? Elle lui lança un regard étrange.
- Vous savez cela aussi?
- Tout le monde le sait.
Elle regarda au loin, là o˘ l'eau sombre rejoignait les étoiles. La lune brillante illumina ses yeux qui semblèrent devenir plus sombres et plus tristes.
- Les trois dernières générations des Dorsett n'ont pas été exactement des modèles de vertu.
- Votre mère se prénommait Irène? Elle approuva sans rien dire.
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- Comment est-elle morte? demanda Pitt avec douceur.
- Elle serait morte de toute façon, le cour brisé par tout ce qu'avait fait l'homme qu'elle avait tant aimé. Mais un jour o˘ elle se promenait sur les falaises avec mon père, elle glissa et tomba. (Une expression de haine se peignit sur le fin visage de la jeune femme.) Il l'a poussée, dit-elle d'un ton glacial. Mon père l'a poussée pour qu'elle meure, aussi s˚rement qu'il y a des étoiles dans l'univers.
Pitt la serra contre lui et la sentit frissonner.
- Parlez-moi de vos sours, dit-il pour changer de sujet.
Le regard de haine disparut et ses traits reprirent leur délicatesse.
- Il n'y a pas grand-chose à dire. Je n'ai jamais été très proche d'elles.
Deirdre était la plus sournoise. Si je possédais quelque chose qu'elle désirait, elle le volait tout simplement et prétendait que cela lui avait toujours appartenu. Des trois, Deirdre a toujours été la petite fille de son papa. Il lui accordait toute son affection, sans doute parce qu'ils avaient le même caractère. Deirdre vit dans un monde imaginaire créé par ses propres mensonges. Elle est incapable de dire la vérité même si elle n'a aucune raison de mentir.
- Ne s'est-elle jamais mariée?
- Une fois, avec un joueur de football professionnel qui croyait qu'il allait vivre toute son existence parmi les grands de ce monde avec ses jouets à lui. Malheureusement, quand il a voulu divorcer et qu'il a exigé
une pension au moins égale au budget de l'Australie, il est tombé, bien à
propos, d'un des yachts de la famille. On n'a jamais retrouvé son corps.
- Il vaut mieux ne pas accepter les invitations des Dorsett quand il s'agit de promenades en bateau, remarqua Pitt d'un ton ironique.
- Je n'ose pas penser à tous les gens que mon père a éliminés parce qu'ils se trouvaient sur son chemin, réellement ou dans son imagination.
- Et Boudicca?
- Je ne l'ai jamais vraiment connue. Boudicca a onze ans de plus que moi.
Juste après ma naissance, Père l'a inscrite dans une pension de luxe, du moins est-ce ce que l'on m'a toujours dit. Cela paraît bizarre de dire que ma sour est une totale étrangère pour moi. J'avais presque dix ans quand je l'ai vue pour la première fois. Tout ce que je sais d'elle, c'est qu'elle a une passion pour les beaux jeunes gens. «a ne plaît pas à Papa mais il ne fait pas grand-chose pour l'empêcher de coucher à droite et à gauche.
- C'est une forte femme!
- Je l'ai vue malmener Papa, une fois, quand il frappait notre mère alors qu'il était ivre.
- C'est bizarre qu'ils aient une si forte haine pour le seul membre de la famille qui soit aimable et convenable.
- quand je me suis enfuie de l'île, o˘ mes sours et moi étions pratiquement prisonnières depuis la mort de notre mère, Papa n'a pas Diamants... magnifique illusion
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accepté mon indépendance. que je gagne ma vie et que je réussisse à payer mes études universitaires sans taper dans la fortune des Dorsett, ça, il n'a pas aimé du tout. Puis, quand j'ai vécu avec un jeune homme et que j'ai été enceinte, quand au lieu d'avorter j'ai décidé d'aller au bout de ma grossesse, après que le médecin m'a annoncé que j'attendais des jumeaux, et que j'ai refusé d'épouser le père, Papa et mes sours ont coupé tous mes liens avec l'empire Dorsett. «a a l'air dingue mais je ne peux pas l'expliquer. J'ai obtenu officiellement de changer de nom et de prendre celui de ma trisaÔeule et j'ai vécu heureuse, heureuse surtout d'être délivrée d'une famille aussi désaxée.
Elle avait été torturée par des forces mauvaises sur lesquelles elle n'avait aucun contrôle et Pitt la plaignait tout en admirant son courage.
Maeve était une femme aimante. Il plongea son regard dans les yeux bleus, francs et candides d'une enfant. Il se jura alors qu'il remuerait ciel et terre pour la sauver.
Il allait dire quelque chose quand, dans l'obscurité, il aperçut la crête bouillonnante d'une vague énorme sur le point de tomber sur eux. Le rouleau géant parut occuper tout son champ de vision. Un frisson glacé parcourut sa nuque en voyant que trois vagues semblables suivaient la première.
Il prévint Giordino en criant et jeta Maeve sur le sol. La vague s'enroula et frappa le dessus du canot, l'inondant de mousse et d'écume, roula pardessus et le fit pencher sur tribord en frappant. Le bord opposé fut littéralement soulevé et le bateau tordu de côté en retombant dans un grand creux, le long du mur liquide de la vague suivante.
La deuxième vague s'éleva pour toucher les étoiles avant de retomber sur eux avec la force d'un train de marchandises. Dépassé par la folie de le mer, Pitt n'eut d'autre choix pour survivre que de s'agripper au tube de flottaison et de le serrer avec force, comme il l'avait fait lors du typhon. S'il tombait par-dessus bord, il resterait par-dessus bord. Et ce serait la mort entre les dents des requins ou par noyade.
Le petit canot avait réussi, Dieu sait comment, à revenir à la surface quand les deux dernières vagues le frappèrent l'une après l'autre. Elles le secouèrent en tous sens dans un enfer bouillonnant d'eau en furie. Les passagers impuissants furent plongés dans une paroi liquide et à nouveau immergés. Puis ils glissèrent au bas de la surface presque plane de la dernière vague, après quoi la mer redevint calme comme s'il ne s'était rien passé. Les rouleaux tumultueux allèrent faire la course ailleurs et disparurent dans la nuit.
- Voilà un bel exemple du mauvais caractère de la mer, dit Giordino en crachant, les bras encore serrés autour de la console. qu'est-ce qu'on lui a fait pour qu'elle nous fasse un coup pareil?
Pitt rel‚cha Maeve et l'aida à s'asseoir.
- Vous allez bien?
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Elle toussa plusieurs fois et répondit avec difficulté.
- Je pense... je pense que je survivrai. Mais au nom du ciel, qu'est-ce qui nous a frappés?
- Je suppose qu'il s'est agi d'une secousse sismique au fond de la mer. La secousse n'a pas besoin d'être d'une grande amplitude pour déclencher une série de vagues solitaires.
Maeve repoussa les mèches mouillées de ses cheveux blonds.
- Heureusement, le canot ne s'est pas retourné et aucun de nous n'a été
jeté à l'eau.
- Comment va le gouvernail? demanda Pitt à Giordino.
- Il est toujours là. Notre m‚t-pagaie s'en est bien tiré aussi mais notre voile en a pris un coup.
- La nourriture et la réserve d'eau n'ont pas souffert, annonça Maeve.
- Alors, on s'en sort sans trop de bobo, dit Giordino comme s'il avait du mal à y croire.
- Mais pas pour longtemps, j'en ai peur, répondit Pitt d'une voix tendue.
Maeve regarda autour d'elle le canot apparemment en bon état.
- Je ne vois aucun dommage irréparable...
- Moi non plus, fit Giordino après avoir vérifié les tubes de flottaison.
- Tu n'as pas regardé le fond.
Dans la lumière vive de la lune, ils virent tous deux l'expression tendue de Pitt. Ils regardèrent ce qu'il leur montrait et réalisèrent que tout espoir de survivre venait de disparaître.
Là, sur toute la longueur du fond du canot, la fibre de verre était fendue et l'eau commençait à s'infiltrer.
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Rudi Gunn ne ruisselait pas de sueur et ne chantait pas victoire. Il comptait sur ses facultés mentales, un régime de bonnes habitudes alimentaires et son métabolisme pour garder une allure jeune et mince. Une ou deux fois par semaine, quand ça le tentait, il faisait de la bicyclette pendant l'heure du déjeuner, avec Sandecker à ses côtés. L'amiral, lui, était fou de jogging et courait quotidiennement dix kilomètres sur une piste longeant le Potomac. Ni l'un ni l'autre ne gardait le silence pendant l'effort. L'un courant, l'autre pédalant, ils discutaient des affaires de la NUMA comme s'ils avaient été au bureau.
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- quel est le record de dérive pour un homme à la mer? demanda Sandecker en ajustant son bandeau sur son front.
- Steve Callahan, un plaisancier, a survécu 76 jours après que son sloop a coulé au large des îles Canaries, répondit Gunn. C'est le record sur un canot gonflable. Le livre Guinness des Records indique que le tenant pour la plus longue dérive en mer est un certain Poon Lim, un steward chinois qui s'est retrouvé sur un radeau après que son bateau a été torpillé dans le sud de l'Atlantique, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a survécu 133 jours avant d'être recueilli par des pêcheurs brésiliens.
- Est-ce que l'un ou l'autre a d˚ affronter une tempête de force 10 ? Gunn secoua la tête.
- Ni Callahan ni Poon Lim n'ont rencontré de tempête de l'intensité du typhon qui a balayé Dirk, Al et Maeve Fletcher.
- Il y a maintenant deux semaines que Dorsett les a abandonnés, dit Sandecker entre deux respirations. S'ils ont survécu à l'orage, ils doivent terriblement souffrir de la soif et de l'exposition aux éléments.
- Pitt est capable de ressources infinies, affirma Gunn d'un ton sans réplique. Et avec Giordino, je ne serais pas surpris qu'ils abordent une plage de Tahiti et qu'ils se reposent dans une hutte d'herbe.
Sandecker se mit sur le côté de la route pour permettre à une femme poussant un gamin dans un petit triporteur de passer en courant dans la direction opposée. Ayant repris sa course, il murmura :
- Dirk a toujours dit que la mer ne livrait pas facilement ses secrets.
- Les choses pourraient s'arranger si les équipes de recherches et de sauvetage d'Australie et de Nouvelle-Zélande unissaient leurs forces à
celles de la NUMA.
- Arthur Dorsett a le bras long, dit Sandecker, irrité. J'ai reçu tant d'excuses disant que tout le monde était occupé ailleurs à des missions de sauvetage que j'aurais pu retapisser mon bureau avec.
- Il est vrai que ce type exerce un incroyable pouvoir. (Gunn cessa de pédaler et s'arrêta à côté de l'amiral.) Les pots-de-vin de Dorsett atteignent le fond des poches de ses amis du Congrès des Etats-Unis et des parlements d'Europe et du Japon. C'est fou le nombre de gens célèbres qui travaillent pour lui!
Le visage de Sandecker prit une teinte brique, non de fatigue mais d'impuissance. Il ne pouvait retenir sa colère et son ressentiment. Il s'arrêta à son tour, s'assit et serra ses genoux dans ses bras en baissant les yeux.
- Je fermerais la NUMA sur l'heure si cela me permettait d'étrangler Arthur Dorsett de mes mains.
- Je suis s˚r que vous n'êtes pas le seul, dit Gunn. Ils doivent être des milliers à le détester, à se méfier de lui et à rêver de le voir mort. Et pourtant, personne ne le trahit jamais.
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Onde de choc
- Ce n'est pas étonnant. quand il n'organise pas des accidents mortels pour ceux qui se dressent sur son chemin, il les achète en remplissant de diamants des coffres en Suisse.
- Le diamant est une pierre puissante et persuasive.
- Il ne pourra jamais influencer le Président avec ça.
- Non, mais le Président peut être mal conseillé.
- S˚rement pas quand la vie de millions de gens est en jeu.
- Vous n'avez pas encore de nouvelles? demanda Gunn. Le Président a dit qu'il vous ferait signe dans quatre jours. «a en fait six.
- Il a bien compris l'urgence de la situation et...
