Il est plus bas que moi : il est à quatre pattes par terre. Je le regarde depuis mon bureau où je fais semblant de taper quelque chose d’extrêmement sérieux sur mon ordinateur portable. Il est jeune, il est brun, et il fait « han, han, han » avec ses lèvres tout en tirant de toutes ses forces vers lui un gros fil qui dépasse d’un trou dans le mur. Ce « han, han, han » est fascinant. Il ahanne, l’installateur de TV Câble, de ses lèvres charnues légèrement en cœur. Son « han, han, han » va et vient dans sa petite caverne à baisers, juste à la pointe de sa langue rose qui apparaît de temps à autre comme un bonbon à la framboise qu’il serait en train de sucer. Dès qu’il est entré tout à l’heure, je me suis dit que j’allais m’amuser à l’observer comme un insecte, tandis que, simultanément je ferais un compte rendu de mes impressions. Le seul problème est que, déjà, mes impressions s’affolent. J’aimerais assez le consigner sur mon tableau de chasse, l’installateur quadrupède.
Et pourquoi pas ? me dis-je rêveusement, en me dévissant un peu sur le côté afin d’essayer de voir si je n’aperçois pas quelque chose d’un peu évocateur entre ses jambes.
Tiens, voilà que l’homme s’arrête un instant pour reprendre son souffle. Pas plus de vingt ans, ce bijou. Il relève la tête. Il a fini de faire « han, han, han » et je regrette déjà ça.
« Il y a tout un micmac, là-dessous… », marmonne-t-il en me montrant d’un air effaré les serpents de fils que mon mari a enroulés sous le meuble. » Je compatis au micmac.
« Vous voulez que je vous aide ? je demande, accorte, pendant que mes doigts agiles pianotent simultanément sur le Mac cette retorse proposition.
— Ça ira », brise-t-il, irrémédiablement, mes espoirs juteux.
Il entreprend alors de débarrasser le meuble télé du magnétoscope et des cassettes vidéo et, tout le temps qu’il s’escrime, mon petit brun, moi, du haut de mon bureau panoramique, cachée derrière mon écran, je ne vois que des fesses qui s’agitent et des lèvres à travers lesquelles continue de défiler toute une clique d’onomatopées bizarres. Il ne parle pas, cet homme-là : il clabaude, il chicote, il craquète, il gringote. Il animale, quoi ! Et moi, les mâles animals, ça me fait feuler. Je n’en peux plus.
Voilà qu’il me regarde d’un seul coup d’un air pensif. Mon sang ne fait qu’un tour, un tour de con.
« Vous voulez un café ? je lance, fébrile, à tout hasard.
— Non, répond-il impitoyablement, je cherche la télécommande. »
Ses yeux tombent sur la table où je travaille, je pousse légèrement mon Power-Book pour qu’il ne voie pas ce que j’écris.
« La voilà ! », exulte-t-il.
Il est à cet instant totalement de face, juste devant mon bureau. S’il avance d’un pas, sa bite se frottera inévitablement contre le bord dur du bois, suite à quoi elle grossira certainement jusqu’à devenir d’une turgescence adéquate tandis que son regard s’enfoncera dans mes yeux allumés d’une conjonctivite concupiscente.
Mais il a déjà fait demi-tour et retourne vers la télé pour continuer à me câbler. J’aime bien qu’il me câble. S’il pouvait me câbler jusqu’à l’os, ça serait mieux.
Voilà : je sais. Je vais écrire nos débats lascifs, là, devant lui, derrière son dos. Pendant qu’il est occupé à me brancher, je vais lui faire son affaire : le soumettre, le démettre, surtout le mettre. Mais il me faut quelques renseignements supplémentaires pour bien situer le personnage.
« Monsieur ? »
Il tourne sa tête gréco-romaine vers moi d’un air interrogatif. Il n’a pas encore fini de suçoter sa petite langue à la framboise que j’entrevois encore à la pointe de sa bouche. Je l’y aiderais bien volontiers.
« Vous câblez depuis quand ? », j’interroge scolaire.
Pas de réponse. Des yeux noirs, sauvages, de l’âge de Cro-Magnon. Mon cœur papillonne un instant dans mes tempes et puis, d’un seul coup, d’un seul, tombe en chute libre dans mon bas-ventre qui se met à faire des vagues. Très discrètement, je plonge ma main sous ma jupe afin de voir si je peux être d’une quelconque aide au drame souterrain qui s’y trame. J’arrive à temps : c’est l’inondation.
« Vous avez toujours câblé dans votre vie ? » j’insiste avec ferveur.
Ses yeux ronds annoncent que l’homme se désarçonne alors que ce que j’attendrais de lui, moi, c’est qu’il me culbute. Il bafouille, onomatopète, mais me sourit quand même au final. C’est alors que, de but en blanc, il s’empare du terminal du câble.
« Madame, où est-ce que je le mets ? » J’oublie de respirer. Heureusement qu’il répond à ma place.
« Au-dessus du magnétoscope, bien sûr. » Et le voilà reparti à la peine. Il ne pense qu’au travail, cet homme-là. Je soupire, résignée. Bon, détaillons-le, ça me servira tout à l’heure, quand il sera parti. Plus je me souviendrai de ses petits détails croquants, mieux je pourrai en parler de façon convaincante à mon organe érectile.
