ÉPITAPHE
  Sauf les amoureux commençons ou finis
qui veulent commencer par la fin il y
a tant de choses qui finissent par le
commencement que le commencement
commence à finir par être la fin la fin
en sera que les amoureux et autres
finiront par commencer à recommencer par
ce commencement qui aura fini par n'être
que la fin retournée ce qui commencera
par être égal à l'éternité qui n'a ni
fin ni commencement et finira par être
aussi finalement égal à la rotation de
la terre où l'on aura fini par ne
distinguer plus où commence la fin d'où
finit le commencement ce qui est toute
fin de tout commencement égale à tout
commencement de toute fin ce qui est le
commencement final de l'infini défila
par l'indéfini—Égale une épitaphe égale
une préface et réciproquement
(SAGESSE DES NATIONS)



Il se tua d'ardeur, ou mourut de paresse.
S'il vit, c'est par oubli; voici ce qu'il se laisse:
—Son seul regret fut de n'être pas sa maîtresse.—
Il ne naquit par aucun bout,
Fut toujours poussé vent-de-bout,
Et fut un arlequin-ragoût,
Mélange adultère de tout.
Du je-ne-sais-quoi.—Mais ne sachant où;
De l'or,—mais avec pas le sou;
Des nerfs,—sans nerf. Vigueur sans force;
De l'élan,—avec une entorse;
De l'âme,—et pas de violon;
De l'amour,—mais pire étalon.
—Trop de noms pour avoir un nom.—
Coureur d'idéal,—sans idée;
Rime riche,—et jamais rimée;
Sans avoir été,—revenu;
Se retrouvant partout perdu.
Poète, en dépit de ses vers;
Artiste sans art,—à l'envers,
Philosophe,—à tort à travers.
Un drôle sérieux,—pas drôle.
Acteur, il ne sut pas son rôle;
Peintre: il jouait de la musette;
Et musicien: de la palette.
Une tête!—mais pas de tête;
Trop fou pour savoir être bête;
Prenant pour un trait le mot très.
—Ses vers faux furent ses seuls vrais.
Oiseau rare—et de pacotille;
Très mâle ... et quelquefois très fille;
Capable de tout,—bon à rien;
Gâchant bien le mal, mal le bien.
Prodigue comme était l'enfant
Du Testament,—sans testament.
Brave, et souvent, par peur du plat,
Mettant ses deux pieds dans le plat.
Coloriste enragé,—mais blême;
Incompris ...—surtout de lui-même;
Il pleura, chanta juste faux;
—Et fut un défaut sans défauts.
Ne fut quelqu'un, ni quelque chose
Son naturel était la pose.
Pas poseur,—posant pour l'unique;
Trop naïf, étant trop cynique;
Ne croyant à rien, croyant tout.
—Son goût était dans le dégoût.
Trop crû,—parce qu'il fut trop cuit,
Ressemblant à rien moins qu'à lui,
Il s'amusa de son ennui,
Jusqu'à s'en réveiller la nuit.
Flâneur au large,—à la dérive,
Épave qui jamais n'arrive....
Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
L'esprit à sec et la tête ivre,
Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut, s'attendant mourir.
Ci-gît,—coeur sans coeur, mal planté,
Trop réussi—comme raté.

LES AMOURS JAUNES

A L'ÉTERNEL MADAME
Mannequin idéal, tête-de-turc du leurre,
Éternel Féminin!... repasse tes fichus;
Et viens sur mes genoux, quand je marquerai l'heure,
Me montrer comme on fait chez vous, anges déchus.
Sois pire, et fais pour nous la joie à la malheure,
Piaffe d'un pied léger dans les sentiers ardus.
Damne-toi, pure idole! et ris! et chante! et pleure,
Amante! Et meurs d'amour!... à nos moments perdus.
Fille de marbre! en rut! sois folâtre!... et pensive.
Maîtresse, chair de moi! fais-toi vierge et lascive ...
Féroce, sainte, et bête, en me cherchant un coeur....
Sois femelle de l'homme, et sers de Muse, ô femme,
Quand le poète brame en Ame, en Lame, en Flamme!
Puis—quand il ronflera—viens baiser ton Vainqueur!

FÉMININ SINGULIER
Éternel Féminin de l'éternel Jocrisse!
Fais-nous sauter, pantins nous payons les décors!
Nous éclairons la rampe.... Et toi, dans la coulisse,
Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.
Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,
Couronne tes genoux!... et nos têtes dix-cors;
Ris! montre tes dents! mais ... nous avons la police,
Et quelque chose en nous d'eunuque et de recors.
... Ah tu ne comprends pas?...—Moi non plus—Fais la belle
Tourne: nous sommes soûls! Et plats: Fais la cruelle!
Cravache ton pacha, ton humble serviteur!...
Après, sache tomber!—mais tomber avec grâce—
Sur notre sable fin ne laisse pas de trace!...
—C'est le métier de femme et de gladiateur.—

BOHÊME DE CHIC
Ne m'offrez pas un trône!
A moi tout seul je fris,
Drôle, en ma sauce jaune
De chic et de mépris.
Que les bottes vernies
Pleuvent du paradis,
Avec des parapluies ...
Moi, va-nu-pieds, j'en ris!
—Plate époque râpée,
Où chacun a du bien;
Où, cuistre sans épée,
Le vaurien ne vaut rien!
Papa,—pou, mais honnête,—
M'a laissé quelques sous,
Dont j'ai fait quelque dette,
Pour me payer des poux!
Son habit, mis en perce,
M'a fait de beaux haillons
Que le soleil traverse;
Mes trous sont des rayons
Dans mon chapeau, la lune
Brille à travers les trous,
Bête et vierge comme une
Pièce de cent sous!
—Gentilhomme!... à trois queues:
Mon nom mal ramassé
Se perd à bien des lieues
Au diable du passé!
Mon blason,—pas bégueule,
Est, comme moi, faquin:
Nous bandons à la gueule,
Fond troué d'arlequin.—
Je pose aux devantures
Où je lis:—DÉFENDU
DE POSER DES ORDURES—
Roide comme un pendu!
Et me plante sans gêne
Dans le plat du hasard,
Comme un couteau sans gaine
Dans un plat d'épinard.
Je lève haut la cuisse
Aux bornes que je voi:
Potence, pavé, suisse,
Fille, priape ou roi!
Quand, sans tambour ni flûte.
Un servile estafier
Au violon me culbute,
Je me sens libre et fier!...
Et je laisse la vie
Pleuvoir sans me mouiller.
En attendant l'envie
De me faire empailler.
—Je dors sous ma calotte,
La calotte des cieux;
Et l'étoile palotte
Clignotte entre mes yeux.
Ma Muse est grise ou blonde....
Je l'aime et ne sais pas;
Elle est à tout le monde....
Mais—moi seul—je la bats!
A moi ma Chair-de-poule!
A toi! Suis-je pas beau,
Quand mon baiser te roule
A crû dans mon manteau!...
Je ris comme une folle
Et sens mal aux cheveux,
Quand ta chair fraîche colle
Contre mon cuir lépreux!
Jérusalem.—Octobre.

GENTE DAME
Il n'est plus, ô ma Dame,
D'amour en cape, en lame,
Que Vous!...
De passion sans obstacle,
Mystère à grand spectacle,
Que nous!...
Depuis les Tour de Nesle
Et les Château de Presle,
Temps frais,
Où l'on couchait en Seine
Les galants, pour leur peine....
—Après.—
Quand vous êtes Frisette,
Il n'est plus de grisette
Que Toi!...
Ni de rapin farouche,
Pur Rembrandt sans retouche,
Que moi!
Qu'il attende, Marquise,
Au grand mur de l'église
Flanqué,
Ton bon coupé vert-sombre,
Comme un bravo dans l'ombre,
Masqué.
—A nous!—J'arme en croisière
Mon fiacre-corsaire,
Au vent,
Bordant, comme une voile,
Le store qui nous voile:
—Avant!...
—Quartier-dolent—tourelle
Tout au haut de l'échelle....
Quel pas!
—Au sixième—Eh! madame,
C'est tomber, sur mon âme!
Bien bas!
Au grenier poétique,
Où gîte le classique
Printemps,
Viens courre, aventurière,
Ce lapin de gouttière:
Vingt-ans!
Ange, viens pour ton hère
Jouer à la misère
Des Dieux!
Pauvre diable à ficelles,
Lui, joue avec tes ailes.
Aux cieux!
Viens, Béatrix du Dante,
Mets dans ta main charmante
Mon front ...
Ou passe, en bonne fille,
Fière au bras de ton drille,
Le pont.
Demain, ô mâle amante,
Reviens-moi Bradamante!
Muguet!
Eschôlier en fortune,
Narguant, de vers la brune,
Le guet!

I SONNET
AVEC LA MANIÈRE DE S'EN SERVIR
Réglons notre papier et formons bien nos lettres:
Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme....
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe:—on en suit quatre, en long;
A chaque pieu, la rime—exemple: chloroforme,
—Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
—Télégramme sacré—20 mots.—Vite à mon aide....
(Sonnet—c'est un sonnet—) ô Muse d'Archimède!
—La preuve d'un sonnet est par l'addition:
—Je pose 4 et 4 = 8! Alors je procède,
En posant 3 et 3!—Tenons Pégase raide:
«O lyre! O délire! O....»—Sonnet—Attention!
Pic de la Maladetta.—Août.

SONNET A SIR BOB
Chien de femme légère, braque anglais pur sang.
Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse,
Je grogne malgré moi—pourquoi?—Tu n'en sais rien.
—Ah! c'est que moi—vois-tu—jamais je ne caresse,
Je n'ai pas de maîtresse, et ... ne suis pas beau chien.
Bob! Bob!—Oh! le fier nom à hurler d'allégresse!...
Si je m'appelais Bob.... Elle dit Bob si bien!...
Mais moi je ne suis pas pur sang.—Par maladresse,
On m'a fait braque aussi ... mâtiné de chrétien.
—O Bob! nous changerons, à la métempsycose:
Prends mon sonnet, moi ta sonnette à faveur rose;
Toi ma peau, moi ton poil—avec puces ou non....
Et je serai sir Bob—Son seul amour fidèle!
Je mordrai les roquets, elle me mordrait, Elle!...
Et j'aurai le collier portant Son petit nom.
Britisch channel.—5 may.

