CHAPITRE II

 

 

Juché sur les épaules de Junia, Shagan fut le premier à voir bouger la plaine. Interloqué, il n'osa tout d'abord donner l'alerte et suivit longuement des yeux le frémissement qui agitait la surface de l'argile. C'était comme le sillage d'un requin ridant l'océan ou comme ces traces en relief que laissent les taupes lorsqu'elles se déplacent sous l'herbe.

— II... il y a quelque chose qui rampe sous la plaine, murmura le jeune homme de manière à n'être entendu que de sa compagne.

Pendant qu'il prononçait ces mots, il voyait la glaise onduler en un long frisson, et il songea à ces frémissements qui parcourent l'échiné des fauves lorsqu'ils s'approchent d'une proie. La plaine frémissait telle une chair secouée de frissons. Les ondulations plissaient le terrain, serpentaient sur les talus. On ne pouvait s'empêcher de les comparer à des bourrelets de peau en mouvement.

— Quelque chose rampe sous la plaine, répéta Shagan, de plus en plus nerveux.

Junia s'était haussée sur ses talons. Elle pensait à des taupes, à de gros animaux souterrains. Elle savait que certains déserts abritaient des serpents de sable ainsi que de prodigieux insectes fouisseurs. Les frissons de la glaise longèrent la caravane de part et d'autre de la route, trahissant l'avance extrêmement rapide de ce qui se mouvait dans le sous-sol. Shagan se tenait sur le qui-vive, alarmé par cette menace incertaine dont il ne parvenait pas à concevoir la forme.

— Des bêtes, dit doucement Junia. Le martèlement des pas a dû les affoler, elles fuient devant la caravane. Les roues du char ont peut-être fait s'effondrer les galeries de leur terrier?

Mais elle ne croyait qu'à demi à cette hypothèse. Comme Shagan, elle ne pouvait se départir d'un sentiment de menace imminente. Les bourrelets de glaise se rapprochaient. Et soudain Shagan vit un doigt crever la surface de l'argile! Un doigt tendu, un index raidi qui paraissait le désigner d'un geste accusateur. Il eut un sursaut qui faillit le désarçonner.

— Tu as vu? glapit-il.

— Quoi? interrogea Junia.

Le jeune homme n'osa lui faire part de sa vision. Il avait pu se tromper, prendre un petit serpent pour un doigt humain... Comment savoir avec toute cette boue? L'index avait disparu. Le trou par lequel il avait jailli se comblait déjà.

« Je deviens fou », songea Shagan.

Ils reprirent leur marche. Pour une fois, le terrain plat favorisait l'avance de la caravane et les esclaves chantaient pour se donner du coeur à l'ouvrage. Cela dura une vingtaine de minutes environ, puis un nouvel index creva la boue pour viser Shagan en pleine poitrine. Cette fois l'infirme eut le temps de prévenir sa compagne.

— Je n'aime pas ça, marmonna la géante. S'il y a un doigt, il y a une main, et s'il y a une main, il y a un corps tout entier... On dirait que quelqu'un s'amuse à creuser un tunnel sous nos pas.

— Un tunnel ou une sape, observa Shagan, peut-être s'agit-il d'ennemis du roi Wâlner qui espèrent faire tomber le char dans une fosse, et retarder ainsi la livraison de la flèche?

C'était une hypothèse plausible, cependant les deux amis avaient du mal à s'imaginer qu'on puisse creuser une sape dans un sol aussi meuble sans périr aussitôt étouffé sous les éboulements.

— Non, murmura Junia, c'est autre chose...

Mais elle ne savait pas quoi.

Ils hésitaient toujours à donner l'alerte. Le moindre mouvement de panique pouvait provoquer une catastrophe sur ce terrain instable et dangereusement mouvant. A la pause de midi toutefois, l'un des esclaves perçut un bruit étrange provenant de sous ses pieds.

« Comme une bête qui gratte! » précisa-t-il. Et il colla son oreille au sol pour tenter de déterminer de quoi il s'agissait. La seconde d'après il se releva en hurlant de douleur, un flot de sang jaillissant de la tempe. « Quelque chose était sorti de la glaise », expliqua-t-il, « quelque chose qui lui avait arraché l'oreille! »

Dansant d'un pied sur l'autre, il essayait vainement de comprimer l'hémorragie qui rougissait ses cheveux et sa barbe. Ses compagnons s'étaient prudemment écartés, les yeux fixés sur la route.

— Reprenez vos places ! hurlaient les gardiens. Restez groupés!

— Mais il y a une bête! protestaient les malheureux. Il y a une bête dans la boue!

Cette fois, aucun doute n'était plus permis. La panique s'empara des esclaves, et, en l'espace d'une minute, on se battit pour se hisser au sommet des blocs rocheux jalonnant la route. Graccus ordonna à ses hommes de sonder le chemin à coups de lance.

