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Yancy détestait qu'on lui mette la pression. Toutefois, Eve se dit qu'elle pouvait s'autoriser un petit encouragement.
Comme il n'était pas devant son poste de travail, elle jeta un coup d'œil dans les trois salles de conférences privées.
Elle dérangea deux autres artistes, mais Yancy demeura invisible.
Elle finit par le dénicher dans la salle de repos.
Adossé au comptoir, paupières closes, casque sur les oreilles, il mâchonnait des fruits secs qu'il sortait d'un sachet en papier.
Cheveux bouclés, traits fins, il portait un jean usé et une chemise aux manches retroussées et au col déboutonné.
Il ressemblait davantage à un étudiant qu'à un inspecteur de police.
Il aurait pu passer pour un garçon de vingt-deux, vingt-trois ans, jugea Eve. Encore moins en faisant un effort.
Puis il ouvrit les yeux, et elle lui donna cinq ans de plus. Ce regard en savait déjà long sur la vie.
— Quel âge avez-vous ?
Il haussa les sourcils.
— Vingt-huit ans. Pourquoi ?
— Je me demandais quelque chose.
Il engloutit une autre poignée de fruits secs.
— Vous pensez au suspect. Il pourrait être plus vieux qu'il ne le paraît.
— En effet. Non merci, ajouta-t-elle comme il lui présentait le sachet. Pourquoi mangez-vous ça ?
— J'aimerais le savoir. J'ai terminé avec Marta.
— Marta Delroy, la nounou du parc. Qu'avez-vous obtenu ?
Il secoua la tête.
— Elle ne l'a pas vu d'assez près. Elle était pleine de bonne volonté, mais elle n'a fait que l'apercevoir brièvement, et sous la pluie. Elle est à peu près sûre de la taille et de la carrure, de la couleur et de la longueur des cheveux. Elle a réussi à me donner une assez bonne idée de ses vêtements et du modèle de l'aéro-scooter. Mais le visage reste flou.
Jeune, beau gosse.
— Si vous me montriez le résultat ?
Il soupira.
— Vous n'allez pas être contente.
Cependant il la conduisit jusqu'à son bureau.
Debout devant l'ordinateur, il commanda l'affichage de l'esquisse.
— Merde. Ça pourrait être n'importe qui. Y compris une femme.
— Justement, c'est peut-être un angle à explorer. Elle assure qu'il était de sexe masculin, mais elle a employé des termes tels que « mignon », voire «joli». Les adolescentes sont souvent attirées par des garçons aux traits androgynes. Us paraissent moins menaçants... Votre deuxième témoin ne va pas tarder à arriver. Je lui ai déjà parlé par vidéocom. Elle me semble plus assurée que Marta. J'aurai peut-être plus de chance avec elle. Je croiserai les infos, puis je présenterai le portrait-robot aux deux femmes.
— L'aéro-scooter ?
— Noir, bandes argentées qui scintillaient malgré l'absence de soleil. J'ai lancé une recherche. Deux fabricants produisent ce modèle de base. Go-Scoot et Anders Street Sport.
— Anders.
— Drôle de coïncidence, non ? Il n'y a pas si longtemps, vous enquêtiez sur son meurtre.
— Le monde est petit même pour les morts. Ce qui m'intéresse, c'est que le deuxième témoin a identifié ses chaussures. Des Anders Cheetahs. Ce type est sans doute un fidèle de la marque. Prévenez-moi dès que vous en aurez terminé.
— Entendu.
De retour dans son bureau, Eve s'attaqua à l'étude des antécédents de Nattie Simpson, de son mari et de leur enfant. Comme le lui avait précisé MacMasters, Nattie purgeait sa peine à la prison de Rikers. L'ex-mari s'était installé avec le gosse à East Washington. Il avait trente-cinq ans, le fiston, dix.
Malgré tout, avant d'éliminer complètement Nattie Simpson, elle préféra contacter Rikers.
Impasse
Elle vérifia les résultats des recherches sur les crimes similaires, ne trouva aucun lien avec MacMasters sur les cinq dernières années.