STEAM-BOAT
A une passagère.
En fumée elle est donc chassée
L'éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma soeur d'un jour,
Ma soeur d'amour!...
Là-bas: cette mer incolore
Où ce qui fut Toi flotte encore.
Ici: la terre, ton écueil.
Tertre de deuil!
On t'espère là.... Va légère!
Qui te bercera, Passagère....
O passagère mon coeur,
Ton remorqueur!...
Quel ménélas, sur son rivage,
Fait le pied?...—Va, j'ai ton sillage....
J'ai,—quand il est là voir venir,—
Ton souvenir!
Il n'aura pas, lui, ma Peureuse,
Les sauts de ta gorge houleuse!...
Tes sourcils salés de poudrain
Pendant un grain!
Il ne t'aura pas: effrontée!
Par tes cheveux au vent fouettée!...
Ni, durant les longs quarts de nuit,
Ton doux ennui....
Ni ma poésie où:—Posée,
Tu seras la mouette blessée,
Et moi le flot qu'elle rasa ...
Et coetera.
—Le large, bête sans limite,
Me paraîtra bien grand, Petite,
Sans Toi!... Rien n'est plus l'horizon
Qu'une cloison.
Qu'elle va me sembler étroite!
Tout seul, la boîte à deux!... la boîte
Où nous n'avions qu'un oreiller
Pour sommeiller.
Déjà le soleil se fait sombre
Qui ne balance plus ton ombre,
Et la houle a fait un grand pli....
—Comme l'oubli!—
Ainsi déchantait sa fortune,
En vigie, au sec, dans la hune.
Par un soir frais, vers le matin,
Un pilotin.
10' long. O.
40' lat. N.

PUDENTIANE
Attouchez, sans toucher. On est dévotieuse,
Ni ne retient à son escient.
Mais On pâme d'horreur d'être: luxurieuse
De corps et de consentement!...
Et de chair ... de cette oeuvre On est fort curieuse.
Sauf le vendredi—seulement:
Le confesseur est maigre ... et l'extase pieuse
En fait: carême entièrement.
... Une autre se donne.—Ici l'On se damne—
C'est un tabernacle—ouvert—qu'on profane.
Bénitier où le serpent est caché!
Que l'Amour, ailleurs, comme un coq se chante....
CI-GIT! La pudeur-d'-attentat le hante....
C'est la Pomme (cuite) en fleur de pêché.
(Rome.—40 ans.—16 août.)

APRÈS LA PLUIE
J'aime la petite pluie
Qui s'essuie
D'un torchon de bleu troué!
J'aime l'amour et la brise,
Quand ça frise ...
Et pas quand c'est secoué.
—Comme un parapluie en flèches,
Tu te sèches,
O grand soleil! grand ouvert....
A bientôt l'ombrelle verte
Grand' ouverte!
Du printemps—été d'hiver.—
La passion c'est l'averse
Qui traverse!
Mais la femme n'est qu'un grain:
Grain de beauté, de folie
Ou de pluie....
Grain d'orage—ou de serein.—
Dans un clair rayon de boue,
Fait la roue,
La roue à grand appareil,
—Plume et queue—une Cocotte
Qui barbotte;
Vrai déjeuner de soleil!
—«Anne! ou qui que tu sois, chère ...
Ou pas chère,
Dont on fait, à l'oeil, les yeux....
Hum ... Zoé! Nadjejda! Jane!
Vois: je flâne,
Doublé d'or comme les cieux!»
«English spoken?—Espagnole?...
Batignolle?...
Arbore le pavillon
Qui couvre ta marchandise,
O marquise
D'Amaëgur!... Frétillon!...»
«Nom de singe ou nom d'Archange?
Ou mélange?...
Petit nom à huit ressorts?
Nom qui ronfle, ou nom qui chante:
Nom d'amante?...
Ou nom à coucher dehors?...
Veux-tu, d'une amour fidelle,
Éternelle!
Nous adorer pour ce soir?...
Pour tes deux petites bottes
Que tu crottes,
Prends mon coeur et le trottoir!»
«N'es-tu pas doña Sabine?
Carabine?...
Dis: veux-tu le paradis
De l'Odéon?—traversée
Insensée!...
On emporte des radis.»—
C'est alors que se dégaine
La rengaine:
—«Vous vous trompez.... Quel émoi!...
Laissez-moi ... je suis honnête....»
«—Pas si bête!
—Pour qui me prends-tu?—Pour moi!...»
«... Prendrais-tu pas quelque chose
Qu'on arrose
Avec n'importe quoi ... du
Jus de perles dans des coupes
D'or?... Tu coupes!...
Mais moi? Mina, me prends-tu?»
—«Pourquoi pas: ça va sans dire!»—
«—O sourire!...
Moi, par dessus le marché!...
Hermosa, tu m'as l'air franche
De la hanche!
Un cuistre en serait fâché!»
—«Mais je me nomme Aloïse....»
«Héloïse!
Veux-tu, pour l'amour de l'art,
—Abeilard avant la lettre—
Me permettre
D'être un peu ton Abeilard?»

Et, comme un grain blanc qui crève,
Le doux rêve
S'est couché là, sans point noir....
Donne à ma lèvre apaisée,
«La rosée
D'un baiser-levant—Bonsoir»—
«C'est le chant de l'alouette,
Juliette!
Et c'est le chant du dindon....
Je te fais, comme l'aurore
Qui te dore,
Un rond d'or sur l'édredon.»

A UNE ROSE
Rose, rose-d'amour vannée,
Jamais fanée.
Le rouge-fin est ta couleur,
O fausse-fleur!
Feuille où pondent les journalistes
Un fait-divers,
Papier-Joseph, croquis d'artistes:
—Chiffres ou vers—
Coeur de parfum, montant arôme
Qui nous embaume ...
Et ferait même avec succès,
Après décès;
Grise l'amour de ton haleine,
Vapeur malsaine,
Vent de pastille-du-sérail,
Hanté par l'ail!
Ton épingle, épine-postiche,
Chaque nuit fiche
Le hanneton-d'or, ton amant ...
Sensitive ouverte, arrosée
De fausses-perles de rosée,
En diamant!
Chaque jour palpite à la colle
De ta corolle
Un papillon-coquelicot,
Pur calicot.
Rose-thé!...—Dans le grog, peut-être!—
Tu dois renaître
Jaune, sous le fard du tampon,
Rose-pompon!
Vénus-Coton, née en pelotte,
Un soir-matin,
Parmi l'écume ... que culotte
Le clan rapin!
Rose-mousseuse, sur toi pousse
Souvent la mousse
De l'Ai..... Du BOCK plus souvent
—A 30 Cent.
—Un coup-de-soleil de la rampe!
Qui te retrempe;
Un coup de pouce à ton grand air
Sur fil-de-fer!...
Va, gommeuse et gommée, ô rose
De couperose,
Fleurir les faux-cols et les coeurs,
Gilets vainqueurs!

A LA MÉMOIRE DE ZULMA
Vierge-folle hors barrière
et
D'UN LOUIS
Bougival, 8 mai.
Elle était riche de vingt ans,
Moi j'étais jeune de vingt francs,
Et nous fîmes bourse commune,
Placée, à fond-perdu, dans une
Infidèle nuit de printemps....
La lune a fait trou dedans,
Rond comme un écu de cinq francs,
Par où passa notre fortune:
Vingt ans! vingt francs!... et puis la lune!
—En monnaie—hélas—les vingt francs!
En monnaie aussi les vingt ans!
Toujours de trous en trous de lune,
Et de bourse en bourse commune....
—C'est à peu près même fortune!

—Je la trouvai—bien des printemps,
Bien des vingt ans, bien des vingt francs,
Bien des trous et bien de la lune
Après—Toujours vierge et vingt ans,
Et ... colonelle à la Commune!

—Puis après: la chasse aux passants,
Aux vingt sols, et plus aux vingt francs....
Puis après: la fosse commune,
Nuit gratuite sans trou de lune.
(Saint-Cloud.—Novembre)

BONNE FORTUNE et FORTUNE
Odor della feminita
Moi, je fais mon trottoir, quand la nature est belle,
Pour la passante qui, d'un petit air vainqueur,
Voudra bien crocheter, du bout de son ombrelle,
Un clin de ma prunelle ou la peau de mon coeur....
Et je me crois content—pas trop!—mais il faut vivre:
Pour promener un peu sa faim, le gueux s'enivre....
Un beau jour—quel métier!—je faisais, comme ça,
Ma croisière.—Métier!...—Enfin, Elle passa
—Elle qui?—La Passante! Elle, avec son ombrelle!
Vrai valet de bourreau, je la frôlai ...—-mais Elle
Me regarda tout bas, souriant en dessous,
Et ... me tendit sa main, et ...
m'a donné deux sous.
(Rue des Martyrs.)

A UNE CAMARADE
Que me veux-tu donc, femme trois fois fille?...
Moi qui te croyais un si bon enfant!
—De l'amour?...—Allons: cherche, apporte, pille!
M'aimer aussi, toi!... moi qui t'aimais tant.
Oh! je t'aimais comme ... un lézard qui pèle
Aime le rayon qui cuit son sommeil....
L'Amour entre nous vient battre de l'aile:
—Eh! qu'il s'ôte de devant mon soleil!
Mon amour, à moi, n'aime pas qu'on l'aime;
Mendiant, il a peur d'être écouté....
C'est un lazzarone enfin, un bohème,
Déjeunant de jeûne et de liberté.
—Curiosité, bibelot, bricolle?...
C'est possible: il est rare—et c'est son bien—
Mais un bibelot cassé se recolle;
Et lui, décollé, ne vaudra plus rien!...
Va, n'enfonçons pas la porte entr'ouverte
Sur un paradis déjà trop rendu!
Et gardons à la pomme, jadis verte,
Sa peau, sous son fard de fruit défendu.
Que nous sommes-nous donc fait l'un à l'autre?...
—Rien....—Peut-être alors que c'est pour cela;
—Quel a commencé?—Pas moi, bon apôtre!
Après, quel dira: c'est donc tout—voilà!
—Tous les deux, sans doute....—Et toi, sois bien sûre
Que c'est encor moi le plus attrapé:
Car si, par erreur, ou par aventure,
Tu ne me trompais ... je serais trompé!
Appelons cela: l'amitié calmée;
Puisque l'amour veut mettre son holà.
N'y croyons pas trop, chère mal-aimée....
—C'est toujours trop vrai ces mensonges-là!—
Nous pourrons, au moins, ne pas nous maudire
—Si ça t'est égal—le quart-d'heure après.
Si nous en mourons—ce sera de rire....
Moi qui l'aimais tant ton rire si frais!