Les deux hommes se retournèrent. Derrière eux klaxonnait une voiture marquée du sigle de la NUMA. Le chauffeur s'arrêta dans la rue le long du chemin de jogging. Il se pencha par la vitre ouverte et cria :
- J'ai un appel de la Maison-Blanche pour vous, amiral. Sandecker regarda Gunn avec un léger sourire.
- Le Président doit avoir l'oreille fine!
Il s'approcha de la portière d'o˘ le conducteur lui tendit un téléphone portable.
- Wilbur Hutton sur la ligne secrète, monsieur.
- Will?
- Bonjour, Jim. J'ai bien peur d'avoir des nouvelles décourageantes.
Sandecker se raidit.
- Expliquez-vous, je vous en prie.
- Après avoir considéré l'affaire sous toutes ses facettes, le Président a repoussé toute action concernant votre peste acoustique.
- Mais pourquoi? haleta Sandecker. Ne réalise-t-il pas les conséquences de ce manque d'action?
- Les experts du Bureau National des Sciences n'ont pas cru à votre théorie. Ils ont été influencés par les rapports d'autopsie des médecins légistes australiens du Centre de Contrôle des Maladies, de Melbourne. Les Australiens ont prétendument prouvé que les morts à bord du navire de croisière ont été causées par une forme rare de bactérie, semblable à celle qui cause la maladie du légionnaire.
- Mais c'est impossible! s'écria Sandecker.
- Je ne sais que ce qu'on m'a dit, admit Hutton. Les Australiens soutiennent que ça vient de l'eau contaminée des humidificateurs du système de chauffage du navire.
- Je me fous de ce que disent les légistes. Ce serait une folie de la part du Président d'ignorer mon avertissement! Pour l'amour du ciel, Will, suppliez-le, plaidez ou faites ce que vous voudrez pour le convaincre d'utiliser son pouvoir pour fermer les mines de Dorsett avant qu'il soit trop tard.
- Désolé, Jim, le Président a les mains liées. Aucun de ses conseillers scientifiques ne pense que vos preuves soient assez fortes pour risquer un incident diplomatique. Et surtout pas une année électorale.
Diamants... magnifique illusion
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- C'est complètement délirant ! dit Sandecker avec désespoir. Si mes collaborateurs ont raison, le Président ne pourra même pas se faire élire pour nettoyer les bains publics.
- «a, c'est votre avis, dit sèchement Hutton. Je pourrais ajouter que Dorsett a offert de faire visiter ses sites d'excavations à une équipe d'enquêteurs internationaux.
- Combien de temps faut-il pour rassembler une telle équipe, à votre avis?
- «a prend du temps. Deux semaines, peut-être trois.
- A ce moment-là, les cadavres s'empileront dans tout Oahu.
- Heureusement, ou malheureusement, selon la façon dont on voit les choses, vous êtes une minorité à le croire. Sandecker murmura sombrement :
- Je sais que vous avez fait de votre mieux, Will, et je vous en remercie.
- Contactez-moi si vous découvrez d'autres renseignements, Jim. Ma ligne est toujours ouverte pour vous.
- Merci.
- Au revoir.
Sandecker rendit le portable au chauffeur et se tourna vers Gunn.
- On est fichus. Gunn eut l'air choqué.
- Le Président ignore ce qui se prépare? Sandecker fit signe que oui d'un geste de défaite.
- Dorsett a acheté les légistes. Ils ont émis un rapport bidon, affirmant que la mort des touristes du navire de croisière était due à une contamination du système de chauffage.
- On ne peut pas laisser tomber, dit Gunn, furieux. Il faut trouver un autre moyen d'enrayer à temps la folie de Dorsett.
- quand on est dans le doute, répondit Sandecker dont les yeux retrouvaient leur flamme, il faut miser sur quelqu'un de plus malin que soi.
Il reprit le téléphone et composa un numéro.
- Je sais qui aura la clef.
L'amiral Sandecker se pencha et posa une balle sur le tee, au Camel-back Golf Club de Scottsdale, en Arizona. Il était deux heures de l'après-midi, sous un ciel sans nuage, cinq heures seulement après son jogging avec Rudi Gunn à Washington. A l'aéroport de Scottsdale, il avait emprunté une voiture à un ami retraité de la Marine et s'était rendu directement au club de golf. Janvier dans le désert est parfois frais, aussi portait-il un pantalon et un pull à manches longues en cachemire. Il y avait deux terrains et il jouait sur celui qu'on appelait le Virage Indien.
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Onde de choc
II regarda le green, 365 mètres plus loin, fit deux swings pour se chauffer, visa la balle et la frappa sans effort. Elle s'envola parfaitement, sliça un peu sur la droite, rebondit et roula pour s'arrêter 190 mètres plus bas sur le fairway.
- Joli coup, amiral! dit le DrSanford Adgate Ames. J'ai fait une erreur en vous proposant un parcours amical. Je n'avais pas réalisé que les vieux marins prennent aussi sérieusement les jeux qui se jouent à terre.
Avec la longue barbe grise peu fournie qui couvrait sa bouche et tombait sur sa poitrine, Ames avait l'air d'un vieux prospecteur du désert. Des lunettes à verres bleus, à double foyer, dissimulaient ses yeux.
- Les vieux marins font des choses étranges, répondit Sandecker.
Il e˚t été aussi inutile de demander à Ames de venir assister à une conférence de grosses têtes à Washington que de prier Dieu de lancer un sirocco pour faire fondre la calotte glacière. Ni l'un ni l'autre n'aurait répondu. Ames détestait New York et Washington de toutes ses forces et refusait absolument de s'y rendre. Les invitations à des dîners de reconnaissance ou à des remises de récompenses ne réussissaient pas à lui faire quitter sa cachette de Camelback Mountains.
Sandecker avait besoin de lui de façon urgente. Il avait demandé un rendez-vous au maître du son, comme l'appelaient ses collègues chercheurs. Ames avait accepté, à la condition expresse que Sandecker apporte ses clubs de golf car la discussion aurait lieu sur le links.
Très respecté dans la communauté scientifique, Ames était au son ce qu'Einstein avait été au temps et à la lumière. Tranchant, égocentrique, brillant, il avait écrit plus de trois cents articles sur tous les aspects connus de l'océanographie acoustique. Au cours des quarante-cinq dernières années, ses études et ses analyses couvraient tous les phénomènes, du radar sous-marin et des techniques du sonar à la propagation des ondes sonores et à leur réverbération en surface. Autrefois conseiller écouté du ministère de la Défense, il avait d˚ démissionner après s'être vivement opposé aux essais de bruits océaniques, faits dans le monde entier, pour mesurer le réchauffement du globe. Ses attaques caustiques contre les projets d'essais nucléaires sous-marins officiels constituaient également une source d'animosité au sein du Pentagone. Des représentants de quantité
d'universités avaient défilé devant sa porte, dans l'espoir d'obtenir sa participation à leurs facultés mais il avait toujours refusé, préférant poursuivre ses recherches avec une petite équipe de quatre étudiants, qu'il payait de ses deniers.
- que diriez-vous d'un dollar le point, amiral ? Etes-vous un parieur convaincu ?
- Vous avez mis le doigt dessus, Doc, répondit Sandecker en souriant. Ames s'approcha du tee, étudia le parcours comme s'il pointait un fusil Diamants... magnifique illusion
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et frappa. Il était presque septuagénaire mais Sandecker remarqua que son backswing n'était que de quelques centimètres plus court que celui d'un golfeur plus jeune et plus leste. La balle s'éleva et tomba dans un bunker, deux cents mètres au-delà du drapeau.
- Et voilà comment chutent les puissants ! dit Ames avec philosophie.
Sandecker ne fut pas dupe. Il savait que l'autre essayait de l'endormir.
Ames avait été célèbre dans les cercles de Washington pour ses qualités de golfeur. Tout le monde savait que, s'il ne s'était pas tourné vers la physique, il serait devenu golfeur professionnel.
Ils montèrent sur un kart et partirent vers leurs balles, Ames au volant.
- En quoi puis-je vous aider, amiral? demanda-t-il.
- Avez-vous entendu parler des efforts de la NUMA pour trouver et arrêter la peste acoustique?
- J'en ai entendu parler, en effet.
- qu'en pensez-vous?
- C'est un peu tiré par les cheveux.
- C'est aussi l'avis du président du Bureau National des Sciences, grogna Sandecker.
- Je ne saurais l'en bl‚mer.
- Alors vous ne croyez pas que le son puisse parcourir des milliers de kilomètres sous l'eau puis faire surface et tuer?
- qu'il vienne de quatre sources acoustiques de forte intensité et qu'il converge dans une même zone pour tuer tous les mammifères à la ronde ? Ce n'est pas l'hypothèse que je recommanderais, en tout cas si je souhaitais garder l'estime de mes collègues.
- Au diable les hypothèses ! éclata Sandecker. Il y a déjà eu quatre cents morts. Le colonel Leigh Hunt, un de nos meilleurs pathologistes, a prouvé
que ces morts avaient été causées par d'intenses ondes sonores.
- Ce n'est pas ce que j'ai retenu des rapports des médecins légistes australiens.
- Vous n'êtes qu'un faux-jeton, Doc ! dit Sandecker en souriant. Vous suiviez l'affaire depuis le début!
- Chaque fois qu'on parle d'acoustique, ça m'intéresse.
Ils atteignirent la première balle de Sandecker. Il choisit un club à tête en bois numéro trois et envoya sa balle dans un bunker, vingt mètres à
l'avant du green.
- On dirait que les obstacles de sable vous attirent, constata Ames avec désinvolture.
- Plus que vous ne le pensez, admit l'amiral.
Ils s'arrêtèrent devant la balle de Ames. Le physicien sortit de son sac un putter numéro trois. Son jeu paraissait plus mental que physique. Il ne fit aucun swing d'essai ni aucun mouvement de torsion. Il s'approcha simplement de la balle et swingua. Il y eut une pluie de sable tandis que la balle partait en chandelle et tombait sur le green à dix mètres du trou.
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II fallut à Sandecker deux coups de son sand-wedge l pour sortir de l'obstacle et deux putts2 avant que sa balle ne roule enfin dans le trou pour un double bogey. Ames la sortit en deux putts pour un par3. Pendant qu'ils se dirigeaient vers le second tee, Sandecker commença à détailler ce que lui et son équipe avaient découvert. Les huit trous suivants se jouèrent sur fond de discussion animée, Ames questionnant sans cesse Sandecker et tentant de contrer les arguments de l'amiral sur le meurtre acoustique.
Au neuvième trou, Ames utilisa un club métallique appelé pitching ledge, pour envoyer sa balle à une longueur de club du trou. Il s'amusa de voir que Sandecker avait mal interprété le green et renvoyé sa balle dans l'herbe alentour.
- Vous pourriez être un golfeur très convenable si vous jouiez plus souvent, amiral.
- Cinq fois par an, ça me suffit, répondit Sandecker. Je ne trouve guère d'intérêt à poursuivre une petite balle pendant six heures.
- Oh ! Je ne sais pas ! J'ai mis au point mes théorèmes les plus créatifs pendant que je me détendais sur un terrain de golf.
Après que Sandecker eut enfin mis un putt dans le trou, ils retournèrent au kart. Ames sortit une cannette de Coca sans sucre d'une petite glacière et la tendit à l'amiral.
- que souhaitez-vous que je vous dise exactement? demanda-t-il.
- Je me fiche pas mal de ce que pensent les savants dans leur tour d'ivoire. Il y a des gens qui meurent, là-bas, sur la mer. Si je n'arrête pas Dorsett, davantage de gens vont mourir, combien, je ne veux même pas y penser. Vous êtes le meilleur spécialiste en acoustique de ce pays.
J'espère que vous pourrez m'indiquer un moyen de mettre fin à ce massacre.
- Ainsi, je suis votre dernier recours?
Le changement subtil du ton amical d'Ames ne fut sans doute pas très évident mais cependant indubitable.
- Vous voulez que je trouve une solution pratique à votre problème ?
- A notre problème, corrigea doucement Sandecker.
