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Être mariée avec Connors présentait de gros avantages.

D'un claquement de doigts, il pouvait avoir à sa disposition un jet privé, et en prendre les commandes si ça lui chantait.

Eve pouvait s'installer confortablement et poursuivre ses recherches tout en se chamaillant avec Peabody ou en échangeant des hypothèses avec son pilote personnel.

— J'aurais été prête en cinq minutes, gémit Peabody sur l'écran, l'air boudeur, tandis que dans le fond McNab poursuivait sa cybertâche.

— Il vous aurait fallu trente minutes pour nous rejoindre.

L'assassin ne sera pas là, Peabody. Vous n'allez rien rater, bon sang. Du reste, j'ai besoin de vous à New York : trouvez-moi une adresse ou un contact pour Darrin Pauley. Emploi, permis de conduire, casier, finances, dossiers médicaux. Épluchez tout.

— J'aurais pu le faire pendant...

— Vous ferez un tour en avion une autre fois.

La moue de Peabody s'estompa légèrement.

— Quand ?

— Doux Jésus ! Creusez. Maintenant.

— D'accord. Je suis déjà dessus.

— Et n'oubliez pas les chaussures. Vérifiez s'il a une carte de crédit à ce nom. Sinon, nous croiserons vos données avec les hommes qui ont D.P. comme initiales. Il a utilisé la carte d'identité de Darian Powders. Il a peut-être d'autres alias commençant par les mêmes lettres.

— C'est bon. Je...

— Accordez-vous quelques heures de sommeil, car je réunis toute l'équipe à 7 heures. Réservez la salle de conférences. À demain.

Elle mit fin à la conversation.

— Je te signale que je ne serai pas disponible à 7 heures, dit Connors.

Elle retint un juron.

— Les civils ont droit à une permission.

— Je peux réorganiser mon emploi du temps et me mettre à la disposition de Feeney à la même heure qu'aujourd'hui.

— À condition que cela ne te pose pas de problème.

Powders ne sera pas en Alabama. Il veut récolter les fruits de son œuvre, voir MacMasters anéanti. Il est à New York depuis un certain temps. Peut-être pas cinq ans, peut-être pas depuis son semestre à Columbia, mais depuis un moment. Il veille, il guette, il tisse sa toile. Il assistera à la cérémonie, je ne peux donc pas diffuser sa photo aux médias, au risque de l'alerter. Ce que je risque de faire en interrogeant son père.

— Alors pourquoi ne pas attendre que la cérémonie ait eu lieu ?

— Risque calculé. Et si, par un heureux hasard, il se trouvait là-bas ? Je n'y crois guère, mais on ne sait jamais.

Au mieux, le père sait où il est et accepte de cracher le morceau. Après quoi, je neutralise tous ses systèmes de communication le temps d'épingler ce salaud. Au pire, je n'obtiens rien, Pauley prévient son fils, et tout est fichu.

Cependant...

— Tu en doutes.

— Un mariage qui dure, un deuxième enfant. Casier vierge hormis un avertissement pour tapage nocturne quand il avait vingt ans. Employé sans histoire, salaire correct, pavillon en banlieue, traites à payer. Ce type va-t-il mettre en péril cette existence tranquille pour esquiver une enquête policière ? Je l'accuserai d'obstruction, de complicité et de tout ce qui me passera par la tête.

— Tout dépend s'il aime son fils et jusqu'où il est prêt à aller pour le protéger.

— Je ne comprends pas ce genre d'amour, celui qui protège les monstres. Pour moi, ce n'est pas de l'amour.

S'il l'aime, je m'en servirai. « Il est malade. Aidez-moi à lui venir en aide. Si je ne le retrouve pas, ce sera quelqu'un d'autre. Il a tué la fille d'un flic, et d'autres que moi pourraient vouloir jouer les jus-ticiérs. »

Elle pianota sur sa cuisse en s'efforçant d'ignorer les turbulences tandis que l'avion amorçait sa descente.

— Je dois prendre un autre risque.

Elle appela Baxter chez lui.

— Prenez la photo, ordonna-t-elle d'emblée. Rameutez Trueheart et passez-moi au peigne fin tous les cafés, bars, restaurants autour de l'université et sur le campus.

— Maintenant ?