Elle faillit élargir le champ en y ajoutant victimes et témoins, puis se ravisa : la machine allait imploser. Elle verrait cela plus tard, à la maison.
En attendant, elle décida de croiser le contenu de la boîte à souvenirs de Deena avec la liste que lui avait envoyée le Dr Lapkoff.
Bingo !
— Comédie musicale, Shake it up, du 15 au 18 mai.
Elle parcourut le programme - photos, résumé de la pièce, noms des acteurs et des techniciens, publicités au cas où Deena y aurait porté des annotations. Elle n'en découvrit aucune, mais glissa tout de même le programme dans une pochette transparente en tant que pièce à conviction.
Elle poursuivit sa tâche, triant les manifestations par genre
: théâtre, concerts, spectacles de danse, d'art vivant. Et fronça les sourcils en tombant sur un deuxième programme de Shake it up portant les mêmes dates.
— As-tu conservé le sien, Deena ? Merde !
Elle s'empara d'une bombe de Seal-It, se protégea les mains, feuilleta la brochure, repéra un gribouillage entouré d'un cœur juste au-dessus du résumé.
D&D
16/05/60
— L'un des deux est à lui. Forcément.
Elle s'empressa de mettre le second sous scellé et appela Jo Jennings.
Ce fut sa mère qui décrocha. Elle ne paraissait plus affolée, juste terriblement lasse.
— Madame Jennings, j'aimerais parler à Jo.
— Lieutenant, ma fille est bouleversée. Effondrée. Savez-vous qu'elle est rongée par la culpabilité ? Elle s'en veut de n'avoir confié à personne que Deena voyait un garçon. Elle n'a fait que respecter la promesse qu'elle avait faite à sa meilleure amie, mais elle est anéantie.
— Cela l'aiderait peut-être si elle pouvait nous donner un coup de main. J'ai besoin d'une simple confirmation. Ça pourrait être extrêmement important pour la suite de l'enquête.
— D'accord, soupira Mme Jennings en se frottant le front.
Elle est dans sa chambre. Elle n'en est pratiquement pas sortie depuis votre visite et... il se peut qu'elle dorme. Je ne la réveillerai pas si c'est le cas.
L'appareil se mit en mode « attente ». Eve envoya un mail à Berkenski au labo.
Homicide MacMasters : détiens possibilité empreintes. À
analyser d'urgence. Pas de baratin.
— Lieutenant, Jo est là. Je reste auprès d'elle.
— Aucun problème. Jo, je cherche à savoir si Deena a assisté, avec cet ami qu'elle voyait en secret, à une comédie musicale à l'auditorium de l'université Columbia ? Le 16
mai.
— Je sais pas.
— Te l'aurait-elle dit ? Je sais qu'elle adorait le théâtre. Elle collectionnait les programmes. Elle en avait une quantité.
— Il devait l'y emmener le soir où il l'a tuée.
Les yeux de Jo se voilèrent de larmes.
— Mais ce n'était pas la première fois qu'ils allaient ensemble à un spectacle, n'est-ce pas ?
— Elle m'a raconté que c'était sa passion à lui aussi. Sale menteur.
— Lieutenant, ça suffit.
— Attendez ! Le 16 mai, Jo. Ils se fréquentaient depuis environ quatre semaines. C'était une comédie musicale montée par la troupe de l'université.
— Shake it up.
— Exactement. Elle y est allée avec lui ?
— Ils fêtaient leur premier mois ensemble. Ils ont dîné ensemble au restaurant avant de s'y rendre. Il lui a offert un petit chien en peluche.
Eve se rappela l'assortiment de peluches dans la chambre.
— Quelle sorte de chien ?
— Marron et blanc. Quand on lui caresse les oreilles, il dit
« Je t'aime »... Maman !
— Oui, mon bébé. C'en est assez, lieutenant.
— Jo, en acceptant de me parler, tu viens de rendre un immense service à Deena.
— Vraiment ?
— Oui. Merci.
