18
Le départ des fox-hounds
Jack Junior le découvrit le premier. Il venait d’attaquer son café et ses beignets, et il avait allumé son ordinateur, pour examiner d’abord le trafic de la CIA à destination de la NSA : or, en tête de la liste électronique de messages, il découvrit une alerte prioritaire Flash demandant à la NSA de prêter une attentation toute particulière aux « associés connus » d’Ouda ben Sali qui serait, au dire des Britanniques relayés par l’agence américaine, mort, manifestement victime d’un infarctus aigu en plein cœur de Londres. Le trafic Flash du Service de sécurité, inclus dans le CIA-gramme, révélait avec une concision toute britannique qu’il s’était écroulé en pleine rue sous les yeux de leur agent de surveillance et que la victime avait été aussitôt évacuée en ambulance à l’hôpital Guy où « l’on n’avait pas réussi à le ranimer ». Le corps se trouvait à présent à la morgue, concluait le MI5.
À Londres, Bert Willow, inspecteur de la Branche spéciale, appela l’appartement de Rosalie Parker.
« Allô ? » La voix était charmante, mélodieuse.
« Rosalie ? Ici, l’inspecteur Willow. Nous avons besoin de vous voir au plus vite au Yard.
– J’ai peur d’être occupé, Bert. J’ai un client qui doit arriver d’une minute à l’autre. Ça va prendre dans les deux heures. Je peux venir directement après. Est-ce que ça ira ? »
À l’autre bout du fil, l’inspecteur poussa un gros soupir mais non, ce n’était vraiment pas si urgent. Si Sali était mort d’une overdose – la cause la plus probable selon lui et ses collègues -, il n’avait pas obtenu sa drogue de Rosalie qui n’était ni accro ni dealeuse. Ce n’était pas une fille stupide. Son boulot était trop lucratif pour qu’elle prenne un tel risque. Son dossier indiquait même qu’elle se rendait parfois à l’église.
« Très bien », lui dit Bert. Il était curieux de savoir comment elle prendrait la nouvelle mais il n’escomptait pas de révélation bouleversante de ce côté.
« Excellent. À plus », fit-elle avant de raccrocher.
À l’hôpital, le corps était déjà en salle d’autopsie. Il avait été déshabillé et déposé sur le dos sur une table en inox quand le médecin légiste entra. Il s’agissait de Sir Percival Nutter, soixante ans, chirurgien distingué et chef du service de médecine légale de l’établissement. Ses techniciens avaient déjà prélevé 1 000 centimètres cubes de sang pour le labo. C’était une quantité énorme, mais ils comptaient effectuer tous les tests sanguins connus.
« Très bien, nous avons là le corps d’un sujet mâle d’approximativement vingt-cinq ans – trouvez-moi ses papiers pour avoir les dates exactes, Maria, dit-il dans le micro accroché au plafond qui était relié à un magnétophone. Poids ? » Cette question était destinée à l’interne.
« Soixante-treize kilos six. Taille : un mètre soixante-dix-huit, répondit le jeune médecin.
– Pas de marques apparentes sur le corps, à première vue, pouvant suggérer un incident cardio-vasculaire ou neurologique. Pourquoi cette hâte, Richard ? Le corps est encore chaud. » Pas de tatouages ni d’autres marques analogues. Lèvres légèrement cyanosées. Ses commentaires officieux seraient bien sûr coupés au montage, mais un corps encore chaud, c’était tout de même inhabituel.
« À la demande de la police, monsieur. Il semble que le sujet soit tombé raide mort en pleine rue alors même qu’il était observé par un agent. » Ce n’était pas l’exacte vérité mais pas loin.
« Avez-vous constaté des marques d’aiguilles ? demanda Sir Percy.
– Non, monsieur, pas la moindre trace.
– Donc, qu’en pensez-vous, mon garçon ? »
Richard Gregory, le nouvel interne, en était à sa première garde de médecine légale. Il haussa les épaules sous sa blouse verte de chirurgien. « D’après ce que dit la police, vu comme il est tombé, on peut songer à une crise cardiaque ou à un accident cérébral quelconque… à moins que cela ne soit lié à l’usage de drogue. Mais l’homme a l’air en bonne santé pour un drogué, et il n’y a pas de marques d’injection pour appuyer l’hypothèse.
– Plutôt jeune pour un infarctus aigu fatal », observa son aîné. Pour lui, le corps aurait aussi bien pu être une banale pièce de viande au marché, ou un chevreuil mort en Écosse, pas l’enveloppe charnelle d’un être humain qui était encore vivant, oh, peut-être deux ou trois heures plus tôt. Fichue malchance pour ce pauvre bougre. Il avait le type vaguement arabe. La peau des mains, lisse, ne suggérait pas un travail manuel, même si le sujet paraissait en bonne forme physique. Il souleva les paupières. Les yeux étaient si bruns qu’ils paraissaient noirs de loin. De bonnes dents, peu de plombages. Dans l’ensemble, un jeune homme qui semblait avoir plutôt pris soin de sa santé.