- Oui, dit Ames en soupirant. Je le comprends maintenant. (Il leva sa cannette de Coca et l'observa sans la voir.) Ce que vous avez dit de moi, amiral, est tout à fait exact. Je ne suis qu'un faux-jeton. J'ai préparé
une sorte de plan avant même que vous quittiez Washington. Attention, c'est loin d'être parfait. Nous avons cinquante pour cent de chances de réussir 1. Club de métal (putter) spécial pour sortir la balle d'un obstacle de sable (sand trap ou bunker).
2. Coup roulé.
3. Nombre de coups nécessaires à un joueur de première série pour réussir un trou
et un bon total.
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mais c'est ce que je peux vous proposer de mieux, sans passer des mois à
faire des recherches sérieuses.
Sandecker regarda Ames, masquant son impatience, les yeux brillants cependant d'un nouvel espoir.
- Vous avez vraiment imaginé un moyen de mettre un terme aux exploitations minières de Dorsett?
- Ne rêvez pas, il n'est pas dans mes possibilités de lancer la force armée. Je parle d'une méthode permettant de neutraliser la convergence des ondes acoustiques.
- Comment est-ce possible?
- En peu de mots, disons que l'on peut faire réfléchir l'énergie d'une onde sonore. Puisque vous savez que les quatre ondes séparées vont se propager vers l'île d'Oahu et que vous avez déterminé l'heure approximative de leur convergence, je suppose que vos chercheurs peuvent calculer la position exacte de cette convergence.
- Nous l'avons fait, oui.
- Alors vous avez votre réponse.
- J'ai ma réponse ? répéta Sandecker, tout son espoir envolé. J'ai d˚
sauter un chapitre. Ames haussa les épaules.
- Le rasoir d'Occam1, amiral. Il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité.
- La réponse la plus simple est préférable à la plus complexe!
- Exactement. Mon avis vaut ce qu'il vaut, mais je pense que la NUMA devrait construire un réflecteur semblable à une antenne parabolique de satellite, le placer au point de convergence et dévier les ondes acoustiques d'Honolulu.
Sandecker réussit à ne montrer aucune émotion mais son cour battit très fort dans sa poitrine. La clef de l'énigme était ridiculement simple. Bien s˚r, il ne serait pas facile de faire dévier les ondes mais c'était faisable.
- Si la NUMA peut fabriquer et déployer à temps un réflecteur parabolique, dit-il à Ames, o˘ devons-nous, à votre avis, renvoyer les ondes ? Un sourire rusé étira les lèvres du physicien.
- Le meilleur choix serait une zone inhabitée de l'océan, disons le sud de l'Antarctique. Mais puisque l'énergie des ondes a tendance à ralentir beaucoup quand elles se propagent loin, pourquoi ne pas les renvoyer d'o˘
elles viennent?
- Vers les mines de Dorsett, sur l'île du Gladiateur, dit Sandecker en s'efforçant de masquer un peu son admiration.
- C'est un choix qui en vaut un autre. L'intensité de l'énergie n'aura 1. Guillaume d'Occam, philosophe anglais (1300-1349).
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plus la force de tuer après son voyage de retour. Mais ça pourra toujours leur flanquer une belle peur et leur donner une sacrée migraine.
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Pitt pensa qu'ils étaient arrivés au bout de l'aventure. Aucun humain n'aurait pu en faire davantage. C'était la conclusion d'un bel effort, la fin de leurs désirs, de leurs amours et de leurs joies. Ils finiraient dans l'eau et serviraient de p‚ture aux poissons. Leurs pauvres restes s'enfonceraient jusqu'au fond désolé de la mer, des milliers de mètres en dessous de la surface. Maeve ne reverrait jamais ses enfants, Pitt serait pleuré par ses parents et par ses nombreux amis de la NUMA. Avec un dernier vestige d'humour, il se dit que le service funèbre à la mémoire de Giordino rassemblerait un nombre impressionnant de femmes en pleurs dont chacune aurait pu être une reine de beauté.
Le petit canot qui les avait menés si loin au milieu d'un immense chaos se défaisait à toutes les coutures. La fissure le long de la coque s'agrandissait à chaque vague qui le soulevait. Les tubes de flottaison les garderaient à flot mais quand la coque se briserait pour de bon et que chaque morceau irait flotter de son côté, ils seraient tous les trois jetés dans l'eau impitoyable, accrochés désespérément aux morceaux d'épave et à
la merci des requins omniprésents.
Pour le moment, la mer était relativement calme. De la crête au fond des creux, les vagues ne dépassaient pas un mètre. Mais si le temps se g‚tait et que la mer grossissait, ils devraient regarder la mort en face. La vieille femme à la faux les emmènerait vite et sans la moindre hésitation.
Pitt se pencha sur le gouvernail à l'arrière, écoutant le bruit maintenant familier de la sasse qui grattait et clapotait. Ses yeux d'un vert intense, irrités et gonflés, scrutaient l'horizon o˘ le globe du soleil levant teintait la mer d'orange et d'or. Il regardait autour de lui dans l'espoir insensé d'apercevoir la trace d'une terre qui briserait enfin la ligne nette de la mer tout autour d'eux. Mais en vain. Aucune île, aucun navire, aucun avion ne se matérialisait. A part quelques petits nuages se traînant vers le sud-est, à une vingtaine de kilomètres, le monde de Pitt était aussi vide que la planète Mars, et le petit canot rien de plus qu'un grain de poussière sur l'étendue infinie de la mer.
Ayant péché assez de poisson pour ouvrir un restaurant spécialisé, ils n'avaient plus à craindre la faim. Leur réserve d'eau, conservée, pouvait durer encore six ou sept jours. Mais la fatigue et le manque de sommeil Diamants... magnifique illusion
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dus à la lutte constante pour garder le bateau à flot commençaient à faire leur ouvre. Chaque heure leur était douloureuse. Sans un bol ou un récipient quelconque, ils avaient d˚ écoper à la main l'eau qui s'infiltrait jusqu'à ce que Pitt pense à utiliser le sachet imperméable dans lequel il avait rangé les accessoires passés sous le nez de Dorsett.
Attaché à deux clés pour former un réceptacle concave, cette écope rudimentaire put vider un litre d'eau à chaque mouvement.
Au début, ils travaillèrent par tours de quatre heures, car Maeve exigea de prendre part à l'effort. Elle travailla vaillamment, luttant contre la raideur qu'elle ressentit bientôt dans toutes les articulations de ses bras et de ses poignets puis contre la douleur insoutenable de tous ses muscles.
Elle ne manquait ni de cran ni de volonté mais n'avait pas la force naturelle de ses deux compagnons. Leurs tours furent donc divisés et ce fut la résistance de chacun qui décida de leur attribution. Maeve écopa trois heures avant que Pitt ne prenne sa place. Il tint cinq heures. Giordino prit le relais et refusa de laisser sa place avant d'avoir travaillé huit longues heures.
Alors que la fissure s'élargissait sans cesse, l'eau ne s'infiltrait plus en suintant mais carrément en jaillissant comme une fontaine. La mer s'installait plus vite qu'elle ne se laissait chasser. Le dos au mur, sans espoir de délivrance, ils commencèrent à perdre leur ténacité.
- Maudit soit Arthur Dorsett ! criait Pitt dans sa tête. Maudites soient Boudicca et Deirdre!
Ce g‚chis inutile, cette mort lente, n'avaient pas de sens. Maeve et lui ne représentaient pas une menace bien importante pour les rêves fous de Dorsett et pour son empire. Seuls, ils n'auraient rien pu faire contre lui, même pas le ralentir. C'était un acte de pur sadisme que de les avoir condamnés à dériver ainsi.
Maeve bougea dans son sommeil, murmura quelque chose puis leva la tête et regarda Pitt, encore à demi endormie.
- Est-ce mon tour d'écoper?
- Pas avant cinq heures au moins, mentit Pitt en souriant. Rendormez-vous.
Giordino arrêta un moment et se tourna vers Pitt. Il était malade à l'idée que Maeve, elle aussi, serait bientôt mise en pièces et dévorée par les monstres meurtriers des profondeurs. L'air sombre, il se remit au travail avec rage, jetant des milliers de litres d'eau par-dessus bord.
Dieu seul savait comment Giordino pouvait tenir. Son dos et ses bras devaient le faire atrocement souffrir. Sa volonté de fer, son désir de résister dépassaient les bornes du compréhensible. Pitt était plus fort que la plupart des hommes mais, comparé à Giordino, on aurait dit un enfant regardant un haltérophile olympique. quand Pitt, totalement épuisé, lui avait repassé l'écope de fortune, Giordino paraissait capable de tenir jusqu'à la fin des temps. Jamais il n'accepterait la défaite. Le petit Italien
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solide et trapu mourrait probablement en essayant de prendre à la gorge un requin-marteau.
Le danger aiguisait l'esprit de Pitt. Dans un dernier effort désespéré, il baissa la voile, la posa à plat sur le sol puis la glissa sous la coque et l'attacha avec des cordes aux caissons étanches. La toile de nylon, collée contre la fissure par la pression de l'eau, ralentit l'arrivée de celle-ci d'au moins cinquante pour cent. Mais cela ne pouvait être qu'une mesure provisoire qui ne leur apportait que quelques heures de vie supplémentaire.
A moins que la mer ne devienne complètement calme, l'épuisement physique de l'équipage et la fissure du bateau se produiraient peu après la tombée de la nuit, pensa Pitt. Il jeta un coup d'oil à sa montre. Le crépuscule commencerait dans quatre heures et demie. Pitt prit doucement le poignet de Giordino et lui enleva l'écope.
- C'est mon tour, affirma-t-il.
Giordino ne résista pas. Il hocha la tête et s'appuya au caisson étanche, trop épuisé pour dormir. La voile retenait suffisamment le flux pour que Pitt ne soit pas débordé pendant un moment. Il écopa tout l'après-midi, mécaniquement, perdant toute notion du temps, remarquant à peine le passage du soleil brutal, sans jamais céder à la violence de ses rayons. Il écopa comme un robot, ne sentant plus la douleur de son dos et de ses bras, les sens paralysés, agissant comme sous l'effet d'une drogue.
Maeve se secoua enfin de sa torpeur. Elle regarda l'horizon derrière les épaules de Pitt.
- Ne trouvez-vous pas que les palmiers sont jolis? murmura-t-elle.
- Oui, très jolis, répondit Pitt qui lui adressa un sourire tendu, pensant qu'elle avait des hallucinations. Mais il ne faut pas rester dessous. Il y a des gens qui sont morts d'avoir reçu des noix de coco sur la tête.
- Je suis allée aux Fidji, une fois, poursuivit-elle en faisant voler ses cheveux. J'en ai vu une faire exploser le pare-brise d'une voiture à
l'arrêt.
Aux yeux de Pitt, Maeve était comme une petite fille perdue, errant sans but dans une forêt, ayant abandonné tout espoir de retrouver jamais le chemin de sa maison. Il aurait voulu pouvoir faire ou dire quelque chose pour la consoler. Mais personne ne pouvait rien faire sur cette mer abandonnée de Dieu. Il ressentit avec amertume sa totale impuissance.
- Vous ne croyez pas qu'il faudrait aller un peu plus sur tribord? demanda-t-elle avec indolence.
- Sur tribord?
- Oui. Vous ne voudriez pas manquer l'île qui est là-bas, je suppose, répondit-elle en regardant au loin comme en transe.
Pitt plissa les paupières. Lentement, il se tourna et regarda par-dessus son épaule. Après seize jours environ à essayer de relever des positions d'après le soleil, à souffrir des reflets aveuglants de l'eau, ses yeux étaient si fatigués qu'il ne put fixer le large que quelques secondes avant de les
refermer. Il promena son regard sur l'avant mais ne vit que des vagues bleu-vert. Il se retourna.
- Nous ne pouvons plus contrôler le canot, expliqua-t-il d'une voix douce.
J'ai enlevé la voue pour la mettre sous la coque pour ralentir la fuite.
- Oh ! S'il vous plaît ! Elle est si proche ! Ne pouvons-nous accoster et marcher quelques minutes au moins sur de la terre ferme?