— Ben non, voyons, quand l'envie vous en prendra. Jamie a travaillé sur le programme de la banque d'images de l'université. Prévenez-le. Et si ça ne vous ennuie pas trop, si ça n'empiète pas trop sur vos projets pour la soirée...

— Dallas, vous me cassez les couilles !

— Vos couilles ne m'ont jamais intéressée, Baxter.

— Aïe !

— Faites circuler la photo dans le quartier de MacMasters.

À la moindre touche, prévenez-moi. Sinon, réunion au Central, salle de conférences, à 7 heures.

— D'accord. Où diable êtes-vous ?

— Bientôt en Alabama... En un seul morceau, j'espère, ajouta-t-elle, l'estomac noué. Adressez-vous à Peabody en cas de besoin. Bougez-vous les fesses, Baxter !

— C'est bon, c'est bon.

Le lieutenant Dallas, qui n'aurait pas hésité à se jeter au beau milieu d'une fusillade pour faire son boulot, ferma les yeux, le cœur au bord des lèvres, tandis qu'ils plongeaient vers la piste.

Elle se sentit nettement mieux lorsqu'ils furent sur la route, à bord d'une voiture de location décapotable, cheveux au vent.

— Il est un peu tard pour appeler un père de famille, constata-t-elle. Un atout de plus pour nous.

— Tu oublies le décalage horaire. Il est une heure plus tôt que chez nous.

Elle pressa les doigts sur ses paupières.

— On arrive donc avant d'être partis. Ce genre de truc me défrise.

Incapable de résister à la tentation, Connors la gratifia d'un coup de coude et d'un sourire.

— Et quand nous rentrerons, nous perdrons une heure.

— Tu vois ? Ça ne rime à rien ! Comment peut-on perdre une heure ? Où va-t-elle ? Peut-on la retrouver ? Doit-on la déclarer à la Division des heures perdues ?

— Eve chérie, sache que le monde n'est pas plat et que New York n'en est pas le centre.

— Dommage. Tout serait tellement plus simple.

Il ralentit et bifurqua dans une rue flanquée d'arbres verdoyants et de maisons si serrées les unes contre les autres qu'Eve se demanda pourquoi les occupants ne vivaient pas en appartement. Ils seraient probablement plus tranquilles.

De minuscules jardinets s'avançaient jusqu'au trottoir et une odeur d'herbe flottait dans l'air.

Suivant les instructions du GPS, Connors tourna à gauche au carrefour suivant et s'arrêta devant un pavillon identique aux autres.

Eve fronça les sourcils. La maison lui parut minuscule.

Était-ce d'habiter le palais de Connors ?

Deux voitures étaient garées pare-chocs contre pare.-chocs dans l'allée étroite, et une bicyclette appuyée contre le perron.

— Ces gens-là n'ont pas les moyens d'envoyer un enfant à Columbia, décréta-t-elle. À moins d'avoir pleuré pour obtenir une bourse, ce qui ne lui ressemble pas, comment ont-ils pu lui payer ses études ?

— Les sages et les précautionneux commencent souvent à épargner dès la conception de leur progéniture. Quand bien même...

Elle descendit de voiture, se dirigea vers l'entrée. Et s'immobilisa, la main sur la crosse de son arme.

— Tu as entendu ?

— Évidemment ! Je suis là.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Je n'en suis pas absolument certain, mais ce pourrait être une sorte de grenouille.

— Une grenouille ? Tu plaisantes ? Une de ces bestioles vertes qui sautent ? À l'entendre, elle est énorme ! Genre grenouille extraterrestre.

— Je n'y connais pas grand-chose, mais je ne pense pas que les grenouilles extraterrestres abondent dans l'Alabama.

Au cas où, Eve garda la main sur son arme.

Par la fenêtre, elle distingua un écran animé, un homme vautré dans un fauteuil et une femme assise sur le canapé.

— Soirée paisible devant un film, murmura Eve.

Pourraient-ils, s'ils étaient impliqués dans... Qu'est-ce qu'elle fait ? La femme ? Qu'est-ce qu'elle fait avec ces bâtons et ce fil pelucheux ?

— Aucune idée. Pourquoi devrais-je avoir une réponse à toutes tes questions ?

— Parce que.

Il s'esclaffa.