UN JEUNE QUI S'EN VA
Morire.
Oh le printemps!—Je voudrais paître!...
C'est drôle, est-ce pas: Les mourants
Font toujours ouvrir leur fenêtre,
Jaloux de leur part de printemps!
Oh le printemps! Je veux écrire!
Donne-moi mon bout de crayon
—Mon bout de crayon, c'est ma lyre—
Et—là—je me sens un rayon.
Vite!... j'ai vu, dans mon délire,
Venir me manger dans la main
La Gloire qui voulait me lire!
—La gloire n'attend pas demain.—
Sur ton bras, soutiens ton poète,
Toi, sa Muse, quand il chantait,
Son Sourire quand il mourait,
Et sa Fête ... quand c'était fête!
Sultane, apporte un peu ma pipe
Turque, incrustée en faux saphir,
Celle qui va bien à mon type....
Et ris!—C'est fini de mourir;
Et viens sur mon lit de malade;
Empêche la mort d'y toucher,
D'emporter cet enfant maussade
Qui ne veut pas s'aller coucher.
Ne pleure donc plus,—je suis bête—
Vois: mon drap n'est pas un linceul....
Je chantais cela pour moi seul....
Le vide chante dans ma tête.
Retourne contre la muraille.
—Là—l'esquisse—un portrait de toi—
Malgré lui mon oeil soûl travaille
Sur la toile.... C'était de moi.
J'entends—bourdon de la fièvre—
Un chant de berceau me monter:
«J'entends le renard, le lièvre,
Le lièvre, le loup chanter
... Va! nous aurons une chambrette
Bien fraîche, à papier bleu rayé;
Avec un vrai bon lit honnête
A nous, à rideaux ... et payé!
Et nous irons dans la prairie
Pêcher à la ligne tous deux,
Ou bien mourir pour la patrie!...
—Tu sais, je fais ce que tu veux.
... Et nous aurons des robes neuves,
Nous serons riches à bâiller
Quand j'aurai revu mes épreuves!
—Pour vivre, il faut bien travailler....
—Non! mourir....
La vie était belle
Avec toi! mais rien ne va plus....
A moi le pompon d'immortelle
Des grands poètes que j'ai lus!
A moi, Myosotis! Feuille morte
De Jeune malade à pas lent!
Souvenir de soi ... qu'on emporte
En croyant le laisser—souvent!
—Décès: Rolla:—l'Académie—
Murger, Beaudelaire:—hôpital,—
Lamartine:—en perdant la vie
De sa fille, en strophes pas mal....
Doux bedeau, pleureuse en lévite,
Harmonieux tronc des moissonnés
Inventeur de la larme écrite,
Lacrymatoire d'abonnés!...
Moreau—-j'oubliais—Hégésippe,
Créateur de l'art-hôpital....
Depuis, j'ai la phthisie en grippe;
Ce n'est plus même original.
—Escousse encor: mort en extase
De lui; mort phthisique d'orgueil.
—Gilbert: phthisie et paraphrase
Rentrée, en se pleurant à l'oeil.
—Un autre incompris: Lacenaire,
Faisant des vers en amateur
Dans le goût anti-poitrinaire,
Avec Sanson pour éditeur.
—Lord Byron, gentleman-vampire,
Hystérique du ténébreux;
Anglais sec, cassé par son rire,
Son noble rire de lépreux.
—Hugo: l'Homme apocalyptique,
L'Homme-Ceci-tûra-cela,
Meurt, gardenational épique;
Il n'en reste qu'un—celui-là!—
... Puis un tas d'amants de la lune,
Guère plus morts qu'ils n'ont vécu,
Et changeant de fosse commune
Sans un discours, sans un écu!
J'en ai lus mourir!... Et ce cygne
Sous le couteau du cuisinier:
—Chénier—... Je me sens—mauvais signe!—
De la jalousie.—O métier!
Métier! Métier de mourir....
Assez, j'ai fini mon étude.
Métier: se rimer finir!...
C'est une affaire d'habitude.
Mais non, la poésie est: vivre,
Paresser encore, et souffrir
Pour toi, maîtresse! et pour mon livre;
Il est là qui dort
—Non: mourir!

Sentir sur ma lèvre appauvrie
Ton dernier baiser se gercer,
La mort dans tes bras me bercer....
Me déshabiller de la vie!...
(Charenton.—Avril.)

INSOMNIE
Insomnie, impalpable Bête!
N'as-tu d'amour que dans la tête:
Pour venir te pâmer à voir,
Sous ton mauvais oeil, l'homme mordre
Ses draps, et dans l'ennui se tordre!...
Sous ton oeil de diamant noir.
Dis: pourquoi, durant la nuit blanche,
Pluvieuse comme un dimanche,
Venir nous lécher comme un chien:
Espérance ou Regret qui veille,
A notre palpitante oreille
Parler bas ... et ne dire rien?
Pourquoi, sur notre gorge aride,
Toujours pencher ta coupe vide
Et nous laisser le cou tendu,
Tantales, soiffeurs de chimère:
—Philtre amoureux ou lie amère
Fraîche rosée ou plomb fondu!—
Insomnie, es-tu donc pas belle?...
Eh pourquoi, lubrique pucelle,
Nous étreindre entre tes genoux?
Pourquoi râler sur notre bouche,
Pourquoi défaire notre couche,
Et ... ne pas coucher avec nous
Pourquoi, Belle-de-nuit impure,
Ce masque noir sur ta figure?...
—Pour intriguer les songes d'or?...
N'es-tu pas l'amour dans l'espace,
Souffle de Messaline lasse,
Mais pas rassasiée encor!
Insomnie, est-tu l'Hystérie....
Es-tu l'orgue de barbarie
Qui moud l'Hosannah des Élus?...
—Ou n'es-tu pas l'éternel plectre,
Sur les nerfs des damnés-de-lettre,
Raclant leurs vers—qu'eux seuls ont lus.
Insomnie, es-tu l'âne en peine
De Buridan—ou le phalène
De l'enfer?—Ton baiser de feu
Laisse un goût froidi de fer rouge....
Oh! viens te poser dans mon bouge!...
Nous dormirons ensemble un peu.

LA PIPE AU POÈTE
Je suis la Pipe d'un poète,
Sa nourrice, et: j'endors sa Bête.
Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je fume.... Et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.
... Je lui fais un ciel, des nuages,
La mer, le désert, des mirages;
—Il laisse errer là son oeil mort....
Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
—Et je sens mon tuyau qu'il mord.
—Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie!
... Et je me sens m'éteindre.—Il dort—

—Dors encor: la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu'au bout....
Mon Pauvre!... la fumée est tout.
—S'il est vrai que tout est fumée....
(Paris—Janvier)

LE CRAPAUD
Un chant dans une nuit sans air....
—La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
... Un chant; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif....
—Ça se tait: Viens, c'est là, dans l'ombre....
—Un crapaud!—Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle!
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue....—Horreur!—
... Il chante.—Horreur!!—Horreur pourquoi
Vois-tu pas son oeil de lumière....
Non: il s'en va, froid, sous sa pierre.
........................................................
Bonsoir—ce crapaud-là c'est moi.
(Ce soir, 20 Juillet.)

FEMME
la Bête fer
Lui—cet être faussé, mal aimé, mal souffert,
Mal haï—mauvais livre ... et pire: il m'intéresse.—
S'il est vide après tout.... Oh mon dieu, je le laisse,
Comme un roman pauvre—entr'ouvert.
Cet homme est laid....—Et moi, ne suis-je donc pas belle,
Et belle encore pour nous deux!—
En suis-je donc enfin aux rêves de pucelle?...
—Je suis reine: Qu'il soit lépreux!
Où vais-je—femme!—Après ... suis-je donc cas légère
Pour me relever d'un faux pas!
Est-ce donc Lui que j'aime?—Eh non! c'est son mystère....
Celui que peut-être Il n'a pas.
Plus Il m'évite, et plus et plus Il me poursuit....
Nous verrons ce dédain suprême.
Il est rare à croquer, celui-là qui me fuit!...
Il me fuit—Eh bien non!... Pas même.
... Aurais-je ri pourtant! si, comme un galant homme,
Il avait allumé ses feux....
Comme Ève—femme aussi—qui n'aimait pas la Pomme,
Je ne l'aime pas—et j'en veux!—
C'est innocent.—Et Lui: ... Si l'arme était chargée....
—Et moi, j'aime les vilains jeux!
Et ... l'on sait amuser, avec une dragée
Haute, un animal ombrageux.
De quel droit ce regard, ce mauvais oeil qui touche:
Monsieur poserait le fatal?
Je suis myope, il est vrai,... Peut-être qu'il est louche;
Je l'ai vu si peu—mais si mal.—
... Et si je le laissais se draper en quenouille,
Seul dans sa honteuse fierté!...
—Non. Je sens me ronger, comme ronge la rouille,
Mon orgueil malade, irrité.
Allons donc! c'est écrit—n'est-ce pas—dans ma tête,
En pattes-de-mouche d'enfer;
Écrit, sur cette page où—là—ma main s'arrête.
—Main de femme et plume de fer.—
Oui!—Baiser de Judas—Lui cracher à la bouche
Cet amour!—Il l'a mérité—
Lui dont la triste image est debout sur ma couche,
Implacable de volupté.
Oh oui: coller ma langue à l'inerte sourire
Qu'il porte là comme un faux pli!
Songe creux et malsain, repoussant ... qui m'attire!
.................................................
Une nuit blanche ... un jour sali....