Jo blottit le visage contre le sein de sa mère. Mme Jennings adressa un signe de tête à Eve et coupa la communication.
Eve s'empara des sachets contenant les pièces à conviction et sortit. Elle fit un crochet par le bureau de Peabody.
— J'ai peut-être quelque chose. Deux programmes d'un spectacle donné à Columbia. La meilleure amie confirme que Deena y a assisté en compagnie du sujet le 16 mai.
— Deux ? Elle a gardé le sien.
— Selon toute logique. Je les porte immédiatement au labo. J'ai des données supplémentaires pour les recherches, mais cette machine ne le supportera pas. Je travaillerai de chez moi.
— Connors est à la DDE.
— Merde. Tant pis, je le verrai plus tard à la maison. Je veux aussi faire un saut sur la scène du crime. Il a offert une peluche à Deena. On ne sait jamais. Je la confierai au labo dès demain matin.
— D'ici là, si j'ai une touche, vous serez la première informée.
— Parfait. Ajoutez à vos recherches un aéroscooter Anders.
Noir avec des bandes argent. Chez Street Sport. Il l'a peut-
être acheté en même temps que les chaussures.
— C'est noté.
Eve sortit son communicateur en descendant au parking.
— Lieutenant, fit Connors.
— J'ai du boulot sur le terrain, ensuite, j'irai à la maison.
— Je suppose que je vais devoir rentrer par mes propres moyens.
— Désolée. Nous discuterons plus tard.
— À ta guise. Aucune idée de l'heure à laquelle je rentrerai.
Mange un morceau, et ne m'attends pas.
Sur ce, il raccrocha. Eve fixa l'écran noir d'un air perplexe.
Il était agacé. S'il devait s'énerver sous prétexte qu'elle ne pouvait pas le ramener, il ferait mieux de ne pas se mêler des affaires de flics.
Elle rumina pendant tout le parcours. En arrivant au labo, elle était prête à mordre si Berenski lui donnait du fil à retordre.
— Quoi ? aboya-t-il. Je suis là depuis...
Sa voix faiblit et, pâlissant, il recula à bonne distance avec son tabouret à roulettes.
— Seigneur, Dallas ! Vous venez de grogner ?
— Je n'hésiterai pas à vous arracher le foie et à le manger, le cas échéant ! rétorqua-t-elle. Voici deux programmes de théâtre. Les empreintes de ce salopard sont sur l'un d'entre eux. Au boulot !
— Mince ! Et vous ne m'offrez rien en échange ?
Remarquez, vu les circonstances, je refuserais. Je disais ça comme ça.
Il extirpa le premier programme de son sachet avec une paire de pinces et le déposa sur une plaque stérile. Il passa le scanner dessus, pianota sur le clavier de son ordinateur.
Poussa un soupir douloureux.
— On a des traînées - beaucoup - quelques-unes partielles, deux ou trois plus nettes. Savez-vous combien de gens manipulent ces brochures ? Ceux qui les assemblent, ceux qui les emballent, ceux qui les expédient, ceux qui les déballent, ceux qui les distribuent...
— Je veux que vous analysiez les deux, recto verso !
— Il ne suffit pas de claquer des doigts. Je m'en occupe, mais ce sera long.
— Fournissez-moi ces foutues empreintes. Je me charge du tri.
— J'y compte bien, grommela-t-il. Vous avez eu ce que vous vouliez ce matin. J'ai mis mes deux meilleurs hommes sur le coup. On fait de notre mieux. Pas la peine de me sauter à la gorge !
— L'ordure qui a tué Deena a touché un de ces programmes. Je n'ai pas de visage, je n'ai pas de nom. J'ai des pistes, des voies et des angles d'approche, mais je n'ai pas de suspect viable. Nous devons clore cette affaire avant quarante-huit heures et je n'ai aucun suspect.
— Vous pouvez compter sur nous.
Elle s'écarta, fourra les mains dans ses poches.
— Une loge, deux places pour le premier match à domicile des Yankees en juillet.
Berenski se fendit d'un large sourire.
— Ça marche !