— Ce n'est qu'une taupe, grogna-t-il, nous allons la clouer au fond de son tunnel et le tour sera joué.

Mal à l'aise, les gardes plantèrent leurs javelots dans l'argile du chemin sans rencontrer la moindre résistance.

— C'est comme si l'on harponnait un bloc de saindoux, maugréa l'un d'entre eux.

Les lances s'enfonçaient avec un bruit de succion désagréable. Au moment ou Graccus allait commander la fin de la manoeuvre, l'un des gardiens poussa un cri de surprise : son javelot venait de lui être arraché des mains et s'était enfoncé dans le sol de toute sa longueur.

— C'est de la sorcellerie ! gémirent les esclaves.

L'homme à l'oreille arrachée courait en cercle, le torse barbouillé de rouge, mais personne ne faisait plus attention à lui. Tout le monde scrutait le sol à la recherche d'une nouvelle manifestation des « animaux inconnus ».

Lentement quelque chose émergea de la glaise, une forme arrondie et brillante comme un melon.

« Un fruit! » dit quelqu'un. « Un oeuf! » gémit une autre voix.

La boule se haussa de quelques centimètres encore et l'on put distinguer deux oreilles plaquées de part et d'autre du globe ovoïde. Deux oreilles humaines.

— C'est une tête, haleta Junia d'une curieuse voix aspirée. C'est la tête de Corvallus, l'esclave calcadien qui est passé sous les roues du char au début de la semaine!

Shagan saisit instinctivement le manche de son marteau de bataille. A présent, il reconnaissait lui aussi les traits de Corvallus, et ceci malgré la pellicule de boue rosâtre qui les recouvrait.

— Mais c'est impossible, il est mort ! Les roues lui ont écrasé le bassin. Lorsqu'on l'a enterré il était littéralement coupé en deux!

— Et pourtant il est là! chuinta Junia en gagnant l'abri d'une pierre.

La tête du Calcadien avait crevé le sol. Elle reposait sur la route comme si on venait de la couper... à cette différence près qu'elle souriait et adressait d'affreuses grimaces aux hommes terrifiés qui s'étaient retranchés dans les rochers.

— C'est bien Corvallus, murmura Shagan, il a quitté sa tombe pour nous suivre. C'est impossible.

Mais il savait que c'était faux. Par le passé, il lui avait été donné d'observer d'autres manifestations de diablerie et il avait appris à ses dépens qu'on devait s'attendre à tout dans un monde aussi instable que celui sur lequel ils avaient été jetés. Le mort souriait toujours. Sa main droite sortit lentement du sol: elle tenait l'oreille qu'elle venait d'arracher au malheureux esclave, et l'agita de manière provocante. Puis le cadavre, dont les épaules affleuraient la surface, se coucha sur le côté... et se mit à nager. Un cri de saisissement s'éleva du groupe des esclaves. Corvallus nageait dans la glaise du sol avec autant de facilité que s'il s'était agi d'un plan d'eau. Parfois il plongeait, disparaissait pour refaire surface un peu plus loin, toujours ricanant et agitant la langue de façon obscène. A un menu battement de l'argile, on devinait que ses jambes coupées le suivaient à quelques mètres en arrière, calquant leur trajectoire sur celle du tronc.

— C'est de la folie, grogna Graccus, personne ne peut nager dans la terre.

— Personne... sauf un cadavre ensorcelé, observa Shagan. Si tous ceux que tu as ensevelis au long de la route décident de venir nous harceler, nous pouvons nous préparer à un véritable enfer !

— Non ! Non ! s'entêta le chef des gardes, il y a sûrement une autre explication. Il n'était pas vraiment mort, il...

— Il était coupé en deux! souligna Junia. Insinuerais-tu qu'il a guéri de ses blessures en une semaine?

Corvallus disparut. A certains frémissements du sol on pouvait suivre sa trajectoire en profondeur tandis qu'il plongeait dans la boue.

— Il faut ficher le camp d'ici ! gronda Graccus. Reprenez vos places, tous, ou je vous écorche vif.

Les fouets sifflèrent en s'abattant sur les épaules des esclaves sans parvenir à remuer véritablement la masse des hommes apeurés. Le mort avait disparu et la route était redevenue lisse, mais chacun demeurait aux aguets. Massalian allait et venait d'un bout à l'autre du char, l'air profondément préoccupé.

— Je n'aime pas ces tours de passe-passe, dit-il quand Shagan et Junia s'approchèrent. Ils me rappellent de mauvais souvenirs!

Shagan savait à quoi le magicien faisait allusion, mais il se garda bien de prononcer le nom maudit, comme si la matérialisation sonore des syllabes allait provoquer l'apparition de l'entité qu'ils redoutaient tous. Massalian se détourna d'eux, comme s'il regrettait d'en avoir trop dit. Graccus avait rassemblé les esclaves et les avait contraints à se réatteler au chariot. La caravane s'ébranla. Junia reprit son trot pesant, mais ses yeux fouillaient le paysage.