C’était bizarre. Une malformation cardiaque congénitale, peut-être ? Il faudrait qu’ils ouvrent le torse pour s’en assurer. Nutter ne broncha pas – après tout, cela faisait partie de la routine du boulot, et il avait depuis longtemps appris à oublier l’immense tristesse qui s’y associait – mais sur un corps si jeune, cela lui parut une perte de temps, quand bien même la cause de la mort fût assez mystérieuse pour éveiller sa curiosité intellectuelle, voire donner matière à un article dans The Lancet – comme il l’avait fait bien souvent au cours des trente-six dernières années. Au passage, ses dissections de cadavres avaient sauvé la vie de centaines, voire de milliers de personnes, raison pour laquelle il avait choisi comme spécialité la médecine légale. En outre, on n’avait pas trop besoin de parler à ses patients.
Pour l’heure, ils allaient attendre le retour des examens du labo d’hématologie. Cela lui fournirait au moins une piste pour ses investigations.
Brian et Dominic regagnèrent leur hôtel en taxi. Une fois arrivé, Brian alluma son ordinateur portable et se connecta. Le bref courriel qu’il envoya fut automatiquement crypté et acheminé en moins de quatre minutes. Il estima qu’il faudrait une heure à peu près au Campus pour réagir, à supposer que personne ne se dégonfle, ce qui était improbable. Granger avait l’air d’un gars qui aurait pu faire le boulot lui-même, plutôt coriace, pour un vieux. Sa période chez les marines lui avait enseigné à discerner les vrais durs à la lueur dans le regard. John Wayne avait joué au foot lorsqu’il était sous les drapeaux. Audie Murphy, refusé par un sergent recruteur des marines – à la grande honte du Corps – avait des airs de gamin perdu, mais il avait tué de ses mains plus de trois cents types. Il avait également les yeux froids quand on le provoquait.
Les deux frères Caruso se sentaient tout soudain étrangement vides et solitaires.
Ils venaient d’assassiner un homme qu’ils ne connaissaient pas et à qui ils n’avaient pas adressé un seul mot. Tout cela leur avait paru parfaitement logique et sensé au Campus, mais l’endroit était devenu bien lointain, tant en distance kilométrique que dans l’immensité spirituelle. L’homme qu’ils avaient tué avait toutefois financé les créatures qui avaient provoqué le massacre de Charlottesville, tué sans pitié des femmes et des enfants et, en facilitant cet acte de barbarie, il s’était rendu lui-même coupable devant la loi et la morale communes. Donc, ce n’était pas non plus comme s’ils avaient éliminé le petit frère de mère Teresa sur le chemin de l’église.
Là encore, c’était plus dur pour Brian que pour Dominic, qui s’approcha du minibar et en sortit une canette de bière. Qu’il lança à son frère.
« Je sais, dit Brian. Ça lui pendait au nez. C’est comme ça… enfin, c’est pas non plus l’Afghanistan, tu vois ?
– Ouais, cette fois, on a dû lui faire ce qu’ils essayaient de te faire à toi. Ce n’est pas notre faute si c’était un méchant. Ce n’est pas notre faute s’il estimait que le massacre du centre commercial était presque aussi bon qu’une bonne baise. Ça lui pendait au nez. Peut-être qu’il n’a tué personne lui-même, mais, merde, il leur a bien payé les armes, OK ? » demanda Dominic, de son ton le plus raisonnable, compte tenu des circonstances.
« Je vais pas lui allumer un cierge. C’est juste… mais merde, c’est pas ce qu’on est censé faire dans un monde civilisé.
– De quel monde civilisé parles-tu, frangin ? On a zigouillé un gars qui avait besoin de retrouver Dieu. Si Dieu veut lui pardonner, c’est son affaire. Tu sais, il y a des gens qui croient que tout ce qui porte un uniforme est un tueur. Le genre tueur de bébé…
– Mouais, ben, c’est de la connerie, rétorqua Brian. Ce qui me fout la trouille… c’est si on devient comme eux…
– Eh bien, on peut toujours refuser un boulot, pas vrai ? Et ils nous ont dit qu’ils nous donneraient à chaque fois la raison de l’opération. On ne va pas devenir comme eux, Aldo. Je ferai tout pour l’empêcher. Et toi aussi. En attendant, on a des trucs à faire, d’accord ?
– Je suppose. » Brian but une grande lampée de bière et sortit de sa poche de pardessus le stylo en or. Il devait le recharger. Cela prit moins de trois minutes : le bidule était de nouveau prêt à servir. Puis il refit pivoter le corps pour le transformer à nouveau en instrument d’écriture et le remit dans la poche. « Ça va aller, Enzo. C’est juste que tuer quelqu’un en pleine rue n’est pas un acte qu’on fait de gaieté de cœur. Et je persiste à me demander si ce ne serait pas plus logique d’interpeller simplement le bonhomme afin de l’interroger.
