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Psychlo !
La planète mère de deux cent mille mondes.
Le cœur d'un empire qui avait dominé et ravagé seize univers durant trois cent deux mille années.
Psychlo. Qui avait amené la destruction de l'homme.
De cet empire, qu'était-il donc advenu ?
Que s'était-il passé sur Psychlo ? Et, si elle existait encore, que manigançaient ses habitants ?
Représentait-elle ou non un danger?
Durant toute une année âpre et turbulente, ils s'étaient interrogés et Psychlo avait été enfouie sous leurs pensées, les tourmentant sans cesse comme quelque épine.
A présent, ils allaient savoir.
Une pâle lumière éclairait la cuvette, et le métal de la plate-forme luisait d'un éclat mat. Il n'y avait pas un bruit de moteur dans le ciel étoilé.
Angus et Jonnie échangèrent un regard. Ils allaient découvrir ce qui était arrivé.
- D'abord, commença Jonnie, nous allons inspecter diverses exploitations minières pour voir quels sont les dispositifs de transfert en activité. Il existe peut-être quelque part un indicateur susceptible de les alerter. Nous devrons faire très attention et ne pas nous approcher trop près de quoi que ce soit.
Le livre des coordonnées leur indiqua la présence d'un dispositif de transfert sur Loozite, un monde minier exploité par des mineurs psychlos, de taille importante et relativement éloigné de Psychlo.
Ils mirent en place la nouvelle gyrocage, installèrent un picto-enregistreur dans le coffre blindé, déterminèrent les coordonnées par rapport à un point situé à quatre-vingts kilomètres du dispositif de transfert de Loozite, et déclenchèrent le tir.
Les câbles se mirent à bourdonner.
La cage revint bientôt.
Il y eut un effet de recul infime.
Jonnie prit le disque et le plaça dans le lecteur du projecteur atmosphérique.
Il le mit en marche.
Durant un instant, Angus et lui se dirent qu'ils avaient dû se tromper dans leurs calculs et filmer une mine. A une distance de quatre-vingts kilomètres, les détails n'étaient pas très visibles et Jonnie recentra et réajusta l'image.
Ils virent un trou !
Ce n'était pas une mine. Ils remarquèrent un poteau de transfert penché selon un angle anormal.
Mais, ce poteau mis à part, ils ne virent qu'un trou. Et, alentour, pas la moindre trace de dômes d'habitation.
Jonnie s'interrogea : est-ce qu'il y avait des sites d'exploitation construits différemment selon les planètes ? Cette plate-forme de Loozite s'était peut-être trouvée complètement à l'écart, à des kilomètres de tout lieu habité. Pourtant, les Psychlos avaient toujours fait preuve d'un conformisme maniaque quant à leurs installations et, généralement, l'administration centrale des mondes qu'ils contrôlaient se trouvait à proximité du dispositif de transfert, puisque c'était là qu'était regroupé le minerai de la planète. C'était là que l'on trouvait les magasins, là qu'étaient centralisés les dossiers. C'était là que résidaient les fonctionnaires.
Ils avaient sous les yeux un trou. Un trou immense.
Ils décidèrent de choisir un autre site, Mercogran, dans le cinquième univers. Le guide indiquait que c'était une planète cinq fois plus grande que la Terre mais de moindre densité.
Ils déclenchèrent un deuxième tir et récupérèrent bientôt la gyrocage.
Lorsqu'ils rallumèrent le projecteur, ils virent tout de suite que l'image montrait autre chose. Ils durent régler le cadrage pour mieux distinguer les détails.
Mercogran s'était trouvé situé près d'une chaîne de montagnes et, apparemment, il s'était produit des avalanches si importantes qu'elles auraient largement recouvert n'importe quel camp minier.
Jonnie rapprocha encore la vue. Oui, là ! Dans l'angle inférieur droit ! La coupole renversée d'un dôme du camp. Pareille à une soupière basculée. Un poteau de transfert était visible au centre, de même que des câbles grillés et emmêlés. Mais rien d'autre.