Elle parlait si calmement, si rationnellement avec son accent australien que Pitt sentit un frisson descendre tout le long de son dos. Avait-elle vraiment vu quelque chose? La raison le poussait à croire que Maeve délirait. Mais l'étincelle d'espérance qu'il avait pu conserver, son désespoir aussi, l'obligèrent à se mettre à genoux, s'accrochant au caisson étanche pour ne pas tomber. A cet instant, le canot s'éleva sur une vague et il eut une vision brève de l'horizon.
Il n'y avait aucune colline surmontée de palmiers. Pitt mit un bras autour des épaules de Maeve. Il se rappela qu'elle était autrefois robuste et courageuse. Maintenant, elle paraissait frêle et toute petite. Pourtant son visage reflétait une intensité nouvelle. Alors il vit qu'elle ne regardait pas la mer mais le ciel.
Pour la première fois, il remarqua l'oiseau qui volait au-dessus du canot, les ailes étendues, flottant dans la brise. Il mit les mains autour de ses yeux et regarda l'intrus ailé. Il avait au moins un mètre d'envergure et des plumes mouchetées de vert et de brun. Le dessus de son bec formait un arc terminé par une pointe acérée. Pitt pensa qu'il s'agissait d'un vilain cousin de la famille colorée des perroquets.
- Vous le voyez aussi ? dit Maeve avec fougue. C'est un kéa, exactement semblable à celui qui a emmené mes ancêtres jusqu'à l'île du Gladiateur.
Les marins qui ont fait naufrage dans les mers du sud jurent que le kéa montre le chemin des ports s˚rs.
Giordino leva les yeux, considérant le perroquet davantage comme un repas de viande que comme un messager divin envoyé par des marins fantômes pour les guider jusqu'à la terre.
- Demandez à Polly de nous recommander un bon restaurant, murmura-t-il d'une voix fatiguée. De préférence un endroit sans poisson au menu.
Pitt ne répondit pas à l'humour de Giordino. Il étudia les mouvements du kéa. L'oiseau planait comme s'il se reposait et ne paraissait nullement vouloir tourner sans but autour du canot. Ayant apparemment repris son souffle, il se dirigea vers le sud. Pitt mesura immédiatement l'angle de la course de l'oiseau, ne le quittant pas des yeux jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point qui disparut à l'horizon.
Les perroquets ne sont pas des oiseaux marins, comme les mouettes ou les pétrels, capables de parcourir de grandes distances sur la mer. Pitt se 326
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dit qu'il était peut-être perdu. Mais cela ne tenait pas. Pour un oiseau qui préfère enfoncer ses serres dans quelque chose de solide, celui-ci n'avait pas fait mine de se poser sur un objet flottant. Ce qui signifiait qu'il n'était pas fatigué de voler à l'instinct vers une terre inconnue o˘
il devrait peut-être s'accoupler. Cet oiseau savait exactement o˘ il était et o˘ il allait. Il avait en quelque sorte un plan de vol. Peut-être -
peut-être seulement - allait-il d'une île à une autre. Pitt était certain que l'oiseau voyait quelque chose de là-haut que les hommes misérables, abandonnés sur ce canot délabré, ne pouvaient apercevoir.
Il rampa jusqu'à la console et se mit debout, se tenant à deux mains pour ne pas passer par-dessus bord. De nouveau, il loucha vers le sud-est, les yeux gonflés.
Il avait vu trop souvent les nuages à l'horizon donner l'illusion de terres s'élevant au-dessus de la mer, il était trop habitué à voir des touffes de coton voler tout au bout de la mer, leurs formes inégales et leurs couleurs gris‚tres éveillant en lui de faux espoirs avant de changer de formes et de disparaître, poussées par les vents d'ouest.
Cette fois, c'était différent. Le nuage solitaire, là-bas, restait immobile alors que tous les autres ne faisaient que passer. Il s'élevait légèrement au-dessus de la mer mais sans donner l'idée d'une masse. On n'apercevait aucune végétation verdoyante parce que le nuage lui-même n'était pas un morceau d'île. Il était fait de vapeur se dégageant du sable gorgé de soleil avant de se condenser, plus haut, dans l'air plus froid.
Pitt fit de son mieux pour ne pas céder à l'excitation et à la joie quand il comprit que l'île était encore à cinq heures de navigation au moins. Il n'y avait aucune certitude de l'atteindre, même en réinstallant la voile sur le m‚t, en laissant la mer envahir le canot. Mais, peu à peu, l'espoir reprit le dessus. Il se rendit compte qu'il ne s'agissait pas du sommet d'une montagne sous-marine qui aurait surgi de la mer à cause d'une activité volcanique d'un million d'années puis se serait façonnée en collines et en vallées. Il s'agissait d'un rocher bas et plat o˘ poussaient quelques arbres mal identifiables, qui avaient survécu, on ne sait comment, au climat plus froid de l'extrémité septentrionale de la zone tropicale.
Les arbres, bien visibles, étaient groupés sur de petites zones sableuses comblant les fissures des rochers. Pitt réalisa bientôt que l'île était bien plus proche qu'elle n'avait paru au début. Elle devait être à huit ou neuf kilomètres. Le haut des arbres donnait l'impression d'un tapis broussailleux jeté sur l'horizon.
Il releva comme il put la position de l'île. Elle correspondait exactement à la course du kéa. Puis il vérifia la position du vent et du courant qui les conduisaient apparemment à la pointe nord. Ils allaient devoir naviguer vers le sud-est, en faisant des bordées sur tribord, comme l'avait imaginé Maeve. - La petite dame gagne un prix, annonça Pitt. Nous sommes bien en
vue d'une terre.
Maeve et Giordino essayèrent de se lever, s'agrippèrent à Pitt et contemplèrent l'espoir distant d'un refuge.
- Ce n'est pas un mirage, dit Giordino avec un large sourire.
- Je vous avais dit que le kéa nous conduirait au port, murmura Maeve à
l'oreille de Pitt.
Celui-ci ne voulut pas se laisser déborder par l'allégresse.
- Nous n'y sommes pas encore. Il va falloir remettre la voile et éco-per comme des fous si nous voulons aborder cette côte.
Giordino calcula la distance qui les séparait de l'île et son expression se fit plus sérieuse.
- Nous n'y arriverons pas, dit-il. Le canot se cassera en deux avant qu'on ait fait la moitié du chemin.
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Ils avaient levé la voile et utilisé tous les morceaux de corde disponibles pour essayer de garder la coque en un seul morceau. Maeve s'occupa du gouvernail tandis que Giordino écopait comme un fou et que Pitt tentait d'en faire autant à mains nues. Le canot épuisé se dirigeait vaillamment vers la petite île basse, à quelques kilomètres de là. Enfin, ils avaient la preuve tangible que la navigation de Pitt avait payé.
La fatigue abrutissante, l'épuisement écrasant, avaient disparu pour Pitt et Giordino. Maintenant, ils n'étaient plus eux-mêmes, ils avaient atteint une zone psychologique dans laquelle la souffrance et la contrainte n'avaient plus de signification. Peu importait le prix que leur corps devrait payer plus tard, la détermination, le refus de la défaite les portaient tandis qu'ils comblaient peu à peu l'espace qui les séparait encore de la côte tant désirée. Bien s˚r, ils ressentaient la douleur qui déchirait leurs épaules et leurs dos, mais cette douleur ne représentait pour eux qu'une protestation abstraite de leur esprit. C'était comme si ce tourment se passait ailleurs.
Le vent gonfla la voile, poussant le canot vers le seul affleurement sur l'horizon. Mais la mer impitoyable n'était pas prête à rel‚cher sa poigne d'acier. Le courant lutta contre eux, bifurquant en atteignant la plage et revenant en boucle, comme pour les repousser dans la vaste étendue déserte du Pacifique.
- J'ai l'impression que nous allons être renvoyés au large, dit craintivement Maeve.
Tourné vers l'avant, rejetant de toutes ses forces l'eau qui ne cessait de 328
Onde de choc
déferler, Pitt ne quittait guère l'île des yeux. Au début, il n'en avait vu qu'une seule mais, lorsqu'ils ne furent plus qu'à deux kilomètres, il s'aperçut qu'il y en avait deux. Un bras de mer de cent mètres de large environ les séparait. Il distingua aussi ce qui lui parut un courant, allant et venant dans l'espace entre les îles.
En observant le vent strier la surface et l'écume voler en gerbes, Pitt put affirmer que la brise soufflait maintenant à leur avantage, poussant le canot sous un angle plus aigu, qui lui permettait d'échapper au courant inamical. " Un point pour nous ", pensa-t-il avec optimisme. Le fait que l'eau f˚t trop froide, aussi loin vers le sud, pour que se forment des récifs de corail qui auraient pu, en affleurant, déchirer leurs chambres de flottaison, était un autre avantage.
Giordino et lui, en se battant contre l'envahissement de l'eau, eurent l'impression qu'un orage menaçant se préparait. Une pause rapide et leurs regards se croisèrent. Ils comprirent que c'était seulement le bruit du ressac se jetant contre les falaises rocheuses. Les vagues devenaient meurtrières et attiraient le canot sans cesse plus près, dans un enlacement fatal. L'impatience des naufragés de poser enfin le pied sur la terre ferme se transforma soudain en une peur affreuse d'être écrasés par la violence de la mer.
Au lieu d'un havre de paix, Pitt ne voyait plus que deux rochers effrayants, saillant à pic de la mer, entourés et frappés par l'assaut de gigantesques brisants. Cela n'avait rien à voir avec les atolls tropicaux, leurs merveilleuses plages de sable blanc et leurs indigènes accueillants, du genre de Bali ou HawaÔ, bénis des cieux et dotés d'une végétation luxuriante. On ne voyait ici aucun signe de vie, aucune fumée, aucune construction que ce soit. Nues, désolées, balayées par le vent, elles semblaient des avant-postes mystérieux de lave rocheuse, avec pour seule végétation quelques broussailles sans fleurs et des arbres à l'allure bizarre et à la croissance difficile.
Pitt eut du mal à croire qu'il était de nouveau en guerre contre la pierre inflexible et l'eau, pour la troisième fois depuis qu'il avait sauvé Maeve, sur la péninsule Antarctique. Pendant un bref instant, ses pensées le ramenèrent au Polar queen sauvé de justesse et à sa fuite aérienne de l'île Kunghit avec Mason Broadmoor. Les deux fois, il avait disposé d'une puissance mécanique pour se sortir du danger. Maintenant, il luttait pour ne pas être englouti dans les profondeurs, sur un petit canot chargé d'eau, avec une voile à peine plus grande qu'une couverture.
Il se rappela avoir lu que la seule préoccupation d'un bon marin, quand il rencontrait une mer démontée, était de garder la stabilité de son embarcation. Le bon marin ne laisserait pas son bateau prendre l'eau car cela affecterait sa flottabilité. Il aurait bien voulu que l'auteur de cette superbe maxime soit assis près de lui en cette minute même.
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- A moins que vous n'aperceviez un bout de plage pour accoster, cria Pitt à
Maeve, essayez de nous diriger entre les deux îles.
Les traits délicats de Maeve, tirés et br˚lés par le soleil, étaient tendus et résolus. Elle hocha la tête sans rien dire, empoigna solidement les cordes du gouvernail et se consacra attentivement à la t‚che qu'on lui avait confiée.
Les murailles déchiquetées qui s'élevaient au-dessus des vagues paraissaient plus menaçantes de minute en minute et l'eau envahissait le canot de façon alarmante. Giordino, ignorant l'épreuve qui se rapprochait, faisait de son mieux pour empêcher le canot de sombrer. Il eut été fatal, maintenant, de cesser d'écoper. Si, pendant dix secondes, on laissait l'eau prendre possession du bateau fendu, tous les trois couleraient à cinq cents mètres de la plage. Ils auraient beau nager de toutes leurs forces, si les requins ne les avalaient pas, le courant et les rochers les tueraient.
Aussi ne cessa-t-il pas d'écoper, sans manquer une séquence, mettant sa foi et sa confiance entre les mains de Pitt et de Maeve.
Pitt calcula la cadence des vagues. Leur frottement contre le fond en pente les obligeait à s'élever ou à s'abaisser lentement. Mesurant la pause de leurs crêtes devant et derrière le canot, il put calculer leur vitesse.