DUEL AUX CAMÉLIAS
J'ai vu le soleil dur contre les touffes
Ferrailler.—J'ai vu deux fers soleiller,
Deux fers qui faisaient des parades bouffes;
Des merles en noir regardaient briller.
Un monsieur en linge arrangeait sa manche;
Blanc, il me semblait un gros camélia;
Une autre fleur rose était sur la branche,
Rose comme.... Et puis un fleuret plia.
—Je vois rouge.... Ah oui! c'est juste: on s'égorge—
... Un camélia blanc—là—comme Sa gorge ...
Un camélia jaune,—ici—tout mâché....
Amour mort, tombé de ma boutonnière.
—A moi, plaie ouverte et fleur printannière!
Camélia vivant, de sang panaché!
(Veneris Dies 13***)

FLEUR D'ART
Oui—Quel art jaloux dans Ta fine histoire!
Quels bibelots chers!—Un bout de sonnet,
Un coeur gravé dans ta manière noire,
Des traits de canif à coups de stylet.—
Tout fier mon coeur porte à la boutonnière
Que tu lui taillas, un petit bouquet
D'immortelle rouge—Encor ta manière—
C'est du sang en fleur. Souvenir coquet.
Allons, pas de pleurs à notre mémoire!
—C'est la mâle-mort de l'amour ici—
Foin du myosotis, vieux sachet d'armoire!
Double femme, va!... Qu'un âne te braie!
Si tu n'étais fausse, eh serais-tu vraie?...
L'amour est un duel:—Bien touché! Merci.

PAUVRE GARÇON
La Bête féroce.
Lui qui sifflait si haut, son petit air de tête,
Etait plat près de moi; je voyais qu'il cherchait ...
Et ne trouvait pas, et ... j'aimais le sentir bête,
Ce héros qui n'a pas su trouver qu'il m'aimait.
J'ai fait des ricochets sur son coeur en tempête.
Il regardait cela.... Vraiment, cela l'usait?...
Quel instrument rétif à jouer, qu'un poète!...
J'en ai joué. Vraiment—moi—cela m'amusait.
Est-il mort?...—Ah—c'était, du reste, un garçon drôle.
Aurait-il donc trop pris au sérieux son rôle,
Sans me le dire ... au moins.—Car il est mort, de quoi?...
Se serait-il laissé fluer de poésie....
Serait-il mort de chic, de boire, ou de phthisie,
Ou, peut-être, après tout: de rien ...
ou bien de Moi.

DÉCLIN
Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève!
Apre à la vie O Gué!... et si doux en son rêve.
Comme il portait sa tête ou la couchait gaîment!
Hume-vent à l'amour!... qu'il passait tristement.
Oh comme il était Rien!...—Aujourd'hui, sans rancune
Il a vu lui sourire, au retour, la Fortune;
Lui ne sourira plus que d'autrefois; il sait
Combien tout cela coûte et comment ça se fait.
Son Coeur a pris du ventre et dit bonjour en prose.
Il est coté fort cher ... ce Dieu c'est quelque chose;
Il ne va plus les mains dans les poches tout nu....
Dans sa gloire qu'il porte en paletot funèbre,
Vous le reconnaîtrez fini, banal, célèbre....
Vous le reconnaîtrez, alors, cet inconnu.

BONSOIR
Et vous viendrez alors, imbécile caillette,
Taper dans ce miroir clignant qui se paillette
D'un éclis d'or, accroc de l'astre jaune, éteint
Vous verrez un bijou dans cet éclat de tain
Vous viendrez à cet homme, à son reflet mièvre
Sans chaleur.... Mais, au jour qu'il dardait la fièvre,
Vous n'avez rien senti, vous qui—midi passé—
Tombez dans ce rayon tombant qu'il a laissé.
Lui ne vous connaît plus, Vous, l'Ombre déjà vue,
Vous qu'il avait couchée en son ciel toute nue,
Quand il était un Dieu!... Tout cela—n'en faut plus.—
Croyez—Mais lui n'a plus ce mirage qui leurre,
Pleurez—Mais il n'a plus cette corde qui pleure.
Ses chants ...—C'était d'un autre; il ne les a pas plus.

LE POÈTE CONTUMACE
Sur la côte d'ARMOR,—Un ancien vieux couvent,
Les vents se croyaient là dans un moulin-à-vent,
Et les ânes de la contrée,
Au lierre râpé, venaient râper leurs dents
Contre un mur si troué que, pour entrer dedans,
On n'aurait pu trouver l'entrée.
—Seul—mais toujours debout avec un rare aplomb,
Crénelé comme la mâchoire d'une vieille,
Son toit à coups-de-poing sur le coin de l'oreille,
Aux corneilles bayant, se tenait le donjon,
Fier toujours d'avoir eu, dans le temps, sa légende....
Ce n'était plus qu'un nid à gens de contrebande,
Vagabonds de nuit, amoureux buissonniers,
Chiens errants, vieux rats, fraudeurs et douaniers.
—Aujourd'hui l'hôte était de la borgne tourelle,
Un Poète sauvage, avec un plomb dans l'aile,
Et tombé là parmi les antiques hiboux
Qui l'estimaient d'en haut.—Il respectait leurs trous,—
Lui, seul hibou payant, comme son bail le porte:
Pour vingt-cinq écus l'an, dont: remettre une porte.—
Pour les gens du pays, il ne les voyait pas:
Seulement, en passant, eux regardaient d'en bas,
Se montrant du nez sa fenêtre;
Le curé se doutait que c'était un lépreux;
Et le maire disait:—Moi, qu'est-ce que j'y peux,
C'est plutôt un Anglais ... un Etre.
Les femmes avaient su—sans doute par les buses,
Qu'il vivait en concubinage avec des Muses!...
Un hérétique enfin.... Quelque Parisien
De Paris ou d'ailleurs.—Hélas! on n'en sait rien.—
Il était invisible; et, comme ses Donzelles
Ne s'affichaient pas trop, on ne parla plus d'elles.
—Lui, c'était simplement un long flâneur, sec, pâle;
Un ermite-amateur, chassé par la rafale....
Il avait trop aimé les beaux pays malsains
Condamné des huissiers, comme des médecins,
Il avait posé là, seul et cherchant sa place
Pour mourir seul ou pour vivre par contumace....
Faisant, d'un à-peu-près d'artiste,
Un philosophe d'à peu près,
Râleur de soleil ou de frais,
En dehors de l'humaine piste.
Il lui restait encore un hamac, une vielle,
Un barbet qui dormait sous le nom de Fidèle;
Non moins fidèle était, triste et doux comme lui,
Un autre compagnon qui s'appelait l'Ennui.
Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve.
Son rêve était le flot qui montait sur la grève,
Le flot qui descendait;
Quelquefois, vaguement, il se prenait attendre....
Attendre quoi ... le flot monter—le flot descendre—
Ou l'Absente.... Qui sait?
Le sait-il bien lui-même?... Au vent de sa guérite,
A-t-il donc oublié comme les morts vont vite,
Lui, ce viveur vécu, revenant égaré,
Cherche-t-il son follet, à lui, mal enterré?
—Certe, Elle n'est pas loin, celle après qui tu brames,
O Cerf de Saint-Hubert! Mais ton front est sans flammes....
N'apparais pas, mon vieux, triste et faux déterré....
Fais le mort si tu peux.... Car Elle t'a pleuré!
—Est-ce qu'il pouvait, Lui!... n'était-il pas poète....
Immortel comme un autre?... Et dans sa pauvre tête
Déménagée, encor il sentait que les vers
Hexamètres faisaient les cent pas de travers.
—Manque de savoir-vivre extrême—il survivait—
Et—manque de savoir-mourir—il écrivait:
«C'est un être passé de cent lunes, ma Chère,
En ton coeur poétique, à l'état légendaire.
Je rime, donc je vis ... ne crains pas, c'est à blanc.
—Une coquille d'huître en rupture de banc!—
Oui, j'ai beau me palper: c'est moi!—Dernière faute—
En route pour les cieux—car ma niche est si haute!—
Je me suis demandé, prêt à prendre l'essor:
Tête ou pile ...—Et voilà—je me demande encor....»
«C'est à toi que je fis mes adieux à la vie,
A toi qui me pleuras, jusqu'à me faire envie
De rester me pleurer avec toi. Maintenant
C'est joué, je ne suis qu'un gâteux revenant,
En os et ... (j'allais dire en chair).—La chose est sûre
C'est bien moi, je suis là—mais comme une rature.»
«Nous étions amateurs de curiosité:
Viens voir le Bibelot.—Moi j'en suis dégoûté.—
Dans mes dégoûts surtout, j'ai des goûts élégants;
Tu sais: j'avais lâché la Vie avec des gants;
L'Autre n'est pas même à prendre avec des pincettes ...
Je cherche au mannequin de nouvelles toilettes.»
«Reviens m'aider: Tes yeux dans ces yeux-là! Ta lèvre
Sur cette lèvre!... Et, là, ne sens-tu pas ma fièvre
—Ma fièvre de Toi?...—Sous l'orbe est-il passé
L'arc-en-ciel au charbon par nos nuits laissé?
Et cette étoile?...—Oh! va, ne cherche plus l'étoile
Que tu voulais voir à mon front;
Une araignée a fait sa toile,
Au même endroit—dans le plafond.»
«Je suis un étranger.—Cela vaut mieux peut-être....
—Eh bien! non, viens encor un peu me reconnaître;
Comme au bon saint Thomas, je veux te voir la foi,
Je veux te voir toucher la plaie et dire:—Toi!»—
«Viens encor me finir—c'est très gai: De ta chambre,
Tu verras mes moissons—Nous sommes en décembre—
Mes grands bois de sapin, les fleurs d'or des genêts,
Mes bruyères d'Armor ...—en tas sur les chenets.
Viens te gorger d'air pur—Ici j'ai de la brise
Si franche!... que le bout de ma toiture en frise.
Le soleil est si doux ...—qu'il gèle tout le temps.
Le printemps....—Le printemps n'est-ce pas tes vingt ans.
On n'attend plus que toi, vois: déjà l'hirondelle
Se pose ... en fer rouillé, clouée à ma tourelle.—
Et bientôt nous pourrons cueillir le champignon....
Dans mon escalier que dore ... un lumignon.
Dans le mur qui verdoie existe une pervenche
Sèche.—... Et puis nous irons à l'eau faire la planche
—Planches d'épave au sec—comme moi—sur ces plages.
La Mer roucoule sa Berceuse pour naufrages;
Barcarolle du soir ... pour les canards sauvages.»
«En Paul et Virginie, et virginaux—veux-tu—
Nous nous mettrons au vert du paradis perdu....
Ou Robinson avec Vendredi—c'est facile—
La pluie a déjà fait, de mon royaume, une île.»
«Si pourtant, près de moi, tu crains la solitude,
Nous avons des amis, sans fard—Un braconnier;
Sans compter un caban bleu qui, par habitude,
Fait toujours les cent-pas et contient un douanier....
Plus de clercs d'huissier! J'ai le clair de la lune,
Et des amis pierrots amoureux sans fortune.»
—«Et nos nuits!... Belles nuits pour l'orgie à la tour!...
Nuits à la Roméo!—Jamais il ne fait jour.—
La Nature au réveil—réveil de déchaînée—
Secouant son drap blanc ... éteint ma cheminée.
Voici mes rossignols ... rossignols d'ouragans—
Gais comme des poinçons—sanglots de chats-huans!
Ma girouette dérouille en haut sa tyrolienne
Et l'on entend gémir ma porte éolienne,
Comme chez saint Antoine en sa tentation....
Oh viens! joli Suppôt de la séduction!»
—«Hop! les rats du grenier dansent des farandoles!
Les ardoises du toit roulent en castagnoles!
Les Folles-du-logis....
Non, je n'ai plus de Folles!»
... «Comme je revendrais ma dépouille à Satan
S'il me tentait avec un petit Revenant....
—Toi—Je te vois partout, mais comme un voyant blême,
Je t'adore.... Et c'est pauvre: adorer ce qu'on aime!
Apparais, un poignard dans le coeur!—Ce sera,
Tu sais bien, comme dans Inès de La Sierra....
—On frappe ... oh! c'est quelqu'un....
Hélas! oui, c'est un rat.»
—«Je rêvasse ... et toujours c'est Toi. Sur toute chose,
Comme un esprit follet, ton souvenir se pose:
Ma solitude—Toi!—Mes hiboux à l'oeil d'or:
Toi!—Ma girouette folle: Oh Toi!...—Que sais-je encor,
Toi: mes volets ouvrant les bras dans la tempête....
Une lointaine voix: c'est Ta chanson!—c'est fête!...
Les rafales fouaillant Ton nom perdu—c'est bête—
C'est bête, mais c'est Toi! Mon coeur au grand ouvert
Comme mes volets en pantenne,
Bat, tout affolé sous l'haleine
Des plus bizarres courants d'air.»
«Tiens ... une ombre portée, un instant, est venue
Dessiner ton profil sur la muraille nue,
Et j'ai tourné la tête....—Espoir ou souvenir—
Ma Soeur Anne, à la tour, voyez-vous pas venir?»....
—«Rien!—je vois ... je vois, dans ma froide chambrette,
Mon lit capitonné de satin de brouette;
Et mon chien qui dort dessus—Pauvre animal—
... Et je ris ... parce que ça me fait un peu mal.»
«J'ai pris, pour t'appeler, ma vielle et ma lyre.
Mon coeur fait de l'esprit—le sot—pour se leurrer....
Viens pleurer, si mes vers ont pu te faire rire;
Viens rire, s'ils t'ont fait pleurer....»
«Ce sera drôle.... Viens jouer à la misère,
D'après nature:—Un coeur avec une chaumière.—
... Il pleut dans mon foyer, il pleut dans mon coeur feu.
Viens! Ma chandelle est morte et je n'ai plus de feu....»