– Les Rosbifs ont des lois de protection de la personne analogues aux nôtres. S’il réclame un avocat -et tu sais qu’il a reçu une formation en ce sens, n’est-ce pas ? -, les flics ne peuvent même pas lui demander l’heure, exactement comme chez nous. Tout ce qu’il a à faire, c’est sourire et rester bouche cousue. C’est un des inconvénients de la civilisation. C’est valable pour des criminels, je suppose, enfin la plupart, mais ces gars ne sont pas des criminels. C’est une forme de guerre, pas de criminalité. C’est bien là le problème et on peut difficilement menacer un type qui veut mourir dans l’accomplissement de son devoir. Tout ce que tu peux faire, c’est l’arrêter, et arrêter une personne dans son genre, ça veut dire que son cœur doit cesser de battre. »
Nouvelle lampée de bière. « Ouais, Enzo, t’as raison. Je me demande qui est notre prochaine cible.
– Donne-leur une heure pour digérer ça. Ça te dit de faire un tour ?
– Ça marche. » Brian se leva et, une minute après, ils étaient de nouveau dans la rue.
C’était un peu trop voyant. Le fourgon de British Telecom était en train de s’éloigner mais l’Aston-Martin était toujours là. Il se demanda si les Britanniques allaient maquiller une perquisition en cambriolage pour récupérer éventuellement des indices intéressants, mais ce coupé sport noir trônait toujours, abandonné, au bord du trottoir, et c’est sûr qu’il en jetait. « Tu regrettes de ne pas t’être lancé dans l’immobilier ? demanda Brian.
– Je pourrais pas la conduire chez nous. Le volant est du mauvais côté », fit observer Dominic. Mais son frère avait raison. C’était une honte de voir une telle bagnole ainsi gaspillée. Berkeley Square était un coin sympa, mais tout juste assez grand pour promener des bébés dans l’herbe et prendre le soleil avec un peu d’air pur. L’hôtel particulier serait sans doute vendu, également, et pour une somme rondelette. Des avocats -plutôt des notaires, ici – se chargeraient de régler la paperasse, prélevant leur part avant de restituer la nue-propriété à la famille – mais quelle famille pouvait bien nourrir un tel serpent ?
« T’as pas faim ?
– Je me mettrais bien un petit quelque chose sous la dent », concéda Brian. Ils marchèrent donc encore un peu.
Ils se dirigèrent vers Piccadilly et trouvèrent un établissement baptisé le Prêt à Manger, en français dans le texte, qui servait des sandwiches et des boissons fraîches. Après avoir passé au total quarante minutes dehors, ils regagnèrent l’hôtel et Brian ralluma son ordinateur.
mission accomplie confirmée par des sources locales, disait le message du Campus, qui poursuivait :
réservations confirmées vol ba0943 départ heathrow demain 07 : 55 arrivée munich 10 : 45. billets au guichet. Il y avait toute une page de détails, suivie du mot fin.
« OK, observa Brian. On a un autre boulot.
– Déjà ? » Dominic était surpris par l’efficacité du Campus. Pas Brian. « J’imagine qu’ils ne nous paient pas à jouer les touristes, frérot. »
« Tu sais, il faudrait qu’on évacue les jumeaux un peu plus vite, remarqua Tom Davis.
– S’ils voyagent incognito, ce n’est pas forcé, dit Hendley.
– Si jamais quelqu’un les remarque ou quoi, mieux vaut qu’ils ne traînent pas sur les lieux. On ne peut pas interroger un fantôme, fit remarquer Davis. Si la police n’a rien à se mettre sous la dent, alors ils auront moins matière à réfléchir. Ils pourront inspecter la liste d’embarquement de l’avion, mais si les noms qu’ils recherchent – à supposer même qu’ils aient des noms – vaquent normalement à leurs affaires, alors ils se retrouveront face à un mur vide, sans la moindre preuve à se raccrocher. Mieux encore, si le visage qu’ils pourraient éventuellement avoir repéré s’évapore, alors ils n’auront que dalle, et il y a toutes les chances qu’ils l’écartent comme un simple témoin oculaire à qui on ne peut de toute manière pas se fier. » Il n’était jamais trop apprécié que les services de police s’appuient exclusivement sur les témoins oculaires, la moins solide des preuves criminelles. Leurs dépositions sont trop volatiles, et bien trop peu fiables pour être d’une grande utilité devant un tribunal.
« Et ? demanda Sir Perceval.
– La CPK-MB(7) est élevée, pareil pour la troponine, et le labo indique que le cholestérol est à deux grammes trente, dit le Dr Gregory. Plutôt élevé pour son âge. Pas la moindre trace de drogues ou de substances chimiques… pas même d’aspirine. Donc, nous avons les preuves enzymatiques d’un incident coronarien, et c’est tout pour le moment.
– Eh bien, il va donc falloir lui ouvrir la poitrine, observa le Dr Nutter, mais c’était prévu de toute manière. Même avec un taux élevé de cholestérol, il est un peu jeune pour un infarctus aigu, vous ne croyez pas ?
– Si je devais hasarder une hypothèse, monsieur, je pencherais pour un syndrome de QT long(8) ou une arythmie cardiaque. » L’un et l’autre ne laissaient que peu ou pas de traces post-mortem – sinon dans un sens négatif, hélas – mais les deux syndromes étaient fatals.