— Quoi d'autre ? murmura Shagan. Qui d'autre que LUI pourrait avoir assez de puissance pour réveiller les morts?

La géante ne répondit pas, elle scrutait le sol, prête à bondir de côté au premier signe de métamorphose. Ils marchèrent ainsi une heure durant dans une atmosphère de tension extrême, puis Shagan crut entendre des cris d'animaux qui montaient des fossés bordant la route.

— Ça vient de là! lança-t-il. Regarde! On voit l'entrée d'un terrier...

Ce n'était qu'un trou dans la tourbe, probablement la cache d'un lièvre ou la tanière d'un blaireau, mais il s'en élevait un concert affreusement discordant, comme si le terrier était en ce moment même le théâtre d'un affrontement sanglant. Subitement, une boule de chair palpitante jaillit à l'air libre dans un éclaboussement de gouttelettes rouges. C'était un lièvre à demi écorché dont la fourrure décollée pendait de part et d'autre de l'échiné, laissant à nu le caparaçon des muscles striés. Les yeux fous, il courait en cercle, agitant sa croupe qui seule était encore revêtue de fourrure. Sa tête et son poitrail, quant à eux, étaient aussi nus que sur l'étal d'un boucher.

— Qu'est-ce qui s'est passé? souffla Shagan. Aucun prédateur ne procéderait de la sorte ! On l'a écorché, tu as vu? On a essayé de lui arracher la peau.

La même scène se reproduisit un peu plus loin, mais cette fois ce furent des marmottes qui traversèrent la route, des marmottes sanguinolentes qui semblaient échappées d'une planche d'anatomie. Des rats et différents rongeurs les suivaient de près. Rendus fous par la douleur, ils couraient en cercle ou se roulaient sur le sol, comme si le contact de la glaise allait calmer leurs souffrances.

— Qu'est-ce qui se passe? jura Shagan. Pourquoi ces bêtes se sont-elles arraché la peau?

— Mais enfin, tu n'as pas encore compris? s'impatienta Junia. Ce sont les morts qui se déplacent sous la terre ! Ils se font les griffes sur les animaux.

Shagan frémit et se pencha en avant, essayant de distinguer au fond des terriers les mains des cadavres qui rampaient sous la route.

— Ils nagent dans la terre, répéta la géante d'une voix altérée. Tous ceux que Graccus a tués à coups de fouet depuis le début de la semaine. Dans quelque temps ils passeront à l'attaque, pour l'heure ils se contentent de nous effrayer.

Shagan regardait un blaireau qui agonisait, la chair à vif, la fourrure rabattue sur la croupe telle une traîne sanglante. Bien qu'incapable de détecter le moindre frémissement à la surface du sol, il se sentait encerclé. Ainsi les morts, ranimés par quelque force mystérieuse, s'étaient glissés hors de leurs sépultures hâtives pour se lancer à la poursuite de leurs meurtriers ! Ils avaient nagé dans la glaise fluide du sous-sol d'une lente brasse coulée, indifférents aux pierres ou aux racines qui leur déchiraient la peau. Ils étaient là, sous les pieds des marcheurs, en maraude, requins à la peau blême qui pouvaient d'une seconde à l'autre faire surface et passer à l'attaque. Un esclave trébucha entraînant plusieurs de ses compagnons dans sa chute.

— On m'a fait tomber! hurla-t-il, hystérique. Une main est sortie de terre, elle m'a attrapé la cheville ! Une main glacée ! Une main de cadavre !

— Tais-toi ! ordonna Graccus qui avait blêmi, mais tais-toi donc!

Les hommes se relevèrent, firent une dizaine de mètres puis tombèrent à nouveau. Cette fois Shagan avait eu le temps de voir distinctement une douzaine de mains boueuses jaillir de la route et se refermer sur les chevilles des esclaves pour les faire trébucher.

— Ils s'amusent, commenta Junia, mais ils n'en resteront pas là.

— Massalian ne peut-il donc rien faire?

— Que pourrait-il contre celui à qui nous pensons en ce moment même, toi et moi?

— Ne prononce pas son nom! Ce serait lui donner encore plus de pouvoir!

Les gardes, sur un ordre de Graccus, avaient entrepris de larder la route à coups de javelot. Un spectacle plutôt grotesque dont il était légitime de mettre l'efficacité en doute.

Çà et là, des doigts émergeaient de la glaise, tels d'affreux champignons, mais on distinguait aussi des crânes... et des têtes, dont les yeux morts battaient des paupières au ras du sol. A la troisième chute, la caravane s'arrêta et les esclaves se réfugièrent sur le chariot qu'ils avaient pour mission de tirer.

— Qu'on amène des lames et qu'on tranche ces membres! ordonna Graccus. Allons, je veux des faux ! Des haches ! Faites-moi une belle moisson de mains, les chiens en feront leur ordinaire !