Sa lampe se mourait. Il ouvrit la fenêtre.
Le soleil se levait. Il regarda sa lettre,
Rit et la déchira.... Les petits morceaux blancs,
Dans la brume, semblaient un vol de goélands.
(Penmarc'h—jour de Noël.)

SÉRÉNADE DES SÉRÉNADES

SONNET DE NUIT
O croisée ensommeillée,
Dure à mes trente-six morts!
Vitre en diamant, éraillée
Par mes atroces accords!
Herse hérissant rouillée
Tes crocs où je pends et mords!
Oubliette verrouillée
Qui me renferme ... dehors!
Pour Toi, Bourreau que j'encense,
L'amour n'est donc que vengeance?...
Ton balcon: gril à braiser?...
Ton col: collier de garotte?...
Eh bien! ouvre, Iscariote,
Ton judas pour un baiser!

GUITARE
Je sais rouler une amourette
En cigarette,
Je sais rouler l'or et les plats!
Et les filles dans de beaux draps!
Ne crains pas de longueurs fidèles:
Pour mûles mes pieds ont des ailes;
Voleur de nuit, hibou d'amour,
M'envole au jour.
Connais-tu Psyché?—Non?—Mercure?...
Cendrillon et son aventure?
—Non?—... Eh bien! tout cela, c'est moi:
Nul ne me voit.
Et je te laisserais bien fraîche
Comme un petit Jésus en crèche,
Avant le rayon indiscret....
—Je suis si laid!—
Je sais flamber en cigarette,
Une amourette!
Chiffonner et flamber les draps,
Mettre les filles dans les plats!

RESCOUSSE
Si ma guitare
Que je répare,
Trois fois barbare:
Kriss Indien.
Cric de supplice,
Bois de justice,
Boîte à malice,
Ne fait pas bien....
Si ma voix pire
Ne peut te dire
Mon doux martyre....
—Métier de chien!
Si mon cigare,
Viatique et phare,
Point ne t'égare;
—Feu de brûler....
Si ma menace,
Trombe qui passe,
Manque de grâce;
—Muet de hurler....
Si de mon âme
La mer en flamme
N'a pas de lame;
—Cuit de geler....
Vais m'en aller!

TOIT
Tiens non! J'attendrai tranquille,
Planté sous le toit,
Qu'il me tombe quelque tuile,
Souvenir de Toi!
J'ai tondu l'herbe, je lèche
La pierre,—altéré
Comme la Colique-sèche
De Miserere!
Je crèverai—Dieu me damne!—
Ton tympan ou la peau d'âne
De mon bon tambour!
Dans ton boîtier, ô Fenêtre!
Calme et pure, gît peut-être....
...........................
Un vieux monsieur sourd!

LITANIE
Non ... Mon coeur te sent là, Petite,
Qui dors pour me laisser plus vite
Passer ma nuit, si longue encor,
Sur le pavé comme un rat mort....
—Dors. La berceuse litanie
Sérénade jamais finie
Sur Ta lèvre reste poser
Comme une haleine de baiser:
—«Nénuphar du ciel! Blanche Etoile!
Tour ivoirine! Nef sans voile!
Vesper, amoris Aurora
Ah!je sais les répons mystiques,
Pour le cantique des cantiques
Qu'on chante ... au Diable, Senora!

CHAPELLET
A moi, grand chapelet! pour égrener mes plaintes,
Avec tous les AVE de Sa Perfeccion,
Son nom et tous les noms de ses Fêtes et Saintes ...
Du Mardi-gras jusqu'à la Circoncicion:
Navaja-Dolorès-y-Crucificcion!....
—Le Christ avait au moins son éponge d'absinthe....—
Quand donc arriverai-je à ton Ascencion!...
—Isaac Laquedem, prête-moi ta complainte.
O Todas-las-Santas! Tes vitres sont pareilles,
Secundum ordinem, à ces fonds de bouteilles
Qu'on casse à coups de trique à la Quasimodo....
Mais, ô Quasimodo, tu ne viens pas encore;
Pour casse-tête, hélas! je n'ai que ma mandore....
Se habla espanol: Paraque ... raquando?...

ELIZIR D'AMOR
Tu ne me veux pas en rêve,
Tu m'auras en cauchemar!
T'écorchant au vif, sans trêve,
—Pour moi ... pour l'amour de l'art.
—Ouvre: je passerai vite,
Les nuits sont courtes, l'été....
Mais ma musique est maudite,
Maudite en l'éternité!
J'assourdirai les recluses,
Éreintant à coups de pieux,
Les Neuf et les autres Muses....
Et qui n'en iront que mieux!...
Répéterai tous mes rôles
Borgnes—et d'aveugle aussi....
D'ordinaire tous ces drôles
Ont assez bon oeil ici:
—A genoux, haut Cavalier,
A pied, traînant ma rapière,
Je baise dans la poussière
Les traces de Ton soulier!
—Je viens, Pèlerin austère,
Capucin et Troubadour,
Dire mon bout de rosaire
Sur la viole d'amour.
—Bachelier de Salamanque,
Le plus simple et le dernier....
Ce fonds jamais ne me manque:
—Tout voeux! et pas un denier!—
—Retapeur de casserolles,
Sale Gitan vagabond,
Je claque des castagnoles
Et chatouille le jambon....
—Pas-de-loup, loup sur la face,
Moi chien-loup maraudeur,
J'erre en offrant de ma race:
—Pur-Don-Juan-du-Commandeur.—
Maîtresse peut me connaître,
Chien parmi les chiens perdus:
Abeilard n'est pas mon maître,
Alcibiade non plus!

VÉNERIE
O Vénus, dans ta Vénerie,
Limier et piqueur à la fois,
Valet-de-chiens et d'écurie,
J'ai vu l'Hallali, les Abois!...
Que Diane aussi me sourie!...
A cors, à cris, à pleine voix
Je fais le pied, je fais le bois;
Car on dit que: bête varie....
—Un pied de biche: Le voici,
Cordon de sonnette sur rue;
—Bois de cerf: de la porte aussi;
—Et puis un pied: un pied-de-grue!...
O Fauve après qui j'aboyais,
—Je suis fourbu, qu'on me relaie!—
O Bête! es-tu donc une laie:
...............................................
Bien moins sauvage te croyais!

VENDETTA
Tu ne veux pas de mon âme
Que je jette à tour de bras:
Chère, tu me le payeras!...
Sans rancune—je suis femme!—
Tu ne veux pas de ma peau:
Venimeux comme un jésuite.
Prends garde!... je suis ensuite
Jésuite comme un crapaud,
Et plat comme la punaise,
Compagne que j'ai sur moi,
Pure ... mais,—ne te déplaise,—
Je te préférerais, Toi!
—Je suis encor, Ma très-Chère,
Serpent comme le Serpent
Froid, coulant, poisson rampant
Qui fit pécher ta grand'mère....
Et tu ne vaux pas, Pécore,
Beaucoup plus qu'elle, je croi....
Vaux-tu ma chanson encore?...
Me vaux-tu seulement moi!...

HEURES
Aumône au malandrin en chasse
Mauvais oeil à l'oeil assassin!
Fer contre fer au spadassin!
—Mon âme n'est pas en état de grâce!—
Je suis le fou de Pampelune,
J'ai peur du rire de la Lune,
Cafarde, avec son crêpe noir....
Horreur! tout est donc sous un éteignoir.
J'entends comme un bruit de crécelle....
C'est la male heure qui m'appelle.
Dans le creux des nuits tombe: un glas ... deux glas
J'ai compté plus de quatorze heures....
L'heure est une larme—Tu pleures,
Mon coeur!... Chante encor, va—Ne compte pas.