« Correct. » Gregory semblait un jeune interne brillant et, comme la plupart des diplômés de fraîche date, d’un sérieux extrême. « Allons-y », dit Nutter, en saisissant le gros scalpel. Puis il utiliserait les pinces pour sectionner les côtes. Mais il était à peu près sûr de ce qu’ils allaient trouver. Le pauvre bougre était mort d’une défaillance cardiaque, sans doute provoquée par une soudaine – et inexplicable – arythmie. Mais quelle qu’en ait été la cause, elle lui avait été aussi fatale qu’une balle en pleine tête. « Rien d’autre à l’examen toxicologique ?
– Non, monsieur, rien du tout. » Gregory brandit la sortie d’imprimante. Hormis les valeurs de référence, elle était quasiment vide. Et cela résumait parfaitement la question.
C’était comme d’écouter un match à la radio, mais sans le commentaire. Quelqu’un au Service de sécurité avait hâte de permettre à la CIA d’apprendre ce qu’il en était de l’individu pour lequel Langley avait manifesté un tel intérêt, de sorte que les moindres bribes d’information qui parvenaient étaient aussi transmises à l’agence de renseignements américaine, et de là, à Fort Meade, qui balayait les ondes pour découvrir la moindre marque d’intérêt de la part de la communauté terroriste de par le monde. Les services d’info de cette dernière n’apparaissaient en définitive pas aussi efficaces que ses ennemis l’avaient espéré.
« Bonsoir, inspecteur Willow », dit Rosalie Parker avec son habituel sourire à la Suivez-moi jeune homme. Elle gagnait sa vie en faisant l’amour, mais ça ne voulait pas dire qu’elle n’y prenait pas plaisir. Elle entra d’un air dégagé, arborant son insigne de visiteuse, et vint s’asseoir en face de lui. « Alors, qu’est-ce que je peux faire pour vous en cette belle fin de journée ?
– Mauvaise nouvelle, mademoiselle Parker. » Bert Willow se montrait solennel et poli, même avec les putes. « Votre ami Ouda ben Sali est mort.
– Quoi ? » Ses yeux s’agrandirent de surprise. « Que s’est-il passé ?
– Nous ne savons pas au juste. Il s’est écroulé comme ça, en pleine rue, juste en face de son bureau. Il semblerait qu’il ait eu un accident cardiaque.
– Vraiment ? » Rosalie était surprise. « Mais il semblait en si bonne santé. Rien ne laissait soupçonner qu’il ait eu un problème quelconque. Je veux dire, hier soir encore…
– Oui, j’ai vu dans le dossier, répondit Willow. Savez-vous s’il se droguait ?
– Non, jamais. Il buvait, à l’occasion, mais pas tant que ça. »
Aux yeux de Willow, elle paraissait en état de choc et fort surprise, mais il n’y avait pas la moindre trace de larmes dans ses yeux. Non, pour elle, Ouda avait été un client, une source de revenus, guère plus. Le pauvre bougre s’était sans doute imaginé autre chose. Doublement pas de veine pour lui, donc. Mais ce n’était pas vraiment le problème de l’inspecteur Willow, n’est-ce pas…
« Pas de détail inhabituel lors de votre dernière rencontre ? demanda le flic.
– Non, pas du tout. Il était d’humeur passablement gaillarde, mais vous savez, il y a quelques années, j’ai un client qui m’a littéralement claqué dessus – je veux dire, c’est parti et il est parti avec, comme on dit. L’horreur… pas vraiment le genre de truc qu’on oublie, alors, depuis, je surveille mes clients. Je veux dire, j’en laisserais jamais crever un. Je suis pas une sauvage, vous savez. J’ai un cœur », assura-t-elle au flic.
Eh bien, ton petit copain Sali n’en a plus, songea Willow, sans le dire. « Je vois. Donc, hier soir, il était parfaitement normal ?
– Tout à fait. Pas le moindre signe de problème quelconque. » Elle marqua un temps pour changer de contenance. Mieux valait donner une impression de regret, sinon il risquait de la prendre pour un robot indifférent. « C’est une terrible nouvelle. Il était si généreux, et puis toujours poli. Comme c’est triste pour lui.
– Et pour vous », compatit l’inspecteur Willow. Après tout, elle venait de perdre une importante source de revenus.
« Oh. Oui, oh oui, pour moi aussi, mon chou », fit-elle, finissant par réaliser les conséquences. Mais elle n’essaya pas d’abuser l’inspecteur par des larmes de crocodile. Inutile de perdre du temps. Il avait vu clair dans son jeu. Dommage pour Sali. Elle regretterait les cadeaux. Enfin, sûr qu’on lui enverrait d’autres clients. Son univers ne s’était pas effondré. Juste celui de son ex-client. C’était surtout dommage pour lui… pour elle aussi, en partie, mais rien d’irrémédiable.
« Mademoiselle Parker, vous avait-il laissé le moindre indice sur ses activités professionnelles ?