Il leur était impossible de parvenir à une conclusion ferme, si ce n'était que les installations centrales et le dispositif de transfert étaient hors d'état.
Ils choisirent une autre planète au hasard : Brelloton. Un monde habité dont la population était indigène et qui était gouverné par une « régence » psychlo depuis soixante mille ans.
Ils déterminèrent les coordonnées par rapport à un point situé à soixante kilomètres du dispositif de transfert et lancèrent la gyrocage.
Ils n'étaient nullement préparés au spectacle qui les attendait. Ils virent une ville. Le dispositif de transfert, apparemment, avait été installé sur un plateau surélevé au centre même de la ville.
Les bâtiments, qui autrefois avaient été gigantesques, n'étaient plus que des amoncellements de débris, tout autour du plateau. Ils avaient dû culminer à plus de six cents mètres au-dessus de la ville et s'étaient effondrés comme des dominos sur un million d'habitants ou plus.
Ce qui restait du dispositif de transfert était parfaitement identifiable. A la place de la plate-forme, il y avait un trou. Quant aux poteaux, ils étaient tous penchés vers l'extérieur.
Les dômes du camp, au-dessus du plateau, avaient été soufflés par l'onde de choc et projetés à quelque distance. Leurs sous-sols étaient à ciel ouvert.
Une image plus rapprochée encore leur révéla l'herbe qui avait poussé dans les crevasses.
Il n'y avait pas la moindre trace de vie.
Jonnie alla s'asseoir, songeur. Puis il demanda à Angus de retrouver certaines des vues prises par les appareils de couverture au-dessus de la Rivière du Purgatoire et du camp américain.
Angus revint bientôt et ils les visionnèrent. La ville en ruine était bien visible, à plus de soixante kilomètres de distance. Ainsi que le trou à l'emplacement de la plate-forme et les poteaux qui étaient tous inclinés vers l'extérieur.
- Je sais ce qui est arrivé, dit enfin Jonnie. Nous pourrions continuer d'explorer ainsi toutes les planètes de l'empire psychlo pendant toute la nuit, nous verrions à chaque fois la même chose. Donne-moi cet ordinateur. On va essayer de voir ce qui s'est produit sur Psychlo le 92e Jour de l'an dernier !
La lumière. Sa vitesse approximative était de 9 300 000 000 000 kilomètres par an. La lumière qui avait été émise par Psychlo à cette date traversait encore l'espace. Il leur suffirait d'aller à sa rencontre et, avec un picto-enregistreur de drone stellaire réglé pour un agrandissement de 6 000 000 000 000, ils pourraient observer Psychlo à l'instant même où l'événement s'était produit. Quel qu'ait été cet événement.
Il avait eu lieu un an auparavant, plus quelques jours.
Il fallait définir un angle sidéral pour la prise de vue. Éviter les divers corps astraux afin que la cage ne subisse pas l'influence de champs gravifiques et reste stable durant deux ou trois minutes. Non: il fallait faire preuve d'audace et la laisser durant quinze minutes en espérant qu'elle ne bouge pas. Puis la rappeler.
Il fallut aux deux hommes un certain temps pour tout mettre au point. Ils durent régler à nouveau l'agrandissement, ajuster les senseurs thermiques, afin qu'ils demeurent aveugles aux autres masses, et calculer les secondes.
Finalement, ils lancèrent la gyrocage.
Les câbles bourdonnèrent durant tout le long moment d'attente. Et la cage réapparut.
Elle était légèrement déplacée sur la plate-forme. Dans sa hâte, Jonnie voulut se précipiter pour la toucher, mais Angus le retint. Le métal devait être glacé au point de lui arracher la peau ! Il fallait attendre qu'il se réchauffe un peu car ils couraient le risque de déformer le disque d'enregistrement avec la brusque différence de température.
Jonnie avait l'impression d'être un homme mourant de soif devant lequel on agitait une gourde d'eau.
Enfin, ils purent mettre le disque en place dans le projecteur ! L'image leur apparut, nette et brillante! Ils avaient cru qu'elle serait floue, comparable à ce que l'on voit au travers des vagues d'air chaud. Mais tous les détails étaient clairs comme du cristal.