CHANSON EN SI
Si j'étais noble Faucon,
Tournoierais sur ton balcon....
—Taureau: foncerais ta porte....
—Vampire: te boirais morte....
Te boirais!
—Geôlier: lèverais l'écrou....
—Rat: ferais un petit trou....
Si j'étais brise alizée,
Te mouillerais de rosée....
Roserais!
Si j'étais gros Confesseur,
Te fouaillerais, ô Ma Soeur!
Pour seconde pénitence,
Te dirais ce que je pense....
Te dirais....
Si j'étais un maigre Apôtre,
Dirais: «Donnez-vous l'un l'autre,
Pour votre faim apaiser:
Le pain-d'amour: Un baiser.»
Si j'étais!...
Si j'étais Frère-quêteur,
Quêterais ton petit coeur
Pour Dieu le Fils et le Père,
L'Église leur Sainte Mère....
Quêterais!
Si j'étais Madone riche,
Jetterais bien, de ma niche,
Un regard, un sou béni
Pour le cantique fini....
Jetterais!
Si j'étais un vieux bedeau,
Mettrais un cierge au rideau....
D'un goupillon d'eau bénite,
L'éteindrais, la vespre dite,
L'éteindrais!
Si j'étais roide pendu,
Au ciel serais tout rendu:
Grimperais après ma corde,
Ancre de miséricorde,
Grimperais!
Si j'étais femme.... Eh, la Belle,
Te ferais ma Colombelle....
A la porte les galants
Pourraient se percer des flancs....
Te ferais....
Enfant, si j'étais la duègne
Rossinante qui te peigne,
SENORA, si j'étais Toi....
J'ouvrirais au pauvre Moi.
—Ouvrirais!—

PORTES ET FENÊTRES
N'entends-tu pas?—Sang et guitare!—
Réponds!... je damnerai plus fort.
Nulle ne m'a laissé, Barbare,
Aussi longtemps me crier mort!
Ni faire autant de purgatoire!...
Tu ne vois ni n'entends mes pas,
Ton oeil est clos, la nuit est noire:
Fais signe—Je ne verrai pas.
En enfer j'ai pavé ta rue.
Tous les damnés sont en émoi....
Trop incomparable Inconnue!
Si tu n'es pas là ... préviens-moi!
A damner je n'ai plus d'alcades,
Je n'ai fait que me damner moi,
En serinant mes sérénades....
—Il ne reste à damner que Toi!

GRAND OPÉRA
  Ier ACTE (Vêpres).
Dors sous le tabernacle, ô Figure de cire!
Triple Châsse vierge et martyre,
Derrière un verre, tout le plomb,
Et dans les siècles des siècles.... Comme c'est long!
Portes-tu ton coeur d'or sur ta robe lamée,
Ton âme veille-t-elle en la lampe allumée?...
Elle est éteinte
Cette huile sainte....
Il est éteint
Le sacristain!...
L'orgue sacré, ses flots et ses bruits de rafale
Sous les voûtes, font-ils frissonner ton front pâle?...
Dans ton éternité sais-tu la barbarie
De mon orgue infernal, orgue de Barbarie?
Du prêtre, sous l'autel, n'ouïs-tu pas les pas
Et le mot qu'à l'Hostie il murmure tout bas?...
—Et bien! moi j'attendrai que sur ton oreiller,
La trompette de Dieu vienne te réveiller!
.......................................................................
Chasse, ne sais-tu pas qu'en passant ta chapelle,
De par le Pape, tout fidèle,
Évêque, publicain ou lépreux, a le droit
De t'entr'ouvrir sa plaie et d'en toucher ton doigt?...
A Saint-Jacques de Compostelle
J'en ai bien fait autant pour un bout de chandelle.
A ce prix-là je dois baiser la blanche hostie
Qui scelle, sur ta bouche en or, ta chasteté
Close en odeur de sainteté
............................................
Cordieu! Madame est donc sortie?...
  IIe ACTE (Sabbat).
Je suis un bon ange, ô bel Ange!
Pour te couvrir, doux gardien....
La terre maudite me tient.
Ma plume a trempé dans la fange....
Ha! je ne bats plus que d'une aile!...
Prions ... l'esprit du Diable est prompt....
—Ah! si j'étais lui, de quel bond
Je serais sur toi, la Donzelle!
... Ma blanche couronne à ma tête
Déjà s'effeuille; la tempête
Dans mes mains a brisé mon lys....
—Par Belzébuth! contre la borne
Je viens de me rompre la corne!
................................................
Comme les trucs sont démolis!
  IIIe ACTE (Sereno).
Hola!... je vois poindre un fanal oblique
—Flamberge au vent, joli Muguet!
Sangre Dios! rossons le guet!...
Un bonhomme mélancolique
Chante:—Bonsoir Senor, Senor Caballero,
Sereno....—Sereno toi-même!
—Minuit: second jour de carême,
Prêtez-moi donc un cigaro....
Gracia! la Vierge vous garde!
—La Vierge?... grand merci, vieux! Je sens la moutarde!...
—Par Saint-Joseph! Senor, que faites-vous ici?—
—Mais ... pas grand'chose et toi, merci.
—C'est pour votre plaisir?...—Je damne les alcades
De Tolose au Guadalété!
—Il est un violon, là-bas sous les arcades....
—Ça: n'as-tu jamais arrêté
Musset ... musset pour sérénade?
Santos!... non, sur la promenade,
Je n'ai jamais vu de mussets....
—Son page était en embuscade....
Ah Carambah! Monsieur est un senor Français
Qui vient nous la faire à l'aubade?...

PIECE A CARREAUX
Ah! si Vous avez à Tolède,
Un vitrier
Qui vous forge un vitrail plus raide
Qu'un bouclier!...
A Tolède j'irai ma flamme
Souffler, ce soir;
A Tolède tremper la lame
De mon rasoir!
Si cela ne vous amadoue:
Vais aiguiser,
Contre tous les cuirs de Cordoue,
Mon dur baiser:
—Donc—A qui rompra: votre oreille,
Ou bien mes vers!
Ma corde-à-boyaux sans pareille,
Ou bien vos nerfs?
—A qui fendra: ma castagnette,
Ou bien vos dents....
L'Idole en grès, ou le Squelette
Aux yeux dardants!
—A qui fondra: vous ou mes cierges,
O plombs croisés!...
En serez-vous beaucoup plus vierges,
Carreaux cassés?
Et Vous qui faites la cornue,
Ange là-bas!...
En serez-vous un peu moins nue,
Les habits bas?
—Ouvre! fenêtre à guillotine:
C'est le bourreau!
—Ouvre donc porte de cuisine!
C'est Figaro.
... Je soupire, en vache espagnole,
Ton numéro
Qui n'est, en français, Vierge molle!
Qu'un grand ZÉRO.
Cadix—Mai.

RACCROCS

LAISSER-COURRE
Musique de: ISAAC LAQUEDEM.
J'ai laissé la potence
Après tous les pendus,
Andouilles de naissance,
Maigres fruits défendus;
Les plumes aux canards
Et la queue aux renards....
Au Diable aussi sa queue
Et ses cornes aussi,
Au ciel sa chose bleue
Et la Planète—ici—
Et puis tout: n'importe où
Dans le désert au clou.
J'ai laissé dans l'Espagne
Le reste et mon château;
Ailleurs, à la campagne,
Ma tête et son chapeau;
J'ai laissé mes souliers
Sirènes, à vos pieds!
J'ai laissé par les mondes,
Parmi tous les frisons
Des chauves, brunes, blondes
Et rousses ... mes toisons.
Mon épée aux vaincus,
Ma maîtresse aux cocus....
Aux portes les portières,
La portière au portier,
Le bouton aux rosières,
Les roses au rosier,
A l'huys les huissiers,
Créance aux créanciers....
Dans mes veines ma veine,
Mon rayon au soleil,
Ma dégaîne en sa gaîne,
Mon lézard au sommeil;
J'ai laissé mes amours
Dans les tours, dans les fours....
Et ma cotte de maille
Aux artichauts de fer
Qui sont à la muraille
Des Jardins de l'Enfer;
Après chaque oripeau
J'ai laissé de ma peau.
J'ai laissé toute chose
Me retirer du nez
Des vers, en vers, en prose....
Aux bornes, les bornés;
A tous les jeux partout,
Des rois et de l'atout.
J'ai laissé la police
Captive en liberté,
J'ai laissé La Palisse
Dire la vérité....
Laissé courre le sort
Et ce qui court encor.
J'ai laissé l'Espérance,
Vieillissant doucement,
Retomber en enfance,
Vierge folle sans dent.
J'ai laissé tous les Dieux,
J'ai laissé pire et mieux.
J'ai laissé bien tranquilles
Ceux qui ne l'étaient pas,
Aux pattes imbéciles
J'ai laissé tous les plats;
Aux poètes la foi....
Puis me suis laissé moi.
Sous le temps, sans égides
M'a mal mené fort bien
La vie à grandes guides....
Au bout des guides—rien—
... Laissé, blasé, passé,
Rien ne m'a rien laissé....

A MA JUMENT SOURIS
Pas d'éperon ni de cravache,
N'est-ce pas, Maîtresse à poil gris....
C'est bon à pousser une vache,
Pas une petite Souris.
Pas de mors à ta pauvre bouche:
Je t'aime, et ma cuisse te touche.
Pas de selle, pas d'étrier:
J'agace, du bout de ma botte,
Ta patte d'acier fin qui trotte.
Va: je ne suis pas cavalier....
—Hurrah! c'est à nous la poussière!
J'ai la tête dans ta crinière,
Mes deux bras te font un collier.
—Hurrah! c'est à nous le hallier!
—Hurrah! c'est à nous la barrière!
—Je suis emballé: tu me tiens—
Hurrah!... et le fossé derrière....
Et la culbute!...—Femme tiens!!

A LA DOUCE AMIE
Ça: badinons—J'ai ma cravache—
Prends ce mors, bijou d'acier gris;
—Tiens: ta dent joueuse le mâche....
En serrant un peu: tu souris....
—Han!... C'est pour te faire la bouche....
—V'lan!... C'est pour chasser une mouche....
Veux-tu sentir te chatouiller
L'éperon, honneur de ma botte?...
—Et la Folle-du-logis trotte....—
Jouons à l'Amour-cavalier!
Porte-beau ta tête altière,
Laisse mes doigts dans ta crinière....
J'aime voir ton beau col ployer!...
Demain: je te donne un collier.
—Pourquoi regarder en arrière?...
Ce n'est rien: c'est une étrivière....
Une étrivière ... et—je te tiens!
..............................................
Et tu m'as aimé ...—rosse, tiens!