Leur périodicité était d'environ neuf secondes et elles roulaient à environ vingt-deux nouds. Les lames frappaient sous un angle oblique par rapport à
la côte accidentée, de sorte qu'elles se brisaient brusquement en se réfractant en un large mouvement tournant. Pitt n'eut pas besoin de posséder la science maritime d'un vieux capitaine de clipper pour comprendre qu'avec la puissance extrêmement limitée de leur voile, il n'y avait pas grand-chose à faire pour viser le chenal. Il craignait aussi que le ressac combiné des vagues frappant les deux îles ne transforme l'entrée du chenal en un véritable tourbillon.
Il sentit la pression de la vague suivante entre ses genoux, appuyés contre le fond du canot. D'après les vibrations, il évalua la masse en la sentant gronder sous lui. Le malheureux canot subissait une cruelle épreuve que ses concepteurs n'avaient s˚rement jamais imaginée pour lui. Pitt n'osa pas sortir l'ancre de fortune, comme le recommandaient la plupart des manuels de navigation lorsqu'on traversait des eaux agitées. Sans moteur, il se dit qu'il valait mieux courir avec les vagues. La résistance de l'ancre mettrait s˚rement le bateau en pièces car l'énorme pression de l'eau les poussait en avant.
Il se tourna vers Maeve.
- Essayez de nous faire rester dans la partie bleu foncé de l'océan.
- Je vais faire de mon mieux, répondit-elle bravement.
Le rugissement des brisants résonnait avec régularité et bientôt, ils distinguèrent autant qu'ils l'entendirent, le sifflement de l'écume montant en gerbe vers les cieux. Sans contrôle direct ni manuel, ils étaient impuissants. La mer faisait d'eux ce que lui dictait son caprice. Les eaux mon-330
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taient maintenant de plus en plus haut. En y regardant mieux, on constatait que la fente entre les affleurements rocheux ressemblait à un piège insidieux, comme une sirène silencieuse tentant de les attirer dans un faux refuge. Il était trop tard pour reprendre la haute mer et contourner les îles. Ils s'étaient engagés sur un chemin o˘ il était impossible de faire demi-tour.
Les îles et le chaudron écumant que représentaient les côtes malveillantes furent un moment cachés derrière les vagues qui passaient sous le canot. Un nouveau coup de vent s'éleva et les poussa vers une crevasse du mur qui leur offrit leur unique chance de survie.
Plus ils approchaient, plus la mer paraissait nerveuse. Et plus Pitt s'inquiétait en calculant que la crête des vagues s'élevait à près de dix mètres maintenant. Maeve se battait avec le gouvernail pour contrôler leur route mais le canot ne répondait plus. Il était devenu ingouvernable. Ils étaient complètement à la merci de la mer. - Tenez bon! cria Pitt.
Un rapide coup d'oil à l'arrière lui permit de noter leur position par rapport au mouvement vertical de la mer. Il savait que la vitesse d'une vague est à son maximum juste avant qu'elle atteigne son point le plus haut. Les brisants se suivaient comme un convoi d'énormes camions. Le canot tomba dans un creux, mais la chance ne les abandonna pas car le rouleau se brisa juste après les avoir dépassés, alors qu'ils étaient déjà sur le dos de la vague suivante, filant à une vitesse à se casser les os. Le ressac explosa et partit dans toutes les directions tandis que le vent fouettait les crêtes. Le bateau retomba, pour être frappé par la vague suivante qui se ramassait sous eux pour rejaillir à huit mètres de haut, s'enrouler puis s'effondrer sur leurs têtes. Le canot ne se cassa pas, ne se retourna pas, ne chavira pas. Il retomba à plat dans le creux en une grande gerbe d'écume.
Ils étaient pris sous un véritable mur de pression hydraulique. C'était comme si un ascenseur fou avait transporté le bateau sous l'eau. Ils eurent l'impression de rester immergés de longues minutes, alors que quelques secondes seulement s'étaient écoulées. Pitt garda les yeux ouverts. Il vit Maeve comme à travers un écran liquide, irréelle, le visage incroyablement serein, ses longs cheveux blonds flottant derrière elle au gré des vagues.
Pendant qu'il la regardait, elle devint soudain lumineuse et très distincte dans le rayon du soleil revenu.
Trois ou quatre vagues roulèrent sur eux, de moins en moins violentes. Puis ils furent enfin dégagés des brisants et pénétrèrent dans des eaux plus calmes. Pitt secoua la tête, cracha toute l'eau salée qu'il avait avalée pour n'avoir pas fermé la bouche. Ses cheveux noirs lancèrent des centaines de gouttelettes qui brillèrent dans la lumière.
- On a passé le pire, cria-t-il avec joie. Nous avons atteint le chenal.
La masse d'eau qui pénétrait entre les deux îles, perdant de sa vigueur, roulait des vagues ne dépassant pas la hauteur d'une porte.
Miraculeusement, le canot flottait toujours en un seul morceau. Il avait traversé la férocité des brisants sans exploser. Le seul dommage apparent concernait la voile et la pagaie qui avait servi de m‚t. Arrachées au canot, elles flottaient un peu plus loin, encore attachées au bateau par une corde. Gior-dino n'avait pas cessé d'écoper bien qu'il e˚t de l'eau jusqu'à la poitrine. Il s'ébroua et se frotta les yeux pour en essuyer le sel, tout en jetant l'eau par-dessus bord comme s'il devait le faire jusqu'à la fin des temps. La quille, complètement brisée en deux, ne tenait plus que par les cordes de nylon h‚tivement nouées et par les colliers de serrage reliant les caissons entre eux. Giordino s'avoua enfin vaincu quand l'eau atteignit ses aisselles. Il regarda autour de lui d'un air égaré, le souffle court, l'esprit engourdi d'épuisement.
- Et maintenant? marmonna-t-il.
Avant de répondre, Pitt plongea son visage dans l'eau et scruta le fond du chenal. La visibilité était exceptionnelle, pas aussi claire, bien s˚r, que s'il avait porté un masque, mais lui permettant cependant de voir le sable et les rochers dix mètres plus bas. Des bancs de poissons aux couleurs vives nageaient sans h‚te, sans s'occuper de l'étrange créature qui flottait au-dessus d'eux.
- Il n'y a pas de requins par ici, annonça-t-il, soulagé.
- Ils ne s'aventurent jamais dans les brisants, fit remarquer Maeve entre deux quintes de toux.
Elle était assise à l'arrière du caisson étanche, les bras étendus.
Le courant du chenal les rapprocha de l'île nord. La terre ferme n'était plus qu'à trente mètres. Pitt regarda Maeve et sourit.
- Je parie que vous êtes une excellente nageuse.
- Vous parlez à une Australienne, dit-elle. Rappelez-moi de vous montrer les médailles que j'ai gagnées en nage papillon et en crawl.
- Al est épuisé. Pouvez-vous le remorquer jusqu'à la côte?
- C'est le moins que je puisse faire pour l'homme qui nous a sauvés de la gueule des requins.
Pitt montra la côte toute proche. Pas de plage de sable mais un rocher plat comme une planche, à l'endroit o˘ il rejoignait la mer.
- La voie paraît claire pour rejoindre la terre.
- Et vous ? Voulez-vous que je revienne vous chercher ? dit-elle en tirant ses cheveux en arrière à deux mains. Il fit non de la tête.
- Je me réserve pour un effort plus important.
- Lequel?
- Le Club Med n'a pas encore ouvert de station ici. Nous aurons donc besoin de tout ce qu'on pourra trouver ici à manger. Je vais remorquer ce qui reste du canot et les objets qui y sont encore.
Pitt aida à faire passer Giordino par-dessus les caissons et Maeve le prit sous le menton comme un sauveteur professionnel.
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Elle nagea vigoureusement vers la côte, en tirant Giordino derrière elle.
Pitt les regarda un moment et vit Giordino sourire sournoisement et lever une main comme pour dire au revoir.
" Le sacré tricheur ! pensa-t-il. Il se fait transporter à l'oil ! " II attacha ensemble les cordes de nylon puis les fixa à l'arrière du canot à
demi enfoncé en nouant l'autre extrémité autour de sa taille. Puis il commença à nager vers l'île. Le poids mort était trop lourd pour qu'il puisse simplement le tirer derrière lui. Il dut s'arrêter plusieurs fois, tirer la corde pour gagner quelques mètres et recommencer plus loin. Le courant l'aida un peu, en poussant le bateau en arc de cercle vers la côte.
Après vingt mètres, il sentit enfin la terre ferme sous ses pieds et put alors tirer le canot à la main sur la plaque rocheuse. Il fut reconnaissant de l'aide que vinrent lui apporter Maeve et Giordino.
- Tu t'es remis bien vite! dit Pitt à son ami.
- Mon pouvoir de récupération a toujours étonné les médecins, o˘
que j'aille.
- Je crois bien que vous vous êtes fichu de moi, dit Maeve en feignant le mécontentement.
- Rien de tel que de sentir la terre sous ses pieds pour régénérer l'‚me.
Pitt s'assit et se reposa, trop fatigué pour exprimer sa joie de n'être plus dans l'eau. Il se mit lentement à genoux avant de se relever. Pendant quelques secondes, il dut appuyer une main au sol pour éviter de tomber. Le mouvement perpétuel du canot pendant deux semaines avait affecté son équilibre. Le monde se mit à tourner, toute l'île parut se balancer comme si elle flottait sur l'eau. Maeve se rassit tandis que Giordino plantait solidement ses deux pieds sur la roche, s'accrochant à un arbre au feuillage épais, près de lui.
quelques minutes plus tard, Pitt se remit debout et fit quelques pas chancelants. Il n'avait pas marché depuis qu'on les avait attrapés à
Wellington. Ses jambes et ses chevilles lui parurent raides et endormies.
Il fit une vingtaine de pas avant que ses articulations ne se décrispent et reprennent un peu de souplesse.
Ils tirèrent le canot un peu plus loin sur le rocher et se reposèrent quelques heures avant de manger leur poisson séché et de boire le peu d'eau douce qu'ils trouvèrent dans quelques dépressions de la roche.
Leurs forces restaurées, ils commencèrent à fouiller les lieux. Il y avait peu à voir. Toute l'île, comme sa voisine de l'autre côté du chenal, ressemblait à des piles de lave solidifiée, probablement remontée au cours d'une explosion volcanique au fond de l'eau, couche après couche, pendant un temps infini, jusqu'à faire surface avant que l'explosion ne la sculpte en deux tertres bas. Si l'eau avait été complètement transparente et qu'on ait pu voir les îles jusqu'à leur base, au fond de l'océan, on aurait pu les comparer aux grandes cimes spectaculaires de Monument Diamants... magnifique illusion
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Valley, en Arizona, qui se dressaient comme des îles dans une mer déserte.
Giordino mesura la largeur de l'îlot, d'une côte à l'autre. Il annonça que leur refuge ne mesurait que 130 mètres et avait la forme d'une larme étirée au nord et au sud, l'arc sous le vent tourné vers l'ouest. De la pointe arrondie à l'extrémité pointue, il ne dépassait pas un kilomètre de long.
Entourée de murailles naturelles qui défiaient les vagues, l'île ressemblait à une forteresse constamment attaquée.
A peu de distance, ils découvrirent les restes éparpillés d'un bateau, échoué au sec dans une petite crique taillée par la mer dans la roche. De toute évidence, un orage énorme l'avait poussé là. C'était un voilier de belle taille, couché sur son flanc b‚bord. La moitié de sa coque et la quille avaient été arrachées lorsqu'il avait heurté le rocher. Pitt pensa que ce bateau avait d˚ être beau en son temps. Sa superstructure avait été
bleue et orange au-dessous. Bien que ses m‚ts aient disparu, le rouf était intact. Les trois naufragés s'approchèrent et essayèrent de voir l'intérieur.
- Un sacré petit bateau qui devait bien naviguer, observa Pitt. Il doit bien faire douze mètres et il est bien construit. La coque est en teck.
- C'est un ketch des Bermudes, dit Maeve en passant la main sur les planches usées et décolorées par le soleil. Je me rappelle qu'un de mes condisciples, au laboratoire marin de Sainte-Croix, en avait un. On allait d'île en île avec et il naviguait remarquablement.
