INTRODUCTION

Robert A. Segal

Il n’existe pas de définition unique de ce qu’est un « mythe ». Les nombreuses utilisations du terme reflètent les disciplines variées qui étudient le sujet. Aussi surprenant que cela paraisse, un mythe ne se présente pas forcément sous la forme d’une histoire. Pour les politologues, cela peut être une croyance, un credo, une idéologie. Même dans le cas du récit, les matières étudiées diffèrent selon le contenu. Pour les folkloristes, les mythes racontent exclusivement la création du monde, toutes les autres histoires n’étant que légendes ou contes populaires. Pour d’autres disciplines, ils peuvent se rapporter également à l’origine d’une nation ou d’un mouvement, ou n’avoir aucun rapport avec une quelconque création. Dans le domaine des études religieuses, les personnages mythiques principaux sont des dieux. Cependant, certains autres champs d’étude acceptent non seulement les héros humains, mais également les animaux qui sont parfois purement et simplement les créateurs du monde.

Trois questions clés

La mythologie est étudiée par de nombreuses disciplines, les plus importantes étant l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, la politologie, la littérature, la philosophie et la théologie, chacune d’elles traitant de multiples théories. L’élaboration d’une théorie sur les mythes revient à répondre à trois questions clés, les réponses étant valables dans tous les cas et pas seulement dans ceux d’une culture particulière.

Les questions sont celles de l’origine, de la fonction et du sujet. La première recherche les raisons et les manières dont les mythes apparaissent, et pas uniquement le lieu et la période de leur naissance. La deuxième s’intéresse au comment et au pourquoi de leur longévité. La réponse au pourquoi de l’origine et de la fonction découle généralement d’un besoin que le mythe vient combler et continue de remplir par sa persistance. Ce besoin varie d’une théorie à l’autre.

Le sujet correspond au domaine de référence. On présume que les récits doivent être étudiés au pied de la lettre. Que Zeus ait existé ou non, les mythes à son sujet sont censés raconter l’histoire d’un dieu réel qui était le plus puissant de la religion principale homérique et qui profitait de son pouvoir pour faire tout ce qu’il voulait. Cependant, les mythes peuvent également se lire comme des symboles, et la référence peut être multiple. Zeus, par exemple, peut représenter l’orage, un roi, un père humain, voire le côté paternel de n’importe quelle personne. Il n’est pas nécessaire de le voir comme un dieu, surtout celui d’une religion disparue depuis longtemps.

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Persée tue la Méduse

Dans l’une des quêtes héroïques les plus renommées, Persée voyage jusqu’à la demeure des Gorgones pour décapiter Méduse. Ces récits épiques ont résisté à l’usure du temps et trouvent encore un écho auprès d’un public moderne.

Variations théoriques

Les théories ne se bornent pas à présenter les mythes, elles leur donnent un sens. Elles affirment connaître les causes de leur création, de leur résistance au temps et de leur persistance future, ainsi que leur véritable « raison d’être ». Il convient de distinguer, quelle que soit la discipline, les théories du dix-neuvième siècle de celles du vingtième.

Celles du dix-neuvième siècle, incarnées principalement par E.B. Tylor et J.G. Frazer, considéraient généralement le sujet des mythes – comme le monde physique, et leur fonction, soit comme une explication littérale, soit en tant que description symbolique de ce monde. On les voyait comme la contrepartie « primitive » de la science naturelle que l’on supposait résolument ou essentiellement moderne. La science rendait les mythes non seulement superflus mais totalement incompatibles, et le public moderne, scientifique par définition, ne pouvait que les rejeter.

Au contraire, les théories du vingtième siècle, caractérisées par celles de Bronislaw Malinowski, Mircea Eliade, Rudolf Bultmann, Albert Camus, Sigmund Freud et C.G. Jung, voyaient les mythes uniquement comme un équivalent obsolète de la science, tant pour leur sujet que pour leur fonction. (Certains théoriciens du dix-neuvième siècle comme Friedrich Nietzsche laissaient présager cette approche.) Le sujet n’était plus le monde physique mais la société, l’esprit humain ou la place de l’homme dans le monde. La fonction des mythes n’était plus d’expliquer mais d’unifier la collectivité, de rencontrer Dieu, de découvrir l’inconscient, d’exprimer la condition humaine. En résumé, même dans le sillage de la science, les mythes avaient toujours leur place.

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Un attrait durable

Les anciens Grecs et Romains avaient-ils vraiment foi en leur mythologie ? Curieusement, la plupart y croyaient. Le public moderne a beau ne pas partager ces croyances, les mythes ont persisté et sont encore glorifiés. Bien qu’aujourd’hui, personne ne considère plus Zeus ni Achille comme ayant existé, les dieux et les héros sont devenus des symboles, dont l’un des plus beaux exemples est Dionysos. De plus, ils ont infiltré la pensée dominante. Freud a utilisé le personnage d’Œdipe pour nommer la pulsion masculine la plus importante, tandis que Jung choisissait Électre pour représenter le complexe féminin correspondant.

Les mythes ne se rencontrent pas uniquement dans les religions chrétienne, grecque et romaine, mais dans la plupart d’entre elles, si ce n’est dans toutes. De plus, ils ne sont pas forcément liés à une religion. Les théories du vingtième siècle, contrairement à celles du dix-neuvième, les en ont souvent séparés et ont étudié certains mythes profanes comme ceux du nationalisme ou de l’espace intersidéral. Ces théories s’appliquent à tous les cas sans se cantonner à une culture ou à un genre particulier.

Comme les mythes classiques sont les plus renommés, ce sont eux qui font l’objet de cet ouvrage. Les dieux sont présentés sous leur nom grec plutôt que latin, mais leur équivalent romain est toutefois précisé. Chaque personnage est présenté sous forme d’un « mythe en 30 secondes » qui réunit les détails clés, accompagné d’un « condensé en 3 secondes » qui offre un récit plus concis. L’« odyssée en 3 minutes » va plus loin, en soulignant par exemple le symbolisme sous-jacent ou en expliquant l’origine. Enfin, les « mythes liés » révèlent les personnages ou événements équivalents dans des cultures ou des civilisations différentes.

L’ouvrage se présente en sept chapitres : la création, les dieux de l’Olympe, les monstres, les lieux géographiques, les héros, les personnages de tragédie et l’héritage, qui reflètent la manière dont la mythologie imprègne le monde classique dans son ensemble. On y trouve non seulement des centaines de dieux, dont la plupart font l’objet de plusieurs mythes, mais également des monstres, des lieux et des événements mythiques. L’histoire du cosmos débute avec la création de dieux qui interviennent constamment – et souvent tragiquement – dans la vie des humains. Les héros eux aussi sont le sujet de centaines de récits. Ces histoires ont persisté jusqu’à nos jours, avec pour conséquence d’avoir donné leur nom aux états psychologiques les plus connus.

Les mythes classiques se retrouvent aujourd’hui dans une multitude d’endroits, non seulement dans la littérature mais également dans les arts, le cinéma et toute la culture populaire. Les versions modernes prennent invariablement des libertés avec les histoires d’origine, mais l’important est que même obsolètes, les mythes continuent de se transmettre.

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