– La plupart du temps, il parlait surtout d’immobilier, vous voyez, acheter et vendre ces demeures cossues. Une fois, il m’a emmenée voir une maison qu’il achetait dans le West End, il disait qu’il voulait mon avis sur les peintures, mais je crois qu’il essayait juste de se donner de l’importance.
– Déjà rencontré l’un ou l’autre de ses amis ?
– Pas souvent… trois, peut-être quatre, je crois. Tous Arabes, la plupart de son âge, peut-être quatre ou cinq ans plus vieux, mais guère plus. Tous m’examinaient avec attention, mais ça n’a pas débouché. Même que ça m’a surprise. Les Arabes peuvent être de vraies bêtes, mais ils paient bien. Vous pensez qu’il aurait pu être impliqué dans des activités illégales ? s’enquit-elle avec tact.
– C’est une possibilité, concéda Willow.
– Jamais rien remarqué de tel, chou. S’il jouait avec les mauvais garçons, c’était quand j’avais le dos tourné. J’adorerais vous aider, mais y a vraiment rien à dire. » Elle parut sincère à l’inspecteur mais il se remémora que, lorsqu’il s’agissait de dissimuler quelque chose, une pute de sa classe aurait sans doute damé le pion à Dame Judith Anderson.
« Eh bien, merci encore d’être passée. Si jamais quelque chose – n’importe quoi – vous revient à l’esprit, passez-moi un petit coup de fil.
– Je n’y manquerai pas, chou. » Elle se leva et gagna la porte, tout sourire. C’était un type sympa, cet inspecteur Willow. Dommage qu’elle ne soit pas dans ses moyens.
Bert Willow était déjà de retour à son ordinateur pour taper son rapport avec le contact. Mlle Parker semblait en effet une chouette fille, bien éduquée et tout à fait charmante. Cela tenait sans doute pour une part à son métier, mais pour une part seulement peut-être. Il espérait qu’elle se trouverait un autre travail avant d’être totalement détruite. C’est qu’il était un romantique, Willow, et, un de ces jours, ça causerait sa perte. Il le savait mais lui, il n’avait aucune envie de changer à cause de son boulot comme elle-même l’avait fait sans doute. Un quart d’heure plus tard, il envoyait par courrier le rapport à Thames House, puis l’imprimait pour le dossier Sali, qui se retrouverait le moment venu dans les dossiers classés des archives centrales, sans doute pour y être oublié à jamais.
« J’te l’avais bien dit, lança Jack à son collègue.
– Eh bien, tu peux te tresser une couronne de lauriers, répondit Wills. Alors, c’est quoi, l’histoire… ou est-ce qu’il faut que je recherche moi-même les documents ?
– Ouda ben Sali est tombé raide mort, apparemment victime d’une crise cardiaque. Le gars du Service de sécurité qui le filait n’a rien vu d’inhabituel, juste le bonhomme qui s’écroule en pleine rue. Et hop, plus d’Ouda pour financer les méchants.
– Ça te fait quoi ? s’enquit Wills.
– Ça me convient parfaitement, Tony. Il jouait pas avec les bons, et pas sur le bon terrain. Fin de l’histoire », dit froidement Ryan Junior. Je me demande comment ils ont procédé ? s’interrogea-t-il plus tranquillement. « Tu crois que c’est nos gars qui lui auront refilé un coup de main ?
– Pas notre affaire. Nous, on fournit de l’information aux autres. Ce qu’ils en font, on n’a pas à s’en mêler.
– À vos ordres, chef. »
Le reste de la journée leur parut bien morne après un tel départ sur les chapeaux de roue.
Mohammed reçut la nouvelle sur son ordinateur -plus exactement, il reçut l’instruction codée d’appeler un intermédiaire nommé Aïman Ghaïlani dont il avait mémorisé le numéro de téléphone mobile. Pour ce faire, il sortit se promener. Il fallait être prudent avec les téléphones d’hôtel. Une fois dans la rue, il gagna un parc voisin, s’assit sur un banc, puis sortit un calepin et un stylo.
« Aïman, c’est Mohammed. Quoi de neuf ?
– Ouda est mort, répondit le correspondant, comme hors d’haleine.
– Que s’est-il passé ?
– On n’est pas sûrs. Il est tombé près de son bureau et a été conduit à l’hôpital le plus proche. Il est mort là-bas.
– Il n’a pas été arrêté ? Il ne s’est pas fait tuer par les juifs ?
– Non, rien de tout ça.
– Donc, c’est une mort naturelle ?
– Jusqu’ici, ça en a tout l’air. »
Je me demande s’il a eu le temps d’opérer le transfert de fonds avant de quitter ce bas monde, songea Mohammed.
« Je vois… » Il ne voyait rien, bien sûr, mais il se sentait obligé de meubler le silence. « Donc, aucune raison de suspecter un acte criminel ?
– Non, à l’heure qu’il est, non. Mais quand un des nôtres meurt, on doit toujours…
– Oui, je sais, Aïman. On doit toujours avoir des soupçons. Est-ce que son père le sait ?