Il paradait, mais on le sentait ébranlé. Des gardes s'avancèrent, munis de cimeterres à large lame. Balayant le sol d'un mouvement d'aller et retour, ils firent sauter une dizaine de doigts.

Cet assaut parut avoir momentanément raison du désir de facétie des morts. Les têtes affleurant à la surface de la boue disparurent dans un sillage de grosses bulles fétides, et la caravane put reprendre sa marche.

— Ce n'est qu'un répit, prophétisa Junia. Ils vont revenir à l'attaque.

Elle ne se trompait pas. Un quart d'heure plus tard, le chemin fut agité de spasmes effroyables, comme à l'approche d'un tremblement de terre, et la boue se plissa sous le tumulte de borborygmes venus des profondeurs.

— Les morts! souffla Junia, ils dansent! Ils dansent sous la terre pour ébranler le paysage... La plaine va s'ouvrir pour nous avaler.

Comme pour lui donner raison, la glaise du sol se creusa sous les pieds des esclaves, faisant rouler certains d'entre eux au fond de cratères qui n'existaient pas une seconde auparavant. La plaine tout entière était comme un baquet de crème placé sur le dos d'un cheval lancé au galop. Elle se creusait en vagues molles, en plis, en glissements de terrain. Cela dura une dizaine de minutes, puis le phénomène diminua d'intensité, comme si les morts, à bout d'énergie, n'étaient plus capables de mener la sarabande plus longtemps. Cinq esclaves avaient disparu, avalés par les coulées boueuses du terrain instable.

— Allez! s'époumona Graccus. Plus vous traînerez, plus vous serez en danger. A dix kilomètres d'ici nous trouverons le plateau de Kodomir qui est pavé de plaques de grès. Là-bas nous ne risquerons rien ! Vous voyez bien qu'il faut avancer ! Tant que nous traînasserons sur cette lande nous serons à la merci des morts! Reprenez vos places, vite!

Aiguillonnés par la perspective du salut, les hommes se jetèrent sur les filins et reprirent leur pénible besogne de traction.

Ils ne purent aller très loin car la nuit tombait. Tous attendaient ce moment avec appréhension, redoutant de voir les forces mauvaises se vivifier au contact des ténèbres comme cela se produit d'ordinaire. On dressa un bivouac en allumant de grands feux. Massalian alla prélever une chèvre dans le troupeau qui suivait la caravane, l'égorgea, et se servit de son sang pour tracer un grand cercle autour du chariot.

— C'est un pentacle, expliqua-t-il à l'intention des esclaves. Tant que nous resterons au centre du cercle, nous n'aurons rien à craindre des morts.

Les hommes grommelèrent, peu convaincus, et se rassemblèrent sur le chariot. Personne ne voulait dormir sur le sol, si bien que le char prit rapidement l'allure d'un radeau surchargé de naufragés. La lueur des feux déformait les visages, accusant leurs traits creusés par la fatigue et les mauvais traitements. Il faisait froid et humide. Une atmosphère de tourbière régnait sur la lande et le vent, loin d'assainir ce cloaque, soufflait sur les hommes rassemblés une haleine rance empestant le champignon.

— Nous n'allons pas rester les bras croisés, lança Massalian d'un ton trop assuré pour ne pas dissimuler une étincelle de peur. Je vais fabriquer des harpons magiques qui transformeront les morts en momies desséchées. Ainsi, s'ils s'obstinent à nager dans la glaise, leurs membres s'effriteront et tout leur corps retournera à la poussière !

Graccus applaudit bruyamment. Heureux de son effet, le magicien-forgeron se retira sous la petite tente de cuir qu'il avait dressée à l'avant du chariot et mit aussitôt à bouillir des substances dont la puanteur fit longtemps grogner les esclaves dans leur sommeil. Peu avant l'aube il réapparut, tenant un chaudron empli d'une substance goudronneuse qu'il posa aux pieds de Graccus.

— Que chacun de tes hommes y plonge la pointe de son javelot, dit-il. Ce venin desséchera les morts en quelques minutes, leur ôtant toute souplesse. N'étant plus capables de se déplacer, ils resteront prisonniers du sous-sol et nous pourrons continuer notre route.

Graccus fit aligner ses sentinelles, le javelot à la main. Shagan et Junia montaient la garde à l'avant du chariot, l'oeil fixé sur la ligne rouge du pentacle. De temps à autre une main ou un poing crevait la boue pour esquisser des gestes obscènes, mais à aucun moment les cadavres ne firent mine de franchir la frontière magique.

— On dirait que ça marche, murmura Shagan.

Junia haussa les épaules.

— Tu sais bien que les charmes de Massalian ne durent jamais très longtemps, dit-elle avec lassitude.