— Je suppose qu'il s'agit d'une sorte de... d'artisanat.

— Je sais ! Elle tricote.

— Si tu le dis.

— J'ai vu ça quelque part au cours d'une enquête. Elle tricote, il regarde une émission en buvant une bière, la bicyclette de leur fille est devant la porte -sans antivol. Si ces gens ont participé au meurtre d'une adolescente, s'ils piratent ou fraudent, je me mets au tricot.

— Tout ça après un seul coup d'œil par la fenêtre du salon ?

— La sécurité ? Minimale, et même pas activée. Les rideaux ne sont pas tirés : ils n'ont rien à cacher.

Elle frappa. Un instant plus tard, la femme lui ouvrait sans avoir demandé qui était là.

Son sourire trahit une certaine surprise, mais n'en demeura pas moins accueillant.

— Bonsoir. Que puis-je pour vous ?

La voix était aussi chaude et douce que l'air.

— Nous cherchons Darrin Pauley.

— Ô mon Dieu, je crois qu'il vit à Chicago. Nous ne l'avons pas vu depuis...

— Qui est-ce, Mimi ?

— Deux personnes qui cherchent Darrin, mon chou.

Pardonnez-moi de ne pas vous inviter à entrer, mais...

Eve lui présenta son insigne, et Mimi arrondit les yeux alors que Vincent Pauley la rejoignait.

— De quoi s'agit-il ? La police ? La police de New York ? Il a un problème ? Darrin a des ennuis ? Mince ! souffla-t-il à la fois triste, résigné, et pas vraiment surpris. Nous ferions mieux de discuter à l'intérieur.

Il leur fit signe d'entrer tandis que son épouse lui caressait le bras.

— Si tu allais nous préparer du thé glacé ? Il fait chaud, je suis sûr que vous ne diriez pas non à une boisson fraîche.

— Maman ?

Du haut de l'escalier situé sur leur droite, une fillette; s'était penchée sur la rampe.

— Retourne te coucher, Jennie. Ces gens veulent juste bavarder avec papa. Allez, vite ! Tu as une grosse journée demain.

La petite cligna des yeux et disparut.

— Nous allons à Play World demain avec la meilleure amie de Jennie et ses parents, expliqua la mère. Deux journées de manèges et de parcs aquatiques ! Mais je parle trop. Je vais m'occuper du thé.

Elle s'éloigna d'un pas vif, et Eve et Connors demeurèrent en compagnie de Vincent Pauley qui les précéda dans le salon.

— Asseyons-nous. Extinction écran, ordonna-t-il. J'ai toujours pensé qu'un jour ou l'autre, je recevrais la visite de la police à propos de Darrin. Je ne l'ai pas vu depuis des années. Je ne peux pas vous dire où il se trouve. Je n'ai plus aucun contact.

— Quand avez-vous vu votre fils pour la dernière fois, monsieur Pauley ?

Il eut un sourire amer.

— Je ne sais même pas si c'est mon fils. Je vivais avec sa mère quand il est né, nous habitions ensemble depuis plusieurs mois. Je l'ai reconnu. Jetais persuadé qu'il était de moi. Je ne savais pas à l'époque qu'elle fréquentait un autre homme. Je n'avais pas encore vingt ans, j'étais naïf et stupide.

— Ne dis pas cela, Vinnie ! protesta Mimi, de retour avec un plateau.

Connors se leva.

— Permettez-moi, madame Pauley.

— Merci ! Vous avez un accent charmant. Vous êtes anglais

?

— D'origine irlandaise.

— La grand-mère de ma grand-mère, du côté de mon père, était irlandaise. D'un village appelé Ennis.

Elle le prononça mal, mais Connors sourit.

— Une jolie petite ville.

— Et vous êtes venu en Amérique pour devenir policier.

— Il est consultant, intervint Eve d'un ton ferme, tandis que Connors étouffait un rire. D'après les données dont je dispose, la mère de Darrin, Inga Sorensen, est décédée.

— C'est le nom qu'elle utilisait, mais j'ignore si c'était bien le sien. Je ne sais pas si elle est vivante ou morte. On m'a dit qu'elle était morte, mais...

— Si vous me disiez quand vous avez vu Darrin pour la dernière fois ?

— Il y a six ou sept ans.