Voyons… Il doit être d’origine… une origine chaude. Il sent le mâle à plein nez. Et j’ai du flair, vous savez. Vingt ans que je les renifle. De loin, de près, de l’odeur approximative d’une vision furtive à l’inhalation appliquée de la moindre parcelle de leurs corps. Moi aussi, j’ai un appendice efficace…
Alors, voyons. Une paire de jean, des chaussettes… (je me penche discrètement) elles sont noires. Il vient de remettre son sweat-shirt sur son tee-shirt, l’un est noir, l’autre blanc, et, fin du fin, dans une des poches revolver découpées sur son petit cul, dépasse le manche d’un tournevis. Il se balade comme ça, l’inconscient, il tourne et virevolte avec ses fils, puis, sans prévenir, se remet à quatre pattes, le torse presque par terre à force de vouloir observer les dessous de mes embranchements électriques, le cul en l’air, cambré, avec son manche qui saille. L’autre fois, je m’en suis enfoncé un tout pareil dans la chatte, que j’étais allée emprunter dans la boîte à outils de mon mari. C’était fort intéressant. Peut-être bien que la prochaine fois, j’essayerai les tenailles. Le contact froid du métal enserrant mon long clitoris pourrait bien être une expérience appréciable.
À force de voir mon installateur prendre toutes les positions possibles pour me câbler, je commence à me demander s’il ne le fait pas exprès. Son petit cul est toujours au premier plan, à chaque instant présenté sous une facette différente. Ah, comme j’aimerais en savoir un peu plus sur lui… Imaginer ses mots crus lorsqu’il viendrait planter son drapeau dans ma lune… Hélas, je connais si peu le son de sa voix, bien que ses « han, han, han » me soient à jamais inoubliables.
« Mais vous câblez donc à longueur de journée ? dis-je, toute pâmoison.
— Oui, M’dame, daigne répondre mon dulciné.
— Et ça vous plaît ? »
Il hausse les épaules.
Maintenant, il vient de trouver encore une nouvelle position équivoque. À genoux, ses talons contre ses cuisses, une main pensive soulevant une brise légère dans ses cheveux. Il cherche. Que cherche-t-il ? Peut-être pourrais-je venir à son secours ? Mais il prend les devants.
« Madame ?
— Oui, déglutis-je.
— Je vais vous montrer comment ça marche. »
Je me lève, hagarde, en susurrant qu’effectivement je ne sais pas très bien comment ça marche, que j’ai sans doute besoin de leçons.
« Votre prise Péritel, elle travaille pas, dit-il. J’ai bricolé pour que vous puissiez avoir « Ciné cinéfil » et « Ciné cinéma ».
— Ah oui ? fais-je en le frôlant imperceptiblement. Vous êtes anglais, américain ?
— J’ai passé un an à New York, explique-t-il laconiquement. Il faut d’abord appuyer sur « vidéo » avec votre télécommande. Vous see ?
— Heu… dis-je, le regard et l’esprit immanquablement attirés, à cause de la pesanteur, vers la bosse cruelle que fait maintenant son jean.
— Et pour regarder une cassette, poursuit-il, vous devez d’abord éteindre le Vidéopass et puis appuyer ensuite sur la télécommande. Le 12. It’s normal.
— It’s normal ? je répète, à deux doigts de la syncope.
— Je vais vous montrer.
— Me montrer quoi ? »
Je halète, tremble, perds la tête, aperçois mon ordinateur et me raccroche désespérément à l’instrument voyeur.
« Juste une minute, je bredouille. Je finis ce que j’étais en train d’écrire. Je suis à vous tout de suite. Tout de suite… »
Pendant que je complète mon rapport, voilà qu’à mon grand étonnement l’homme se baisse, fouille dans sa mallette et en extrait une cassette.
« Vous avez apporté une cassette avec vous ? veux-je assouvir une légitime curiosité.
Sans le moindre mot de réponse, il enfile illico la cassette dans le magnétoscope. Puis il se tourne vers moi en me regardant avec un étrange sourire. Je ne peux distinguer ce qui est apparu à l’écran parce que son beau corps fauve se trouve juste en travers.
« Qu’est-ce que… ? »
La fin de ma question meurt sur mes lèvres. L’installateur vient de faire pivoter le téléviseur sur son plateau et me présente l’image. Je rougis jusqu’à la pointe de mes seins. Une femme est allongée, les jambes très écartées que des regards avides matent, avec une forêt de bites au-dessus d’elle, grosses comme des branches, qu’elle suce alternativement. Des coulures de sève débordent de sa bouche. J’avale ma salive avec difficulté. C’est alors que tout à coup, l’intérêt de l’image à la télévision passe au second plan. Car l’homme vient d’ouvrir sa braguette et en a sorti sa queue.
Elle est longue et pointue comme celle d’un chien.
Je sens d’ici son parfum musqué qui rampe vers moi et se fraye un chemin jusque sous ma jupe.
Ma gorge est sèche. Le reste dégouline.
L’installateur frotte sa bite contre la bouche de la femme qui s’offre à la télévision.
Je vais me lever, je me lève… la suite, c’est à ma chatte qu’il faudra le demander…
Eh bien non, je me suis trompée… Me voilà revenue devant mon ordinateur. Pourtant, l’homme, lui, est toujours là, la queue sortie.
Quand je me suis approchée de lui, il m’a repoussée. Il ne veut que mon regard. Alors je suis allée me rasseoir derrière mon bureau panoramique et je le regarde faire ses va-et-vient contre l’écran de télé, s’accoupler à des bouches et des culs, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, qu’importe. Il touche tout ce qui bouge, tout ce qu’il peut, attentif à ce que mes yeux ne décollent pas de sa queue.
Il jouit de mon regard, son sperme brouille l’écran. À mon tour, un doigt sur la détente, j’explose.
Le bruit d’une porte honteuse et précipitée accompagne ma montée aux enfers… Il a oublié de me faire signer, mais je ne crois pas qu’il reviendra.