Depuis leur départ de la forge, elle était maussade et prenait la mouche pour un rien. En vérité elle n'aimait pas le travail pour lequel Massalian avait été embauché. Wâlner avait très mauvaise réputation et la ville de Kromosa elle-même apparaissait au travers des récits des voyageurs comme

le lieu de cultes étranges, plutôt malsains, et tous liés de près ou de loin à la présence du dragon endormi. Junia appréhendait le terme du voyage et un pressentiment obscur lui soufflait que l'arrivée a Kromosa sonnerait l'heure d'un sinistre rendez-vous. Elle ne redoutait pas le danger, mais craignait le jeu des forces mauvaises. De plus la cruauté de Graccus l'irritait au plus haut point. Elle ne pouvait supporter de le voir enrôler des esclaves en masse et les maltraiter jour après jour jusqu'à ce qu'ils tombent dans la boue pour y rendre leur dernier souffle. Dans un certain sens, elle n'était pas loin de penser que ce qui arrivait en ce moment n'était qu'un juste retour des choses. Elle ne plaignait ni Graccus ni Massalian, mercenaires toujours prêts à se vendre au plus offrant. Elle ne plaignait pas davantage les esclaves, bien plus nombreux que les gardes, et pourtant trop pleutres pour se révolter. Parfois, la nuit, lui venaient des envies de meurtre, la force colossale dont elle était la dépositaire lui soufflait de se lever pour aller briser la nuque de Graccus et de Massalian. Elle savait qu'elle aurait pu faire éclater leur boîte crânienne entre ses mains sans le moindre effort, cependant la magie du forgeron la contraignait à l'obéissance aveugle. Comme Shagan, elle avait vécu depuis sa jeunesse dans la chaleur terrible de la forge et son organisme s'était habitué à supporter des températures qui auraient causé la mort d'un être ordinaire en quelques minutes. Elle pouvait côtoyer la lave et les flammes sans craindre la moindre brûlure et respirer sans danger une atmosphère saturée de carbone. En contrepartie, ce pouvoir lui interdisait de circuler librement à l'extérieur de la forge. Dès qu'elle s'éloignait du centre du foyer, la température la plus estivale la faisait claquer des dents et tout son corps était secoué de frissons. En plein soleil, elle devenait bleue de froid et se mettait à tousser. Shagan subissait la même malédiction. Seul un mystérieux antidote que Massalian leur dispensait au compte-gouttes leur permettait de supporter l'atmosphère du monde extérieur. Sans ce produit ils seraient morts en quelques heures et leurs cadavres gelés auraient pris la consistance de la pierre. Le magicien se servait de ce chantage pour les faire obéir, sachant qu'il ne trouverait pas de meilleurs gardes du corps, mais Junia supportait mal ce joug. Parfois elle devait se faire violence pour ne pas saisir le petit magicien par la peau du dos et lui plonger la tête dans une marmite d'huile bouillante. Quoi qu'il en soit, ce voyage à Kromosa ne lui paraissait pas une bonne chose.

Pendant ce temps, Graccus avait déployé à la lisière du pentacle une dizaine de gardiens armés de javelots empoisonnés. L'arme levée, les centurions hésitaient à frapper les mains boueuses qui se dressaient à la lisière du cercle protecteur.

— Transpercez-les ! ordonna Massalian. Le poison agira aussitôt. N'ayez pas peur!

Un garde se décida enfin et creva l'une des paumes cadavéreuses qui se dressaient au-dessus du sol. Le javelot à la pointe engluée de venin traversa la chair morte sans rencontrer la moindre résistance. La terre se souleva comme sous l'effet d'une convulsion, et le mort jaillit brusquement de la glaise, les bras dressés au-dessus de la tête. Durant quelques secondes, il s'agita en tous sens, en proie à de terribles douleurs, puis ses mouvements se ralentirent et il se figea dans une pose de statue.

— Je vous l'avais dit ! triompha Massalian. Desséché! Il est desséché... Continuez! Mais continuez donc!

Le premier réflexe de stupeur passé, les gardes s'en donnèrent à coeur joie, faisant voler dans les airs toutes les armes de jet qu'on avait au préalable trempées dans le poison. Chaque coup au but provoquait l'émergence d'une statue aux traits convulsés dont le torse crevait la route et finissait par s'immobiliser après quelques secondes d'une affreuse gesticulation. A présent les esclaves hurlaient de joie, ponctuant l'apparition de chaque corps de cris enthousiastes et de battements de mains. En l'espace d'un quart d'heure, la route fut peuplée de cadavres « neutralisés », dont les hanches et les jambes restaient enfouies dans la glaise. Junia fit la grimace. Les rires et les applaudissements des esclaves lui étaient insupportables. Quand le dernier javelot eut été lancé, Graccus s'approcha des cadavres tétanisés.

— Voilà qui leur servira de leçon, dit-il stupidement. Demain nous roulerons sur ces charognes et le char les réduira en poussière.