— Sept, confirma sa femme. C'était au début du printemps : je m'en souviens parce que je plantais des fleurs et que Jennie était à la maternelle. Vinnie était à son travail et j'étais seule. J'avais peur de les laisser entrer, aussi j'ai appelé Vinnie qui est rentré immédiatement.

— Les ?

Mimi sollicita son époux d'un bref regard.

— Darrin et l'homme qui pourrait être son père, répondit Vinnie. Celui qu'il considère comme son père, celui qu'Inga voyait avant et pendant notre relation. Mon frère.

— Aucun frère ne figure sur votre fichier, monsieur Pauley.

— Je l'ai fait supprimer. Cela m'a coûté beaucoup d'argent, et j'imagine que c'est illégal, mais j'y tenais. Je devais le faire avant de demander à Mimi de m'épouser.

— C'est un sale type. Vinnie n'a rien de commun avec lui, officier.

— Lieutenant. Dallas. En quoi est-ce un sale type ?

— Il fait ce qu'il veut, prend ce qu'il veut, malmène qui il veut, expliqua Vinnie. Depuis toujours, même quand nous étions enfants. Il a quitté la maison quand nous avions seize ans.

— Nous ? répéta Connors. Vous êtes jumeaux ?

— De faux jumeaux, précisa Vinnie comme si la distinction était importante pour lui. Mais nous nous ressemblons énormément.

— Je ne les aurais jamais confondus. Il a un regard méchant. Et je suis navrée, Vinnie, mais ce garçon aussi. Il a beau sourire et être poli, il y a quelque chose de déplaisant dans son regard.

— Possible. Quoi qu'il en soit, ils ne sont pas restés longtemps. Ils voulaient rester quelques jours. Dieu sait pourquoi. J'ai dit que Darrin pouvait dormir ici, mais que Vance devait s'en aller. Darrin a refusé. Je lui ai demandé des nouvelles de sa mère, pourquoi elle n'était pas avec eux. C'est lui qui m'a annoncé qu'elle était morte. Depuis des années. Assassinée.

— Comment ?

— Il ne me l'a pas dit. J'étais sous le choc, je l'ai bombardé de questions. Il a juste déclaré qu'il connaissait le responsable. Et qu'il avait un plan. Mimi a raison. Il a eu à ce moment-là un regard qui faisait peur. Je ne voulais pas d'eux ici. Quand bien même ce serait mon fils, je ne voulais pas qu'il s'approche de ma femme et de ma fille. C'est ça le plus dur. Quand bien même ce serait mon fils.

Il but une longue gorgée de thé glacé.

— Je n'avais pas vingt ans quand Inga...

Il s'interrompit, et Mimi lui serra affectueusement le bras.

— Raconte-leur, l'encouragea-t-elle. Cesse de te ronger les sangs, et raconte-leur.

— Bien. Je suis tombé fou amoureux d'Inga. De celle que je croyais être Inga. Je ne sais pas si elle avait fui mon frère ou s'ils avaient prémédité leur coup pour me duper, se servir de moi afin qu'elle puisse poursuivre sa grossesse en toute sécurité. Mais à l'époque, j'en ai souffert. Inga est partie quand Darrin avait deux mois. Elle a emporté tout ce qu'elle a pu, y compris la voiture et le peu d'économies que j'avais. Elle a aussi vidé le compte que j'avais ouvert pour le petit avant sa naissance. Il ne restait plus qu'un vidéo-cube de mon frère, riant aux éclats et me remerciant de lui avoir rendu service. J'ai découvert qu'il avait été arrêté un an auparavant. Une histoire de fraude. Je suppose qu'il m'a envoyé Inga pour que je... tienne son rôle le temps qu'il purge sa peine. Dès sa sortie de prison, il les a emmenés... Je ne les ai jamais revus jusqu'à ce jour où Mimi m'a appelé au secours. J'ai engagé un détective privé, mais je n'avais pas les moyens de prolonger l'enquête. J'ai eu l'impression d'abandonner la partie. Je m'en suis longtemps voulu, puis un jour, j'ai rencontré Mimi. J'ai fait une croix sur le passé. J'ignore où ils sont allés après leur visite. Nous avons reçu un mail de Darrin il y a environ trois ans. Il nous racontait qu'il suivait des études universitaires à Chicago, qu'il travaillait dur. Il semblait...