– C’est par lui que je l’ai appris. »
Son père sera sans doute ravi d’être débarrassé de ce vaurien, songea Mohammed. « Qui avons-nous pour nous confirmer la cause de sa mort ?
– Ahmed Mohammed Hamed Ali vit à Londres. Peut-être que par le truchement d’un notaire…
– Bonne idée. Occupe-toi de ça. » Puis une pause. « Est-ce que quelqu’un a prévenu l’Émir ?
– Non, je ne pense pas.
– Occupe-t’en. » C’était une affaire mineure mais, malgré tout, il était censé tout savoir.
« Je vais le faire, promit Aïman.
– Très bien. Eh bien, c’est tout. » Sur ces mots, Mohammed pressa la touche déconnexion de son téléphone.
Il était de retour à Vienne. Il aimait bien la ville. Déjà, ils avaient su s’occuper des juifs ici, dans le temps, et bien des Viennois d’aujourd’hui ne le regrettaient pas spécialement. D’un autre côté, c’était l’endroit idéal pour un homme fortuné. Des tas de grands restaurants avec un personnel qui connaissait la valeur d’un service stylé. L’ancienne cité impériale avait une vaste histoire culturelle à offrir lorsqu’il était d’humeur à jouer les touristes, ce qui arrivait plus souvent qu’on n’aurait pu l’imaginer. Mohammed trouvait que ses meilleures idées lui venaient souvent quand il contemplait ce qui n’avait aucun rapport avec son travail. Aujourd’hui, un musée d’art, peut-être. Il allait laisser Aïman se charger des corvées. Un notaire londonien leur déterrerait les informations entourant la mort d’Ouda et, en bon mercenaire, il leur signalerait tout ce qui paraissait louche. Mais il arrivait que les gens meurent de leur belle mort. C’était la main d’Allah, qui n’était jamais facile à comprendre, et impossible à prévoir.
Une journée peut-être pas si morne, en fin de compte. La NSA échangea encore de nouveaux messages après le déjeuner. Jack fit un rapide calcul mental et conclut que c’était le soir de l’autre côté de l’Atlantique. Les électroniciens des carabiniers – la gendarmerie italienne, ceux qui se baladaient avec ces uniformes un peu ridicules – avaient effectué un certain nombre d’interceptions qu’ils avaient transmises à l’ambassade des États-Unis à Rome, et qui de là avaient rejoint par satellite Fort Belvoir – la principale station de réception sur la côte Est. Un certain Mohammed avait appelé un certain Aïman – ils le savaient grâce à l’enregistrement de la conversation, qui avait également mentionné la mort d’Ouda ben Sali, ce qui avait déclenché un signal d’alarme sur divers ordinateurs pour réclamer l’intervention d’un analyste du renseignement électronique, ce qui avait en définitive réveillé le personnel de l’ambassade.
« "Est-ce que quelqu’un a prévenu l’Émir ? " Qui diable est cet Émir ? demanda Jack.
– C’est un titre de noblesse, expliqua Wills. Un peu comme un duc. C’est quoi, le contexte ?
– Tiens. » Jack lui tendit une feuille imprimée.
« Ça paraît intéressant. » Wills se tourna vers son clavier et fit une recherche en archives sur le mot clé émir. Il n’obtint qu’une seule occurrence. « D’après ce que je lis là, c’est un nom ou un titre qui est apparu il y a un an environ dans une conversation enregistrée, contexte incertain, rien de significatif depuis. L’Agence pense que c’est sans doute le pseudo d’un homme de main de leur organisation.
– Dans ce contexte, le gibier m’a l’air plus gros, songea tout haut Jack.
– Peut-être, concéda Tony. Il y a tout un tas de trucs qu’on ignore sur ces gens-là. Langley va sans doute repasser le dossier à un quelconque superviseur. À leur place, c’est ce que je ferais, conclut-il mais sans être plus affirmatif.
– On a quelqu’un chez nous qui connaît l’arabe ?
– Deux gars – ils l’ont appris à l’école de Monterey – mais ce ne sont pas des experts de la culture, non.
– Je pense que ça vaut quand même le coup d’y jeter un œil.
– Alors, fais-en une note, on verra ce qu’ils en disent. Langley a tout un tas de psychologues, et certains sont plutôt bons.
– Mohammed est le plus haut placé à notre connaissance dans cette structure. Et là, il fait référence à quelqu’un d’encore plus haut placé que lui. C’est un truc qu’on doit absolument vérifier », décréta le jeune Ryan avec toute la vigueur dont il était capable.