On félicita Massalian qui paradait en se rengorgeant. Seuls Shagan et Junia demeuraient à l'écart, méfiants. En attendant le jour chacun essaya de dormir, mais le repos fut bref. Dès que la lumière fut suffisante, Graccus ordonna aux esclaves de reprendre leurs places. Ce n'est qu'au dernier moment qu'on s'aperçut du mauvais tour qu'avaient joué les revenants à leurs exécuteurs. Les cadavres, dès qu'on les effleura, se révélèrent aussitôt plus durs que la plus dure des pierres. Fichés en travers de la route, ils constituaient désormais une barrière de monolithes que les roues du chariot n'étaient pas en mesure de franchir.

— De la poussière! vociférait Graccus en se retenant visiblement de frapper Massalian. Vous nous aviez promis de la poussière! Magicien de pacotille, je devrais vous arracher la peau.

Le forgeron, coulant des regards inquiets en direction de Shagan et de Junia, tentait vainement de se disculper mais personne ne prêtait attention à ses propos. Incrédules, les gardiens touchaient du bout des doigts les morts enracinés dans la tourbe, et sur la poitrine desquels on aurait ébréché une pioche sans résultat.

— Un barrage ! hurlait Graccus, vous nous avez barré la route! Maintenant il va falloir extraire chacune de ces statues pour libérer le passage, vous trouvez que nous n'avons pas assez de retard peut-être?

— J'avais promis de les déshydrater, plaida Massalian, de les priver de toute souplesse, j'ai tenu parole ! Ce n'est pas ma faute si le processus a été plus efficace que prévu!

Il était pitoyable. Déjà les esclaves tentaient d'arracher les macabres statues de leur gangue de glaise. Mais la densité de la pierre était énorme et les cadavres fossilisés refusaient de bouger.

— Il faudrait les faire sauter avec de la poudre, hasarda Massalian, mais Graccus se détourna de lui rageusement.

Dans l'heure qui suivit, gardes et esclaves s'escrimèrent en vain à tenter de faire basculer les monolithes. Junia elle-même, dont on avait requis la force colossale, dut s'avouer vaincue après avoir sué durant vingt minutes, les muscles noués, les veines battant aux tempes. La magie approximative de Massalian s'était retournée contre la caravane, bloquant l'unique route praticable qui menait à la capitale.

— On ne peut pas couper à travers la plaine, expliqua Graccus, le sol de la tourbière est trop instable, le chariot s'enfoncerait dans les poches d'argile fluide qui truffent la lande. Il coulerait en quelques minutes.

Fronçant les sourcils il avait ajouté à voix basse :

— Il y a un autre problème: derrière cette colline se trouve un grand cimetière datant des anciens cultes, du temps où l'on enfouissait encore les gens dans des caisses de bois. Si l'épidémie vient à s'étendre, nous pourrions bien voir les pensionnaires de cette nécropole se mettre à nager dans l'argile, comme leurs prédécesseurs!

— Envoyez vos hommes éventrer les tombes et brûler les dépouilles, ordonna Massalian. Ne perdez pas de temps.

— Si j'envoie tous mes hommes, qui surveillera les esclaves? cracha Graccus.

— En attendant nous sommes bloqués, constata le magicien. Je vais raviver le pentacle en l'aspergeant du sang d'un nouvel animal, ainsi la protection sera plus forte. Qu'on m'amène un bouc.

Junia s'arc-bouta à une autre statue sans parvenir à la faire bouger d'un pouce.

— C'est invraisemblable, observa Shagan qu'elle avait déposé sur une pierre. Si elles sont si lourdes, elles devraient normalement s'enfoncer et disparaître dans les profondeurs de la terre.

La géante haussa les épaules.

— Ne cherche pas une quelconque logique dans ce phénomène, dit-elle en haletant, il s'agit d'un tour de passe-passe infernal, et les lois physiques n'entrent plus en ligne de compte.

Pendant ce temps on avait amené le bouc. Massalian se saisit de son couteau et, tirant sur la crinière de l'animal, lui fit lever la tête pour qu'il offre sa gorge au fil de la lame. Au moment où le poignard mordit le pelage, sectionnant les chairs, une fumée noire s'échappa du corps de la bête comme si un bûcher brûlait dans son ventre. Massalian stupéfait recula précipitamment, tandis que l'animal, la gorge tranchée d'une oreille à l'autre demeurait sur ses quatre pattes, les yeux brillant d'une flamme mauvaise. A présent la fumée sortait en filets goudronneux de chacun de ses orifices naturels et s'élevait dans les airs en dessinant des symboles incompréhensibles.

— Nous voilà à nouveau face à face, dit le bouc égorgé d'une voix terrible. Je te salue, magicien de pacotille. Tu ne pensais pas que je reviendrais si tôt, n'est-ce pas?

Shagan et Junia avaient blêmi en entendant cette voix d'outre-tombe qui résonnait entre les flancs de l'animal comme dans une caverne. Le bouc tirait une langue noire, démesurée, et continuait à vomir de la fumée.