Devant eux se dressait la Cité Impériale de Psychlo. Avec ses rails circulaires de tramway, ses rues qui convergeaient depuis les falaises alentour comme autant de courroies de transport. Le concept de la mine avait carrément été intégré à l'architecture de la ville!
Psychlo était une planète énorme, bourdonnant d'activité.
Ils avaient devant leurs yeux le monde qui avait plié à sa volonté tous les univers connus, le nerf moteur de la patte aux griffes acérées qui déchirait et raclait la chair et les os de toutes les planètes habitées. Un monde sadique et affreux qui existait depuis trois cent deux mille ans !
Jamais auparavant ils n'avaient contemplé une cité d'une telle importance. Quelle pouvait en être la population ? Cent millions ? Un milliard ? Et ce n'était que la capitale, pas la planète tout entière! Avec ses tramways qui montaient vers les collines en suivant de larges rampes en spirales. Avec ses véhicules qui ressemblaient à s'y méprendre à des chariots de mine mais qui étaient bondés de gens. De Psychlos ! Des foules, des multitudes de Psychlos ! Jamais encore ils n'avaient vu autant d'êtres à la fois.
Ils étaient fascinés. Ils comparaient ce qu'ils voyaient à leurs propres villes, et même aux grandes métropoles en ruine. Mais aucune comparaison n'était possible.
Il fallait être bien vaniteux pour s'attaquer à cela.
Ils étaient tellement impressionnés, fascinés qu'ils en avaient omis d'observer le dispositif de transfert de Psychlo. Ils avaient en fait manqué le début et ils durent revenir en arrière.
Ils agrandirent l'image et la centrèrent sur la plate-forme.
Ils virent alors toute la séquence, enregistrée immédiatement après que Jonnie et Fend-le-Vent furent arrivés sur la plate-forme.
Ils virent tout d'abord les ouvriers psychlos qui évacuaient la plate-forme pour l'habituel tir de routine bisannuel en provenance de la Terre. Des véhicules à plate-forme attendaient non loin de là pour embarquer les cercueils et le personnel.
Il y eut un scintillement préliminaire pour l'arrivée des Psychlos que Jonnie, avec Fend-le-Vent, avait assommés.
Puis une minuscule explosion.
Les ouvriers psychlos reculèrent.
Un écran de force venait d'être activé ! Un dôme qui avait couvert la plate-forme instantanément pour contenir l'explosion. Ce n'était pas un câble de blindage atmosphérique. Plutôt une sorte d'écran scintillant, étincelant. Transparent mais bien visible.
Les véhicules avaient déjà démarré. Un énorme camion s'approcha de la plate-forme. A l'évidence, il avait été prévu pour s'occuper des explosions mineures. Une longue minute s'écoula.
Et le premier cercueil de mort explosa. Un « casse-planète » nucléaire enfoui dans un véritable matelas de mires destructrices.
L'écran de force tint bon.
L'holocauste fut contenu. La formidable explosion n'avait même pas déformé l'écran !
Un deuxième choc : un autre cercueil venait d'exploser.
Une nouvelle fois, l'écran résista ! Grands dieux ! Quelle technologie extraordinaire ! Comment avaient-ils fait pour mettre au point pareil écran. Il devait falloir une quantité d'énergie inimaginable pour le faire fonctionner.
Un troisième choc. Un troisième casse-planète. Des bombes atomiques anciennes, sales.
L'écran résistait toujours.
Des Psychlos accouraient de toutes parts. Quant à ceux qui étaient à proximité de la plate-forme, ils étaient couchés au sol par l'effet de choc qui provenait de l'écran.
Une quatrième bombe explosa.
L'écran résistait toujours.
Mais l'onde de choc avait propulsé le gros camion en arrière et les vitres des immeubles alentour avaient éclaté.
Le sol était secoué comme sous l'effet d'un gigantesque séisme.
Un des bâtiments s'effondra tout à coup, comme aspiré vers le bas. D'autres suivirent.
La cinquième bombe explosa !