Il méritait bien une petite récompense, se dit-elle en regagnant sa voiture.
Elle rentrait chez elle quand elle se rendit compte tout à coup qu'elle n'était pas si loin que ça du nouveau domicile de Louise. Un crochet lui permettrait d'assumer ses responsabilités de dame d'honneur.
Du reste, Louise n'était probablement pas là. Et si Charles y était, elle lui expliquerait qu'elle faisait un saut pour prendre des nouvelles et proposer ses services si nécessaire.
Trente minutes, et elle aurait accompli son devoir.
Elle chercha l'adresse sur son ordinateur de bord, puis se faufila dans la circulation jusqu'aux quartiers branchés.
Arbres feuillus, vieilles maisons de brique et jardinets fleuris conféraient à ce secteur du West Village une atmosphère conviviale. Eve dénicha une place à une centaine de mètres de chez Louise et profita du parcours à pied pour lancer un calcul de probabilités.
D'après le profil de Mira, le suspect avait un emploi. Dans l'informatique, peut-être. L'ordinateur lui accorda un taux de soixante-douze virgule un pour cent.
Eve songea qu'il avait très bien pu se former à Columbia.
Elle affina sa requête à Clémentine Lapkoff pour obtenir une liste de tous les étudiants originaires d'États du Sud qui s'étaient spécialisés en informatique.
Totalement absorbée, elle serait passée devant Louise sans la voir si celle-ci ne l'avait pas interpellée.
— Dallas ! Vous êtes la dernière personne que je m'attendais à voir ici.
Eve s'immobilisa, leva les yeux. La future mariée se tenait devant elle, ses cheveux blonds rassemblés sous une casquette de base-bail rose, affublée d'un tee-shirt maculé de terre et d'un pantalon en coton. Elle tenait à la main une sorte de pelle miniature.
— Je passais dans le quartier. Enfin, plus ou moins. C'est vous qui avez planté toutes ces fleurs ?
— Qui l'eût cru ? répliqua Louise en riant. Je m'amuse comme une folle.
— Ah ! murmura Eve. C'est superbe.
— Je voulais que tout soit fini avant le mariage. Plusieurs de nos invités qui habitent en dehors de la ville viennent dîner demain soir. Il faut être folle pour ajouter un dîner à tout le reste, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Venez visiter la maison !
— Je rentrais chez moi, expliqua Eve tandis que Louise lui ouvrait le portail. Pour travailler. Mais je me suis dit que j'allais passer, au cas où vous auriez besoin de quelque chose... pour le mariage.
— Tout est prêt, et tant mieux car je suis ridiculement énervée. Je n'imaginais pas une seconde que je serais aussi pointilleuse. J'ai des listes de listes. Et je savoure chaque minute.
— Ça se voit. Vous avez l'air heureux.
— Nous le sommes ! Charles est dans son cabinet avec des clients. Il en a encore pour une heure au moins.
— Comment ça se passe pour lui ?
— Très bien. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Elle poussa la porte, invita Eve à la précéder.
Les murs aux couleurs subtiles mais chaleureuses mettaient en valeur miroirs et œuvres d'art audacieuses.
Sur une console s'alignaient des flacons aux courbes sinueuses de tailles et de coloris variés.
Louise lui prit la main pour l'entraîner dans le salon, là encore, décoré avec un goût très sûr, à la fois contemporain et parsemé de touches personnelles.
— Nous avons pris beaucoup de plaisir à décorer les lieux, avoua Louise, les yeux pétillants. Il nous reste encore quelques détails à peaufiner, mais...
— Ça me paraît terminé.
— Pas encore, mais ça avance. Venez, je vous montre le reste !
Impossible de refuser. Eve lui emboîta le pas et s'efforça de trouver un commentaire approprié chaque fois que Louise s'extasiait devant telle lampe ou tel fauteuil.
— Pour l'instant, Charles n'a pas le droit de mettre les pieds ici, expliqua-t-elle en ouvrant une porte. Le repaire de la mariée.