— Sens cette odeur, dit encore la voix, c'est celle des bûchers de l'inquisition, celles des bûchers de la grande peste sur lesquels on jetait des malades encore vivants. Cette fumée, c'est la fumée des corps abandonnés aux flammes par les faux prêtres, les faux médecins et les vrais bourreaux. Emplis-t'en les narines, Massalian, car tu vas mourir, toi et tous ceux qui t'accompagnent! JE SUIS DE RETOUR. Tu as cru te débarrasser de moi mais tu te trompais, je suis là, sous tes pieds. J'abreuve la terre de mes poisons. Incline-toi et rends-moi l'hommage qui m'est dû, car je suis ton maître et ton seigneur. Moi... le roi squelette!

Alors qu'il prononçait ces derniers mots, le bouc s'embrasa comme une torche et des flammes pourpres enveloppèrent sa carcasse sans qu'il esquisse le moindre mouvement pour s'abattre sur le sol. Un sentiment d'horreur sacrée s'empara de l'assemblée et beaucoup se cachèrent la tête dans les mains.

La bête se consumait sur pied sans éprouver la moindre souffrance. Agitant ses cornes, elle se mit à caracoler autour du chariot. Chacun de ses mouvements faisait voler des flammèches dont les étincelles grésillaient sur la peau des spectateurs. Massalian esquissait des passes magiques dans les airs sans que ses pauvres manigances gênent en quoi que ce soit les évolutions de l'animal démoniaque.

— La fête ne fait que commencer ! hurla la bête. Je vais chercher d'autres invités pour que les réjouissances soient complètes.

Et, sautant hors du pentacle, elle gambada en direction du cimetière signalé par Graccus. C'était une chose affreuse que le spectacle de ce bouc charbonneux qui continuait à sautiller malgré les dégradations de sa chair et virevoltait avec une allégresse lourde de menaces. A présent la tache de feu escaladait la colline, se rapprochant des murs noircis de la nécropole. Bien que le soleil fût levé, il faisait presque nuit et la fumée qui s'échappait du corps carbonisé avait levé une sorte de brouillard puant qui stagnait sur le sol. Graccus ordonna à tous les hommes présents de se retrancher sur le chariot et de constituer un rempart à l'aide des planches et des sacs qui leur tomberaient sous la main. Pour finir il arma tout le monde, les esclaves comme les militaires.

— A quoi faut-il s'attendre? demanda-t-il à Massalian. Ce roi squelette est-il véritablement très puissant?

Shagan étouffa un rire amer devant tant d'ingénuité. Le roi squelette était formidablement puissant. Il l'avait appris à ses dépens. Jadis son domaine se bornait aux limites de la lande des suppliciés, à Kandara, cette plaine sur laquelle des légions de bourreaux avaient officié pendant des dizaines d'années, puis son pouvoir s'était soudain décuplé et il avait causé de grands ravages dans les cités environnantes. La légende racontait qu'il s'agissait du fantôme d'un rebelle, dont on avait perdu le nom, mais qu'un tyran avait fait exécuter de manière atroce sur la plaine des sacrifices. Depuis, l'âme irritée du malheureux n'avait jamais connu le repos. Le spectre du roi squelette régnait sur tous ceux que les outils mortels des tourmenteurs avaient un jour fait passer de vie à trépas, victimes innocentes ou crapules. Synthèse ténébreuse, il rôdait sous la terre et dans la nuit, toujours prêt à se venger des rois et des seigneurs prompts à commander une exécution. Sa colère enflait avec le temps, ne connaissant plus de limites, le poussant à détruire sans distinction tout ce qui s'obstinait à survivre au-dessus de sa tête. Six mois auparavant, Shagan et Junia l'avait affronté dans les cavernes où il stagnait sous la forme d'un lac noir et bitumeux constitué par la décomposition des charniers environnants. Un sortilège fourni par Massalian leur avait permis de geler ce lac, privant momentanément la redoutable entité d'une partie de ses pouvoirs. Mais cette brève victoire appartenait aujourd'hui au passé.

Shagan, le coeur étreint par l'angoisse, regardait le bouc incendié danser à l'entrée de la nécropole. Les flammes qui l'auréolaient projetaient une lueur sinistre sur les vieilles pierres mangées de mousse et les grilles oxydées. Qu'y avait-il de l'autre côté des murailles? Des mausolées à demi effondrés, des tombes que la fluidité du sol avait changées en cratères? Oui, mais il y avait la boue aux vertus momificatrices. Même très anciens, les cadavres avaient pu échapper à la lente dissolution du temps. Grâce à cette particularité, le roi squelette pouvait lever une armée en l'espace de quelques minutes. Le bouc venait de franchir l'entrée de la nécropole et Shagan sentit les muscles de son dos se contracter. Sur le chariot, on s'organisait en vue d'un inévitable assaut. Massalian s'était retiré dans la tente de cuir pour raviver le feu sous ses cornues. Esclaves et centurions attendaient, le javelot, le glaive ou la pioche à la main, accroupis derrière les palissades improvisées sur les ridelles du chariot. Des lueurs d'incendie illuminaient le ciel juste au-dessus de la nécropole comme si d'innombrables brasiers venaient de s'allumer spontanément. Shagan imagina le bouc, courant de caveau en caveau pour enflammer les cercueils émergeant des pierres tombales disjointes. Des colonnes de feu montaient des fosses, des brasiers ronflaient à l'intérieur des mausolées, la fumée noircissait les statues dressées sur les tombeaux. Le bouc infernal continuait sa course infâme, faisant voler les graviers des allées sous ses sabots goudronneux. Les murailles de la nécropole amplifiaient son rire et le bruit de son galop. Shagan tira de son étui son marteau de bataille et s'assujettit sur les épaules de Junia. Il eut l'impression que les cadavres statufiés se rassemblaient sur le pourtour du pentacle.