Pour sa part, Wills savait que son collègue avait raison. Il venait en outre d’identifier implicitement le plus gros problème dans le milieu du renseignement : trop de données, pas assez de temps d’analyse. Le mieux serait encore de simuler une requête de la NSA adressée à la CIA, et vice versa, demandant quelques pistes de réflexion sur ce problème particulier. Mais ils devaient agir avec précaution. Des demandes de données, il y en avait un million par jour, et, vu leur quantité, elles n’étaient jamais, jamais vérifiées – les communications étaient cryptées, après tout, non ? Mais demander du temps d’analyse pouvait tout aussi bien entraîner un coup de fil de confirmation, ce qui requérait à la fois un numéro et une personne pour décrocher au bout du fil. Cela pourrait occasionner une fuite, or les fuites étaient la seule et unique chose que le Campus ne pouvait se permettre. De sorte que ce genre de demande allait directement au dernier étage. Peut-être deux fois par an. Le Campus était un parasite sur le corps de la communauté du renseignement. De telles créatures n’étaient pas censées avoir une bouche pour parler… juste pour sucer le sang.
« Rédige tes idées à l’intention de Rick Bell, il en discutera avec le sénateur, conseilla Wills.
– Super », grommela Jack. Il n’avait pas encore appris la patience. Plus précisément, il n’avait pas appris grand-chose des rouages de la bureaucratie. Même le Campus en avait une. Le plus drôle était que s’il avait été un modeste analyste à Langley, il aurait pu décrocher son téléphone, composer un numéro et parler à la bonne personne pour avoir un avis d’expert, ou pas loin. Mais on n’était pas à Langley. La CIA était en réalité tout à fait apte à obtenir et traiter de l’information. C’était agir ensuite de manière concrète qui posait de constants problèmes à l’agence gouvernementale. Jack rédigea sa requête, en se demandant ce qu’il en sortirait.
L’Émir prit la nouvelle avec calme. Ouda avait été un sous-fifre utile, mais pas si important. Il avait bien d’autres sources de financement pour ses opérations.
L’homme était grand pour son ethnie, pas particulièrement beau, avec un nez proéminent et le teint olivâtre. Sa famille était éminente et très riche, même si ses frères – il en avait neuf – contrôlaient l’essentiel de la fortune familiale. Sa demeure à Riyad était vaste et confortable, sans être un palais. Ceux-là, il les laissait à la famille royale dont les nombreux princes paradaient comme si chacun était le roi de ce pays et le protecteur des Lieux saints. La famille royale, dont il connaissait bien les membres, était pour lui l’objet d’un mépris silencieux, mais il savait garder ses émotions enfouies au tréfonds de son âme.
Dans sa jeunesse, il s’était montré plus démonstratif. Il était venu à l’islam à l’orée de l’adolescence, inspiré par un imam très conservateur dont les prêches avaient fini par lui amener des ennuis, mais qui avaient aussi inspiré un petit groupe de disciples et d’enfants spirituels. L’Émir était juste le plus intelligent du lot. Lui aussi avait exprimé son opinion et, résultat immédiat, s’était vu expédier en Angleterre pour y parfaire son éducation – en réalité, pour l’éloigner – mais là-bas, en plus d’y apprendre le fonctionnement du monde, il s’était vu exposé à un concept entièrement étranger : la liberté de parole et d’expression. À Londres, celle-ci est surtout célébrée à l’angle de Hyde Park, où chacun est libre de venir déverser sa bile, une tradition vieille de plusieurs siècles, sorte de soupape de sécurité pour la population britannique, et qui, comme toute soupape, décharge surtout les idées en l’air sans que ces idées puissent avoir de prise réelle. S’il était allé en Amérique, c’eût été la presse extrémiste. Mais ce qui l’avait frappé tout autant que l’arrivée d’un astronef venu de Mars, c’était que les gens soient capables de défier le gouvernement dans les termes de leur choix. Il avait grandi dans une des dernières monarchies absolues de la planète, où la terre même du pays appartenait au roi, et où la loi était ce que disait la monarchie régnante – assujettie en théorie, sinon en substance, au Coran et à la Charia, l’ensemble des interprétations légales traditionnelles qui remontaient au Prophète en personne. Ces lois étaient justes – ou du moins cohérentes – mais d’une grande fermeté. Le problème était que tout le monde n’était pas d’accord sur la lettre du Coran et par conséquent sur la façon dont la Charia devait s’appliquer. L’islam n’avait pas de pape et donc pas de grille unique d’application à la réalité concrète. Les chiites et les sunnites se disputaient souvent – toujours – sur cette question et même au sein de l’islam sunnite, les wahhabites – la principale secte du royaume – adhéraient à un système de croyances extrêmement rigide. Mais pour l’Émir cette apparente faiblesse de l’islam était en fait sa force. On n’avait qu’à convertir un nombre réduit de musulmans à son système de pensée, ce qui était des plus faciles ; on n’avait même pas besoin d’aller les chercher ; ils venaient quasiment tout seuls. Et la plupart étaient des personnes éduquées en Europe ou en Amérique, où leur origine étrangère les forçait à resserrer les rangs pour préserver leur identité ; aussi s’étaient-ils constitués en un groupe fondé sur la non-assimilation, ce qui avait conduit bon nombre d’entre eux vers une éthique révolutionnaire. C’était particulièrement utile parce que, ce faisant, ils avaient acquis une connaissance de la culture de l’ennemi vitale pour cibler ses faiblesses. Les conversions religieuses avaient ainsi été très largement prédéterminées, de fait. Par la suite, il leur suffisait d’identifier leurs objets de haine – à savoir les personnes contre qui tourner leur mécontentement – et de décider ensuite comment se débarrasser de ces ennemis, soit isolément, soit par un grand coup de main qui était en harmonie avec leur sens du drame, sinon avec leur bien piètre compréhension de la réalité.