Giordino regarda de près la peinture et le calfatage de la coque.
- D'après son état, je suppose qu'il est là depuis vingt ans, peut-être trente.
- J'espère que celui qui a fait naufrage dans ce coin désolé a pu être sauvé, dit Maeve.
- Je ne crois pas qu'un marin sain d'esprit s'écarterait de sa route pour visiter le coin, répondit Pitt en montrant le paysage désolé.
Les yeux de Maeve s'éclairèrent et elle claqua des doigts comme si un lointain souvenir refaisait surface.
- On les appelle les Nénés.
Pitt et Giordino échangèrent un coup d'oil comme s'ils n'étaient pas s˚rs d'avoir bien entendu.
- Vous avez dit " les Nénés " ?
- Une vieille légende australienne parle de deux îlots qui ressemblent à
une poitrine de femme. On raconte qu'ils apparaissent et disparaissent comme Brigadoon '.
- Je suis désolé de démolir les légendes du Bout du Monde, dit Pitt, mais cet amas rocheux n'est s˚rement allé nulle part au cours du dernier million d'années.
1. Film de Vincente Minnelli, 1954.
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- Et ils n'ont pas la forme de glandes mammaires, en tout cas pas d'après ce que j'en ai vu, ajouta Giordino. Elle les regarda en faisant la moue.
- Je sais ce que j'ai entendu raconter à propos de deux îles légendaires au sud de la mer de Tasmanie. Poussé par Giordino, Pitt grimpa sur la coque inclinée et se glissa dans
l'écoutille du rouf.
- On l'a complètement vidé, cria-t-il de l'intérieur. Tout ce qui n'était pas vissé a été enlevé. Regardez la traverse et voyez s'il a un nom.
Maeve contourna l'épave jusqu'à la poupe et distingua les lettres à
peine visibles.
- Dancing Dorothy. Il s'appelle le Dancing Dorothy.
Pitt redescendit de la coque.
- Il faut faire des recherches pour retrouver ce qu'on a enlevé du bateau.
Peut-être l'équipage a-t-il laissé des objets que nous pourrions utiliser.
Reprenant leur exploration, il leur fallut un peu moins d'une demi-heure pour fouiller toute la côte de la petite terre en forme de goutte. Ils se mirent alors en route pour examiner l'intérieur. Ils se séparèrent en ligne pour mieux couvrir le terrain. Maeve fut la première à trouver une hache à
demi enfoncée dans le tronc pourrissant d'un arbre aux formes grotesques. Giordino la détacha et la leva.
- Voilà qui nous sera s˚rement très utile!
- quel curieux arbre ! dit Pitt. Je me demande comment on l'appelle.
- Un myrte de Tasmanie, répondit Maeve. En réalité, c'est une sorte de faux hêtre. Il peut atteindre soixante mètres de haut mais ici, il n'y a pas assez de terre pour nourrir des racines, de sorte que tous les arbres de cette île ont l'air d'arbres nains.
Ils reprirent des recherches très minutieuses. quelques minutes plus tard, Pitt buta sur un petit ravin qui donnait sur une corniche plate, du côté
sous le vent de l'île. Accroché d'un côté de la muraille rocheuse, il aperçut la tête d'une gaffe de cuivre qu'on utilise pour tirer le poisson à
terre. Deux mètres plus loin, ils tombèrent sur un tas de rondins en forme de hutte avec, au milieu, un m‚t de bateau. La construction mesurait à peu près trois mètres sur quatre. Le toit, fait de rondins et de branches entremêlées, n'avait apparemment pas souffert. Le constructeur inconnu avait fabriqué une maison solide.
A côté de la hutte traînait une véritable mine d'outils et d'objets abandonnés. Une batterie et les restes rouilles d'un radio-téléphone, un récepteur radio pour écouter les bulletins météo et les signaux permettant de régler un chronomètre, un tas de boîtes de conserve rouillées et vides, un dinghy intact en bois de teck, équipé d'un petit moteur hors-bord et divers instruments nautiques, des plats et des assiettes, quelques pots, des casseroles, un réchaud à propane et toutes sortes d'objets hétéroclites. Eparpillées autour du réchaud, encore visibles, ils virent des arêtes de poisson.
- Les précédents locataires ont laissé un sacré bazar, constata Giordino en s'agenouillant pour examiner un petit générateur à gaz qui servirait peut-
être à recharger les batteries du bateau autrefois utilisées pour faire fonctionner les instruments électroniques de navigation et l'équipement radio éparpillé dans tout le campement.
- Ils sont peut-être encore dans la cabane, murmura Maeve. Pitt sourit.
- Pourquoi n'allez-vous pas voir? Elle secoua vivement la tête.
- Pas moi! C'est un boulot d'homme d'entrer dans les endroits sombres et grouillants de je ne sais quoi.
" Les femmes sont de bien étranges créatures ", se dit Pitt. Après tous les dangers que Maeve avait affrontés au cours des dernières semaines, elle ne pouvait se résoudre à pénétrer dans cette cabane.
Il baissa la tête pour passer la porte basse et entra.
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Après avoir été si longtemps exposés à une forte lumière, il fallut une minute ou deux aux yeux de Pitt pour s'accoutumer à l'obscurité de la hutte. A part le pinceau de lumière passant par l'entrée, la seule clarté
venait des rayons du soleil filtrant par les interstices entre les rondins.
L'air était lourd et humide et portait une odeur de moisi et de saleté.
Il n'y avait ni fantôme ni revenant caché dans l'ombre, pourtant Pitt se trouva en face d'un squelette aux yeux vides.
Il était sur le dos, étendu sur une couchette provenant du bateau échoué.
Pitt identifia les restes d'un homme au front lourd au-dessus des orbites et qui avait perdu toutes ses dents sauf trois. Apparemment, les dents manquantes étaient tombées toutes seules.
Un short en lambeaux couvrait le bassin du mort et les os de ses pieds étaient glissés dans des chaussures de pont à semelles de caoutchouc. Il n'y avait plus de chair sur le squelette. Les bestioles minuscules qui devaient ramper dans l'humidité avaient tout nettoyé. Seule une touffe de cheveux rouges, au-dessus du cr‚ne, donnait une idée de son apparence d'autrefois. Les os des mains, croisées sur la cage thoracique, étrei-gnaient un livre de bord recouvert de cuir.
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Après un rapide coup d'oeil autour de lui, Pitt se rendit compte que le propriétaire avait utilisé très efficacement tout ce qu'il avait pu arracher à l'épave. Les voiles du Dancing Dorothy, bien tendues au plafond, protégeaient la cabane du vent et de la pluie qui auraient pu pénétrer les branches entrelacées. Un bureau contenait des cartes de l'Amirauté
britannique, divers ouvrages sur le pilotage, une table des marées, des feux de navigation et des signaux radio ainsi qu'un almanach de la marine.
A côté, une étagère débordait de brochures et de livres d'instructions techniques sur le fonctionnement des instruments électroniques et des équipements mécaniques du bateau. Une très jolie boîte en acajou contenant un chronomètre et un sextant était posée sur une petite table de bois, à
côté de la couchette. Près de la table, Pitt aperçut un compas à relèvement manuel et un compas de route provenant, bien s˚r, de l'épave. Le gouvernail était appuyé à une table pliante, des jumelles attachées à l'un de ses rayons. Pitt se pencha sur le squelette, saisit le journal de bord et quitta la
cabane.
- qu'avez-vous trouvé? demanda Maeve, pleine de curiosité.
- Laisse-moi deviner, dit Giordino. Un énorme coffre plein de trésors de pirates. Pitt fit signe que non.
- Pas cette fois. Mais j'ai trouvé l'homme qui a heurté les rochers avec le Dancing Dorothy. Il n'a jamais réussi à quitter cette île.
- Il est mort? s'inquiéta Maeve.
- Depuis longtemps, sans doute avant même votre naissance. Giordino s'approcha de la porte et jeta un coup d'oil à l'intérieur.
- Je me demande comment il a fait pour sortir à ce point des routes navigables. Pitt montra le journal et l'ouvrit.
- On devrait trouver la réponse là-dedans.
- Peut-on encore le déchiffrer après si longtemps ? s'étonna Maeve.
- Oui. Le journal n'est pas abîmé et c'est bien écrit.
Pitt s'assit sur un rocher et lut plusieurs pages avant de relever les yeux.
- Il s'appelait Rodney York et il était un des douze plaisanciers qui ont participé à une course en solitaire et sans escale autour du monde. Ils sont partis de Portsmouth, en Angleterre. Lui était sponsorisé par un journal londonien. Le gagnant devait toucher vingt nulle livres. York a quitté Portsmouth le 24 avril 1962.
- «a fait trente-huit ans que ce pauvre type a disparu, dit Giordino d'un air triste.
- Au quatre-vingt-dix-septième jour en mer, il prenait quelques heures de repos quand le Dancing Dorothy heurta (Pitt s'arrêta pour regarder Maeve avec un sourire) ce qu'il appelle " les Misères ".
- York n'a pas d˚ étudier le folklore australien, plaisanta Giordino.
- Je crois plutôt qu'il a inventé le nom, répondit Maeve, vexée.
- Selon ce qu'il écrit, poursuivit Pitt, York avait réalisé un bon temps lors de son passage au sud de l'océan Indien, après avoir contourné le cap de Bonne Espérance. Il a alors voulu profiter des quarantièmes Rugissants pour aller directement, en traversant le Pacifique, jusqu'en Amérique du Sud, et le détroit de Magellan. Il pensait être en tête de la compétition quand sa génératrice est tombée en panne, le coupant de tout contact avec le monde extérieur.
- «a explique beaucoup de choses, dit Giordino. Pourquoi il naviguait dans ce coin et pourquoi il n'a pu communiquer sa position pour qu'on vienne le sortir de là. J'ai jeté un coup d'oil à sa génératrice quand nous sommes arrivés ici. Le moteur à deux temps qui la fait tourner est dans un triste état. York a essayé de la réparer mais n'y est pas arrivé. J'essaierai mais je ne crois pas pouvoir faire mieux que lui.
Pitt haussa les épaules.
- Alors, inutile d'espérer nous servir de la radio de York pour appeler à
l'aide.
- qu'a-t-il écrit après son naufrage? demanda Maeve.
- Il n'a pas joué les Robinson Crusoé. Il a perdu presque toutes ses réserves de nourriture quand le bateau a heurté le rocher et s'est retourné. Plus tard, quand l'orage l'a jeté sur la côte, il a retrouvé
quelques boîtes de conserve mais elles n'ont pas duré longtemps. Il a essayé de pêcher mais n'a attrapé que le strict nécessaire pour rester en vie, malgré les crabes de rochers qu'il a pu trouver et cinq ou six oiseaux qu'il a piégés. A la fin, son corps a commencé à le l‚cher. York est resté
sur cet horrible furoncle de l'océan pendant cent trente-six jours. Ses dernières notes disent : " Je ne peux plus me lever, je ne peux plus bouger. Je suis trop faible pour faire autre chose que de me laisser mourir. Comme je voudrais voir encore une fois le soleil se lever sur la baie de Falmouth, dans mes Cornouailles natales. Mais cela ne se produira pas. Je m'adresse à celui qui trouvera ce journal et les lettres que j'ai écrites séparément à ma femme et à mes trois filles. Je vous en prie, faites-leur parvenir ces courriers. Je leur demande de me pardonner toutes les souffrances morales que je sais leur avoir causées. Mon échec est d˚ à
la malchance plus qu'à une erreur de ma part. Ma main est trop lasse pour écrire davantage. J'espère que je n'ai pas perdu l'espoir trop tôt. "
- Le pauvre n'aurait pas d˚ s'inquiéter d'être découvert juste après sa mort, dit Giordino. Il est difficile de croire qu'il repose là depuis plusieurs dizaines d'années sans que jamais un équipage curieux ou un groupe de scientifiques ait abordé ces côtes pour y installer quelques instruments météorologiques.
- Le danger d'accoster au milieu des rouleaux et des rochers inamicaux ont d˚ suffire à étouffer la curiosité de ceux qui sont passés au large, scientifiques ou pas.