— Sincère, compléta Mimi.

— Oui, soupira Vinnie. Il nous demandait si on pouvait l'aider financièrement. Connaissant Vance, j'ai vérifié. Il était bel et bien inscrit. Je lui ai envoyé mille dollars.

— Il n'a pas daigné le remercier, enchaîna Mimi. Mais peu après, quelqu'un a accédé à notre compte en banque. Celui que nous réservons pour les coups durs, et où Vinnie avait pris l'argent pour Darrin. Nous n'avions plus que cinq mille dollars. Darrin en avait pris quatre. Si, Vinnie, c'est lui !

— Sans doute.

— Vinnie n'a pas voulu déclarer le vol à la police.

— S'il est mon fils, il a des droits. J'ai tenté de le joindre par l'intermédiaire de l'université, mais on m'a répondu qu'il ne figurait pas sur les registres. J'ai protesté parce qu'il y était bel et bien inscrit deux semaines auparavant.

En vain.

— Nous pensons que Darrin Pauley est à New York depuis un certain temps, commença Eve. Nous pensons aussi qu'il a commis divers cybercrimes ainsi que des usurpations d'identité.

Vinnie se prit la tête entre les mains.

— Comme Vance. Exactement comme Vance. Que dois-je dire à mes parents ? Dois-je leur en parler ?

— Ce n'est pas tout, monsieur Pauley. Il y a pire, et d'ici quarante-huit heures tous les médias en parleront. Darrin Pauley est soupçonné d'avoir violé et assassiné une jeune fille de seize ans. La fille d'un officier de police.

— Non. Non. Non, gémit-il. Mimi.

Elle l'entoura de ses bras. Son regard exprimait l'horreur et l'accablement mais pas l'incrédulité. Elle croisa celui d'Eve.

— J'ai eu peur de lui. Quand il m'a dévisagée, j'ai eu peur.

Nous avons entendu parler de cette affaire. Ce matin aux informations. Ils ont prononcé votre nom. Lieutenant Dallas. J'avais oublié.

— Il me faut tout ce que vous savez, les détails les plus insignifiants sur Darrin, votre frère et Inga Sorenson.

— Je pense qu'ils ont dû réclamer de l'argent à mes parents. Nous n'abordons jamais le sujet avec eux, mais...

difficile de dire non à ses proches.

— Posons-leur la question.

— Laissez-moi m'en charger. Je vais... Cela ne vous dérange pas si je passe dans la pièce voisine ?

— Pas du tout.

— Que devons-nous faire, à présent ? s'enquit Mimi. S'il vient ici...

— Ça m'étonnerait. Vous n'avez rien à lui offrir.

Cependant, je prendrai contact avec votre commissariat local. Si Darrin vous appelle, restez calme, comportez-vous avec naturel. Puis prévenez les autorités et moi-même.

Immédiatement.

— Nous partons en vacances demain.

— Surtout ne changez rien à vos plans. Prenez vos distances.

— Et profitez de votre fille, ajouta Connors. Vous formez une famille heureuse et unie. Tou cela n'a rien à voir avec vous.

En route pour l'aérodrome, Eve contempla le ciel constellé d'étoiles.

— Quelques victimes de plus.

— Cette femme est sensible, ce qui explique qu'elle ait lu en ce garçon. Peut-être cherchait-il moins à le dissimuler, mais selon moi, elle a perçu qui il était vraiment, et ça l'a effrayée.

— À raison.

Se calant dans son siège, Eve lança une recherche sur Vance Pauley.

— Vance est bel et bien un sale type. Il a accumulé les ennuis. Son fichier de délinquant juvénile est descellé, j'en conclus qu'on m'a précédée. Il a commencé dès l'âge de neuf ans. Escroquerie, vol, destruction de biens privés, cyberharcèlement, piratage, agression, voies de faits.

— A neuf ans ?

— J'avance dans la chronologie. Première agression à douze ans. Usurpation d'identité à l'époque d'Inga. Puis, pfuit ! Plus rien. Il a un casier long comme le bras de l'enfance à la majorité, et ensuite, plus rien.

— Il est devenu plus malin.