A MON CHIEN POPE
—GENTLEMAN-DOG FROM NEW-LAND—
mort d'une balle.
Toi: ne pas suivre en domestique,
Ni lécher en fille publique!
—Maître-philosophe cynique:
N'être pas traité comme un chien,
Chien! tu le veux—et tu fais bien.
—Toi: rester toi; ne pas connaître
Ton écuelle ni ton maître.
Ne jamais marcher sur les mains,
Chien!—c'est bon pour les humains.
... Pour l'amour—qu'à cela ne tienne
Viole des chiens—Gare la Chienne!
Mords—Chien—et nul ne te mordra.
Emporte le morceau—Hurrah!—
Mais après, ne fais pas la bête;
S'il faut payer—paye—Et fais tête
Aux fouets qu'on te montrera.
—Pur ton sang! pur ton chic sauvage!
—Hurler, nager—
Et, si l'on te fait enrager....
Enrage!
Ile de Batz—Octobre

A JUVÉNAL DE LAIT
Incipe, parve puer, risu cagnoscere....
A grands coups d'avirons de douze pieds, tu rames
En vers ... et contre tout—Hommes, auvergnats, femmes.—
Tu n'as pas vu l'endroit et tu cherches l'envers.
Jeune renard en chasse.... Ils sont trop verts—tes vers.
C'est le vers solitaire.—On le purge.—Ces Dames
Sont le remède. Après tu feras de tes nerfs
Des cordes-à-boyau; quand, guitares sans âmes,
Les vers te reviendront déchantés et soufferts.
Hystérique à rebours, ta Muse est trop superbe,
Petit cochon de lait, qui n'as goûté qu'en herbe,
L'acre saveur du fruit encore défendu.
Plus tard, tu colleras sur papier tes pensées,
Fleurs d'herboriste, mais, autrefois ramassées....
Quand il faisait beau temps au paradis perdu.

A UNE DEMOISELLE
Pour Piano et Chant
La dent de ton Erard, râtelier osanore,
Et scie et broie à crû, sous son tic-tac nerveux,
La gamme de tes dents, autre clavier sonore....
Touches qui ne vont pas aux cordes des cheveux!
—Cauchemar de meunier, ta: Rêverie agile!
—Grattage, ton: Premier amour à quatre mains!
O femme transposée en Morceau difficile,
Tes croches sans douleur n'ont pas d'accents humains!
Déchiffre au clavecin cet accord de ma lyre;
Télégraphe à musique, il pourra le traduire:
Cri d'os, dur, sec, qui plaque et casse—Plangorer....
Jamais!—La clef-de-Sol n'est pas la clef de l'âme,
La clef-de-Fa n'est pas la syllabe de Femme,
Et deux demi-soupirs ... ce n'est pas soupirer.

DÉCOURAGEUX
Ce fut un vrai poète: Il n'avait pas de chant.
Mort, il aimait le jour et dédaigna de geindre.
Peintre: il aimait son art—Il oublia de peindre....
Il voyait trop—Et voir est un aveuglement.
—Songe-creux: bien profond il resta dans son rêve;
Sans lui donner la forme en baudruche qui crève,
Sans ouvrir le bonhomme, et se chercher dedans.
—Par héros de roman: il adorait la brune,
Sans voir s'elle était blonde.... Il adorait la lune;
Mais il n'aima jamais—Il n'avait pas le temps.
—Chercheur infatigable: Ici-bas où l'on rame,
Il regardait ramer, du haut de sa grande âme.
Fatigué de pitié pour ceux qui ramaient bien....
Mineur de la pensée: il touchait son front blême,
Pour gratter un bouton ou gratter le problème
Qui travaillait là—Faire rien.—
—Il parlait: «Oui, la Muse est stérile! elle est fille
D'amour, d'oisiveté, de prostitution;
Ne la déformez pas en ventre de famille
Que couvre un étalon pour la production!»
«O vous tous qui gâchez, maçons de la pensée!
Vous tous que son caprice a touchés en amants,
—Vanité, vanité—La folle nuit passée,
Vous l'affichez en charge aux yeux ronds des manants!»
«Elle vous effleurait, vous, comme chats qu'on noie,
Vous avez accroché son aile ou son réseau,
Fiers d'avoir dans vos mains un bout de plume d'oie,
Ou des poils à gratter, en façon de pinceau!»
—Il disait: «O naïf Océan! O fleurettes,
Ne sommes-nous pas là, sans peintres, ni poètes!...
Quel vitrier a peint! quel aveugle a chanté!...
Et quel vitrier chante en raclant sa palette,
Ou quel aveugle a peint avec sa clarinette!
—Est-ce l'art?...»
—Lui resta dans le Sublime Bête
Noyer son orgueil vide et sa virginité.
(Méditerranée).

RAPSODIE DU SOURD
A Madame D——
L'homme de l'art lui dit:—Fort bien, restons-en là.
Le traitement est fait: vous êtes sourd. Voilà
Comme quoi vous avez l'organe bien perdu.—
Et lui comprit trop bien, n'ayant pas entendu.
—Eh bien, merci Monsieur, vous qui daignez me rendre
La tête comme un bon cercueil.
Désormais, à crédit, je pourrai tout entendre
Avec un légitime orgueil....
A l'oeil—Mais gare à l'oeil jaloux, gardant la place
De l'oreille au clou!...—Non—A quoi sert de braver:
... Si j'ai sifflé trop haut le ridicule en face,
En face, et bassement, il pourra me baver!...
Moi, mannequin muet, à fil banal!—Demain,
Dans la rue, un ami peut me prendre la main,
En me disant: vieux pot ..., ou rien, en radouci;
Et je lui répondrai—Pas mal et vous, merci!—
Si l'un me corne un mot, j'enrage de l'entendre;
Si quelqu'autre se tait: serait-ce par pitié?...
Toujours, comme un rébus, je travaille à surprendre
Un mot de travers....—Non—On m'a donc oublié!
—Ou bien—autre guitare—un officieux être
Dont la lippe me fait le mouvement de paître,
Croit me parler.... Et moi je tire, en me rongeant.
Un sourire idiot—d'un air intelligent!
—Bonnet de laine grise enfoncé sur mon âme!
Et—coup de pied de l'âne.... Hue!—Une bonne-femme
Vieille Limonadière, aussi, de la Passion!
Peut venir saliver sa sainte compassion
Dans ma trompe-d'Eustache, à pleins cris, à plein cor,
Sans que je puisse au moins lui marcher sur un cor!
—Bête comme une vierge et fier comme un lépreux,
Je suis là, mais absent.... On dit: Est-ce un gâteux,
Poète muselé, hérisson à rebour?...—
Un haussement d'épaule, et ça veut dire: un sourd.
—Hystérique tourment d'un Tantale acoustique!
Je vois voler des mots que je ne puis happer;
Gobe-mouche impuissant, mangé par un moustique,
Tête-de-turc gratis où chacun peut taper.
O musique céleste: entendre, sur du plâtre,
Gratter un coquillage! un rasoir, un couteau
Grinçant dans un bouchon!... un couplet de théâtre!
Un os vivant qu'on scie! un monsieur! un rondeau!...
—Rien—Je parle sous moi.... Des mots qu'à l'air je jette
De chic, et sans savoir si je parle en indou....
Ou peut-être en canard, comme la clarinette
D'un aveugle bouché qui se trompe de trou.
—Va donc, balancier soûl affolé dans ma tête!
Bats en branle ce bon tam-tam, chaudron fêlé
Qui rend la voix de femme ainsi qu'une sonnette,
Qu'un coucou!... quelquefois: un moucheron ailé....
—Va te coucher, mon coeur! et ne bats plus de l'aile.
Dans la lanterne sourde étouffons la chandelle,
Et tout ce qui vibrait là—je ne sais plus où—
Oubliette où l'on vient de tirer le verrou.
—Soyez muette pour moi, contemplative Idole,
Tous les deux, l'un par l'autre, oubliant la parole,
Vous ne me direz mot: je ne répondrai rien....
Et rien ne pourra dédorer l'entretien.
Le silence est d'or (Saint Jean Chrysostome)

FRÈRE ET SOEUR JUMEAUX
Ils étaient tous deux seuls, oubliés là par l'âge....
Ils promenaient toujours tous les deux, à longs pas,
Obliquant de travers, l'air piteux et sauvage....
Et deux pauvres regards qui ne regardaient pas.
Ils allaient devant eux essuyant les risées,
—Leur parapluie aussi, vert, avec un grand bec—
Serrés l'un contre l'autre et roides, sans pensées....
Eh bien, je les aimais—leur parapluie avec!—
Ils avaient tous les deux servi dans les gendarmes:
La Soeur à la popotte, et l'Autre sous les armes;
Ils gardaient l'uniforme encor—veuf de galon:
Elle avait la barbiche, et lui le pantalon.
Un Dimanche de Mai que tout avait une âme,
Depuis le champignon jusqu'au paradis bleu,
Je flânais aux bois, seul—à deux aussi: la femme
Que j'aimais comme l'air ... m'en doutant assez peu.
—Soudain, au coin d'un champ, sous l'ombre verdoyante
Du parapluie éclos, nichés dans un fossé,
Mes Vieux Jumeaux, tous deux, à l'aube souriante,
Souriaient rayonnants ... quand nous avons passé.
Contre un arbre, le vieux jouait de la musette,
Comme un sourd aveugle, et sa soeur dans un sillon,
Grelottant au soleil, écoutait un grillon
Et remerciait Dieu de son beau jour de fête.
—Avez-vous remarqué l'humaine créature
Qui végète loin du vulgaire intelligent,
Et dont l'âme d'instinct, au trait de la figure,
Se lit....—N'avez-vous pas aimé de chien couchant?...
Ils avaient de cela—De retour dans l'enfance,
Tenant chaud l'un à l'autre, ils attendaient le jour
Ensemble pour la mort comme pour la naissance....
—Et je les regardais en pensant à l'amour....
Mais l'Amour que j'avais près de moi voulut rire;
Et moi, pauvre honteux de mon émotion,
J'eus le coeur de crier au vieux duo: Tityre!—
.....................................................................
Et j'ai fait ces vieux vers en expiation.