Un chaos organisé régnait dans ce qui devait être la chambre d'amis. Louise y avait installé son QG. Deux valises ouvertes, à moitié remplies, s'étalaient sur le lit, et une pile de cartons occupait un coin de la pièce. Des cadeaux de mariage, sans doute, qui n'avaient pas encore trouvé leur place. Disques et fiches de fiches s'empilaient sur le bureau près d'un mini-ordinateur.
Au milieu de la pièce, Louise avait disposé un grand tableau à double face couvert d'échantillons de tissus, de photographies de bouquets, de tenues, de modèles de coiffures, de menus et d'horaires divers.
Eve en fit le tour, et fut à peine surprise d'y découvrir un portrait d'elle-même en robe jaune.
— On dirait un tableau de meurtre. Désolée, ajouta-t-elle en grimaçant. La comparaison est mal venue..
— Le principe est le même. Tout est inscrit là jusqu'aux cure-dents pour la réception. Je suis complètement obsédée.
Louise lâcha un petit rire désespéré et pressa les mains sur son cœur.
— J'ai des répertoires informatiques pour assurer le suivi des cadeaux, réponses, placements à table, et même le voyage de noces. C'est comme une drogue.
— Vous n'avez pas besoin dé moi.
— Pas pour les détails, mais pour le reste...
Louise attrapa de nouveau la main d'Eve, puis la lâcha, pour croiser les bras. Ses mouvements étaient brusques, saccadés.
— Vous devriez peut-être prendre un calmant, suggéra Eve.
— Je suis une vraie boule de nerfs. Je ne m'y attendais pas.
Nous nous aimons, nous allons faire notre vie ensemble.
C'est ce que je veux, et plus les jours passent, plus j'en suis convaincue.
— Tant mieux.
— Oui. Mais je suis dans tous mes états parce que je veux que le mariage soit parfait. Je n'arrête pas de penser à tout ce qui pourrait aller de travers.
— C'est parce que vous ne vous inquiétez pas de la suite.
Vous êtes tous les deux sur la même longueur d'onde. On le sent à travers cette maison.
Au grand désarroi d'Eve, Louise parut au bord des larmes.
— Seigneur, c'est vrai que j'ai besoin de vous ! s'exclama-telle en se précipitant vers elle pour l'étreindre. Vous avez raison.
Décontenancée, Eve lui tapota le dos.
— Peu importe si la limousine arrive en retard à l'hôtel, ou si les fleurs ne sont pas de la teinte prévue, enchaîna Louise. Car épouser Charles ne me fait pas peur du tout.
Au contraire, cela me réjouit. Merci, Eve !
— Euh... de rien.
— Descendons boire un café.
— Il faut vraiment que je rentre travailler.
Louise recula d'un pas, son regard s'assombrit.
— Il s'agit de la jeune fille, n'est-ce pas ? Celle qu'on a violée et tuée dans sa chambre. J'ai regardé les reportages et appris que vous étiez responsable de l'enquête.
— En effet.
— Je ne vous retiens pas, même si je regrette que vous ne puissiez pas rester. Merci d'être venue. Maintenant, je vais pouvoir m'agiter en toute tranquillité.
— Si vous le dites.
Eve s'immobilisa sur le seuil comme un détail lui revenait à l'esprit.
— Quel hôtel ?
— Pardon ?
— Pourquoi la limousine doit-elle passer vous prendre à l'hôtel ?
Louise haussa les épaules et afficha une expression penaude.
— Une autre de mes obsessions. Je ne veux pas que Charles me voie avant le mariage à cause de cette superstition débile. Mais ce n'est peut-être pas une superstition, alors pourquoi prendre le moindre risque ?
Et dans la mesure où il me faudra toute la journée pour me préparer et régler les imprévus de dernière minute, j'ai décidé de dormir la veille à l'hôtel. J'aurai le spa à ma disposition, et Trina viendra faire ma manucure et me maquiller.
Voilà une chose qu'elle pouvait faire en tant que dame d'honneur, songea Eve, pas mécontente.