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Onde de choc
Diamants... magnifique illusion
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Des larmes coulaient sur le visage de Maeve sans qu'elle songe‚t à les cacher.
- Sa pauvre femme et ses enfants ont d˚ se demander pendant toutes ces années comment il était mort.
- La dernière position de York a été la balise du cap sud-est de Tas-manie.
Pitt retourna dans la cabane et en ressortit une minute plus tard avec la carte de l'Amirauté montrant la mer du sud de la Tasmanie. Il retendit sur le sol, l'étudia un moment puis releva la tête.
- Je vois pourquoi York a appelé ces îlots rocheux les Misères, dit-il.
C'est ainsi qu'ils sont nommés sur la carte de l'Amirauté.
- A quelle distance étaient tes estimations? s'informa Giordino. Pitt prit un compas provenant du bureau de York et mesura la position approximative qu'il avait calculée avec sa croix de bois.
- Je nous ai situés à environ 120 kilomètres trop loin au sud-ouest.
- Ce n'est pas mal si l'on considère que tu ignorais o˘ exactement Dorsett nous a jetés à l'eau.
- Oui, dit modestement Pitt, je suis assez fier de moi.
- O˘ sommes-nous exactement? demanda Maeve en regardant la carte, à genoux. Pitt montra un petit point noir au milieu du bleu de la mer.
- Là, sur cette toute petite tache, à environ 965 kilomètres au sud-ouest d'Invercargill, en Nouvelle-Zélande.
- «a a l'air tellement près quand on regarde la carte, dit-elle. Giordino enleva sa montre et en nettoya le verre contre sa chemise.
- Pas si près que ça puisque personne n'a pris la peine de rendre visite à
ce pauvre Rodney pendant près de quarante ans.
- Regarde le bon côté des choses, dit Pitt avec un sourire contagieux.
Imagine que tu as mis trente-huit dollars en pièces de vingt-cinq cents dans un des bandits manchots de Las Vegas, sans gagner une seule fois. La loi des séries voudrait que tu les rattrapes au cours des deux prochains coups.
- C'est un mauvais exemple, dit Giordino pour jouer les rabat-joie.
- Pourquoi donc?
Giordino regarda pensivement par la porte de la cabane.
- Parce que nous n'avons aucun moyen de jouer les deux prochains coups.
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- Neuf jours en tout, déclara Sandecker en regardant les hommes mal rasés et les femmes fatiguées assis autour de la table, dans la salle de conférence secrète.
Ce qui était, quelques jours auparavant, une salle de réunion nette et bien rangée pour les membres de l'équipe des très proches collaborateurs de l'amiral, ressemblait maintenant à une salle d'état-major au cours d'un siège. Des photos, des cartes marines et des croquis étaient épingles en désordre sur les murs en panneaux de teck. Le tapis turquoise était jonché
de papiers froissés et la table de conférence en bois d'épave couverte de tasses, de blocs-notes pleins de calculs, d'une batterie de téléphones et d'un cendrier débordant des bouts de cigares de Sandecker. Il était le seul à fumer et le climatiseur était réglé au maximum pour en chasser l'odeur.
- Le temps joue contre nous, dit le Dr Sandford Adgate Ames. Il est matériellement impossible de construire un réflecteur et de le déployer avant la date imposée.
L'expert en acoustique et son équipe d'étudiants d'Arizona intervenaient auprès des gens de la NUMA à Washington comme s'ils étaient assis autour de la même table, dans la même pièce. Et la réciproque était vraie. Les experts de Sandecker paraissaient assis au milieu des étudiants réunis dans la salle de travail d'Ames. Gr‚ce à la technologie d'holographie par vidéo, les voix et les images étaient transmises à travers le pays par photonique, le son et la lumière par fibres optiques. En combinant la photonique et la magie des ordinateurs, les limites de temps et d'espace disparaissaient.
- C'est une conclusion valable, admit Sandecker. A moins que nous puissions utiliser un réflecteur existant.
Ames enleva ses lunettes bleues à double foyer et les tendit vers la lumière pour vérifier leur propreté. Satisfait, il les reposa sur son nez.
- D'après mes calculs, nous devons demander un réflecteur parabolique de la taille d'un terrain de base-bail ou même davantage, avec une couche d'air entre les surfaces pour réfléchir l'énergie sonore. Je ne vois pas à qui vous pourriez demander d'en fabriquer un, si peu de temps avant que la fenêtre du temps ne se referme.
Sandecker regarda Rudi Gunn, de l'autre côté de la table. Fatigué, celui-ci lui rendit son regard à travers les verres épais de ses lunettes qui grossissaient ses yeux rougis par le manque de sommeil.
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- Vous avez une idée, Rudi?
- J'ai déjà envisagé toutes les possibilités logiques, répondit Gunn. Le Dr Ames a raison, il est hors de question d'envisager de faire fabriquer un réflecteur à temps. Notre seule alternative est d'en trouver un et de le faire transporter à HawaÔ.
- Il faudra le démonter, l'envoyer en pièces détachées et ensuite le remonter, intervint Hiram Yaeger en levant les yeux de l'ordinateur portable relié à sa bibliothèque de données au dixième étage. Je ne connais aucun avion assez gros pour transporter un appareil d'une si grande surface en un seul morceau.
- Si on en transporte un d'un endroit quelconque des Etats-Unis, à supposer qu'on en trouve un, insista Ames, il faudra le transporter par bateau.
- Mais quel bateau est assez large pour embarquer un objet de cette taille? demanda Gunn à la cantonade.
- Un supertanker ou un porte-avions, dit calmement Sandecker. Gunn rebondit immédiatement à cette réponse.
- Un porte-avions a un pont plus que suffisant pour transporter un réflecteur de la taille de celui dont parle le Dr Ames.
- La vitesse de notre dernier modèle de transporteur nucléaire est encore classée secret mais, d'après les fuites du Pentagone, on sait qu'il peut voyager à cinquante nouds. C'est plus qu'il n'en faut pour traverser de San Francisco à Honolulu avant la date limite.
- Soixante-douze heures, rappela Gunn, du moment du départ au moment du déploiement sur le site.
Sandecker regarda le calendrier posé sur son bureau dont les jours passés étaient biffés.
- «a nous laisse exactement cinq jours pour trouver un réflecteur, l'envoyer à San Francisco et le déployer sur la zone de convergence.
- Ce n'est pas énorme, même si on a déjà un réflecteur en vue, dit Ames.
- A quelle profondeur doit-il être installé? demanda Yaeger à
l'image d'Ames.
Comme si on lui avait fait signe, une jolie jeune femme d'environ vingt-cinq ans tendit une calculatrice de poche à Ames. Il appuya sur quelques touches, vérifia la réponse et releva les yeux.
- Si l'on considère le fait que les zones de convergence se recouvrent pour faire surface, il faudrait que le centre du réflecteur soit à 170 mètres de profondeur.
- Le courant va être notre problème numéro un, dit Gunn. «a va être un cauchemar de maintenir le réflecteur en place assez longtemps pour qu'il renvoie les ondes de choc.
- Mettez nos meilleurs ingénieurs sur le problème, ordonna Sandecker. Ils devront imaginer un système quelconque pour que le réflecteur soit stable.
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- Comment pouvons-nous être s˚rs qu'en faisant reconverger les ondes, nous pourrons les renvoyer directement vers leur source sur l'île du Gladiateur?
demanda Yaeger à Ames.
Celui-ci tortilla d'un air impassible les extrémités de la moustache qui surmontait sa barbe.
- Si les facteurs qui ont propagé l'onde sonore originale, comme la salinité, la température de l'eau et la vitesse du son, restent constants, l'énergie réflective devrait retourner à la source en suivant le même chemin.
Sandecker se tourna vers Yaeger.
- Combien y a-t-il de personnes sur l'île du Gladiateur? Yaeger consulta son ordinateur.
- Les rapports des services de renseignement travaillant sur les photos prises par satellite parlent d'environ 650 personnes, des mineurs pour la plupart.
- Les esclaves importés de Chine, murmura Gunn.
- Si on ne les tue pas, est-ce que nous risquons de blesser tout ce qui vit sur l'île? demanda Sandecker à Ames.
Un autre étudiant passa en hésitant une feuille de papier dans les mains de l'expert en acoustique. Celui-ci l'étudia un moment.
- Si notre analyse est juste, dit-il, les zones de convergence qui se superposeront en venant des quatre mines en opération dans le Pacifique tomberont à un facteur d'énergie de vingt-huit pour cent quand elles frapperont l'île du Gladiateur, c'est-à-dire tout juste suffisant pour faire du mal à un humain ou à un animal.
- Peut-on estimer la réaction physique?
- quelques migraines et des vertiges, des nausées légères, c'est tout.
- Un point discutable si nous ne pouvons installer le réflecteur sur le site avant la convergence, nota Gunn en étudiant une carte sur le mur.
Sandecker frappait pensivement la table du bout des doigts.
- Ce qui nous renvoie à la case départ.
Une femme d'une quarantaine d'années, élégante dans un tailleur classique bleu marine, regardait l'une des peintures de l'amiral représentant le fameux porte-avions Enterprise lors de la bataille de Midway, pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle s'appelait Molly Faraday. Ancienne analyste de l'Agence Nationale de Sécurité, elle avait rejoint la NUMA à la demande de Sandecker, pour servir de coordinatrice des renseignements de l'Agence.
Avec ses cheveux ch‚tains et ses yeux noisette, Molly avait beaucoup d'allure. Son regard alla du tableau à Sandecker, qu'elle fixa d'un air sombre.
- Je pense avoir la solution à votre problème, dit-elle d'une voix assurée.
L'amiral hocha la tête.
- Vous avez la parole, Molly.
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- Hier, commença-t-elle, le porte-avions Roosevelt était amarré à Pearl Harbor, pour se ravitailler et pour réparer un des élévateurs du pont d'envol avant d'aller rejoindre la Dixième Flotte au large de l'Indonésie.
Gunn la regarda avec étonnement.
- Vous êtes s˚re de ça? Molly eut un charmant sourire.
- J'ai toujours un pied dans chacun des bureaux de l'Etat-Major.
- Je sais à quoi vous pensez, dit Sandecker. Mais sans réflecteur, je ne vois pas comment un porte-avions à Pearl Harbor peut résoudre notre problème.
- Le porte-avions, c'est la cerise sur le g‚teau, expliqua Molly. J'ai d'abord pensé à une mission dans un centre de rassemblement des informations par satellite, sur l'île hawaÔenne de Lanai.
- J'ignorais que Lanai était équipé pour recevoir des infos par satellite, dit Yaeger. Ma femme et moi avons passé notre lune de miel à Lanai et nous avons visité l'île dans tous les sens sans y voir d'installation de ce genre.
- Le b‚timent et le réflecteur parabolique sont à l'intérieur du Pala-waÔ, un volcan éteint. Ni les indigènes, qui se sont toujours demandé ce qui se passait là, ni les touristes ne sont autorisés à s'en approcher suffisamment pour vérifier.
- En dehors de se régler sur les satellites de passage, demanda Ames, à
quoi cela peut-il bien servir?
- Sur les satellites soviétiques de passage, corrigea Molly. Heureusement, les anciens chefs militaires soviétiques avaient la manie de faire passer leurs satellites espions sur les bases militaires des îles HawaÔ après avoir survolé les Etats-Unis. Notre mission était de pénétrer leurs transpondeurs avec de puissants signaux micro-ondes et de ficher en Pair leurs renseignements photographiques. D'après ce que la CIA a pu savoir, les Russes n'ont jamais compris pourquoi leurs photos étaient toujours floues ou voilées. Lorsque le gouvernement communiste est tombé, des installations de communications spatiales plus modernes ont rendu mutile l'installation de PalawaÔ. Etant donné sa taille gigantesque, on a utilisé
un moment l'antenne pour transmettre et recevoir des signaux des sondes spatiales. Mais je crois que sa technologie dépassée a rendu tout l'équipement obsolète. Et le site, bien qu'il soit toujours gardé, est pratiquement abandonné. Yaeger alla droit au cour du sujet.
- quelle est la largeur du réflecteur parabolique? Molly réfléchit un moment avant de répondre.