Et à l’issue de cette phase, l’Émir, comme ses associés en étaient venus à le surnommer, deviendrait le nouveau mahdi, l’arbitre ultime de tout le mouvement islamique international. Pour les disputes intra-religieuses (entre sunnites et chiites, par exemple), il envisageait de les régler par une fatwa générale, un édit religieux de tolérance – qui paraîtrait admirable même aux yeux de ses ennemis. Et, après tout, n’y avait-il pas une bonne centaine de sectes chrétiennes qui avaient pour l’essentiel mis fin à leurs querelles intestines ? Il pouvait même se permettre d’envisager de tolérer les juifs, du moins dans les années futures, une fois qu’il se serait hissé jusqu’au pouvoir suprême, sans doute au sein d’un palais d’une modestie de bon aloi, à l’extérieur de La Mecque. La modestie était une vertu utile au chef d’un mouvement religieux, car comme l’avait proclamé le païen Thucydide avant même le Prophète, de toutes les manifestations du pouvoir, celle qui impressionne le plus les hommes est la retenue.
C’était sa mission la plus haute, celle qu’il désirait le plus accomplir. Elle allait requérir temps et patience, sans aucune garantie de succès. Son malheur était qu’il devait compter sur des fanatiques, comme l’avait été le prophète Mahomet, mais Mahomet, bénédiction et paix soient sur Lui, avait été le plus honorable des hommes, et il avait mené un combat bon et honorable contre les idolâtres païens, tandis que ses efforts personnels se portaient surtout au sein de la communauté des croyants.
Était-il dans ce cas, lui aussi, un homme honorable ? Question difficile. Mais l’islam ne devait-il pas être apporté au monde moderne et non pas rester rigidement enfermé dans l’Antiquité ? Allah désirait-il que ses fidèles demeurent prisonniers du vif siècle ? Certainement pas. L’islam avait été jadis le centre du savoir humain, une religion d’érudition et de progrès qui avait, hélas, perdu ses qualités entre les mains du Grand Khan, puis qui avait été opprimée par les infidèles de l’Occident. L’Émir croyait sincèrement au Saint Coran et aux enseignements des imams, mais il n’était pas non plus aveugle au monde environnant. Ni aux réalités de l’existence humaine. Ceux qui détenaient le pouvoir le gardaient jalousement et la religion n’avait pas grand-chose à y voir, parce que le pouvoir en soi était une drogue. Et les gens avaient besoin de quelque chose – de préférence, quelqu’un – à suivre s’ils voulaient avancer. La liberté, au sens où l’entendaient les Européens et les Américains, était un concept trop chaotique -, ça aussi, il l’avait appris au coin de Hyde Park. Il fallait de l’ordre. Il était l’homme pour procurer cet ordre.
Donc, Ouda ben Sali était mort, songea-t-il en buvant une gorgée de jus de fruit. Un grand malheur pour Ouda, mais une irritation mineure pour l’organisation. L’organisation avait accès, sinon à un océan d’argent, du moins à un certain nombre de lacs de superficie confortable, dont Ouda avait généré quelques-uns. Un verre de jus d’orange était tombé de la table, mais heureusement, sans tacher le tapis en dessous. L’accident ne requérait aucune action de sa part, même indirecte.
« Ahmed, c’est une triste nouvelle, mais pas une affaire de grande importance pour nous. Aucune action ne doit être engagée.
– Je ferai comme vous le dites », répondit respectueusement Ahmed Moussa Matwalli. Il coupa le téléphone. C’était un appareil cloné, acheté à un petit voleur de rue dans ce seul but, et il le jeta aussitôt après dans le Tibre du haut du Ponte Sant’Angelo. C’était une mesure de sécurité classique lorsqu’on parlait au grand commandant de l’organisation dont l’identité n’était connue que de quelques élus, tous choisis parmi le cercle des plus fidèles croyants. Aux plus hauts échelons, la sécurité était stricte. Tous étudiaient divers manuels d’espionnage. Les meilleurs avaient été achetés à un ancien agent du KGB qui était mort après la vente, du moins, c’est ce qui avait été écrit. Ses règles étaient simples et claires, et ils n’en déviaient pas d’un pouce. D’autres s’étaient montrés moins prudents, et ils avaient cher payé leur stupidité. L’ancienne URSS avait été un ennemi détesté mais ses sous-fifres n’avaient jamais été des imbéciles. Juste des incroyants. L’Amérique, le Grand Satan, avait rendu un insigne service au monde entier en détruisant cette horrible nation. Ils ne l’avaient fait bien sûr que pour leur seul profit, mais cela aussi avait dû être écrit de la main de Dieu car cela avait également servi les intérêts des fidèles, car qui pouvait comploter mieux qu’Allah lui-même ?