Et, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, la scène tout entière fut changée en un nuage bouillonnant de feu atomique.
Mais il y avait plus ! Sur toute l'étendue de la plaine, des gerbes ardentes jaillissaient de toutes parts.
Ils élargirent rapidement l'image.
Toute la Cité Impériale de Psychlo s'écroulait, dans des geysers de flammes gigantesques.
Les trams, la foule, les immeubles et même les falaises étaient noyés dans une tourmente de flammes jaune-vert.
Ils agrandirent en hâte la perspective.
Et ils virent la planète Psychlo transformée en soleil radioactif! L'enregistrement cessait là. Ils restèrent un instant immobiles, sans énergie.
- Mon dieu, dit enfin Angus.
Jonnie sentit monter en lui une légère nausée. Ils venaient d'assister au résultat de leurs plans et des risques qu'ils avaient pris un an auparavant. Bon, d'accord, il s'était agi des Psychlos, mais tout cela lui laissait un arrière-goût de culpabilité. Difficile d'assumer la responsabilité d'une destruction d'une telle ampleur.
Il avait pensé que les bombes balaieraient le quartier général de la Compagnie et peut-être aussi la Cité Impériale. Au lieu de quoi, elles avaient créé un nouveau soleil.
- Que s'est-il passé ? fit Angus.
Jonnie contemplait ses pieds.
- J'ai déclenché dix détonateurs dans ces cercueils. Nous ne voulions pas utiliser une minuterie et courir le risque qu'elles explosent sur Terre. Nous savions que ces bombes étaient plus ou moins contaminées, qu'il y avait des fuites de radiations. Elles étaient vieilles et leurs enveloppes aussi. Nous avons été obligés de les manipuler avec des tenues antiradiations. (Il laissa tomber son bras.) Dans la bataille, j'ai lâché les cordons de déclenchement des détonateurs sur la plate-forme. Et je les ai oubliés. Ils devaient être légèrement radioactifs et, lorsqu'ils ont atteint la plate-forme de Psychlo, ils ont provoqué cette petite explosion. C'est ce qui explique le petit choc en retour enregistré l'an dernier.
» Sur Psychlo, cela a déclenché ce champ de force dont les frères Chamco nous avaient parlé. II s'est montré assez solide pour contenir les explosions.
- 'ai lu dans un des livres de Char que la croûte de Psychlo était truffée de puits et de galeries de mine abandonnés. Une véritable taupinière. Ils appellent ça l'exploitation à mi-noyau. Les explosions se sont propagées en profondeur. A chaque fois, elles se sont rapprochées un peu plus du noyau plasmique de Psychlo.
- C'est la cinquième qui l'a pénétré. Et les autres ont suivi.
» Une arme nucléaire ne fait que stimuler une réaction en chaîne. Et non seulement la croûte planétaire a été détruite, mais la fusion s'est poursuivie. Et elle continue sans doute encore à l'heure qu'il est, et pour des millions d'années.
» Psychlo n'est plus une planète mais un soleil en activité !
Angus acquiesça.
- Oui, et tous les centres de transfert de l'empire psychlo, ignorant ce qui s'était passé et respectueux des dates de transfert, ont téléporté leurs cargaisons dans ce soleil radioactif et ont explosé à leur tour ! Ils ont été réduits en miettes !
Jonnie hocha la tête d'un air épuisé.
Comme Denver l'autre jour. (Il eut un frisson.) Terl s'est projeté dans un holocauste. Pauvre Terl !
Cette réflexion sortit brusquement Angus de son apathie.
- Pauvre Terl ! Après tout ce que ce maudit démon a fait? Jonnie, quelquefois je me pose des questions à ton sujet. Tu peux te montrer froid comme la glace et, l'instant d'après, tu dis des choses comme « pauvre Ter! »!
- Sa mort a dû être affreuse.
Angus se redressa. Il semblait aussi en forme qu'après un plongeon dans le lac.
- Et voilà ! Psychlo, c'est fini ! L'Empire n'existe plus ! Nous n'aurons plus à nous en inquiéter ! Bon débarras !