- Je crois me rappeler qu'il mesure 80 mètres de diamètre.
- C'est plus que ce dont nous avons besoin, dit Ames. - Pensez-vous que l'Agence Nationale de Sécurité nous permettra de le leur emprunter? demanda Sandecker.
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- Je crois même qu'ils vous paieraient pour les en débarrasser.
- Il va falloir le démonter et envoyer les pièces par avion à Pearl Harbor, dit Ames, et il va falloir que vous vous débrouilliez pour emprunter aussi le transporteur Roosevelt, puis que nous remontions le réflecteur et que nous l'immergions dans la zone de convergence.
Sandecker regarda Molly.
- Je vais utiliser tout mon pouvoir de persuasion auprès du ministère de la Marine, à condition que vous utilisiez le vôtre auprès de l'Agence Nationale de Sécurité.
- Je m'y mets tout de suite, assura Molly.
Un homme presque chauve portant des lunettes à monture invisible, assis au bout de la table, leva la main. Sandecker fit un signe de tête et lui sourit.
- Vous avez été bien silencieux, Charlie. Je parie que votre esprit fertile est en train de pondre quelque chose.
Le Dr Charles Bakewell, chef du service de géologie sous-marine de la NUMA, enleva le chewing-gum de sa bouche et l'enveloppa proprement dans un papier avant de le jeter dans une corbeille à papiers. Il fit un signe à l'image holographique du Dr Ames.
- Si j'ai bien compris, docteur Ames, l'énergie sonore seule ne peut pas détruire les tissus humains mais, augmentée par la résonance venant de la chambre rocheuse o˘ travaille l'équipement acoustique minier, sa fréquence est réduite, de sorte qu'elle peut se propager sur de très longues distances. quand elle empiète sur une région océanique unique, l'onde est assez intense pour détruire les tissus humains.
- Vous avez résumé la chose très exactement, admit Ames.
- Alors, si vous renvoyez les zones de convergence superposées dans l'océan, est-ce qu'une partie de l'énergie ne sera pas réfractée de l'île du Gladiateur?
- C'est exact, dit Ames. Tant que la force énergétique frappe le niveau submergé de l'île sans faire surface et est éparpillée dans diverses directions, il n'y a pas de carnage à craindre.
- C'est le moment de l'impact contre l'île qui me préoccupe, dit Bakewell.
J'ai revu les relèvements géologiques de l'île du Gladiateur, que Dorsett a fait faire il y a près de cinquante ans. Les volcans aux extrémités de l'île ne sont pas éteints mais endormis. Il y a au moins sept cents ans qu'ils donnent. Aucun humain n'a assisté à la dernière éruption mais l'analyse scientifique de la lave la fait remonter au milieu du xiie siècle. Ensuite, il y a eu des alternances de passivité et de perturbations sismiques mineures.
- O˘ voulez-vous en venir, Charlie? demanda Sandecker.
- Au fait, amiral, que si une force catastrophique d'énergie acoustique frappait la base de l'île du Gladiateur, elle pourrait bien mettre en branle un désastre sismique.
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- Une éruption? demanda Gunn. Bakewell se contenta de hocher la tête.
- Et à votre avis, quels sont les risques que cela se produise? demanda Sandecker.
- Il n'y a aucun moyen de prédire avec certitude un niveau d'activité
sismique ou volcanique, mais je connais un vulcanologue qualifié qui vous donnera une estimation à cinq contre un.
- Une chance sur cinq de déclencher une éruption, dit Ames, son image holographique fixant Sandecker. Je crains bien, amiral, que la théorie du Dr Bakewell ne mette notre projet dans la catégorie des risques inacceptables.
Sandecker n'hésita pas une seconde à répondre.
- Désolé, docteur Ames, mais la vie d'un million de résidents d'Honolulu, voire davantage, plus celle de dizaine de milliers de touristes et de personnel militaire stationné à Oahu et alentour, ont la priorité sur celle de 650 mineurs.
- Ne peut-on prévenu- la Dorsett Consolidated d'avoir à évacuer l'île? demanda Yaeger.
- Nous devrons essayer, dit fermement Sandecker. Mais connaissant Arthur Dorsett, je suis s˚r qu'il se contentera de hausser les épaules, considérant notre avertissement comme une menace sans fondement.
- Supposez qu'on renvoie l'énergie acoustique ailleurs? suggéra Bakewell.
- Une fois que l'intensité dévie de son chemin d'origine, on court le risque qu'elle retienne toute son énergie et qu'elle frappe Yokohama, Shanghai, Manille, Sydney ou Auckland ou n'importe quelle autre ville très peuplée de la côte.
Il y eut un bref silence. Chacun se tourna vers Sandecker, même Ames, assis à son bureau à trois mille kilomètres à l'ouest.
Préoccupé, Sandecker tripotait son cigare éteint. Ce que son entourage ignorait, c'est qu'il n'avait pas en tête la possible destruction de l'île du Gladiateur. Il était à la fois attristé et en colère à cause du geste criminel d'Arthur Dorsett, qui avait abandonné en pleine mer, au milieu d'un typhon, ses deux meilleurs amis. A la fin, la haine prit le pas sur toute autre considération humaine.
Il regarda l'image de Sanford Ames.
- Faites vos calculs, Doc, pour diriger le réflecteur sur l'île du Gladiateur. Si nous n'arrêtons pas la Dorsett Consolidated, et ce le plus vite possible, personne d'autre ne le pourra.
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L'ascenseur privé d'Arthur Dorsett, dans son centre commercial de la joaillerie, s'élevait sans bruit. La seule évidence de cette ascension était la progression des chiffres lumineux au-dessus de la porte, indiquant les étages. quand la cabine s'arrêta doucement à l'appartement du dernier étage, Gabe Strouser en sortit et pénétra directement dans un vestibule donnant sur une terrasse o˘ l'attendait Dorsett.
Strouser n'était pas ravi de devoir rencontrer le magnat du diamant. Ils se connaissaient depuis l'enfance. L'association entre les Strouser et les Dorsett avait duré plus d'un siècle, jusqu'à ce qu'Arthur fasse cesser toute transaction à venir avec Strouser & Fils. La cassure avait été assez brutale. Dorsett avait froidement ordonné à ses hommes de loi d'informer Gabe Strouser qu'il se passerait désormais des services de sa famille. Le couperet était tombé par téléphone, sans confrontation personnelle.
Strouser prit très mal l'insulte et ne pardonna jamais à Dorsett. Pour sauver la vénérable firme familiale, Strouser avait tourné son allégeance vers le cartel d'Afrique du Sud, puis déménagé les bureaux de sa société de Sydney à New York. Au fil des années, il était devenu un membre respecté du conseil d'administration. Le cartel était empêché de commercer avec les Etats-Unis à cause des lois antitrust mais ses membres opéraient dans le sillage des très respectables diamantaires Strouser &Fils qui étaient en quelque sorte leur bras américain.
Il n'aurait pas rendu visite à Dorsett ce jour-là si les autres membres du conseil n'avaient été pris de panique en entendant les rumeurs qui affirmaient que la Dorsett Consolidated Mining était sur le point d'enterrer le marché sous une avalanche de pierres à des prix extrêmement réduits. Ils devaient agir vite et bien pour éviter le désastre. Homme profondément scrupuleux, Strouser était le seul membre du conseil d'administration à qui le cartel puisse faire confiance pour persuader Dorsett de ne pas fracasser les prix établis du marché.
Arthur Dorsett s'avança et serra vigoureusement la main de Strouser.
- Il y a longtemps qu'on ne s'est vus, Gabe, trop longtemps!
- Merci de me recevoir, Arthur, dit Strouser d'un ton légèrement condescendant qui masquait mal une certaine aversion. Si je me rappelle bien, tes avocats m'ont intimé l'ordre de ne plus jamais te contacter.
Dorsett haussa les épaules avec indifférence.
- Il est passé de l'eau sous les ponts depuis. Oublions ce qui est arrivé
et allons déjeuner. Nous parlerons du bon vieux temps.
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II montra une table installée sous une tonnelle protégée par des vitres à
l'épreuve des balles. On avait de là une vue magnifique sur le port de Sydney.
Strouser était exactement l'opposé de l'homme d'affaires terre à terre et grossier. D'abord, c'était un très bel homme d'une soixantaine d'années, aux cheveux argentés, épais et bien peignés, au visage étroit avec des pommettes hautes et un nez fin que lui auraient envié bien des acteurs d'Hollywood. Il était mince et cependant b‚ti comme un athlète, avec une peau régulièrement bronzée. Il mesurait plusieurs centimètres de moins que Dorsett mais avait des dents d'une blancheur éclatante et une bouche au sourire attirant. Il observait Dorsett de son regard bleu-vert de chat prêt à s'échapper si le chien du voisin faisait mine d'attaquer.
Il portait un costume magnifiquement coupé de fin lainage, très classique, auquel certaines petites touches à peine visibles donnaient son aspect dernier cri. Sa luxueuse cravate était en soie, ses chaussures italiennes brillaient comme des miroirs. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, ses boutons de manchettes n'étaient pas ornés de diamants mais d'opales.
Il fut un peu surpris de cet accueil amical. Dorsett semblait jouer un rôle dans une mauvaise pièce de thé‚tre. Strouser s'était attendu à une confrontation désagréable, pas à autant d'attentions.
Dès qu'il fut assis, le maître de maison fit signe à un domestique qui sortit une bouteille de Champagne d'un seau en argent et remplit la coupe de Strouser. Celui-ci nota avec amusement que Dorsett buvait à la bouteille une bière Castlemaine.
- quand les grosses légumes du cartel ont annoncé qu'ils envoyaient un représentant en Australie pour discuter, dit Dorsett, je n'ai pas imaginé
une seconde que ça pourrait être toi.
- Etant donné nos anciennes relations, les directeurs ont cru que je pourrais lire dans tes pensées. Ils m'ont donc prié de te questionner à
propos d'une rumeur qui circule dans la profession. On raconte que tu es sur le point d'inonder le marché de pierres à bas prix. Et, d'après ce qu'on raconte, il ne s'agirait pas de pierres synthétiques mais de diamants de qualité.
- Et o˘ as-tu entendu dire ça?
- Tu es à la tête d'un immense empire, Arthur. Les fuites venant d'employés mécontents sont monnaie courante.
- Je vais faire faire une enquête. Je déteste les traîtres et il ne doit pas y en avoir sur la liste de mes employés.
- Si ce que l'on dit est fondé, le marché du diamant doit faire face à une crise profonde, expliqua Strouser. On m'a chargé de te faire une offre substantielle pour que tu renonces à mettre tes pierres en circulation.
- Les diamants ne sont pas des pierres rares, Gabe, ils ne l'ont jamais Diamants... magnifique illusion
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été. Tu sais bien qu'on ne peut pas m'acheter. Une douzaine de cartels ne pourraient m'empêcher de mettre mes pierres en vente si je le décide.
- Tu as fait une erreur en travaillant en dehors de l'organisation centrale de vente, Arthur. Tu as perdu des millions en refusant de coopérer.
- Mon investissement à long terme est sur le point de me rapporter d'énormes dividendes, affirma Dorsett.
- Alors, c'est vrai ? demanda Strouser sans élever la voix. Tu as fait des stocks pour le jour o˘ tu pourrais faire un bénéfice rapide? Dorsett le regarda et sourit, montrant ses dents jaunies.
- Bien s˚r que c'est vrai ! Tout est vrai sauf le couplet sur le bénéfice rapide.
- Je dois te reconnaître ça, Arthur, tu es un grand naÔf.
- Je n'ai rien à cacher. Plus maintenant.
- Tu ne peux pas continuer à n'en faire qu'à ta tête comme si les autres n'existaient pas. Tout le monde va y perdre.
- C'est facile de dire ça alors que toi et tes copains du cartel avez le monopole de la production mondiale du diamant.
- Mais pourquoi casser le marché sur un coup de tête ? dit Strouser.
Pourquoi s'entre-tuer systématiquement? Pourquoi démolir une industrie stable et prospère?
Dorsett leva la main pour l'interrompre. Il fit signe au domestique de servir la salade de langouste. Puis il regarda Strouser sans ciller.