— Annulez. Il n'est pas question que vous passiez la soirée seule à l'hôtel. Vous viendrez chez nous. Trina pourra tout aussi bien s'occuper de vous à la maison, ajouta-t-elle.
Vous voudrez peut-être avoir deux ou trois amies auprès de vous. Ça fait partie du rituel, non ?
Radieuse, sidérée, Louise serra Eve contre elle.
— Ce serait absolument merveilleux. Je vous en serais éternellement reconnaissante.
— Affaire réglée.
— Merci, Eve. Merci ! Merci !
— Notez ça sur votre tableau. À vendredi soir.
— N'oubliez pas, répétition à 17 heures ! lança Louise derrière elle.
— Bien sûr.
Quoi ? Une répétition ? Ils devraient donc se taper deux fois de suite le même pensum ? Elle se ratissa les cheveux tout en retournant à sa voiture. Louise avait dû préparer d'autres tableaux, des horaires et...
— Merde !
Ignorant l'air outré de deux passantes, Eve sortit son communicateur.
— Feeney, retour sur la sécurité. Vérifie s'il n'y a pas eu une anomalie avant la nuit du meurtre. Élargis la période.
Il n'a pas dû répéter juste avant le crime.
— Tu veux que je laisse tomber ce sur quoi je travaille pour...
— Imagine qu'il soit venu à la maison auparavant ? Qu'il ait repéré les lieux ? Attends ! Je vais d'abord en parler à MacMasters.
Elle raccrocha pour contacter ce dernier tout en accélérant le pas.
— Capitaine, pouvez-vous me dire si vous avez eu des problèmes avec votre système de sécurité au cours des six derniers mois, même mineurs.
— Non. Je lance une vérification chaque semaine par précaution. Les mises à jour effectuées il y a quelques mois prétendent que c'est inutile, mais...
— Quelles mises à jour ? coupa-t-elle en se glissant derrière le volant.
— La société de maintenance nous informe dès qu'elles sont disponibles.
— De quand date la dernière mise à jour ?
— Je n'en suis pas certain... Courant mars, il me semble. Je me suis arrangé pour que cela coïncide avec le contrôle annuel.
— L'entreprise effectue-t-elle le travail depuis ses locaux ou sur place ?
— Les deux.
— Son nom ?
— Sécurité Plus. Nous faisons appel à eux depuis des années. Ils ont une excellente réputation. Croyez-vous que quelqu'un de chez eux ait pu...
— Je vais étudier cette piste, capitaine. Nous n'en négligerons aucune. Je vous rappelle.
Elle démarra et joignit de nouveau Feeney.
— Commence au mois de mars, ordonna-t-elle.
MacMasters a fait une mise à jour du système en mars et la société a envoyé un de ses hommes sur place. Sécurité Plus. Je me renseigne de mon côté.
— Il faut du culot pour pénétrer dans une maison de cette manière - et une cervelle. C'est le moyen idéal pour examiner le dispositif. Emplacement des caméras, fonctionnement... Mais nous avons déjà contacté l'entreprise. C'est notre boulot, je te rappelle. J'ai tous les éléments en main de même que le nom du technicien qui s'est déplacé. Il est clean, et il a vingt ans de plus que notre sujet. Employé chez eux depuis quinze ans.
— Merde. Et si l'assassin était équipé du même système ?
S'il avait droit aux mêmes mises à jour ? Il n'a peut-être pas répété sur le site, mais il a répété. Lance la recherche malgré tout, je m'informe sur les autres clients possédant cet équipement.
— Laisse tomber. Je mets un de mes gars dessus. Ce sera plus rapide.
— Tiens-moi au courant. Attends, merde, attends ! Cette société a-t-elle plusieurs boutiques ?
— Une douzaine dans la région métropolitaine, New Jersey compris.
— Il est peut-être en relation avec eux. Comme employé ou comme client, voire les deux... On fonce. Je vais sur le terrain, puis je travaillerai de chez moi. Envoie-moi tout ce que tu obtiendras.
— Tu l'auras cherché, marmonna Feeney avant de couper la communication.