LITANIE DU SOMMEIL
«J'ai scié le sommeil!»
                                                                               (MACBETH.)
Vous qui ronflez au coin d'une épouse endormie,
RUMINANT! savez-vous ce soupir: L'INSOMNIE?
—Avez-vous vu la Nuit, et le Sommeil ailé,
Papillon de minuit dans la nuit envolé,
Sans un coup d'aile ami, vous laissant sur le seuil,
Seul, dans le pot-au-noir au couvercle sans oeil:
—Avez-vous navigué?... La pensée est la houle
Ressassant le galet: ma tête ... votre boule.
—Vous êtes-vous laissé voyager en ballon?
—Non?—bien, c'est l'insomnie.—Un grand coup de talon
Là!—Vous voyez cligner des chandelles étranges:
Une femme, une Gloire en soleil, des archanges....
Et, la nuit s'éteignant dans le jour à demi,
Vous vous réveillez coi, sans vous être endormi.
Sommeil! écoute-moi: je parlerai bien bas:
Sommeil—Ciel-de-lit de ceux qui n'en ont pas!
Toi qui planes avec l'Albatros des tempêtes,
Et qui t'assieds sur les casques-à-mèche honnêtes!
SOMMEIL!—Oreiller blanc des vierges assez bêtes!
Et Soupape à secret des vierges assez faites!
—Moelleux Matelas de l'échine en arête!
Sac noir où les chassés s'en vont cacher leur tête!
Rôdeur de boulevard extérieur! Proxénète!
Pays où le muet se réveille prophète!
Césure du vers long, et Rime du poète!
SOMMEIL!—Loup-Garou gris! Sommeil Noir de fumée!
SOMMEIL!—Loup de velours, de dentelle embaumée!
Baiser de l'Inconnue, et Baiser de l'Aimée!
—SOMMEIL! Voleur de nuit! Folle-brise pâmée!
Parfum qui monte au ciel des tombes parfumées!
Carrosse à Cendrillon ramassant les Traînées!
Obscène Confesseur des dévotes mort-nées!
Toi qui viens, comme un chien, lécher la vieille plaie
Du martyr que la mort tiraille sur sa claie!
O Sourire forcé de la crise tuée!
SOMMEIL Brise alizée! Aurorale buée!
Trop-plein de l'existence, et Torchon neuf qu'on passe
Au CAFÉ DE LA VIE, à chaque assiette grasse!
Grain d'ennui qui nous pleut de l'ennui des espaces!
Chose qui court encor, sans sillage et sans traces!
Pont-levis des fossés! Passage des impasses!
SOMMEIL!—Caméléon tout pailleté d'étoiles!
Vaisseau-fantôme errant tout seul à pleines voiles!
Femme du rendez-vous, s'enveloppant d'un voile!
SOMMEIL!—Triste Araignée, étends sur moi ta toile!
SOMMEIL auréolé! féerique Apothéose,
Exaltant le grabat du déclassé qui pose!
Patient Auditeur de l'incompris qui cause!
Refuge du pêcheur, de l'innocent qui n'ose!
Domino! Diables-bleus! Ange-gardien rose!
Voix mortelle qui vibre aux immortelles ondes!
Réveil des échos morts et des choses profondes,
—Journal du soir: TEMPS, SIÈCLE et REVUE DES DEUX MONDES!
Fontaine de Jouvence et Borne de l'envie!
—Toi qui viens assouvir la faim inassouvie!
Toi qui viens délier la pauvre âme ravie,
Pour la noyer d'air pur au large de la vie!
Toi qui, le rideau bas, viens lâcher la ficelle
Du Chat, du Commissaire, et de Polichinelle,
Du violoncelliste et de son violoncelle,
Et la lyre de ceux dont la Muse est pucelle!
Grand Dieu, Maître de tout! Maître de ma Maîtresse
Qui me trompe avec toi—l'amoureuse Paresse—
O bain de voluptés! Éventail de caresse!
SOMMEIL! Honnêteté des voleurs! Clair de lune
Des yeux crevés!—SOMMEIL! Roulette de fortune
De tout infortuné! Balayeur de rancune!
O corde-de-pendu de la Planète lourde!
Accord éolien hantant l'oreille sourde!
—Beau Conteur à dormir debout: conte ta bourde?...
SOMMEIL!—Foyer de ceux dont morte est la falourde!
SOMMEIL—Foyer de ceux dont la falourde est morte!
Passe-partout de ceux qui sont mis à la porte!
Face-de-bois pour les créanciers et leur sorte!
Paravent du mari contre la femme-forte!
Surface des profonds! Profondeur des jocrisses!
Nourrice du soldat et Soldat des nourrices!
Paix des juges-de-paix! Police des polices!
SOMMEIL!—Belle-de-nuit entrouvrant son calice!
Larve, Ver-luisant et nocturne Cilice!
Puits de vérité de monsieur la Palisse!
Soupirail d'en haut! Rais de poussière impalpable,
Qui viens rayer du jour la lanterne implacable!

Sommeil—Écoute-moi, je parlerai bien bas:
Crépuscule flottant de l'Être ou n'Être pas!....
Sombre lucidité! Clair-obscur! Souvenir
De l'Inouï! Marée! Horizon! Avenir!
Conte des Mille-et-une-nuits doux à ouïr!
Lampiste d'Aladin qui sais nous éblouir!
Eunuque noir! muet blanc! Derviche! Djinn! Fakir!
Conte de Fée où le Roi se laisse assoupir!
Forêt-vierge où Peau-d'Ane en pleurs va s'accroupir!
Garde-manger où l'Ogre encor va s'assouvir!
Tourelle où ma soeur Anne allait voir rien venir!
Tour où dame Malbrouck voyait page courir....
Femme Barbe-Bleue oyait l'heure mourir!...
Belle au-Bois-Dormant dormait dans un soupir!
Cuirasse du petit! Camisole du fort!
Lampion des éteints! Éteignoir du remord!
Conscience du juste, et du pochard qui dort!
Contre-poids des poids faux de l'épicier de Sort!
Portrait enluminé de la livide Mort!
Grand fleuve où Cupidon va retremper ses dards
SOMMEIL!—Corne de Diane, et corne du cornard!
Couveur de magistrats et Couveur de lézards!
Marmite d'Arlequin!—bout de cuir, lard, homard—
SOMMEIL!—Noce de ceux qui sont dans les beaux-arts.
Boulet des forcenés, Liberté des captifs!
Sabbat du somnambule et Relai des poussifs!—
SOMME! Actif du passif et Passif de l'actif!
Pavillon de la Folle et Folle du poncif!...
—O viens changer de patte au cormoran pensif!
O brun Amant de l'Ombre! Amant honteux du jour!
Bal de nuit où Psyché veut démasquer l'Amour!
Grosse Nudité du chanoine en jupon court!
Panier-à-salade idéal! Banal four!
Omnibus où, dans l'Orbe, on fait pour rien un tour
Sommeil! Drame hagard! Sommeil, molle Langueur!
Bouche d'or du silence et Bâillon du blagueur!
Berceuse des vaincus! Perchoir des coqs vainqueurs!
Alinéa du livre où dorment les longueurs!
Du jeune homme rêveur Singulier Féminin!
De la femme rêvant pluriel masculin!
SOMMEIL!—Râtelier du Pégase fringant!
SOMMEIL!—Petite pluie abattant l'ouragan!
SOMMEIL!—Dédale vague où vient le revenant!
SOMMEIL!—Long corridor où plangore le vent!
Néant du fainéant! Lazzarone infini!
Aurore boréale au sein du jour terni!
Sommeil!—Autant de pris sur notre éternité!
Tour du cadran à blanc! Clou du Mont-de-Piété!
Héritage en Espagne à tout déshérité!
Coup de rapière dans l'eau du fleuve Léthé!
Génie au nimbe d'or des grands hallucinés
Nid des petits hiboux! Aile des déplumés!
Immense Vache à lait dont nous sommes les veaux!
Arche où le hère et le boa changent de peaux!
Arc-en-ciel miroitant! Faux du vrai! Vrai du faux!
Ivresse que la brute appelle le repos!
Sorcière de Bohême à sayon d'oripeaux!
Tityre sous l'ombrage essayant des pipeaux!
Temps qui porte un chibouck à la place de faux!
Parque qui met un peu d'huile à ses ciseaux!
Parque qui met un peu de chanvre à ses fuseaux!
Chat qui joue avec le peloton d'Atropos!
SOMMEIL!—Manne de grâce au coeur disgracié!
....................................................................
LE SOMMEIL S'ÉVEILLANT ME DIT: TU M'AS SCIÉ.
...................................................................................

Toi qui souffles dessus une épouse enrayée,
RUMINANT! dilatant ta pupille éraillée;
Sais-tu?... Ne sais-tu pas ce soupir—LE RÉVEIL!—
Qui baille au ciel, parmi les crins d'or du soleil
Et les crins fous de ta Déesse ardente et blonde?...
—Non?...—Sais tu le réveil du philosophe immonde
—Le Porc—rognonnant sa prière du matin;
Ou le réveil, extrait-d'âge de la catin?...
As-tu jamais sonné le réveil de la meute;
As-tu jamais senti l'éveil sourd de l'émeute,
Ou le réveil de plomb du malade fini?...
As-tu vu s'étirer l'oeil des Lazzaroni?...
Sais-tu?... ne sais-tu pas le chant de l'alouette?
—Non—Gluants sont tes cils, pâteuse est ta luette.
Ruminant! Tu n'as pas L'INSOMNIE, éveillé;
Tu n'as pas LE SOMMEIL, ô Sac ensommeillé!
(Lits divers—Une nuit de jour)

IDYLLE COÛPÉE
Avril.
C'est très parisien dans les rues
Quand l'Aurore fait le trottoir,
De voir sortir toutes les Grues
Du violon, ou de leur boudoir....
Chanson pitoyable et gaillarde;
Chiffons fanés papillotants,
Fausse note rauque et criarde
Et petits traits crûs, turlutants:
Velours râtissant la chaussée;
Grande-duchesse mal chaussée,
Cocotte qui court becqueter
Et qui dit bonjour pour chanter....
J'aime les voir, tout plein légères,
Et, comme en façon de prières,
Entrer dire.... Bonjour, gros chien—
Au merlan, puis au pharmacien.