— Ou alors Inga était plus douée que lui et lui a appris les ficelles. Sur elle, je n'ai rien. Rien qui corresponde à ce nom ni à la description de Pauley. Elle apparaît sur le fichier de Darrin en tant que mère, décédée le 16 mai 2041.

Il devait avoir quatre ans. Mais il n'existe pas d'acte correspondant.

— Elle figure sûrement dans les dossiers de MacMasters.

Pas forcément sous ce nom, mais c'est elle est le mobile. La raison du plan échafaudé il y a sept ajis.

— Oui, acquiesça Eve. Et je vais la trouver.

Son communicateur bipa.

— Dallas.

— Vous êtes vraiment dans l'Alabama ? demanda Baxter.

— Nous nous apprêtons à reprendre l'avion pour rentrer.

— Ça ne vous ennuierait pas de nous acheter du poulet grillé en passant ? Rien de tel que le poulet grillé du Sud.

— Baxter, ce sont vos fesses que je vais griller si vous m'avez appelée pour rien.

— J'aurai droit à du poulet grillé si j'ai du nouveau ?

Seigneur, Dallas, ne faites pas cette tête ! Bon, on a une piste. Une fille qui travaille comme barmaid dans un club fréquenté par des gars du genre étudiant. Elle prétend avoir eu des cours en commun avec lui. Il a vraiment étudié à Columbia. Cerise sur le gâteau, elle prépare un master et elle dit l'avoir croisé - vous allez adorer ! - à une soirée de la Saint-Sylvestre.

— Chez Powders.

— Précisément. Elle était seule, elle l'a un peu dragué. Il n'a pas bronché. Croyez-moi, il faut être en bois pour ne pas craquer devant une fille comme celle-là. Pas vrai, Trueheart ?

— Elle est très jolie.

— Superbe. Sexy...

— Envoyez-moi un rapport.

— Du coup, on s'est trimbalé jusque chez...

— Quoi ?

— On s'est trimbalé jusque chez Powders pour confirmation. Lui, son copain de chambrée et sa copine malheureusement mineure, tous l'ont reconnu. Ils l'aperçoivent dans les parages de temps en temps. Mais la fille l'avait repéré à la fête. Elle nous a dit qu'elle remarquait toujours les beaux gosses - et notre Trueheart a eu droit à un clin d'œil.

— Inspecteur, elle n'a pas...

— Vous devez améliorer votre sens de l'observation, mon jeune ami, coupa Baxter. Conclusion, nous avons des témoins qui l'ont vu chez Powders le soir où on lui a piqué sa carte d'identité. Pas mal, non ?

— Pas mal.

— Dallas, il est trop tard pour aller frapper chez les MacMasters.

— Il n'est que... Merde !

Une heure de gagnée, une de perdue. Insupportable.

— Vous irez les voir après la réunion demain.

— Pour en revenir au poulet grillé...

Elle lui raccrocha au nez.

— Le procureur sera content : nous allons lui présenter un dossier en béton. Si vous réussissez à nettoyer ce disque dur et à me procurer la séquence où il franchit la porte...

— Nous réussirons.

— De toute façon, on l'aura. On a un visage. On a un nom.

Pas celui qu'il utilise aujourd'hui, pas celui qu'il utilisait avec Deena. Mais un nom. On sait d'où il vient. Dès que nous serons à bord, je lancerai une recherche sur Inga.

— Je serai plus rapide que toi. Si tu as envie de prendre les commandes.

— Ha ! Ha ! Ha !

— Tu aurais moins peur de voler si tu apprenais à piloter.

— Je préfère prétendre que je suis sur la terre ferme.

— Combien de véhicules as-tu défoncés, explosés ou détruits, disons... ces deux dernières années ?

— Imagine ce que ça donnerait à trente mille pieds d'altitude.

— Dont acte.

Il gara la voiture.

— Les Pauley m'ont touché, avoua-t-il. Ils s'aiment profondément, ils se serrent les coudes.

— Pas de doute. Vinnie se sent responsable et il éprouve comme du chagrin au sujet de Darrin. Alors qu'il n'est probablement pas son père.

— Les liens du sang, malgré tout. Ils ont la peau dure.

Quels qu'ils soient, un homme aussi bon que lui souffre.

— Un homme mauvais aussi.