— Cette fois, nous sommes encerclés, dit doucement la géante.

Le bouc ressortit du cimetière, toujours caracolant. Le feu avait consumé sa chair, le réduisant à l'état de statue noirâtre qui continuait pourtant à se mouvoir sans la moindre raideur. Des cercueils enflammés le suivaient, flottant au-dessus du sol, comme en lévitation. Les boîtes funèbres fumaient en se consumant et le brouillard de carbone qui montait de cette procession rendait l'air proprement irrespirable. Sur le char la tension était extrême. Les cercueils dévalèrent la colline à la suite du bouc, se déplaçant en file indienne, comme soutenus par des porteurs invisibles. Lorsqu'ils eurent atteint la route, leurs couvercles se soulevèrent, laissant apparaître des squelettes dont les os flambaient, eux aussi. Un gémissement de terreur s'éleva de la foule des esclaves. Les centurions, matés par des années de discipline, se contentaient de mâcher la jugulaire de leur casque. Les squelettes flamboyants sautèrent sur la route, franchirent la frontière du pentacle et se lancèrent à l'assaut du chariot. Ils répandaient une chaleur terrible dont le simple souffle faisait roussir les étoffes. Les armes de métal, à leur contact, devenaient très vite brûlantes, et des cloques jaillissaient dans les paumes des soldats. Le combat, très confus, tourna très vite au désavantage des esclaves qui s'exposaient trop. Deux d'entre eux furent saisis à bras le corps par des squelettes enflammés et périrent en poussant des hurlements atroces.

— Il faut tenir! criait Massalian d'une voix de fausset. Les os vont tomber en cendre, c'est l'affaire d'une dizaine de minutes, ne cédez pas à la panique.

Shagan et Junia, quant à eux, repoussaient les sinistres revenants sans véritablement souffrir des brûlures que leur infligeait ce contact. La forge les avait habitués à la morsure du feu.

Profitant d'une accalmie, le magicien les tira à l'écart.

— La situation est bloquée, murmura-t-il en essuyant la sueur qui poissait son visage. Il faut que vous alliez chercher de l'aide à Kromosa.

— Mais comment? interrogea Shagan. Nous ne pourrons jamais passer au travers des embûches tendues par le roi squelette.

— Vous n'emprunterez pas la route, intervint Massalian. J'ai ici un petit ballon dirigeable capable de vous porter pendant deux jours. Si vous réussissez à conserver le bon cap, vous aurez atteint la capitale en moins de vingt-quatre heures, demandez à rencontrer le roi, je vous donnerai un sauf-conduit. Expliquez-lui la situation et insistez pour qu'il fasse vite. Je ne sais pas combien de temps encore nous pourrons repousser les assauts de ces démons. Après les squelettes viendra autre chose, et cela sans fin, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un soldat debout, et que tous les esclaves aient perdu l'esprit.

Comme Shagan paraissait hésiter, il insista:

— Il ne faut pas tarder. L'écran de fumée joue en notre faveur, je peux l'amplifier pour masquer votre départ. L'esprit du roi squelette est entièrement occupé par les morts-vivants dont il doit contrôler les mouvements. Avec un peu de chance, il ne détectera pas votre passage.

Shagan vit que le forgeron avait déjà tiré de la tente de cuir une enveloppe de latex flasque, emprisonnée dans un filet se terminant par un harnais.

— Il n'y a pas de nacelle, expliqua brièvement Massalian, nous attacherons le ballon directement aux épaules de Junia, à la manière d'un sac à dos. Tu n'auras qu'à conserver ta position habituelle. J'espère que tu n'as pas le vertige?

Il ne put en dire plus, car la géante dut repousser un squelette qui tentait de se hisser sur le char.

— Je vais vous donner une ration d'antidote, fit Massalian d'un air rusé, cette dose suffira à vous préserver du froid jusqu'à ce que vous reveniez ici accompagnés des renforts. Vous savez bien sûr ce que cela signifie? Si vous tardez trop, l'effet de la potion s'amenuisera et vous aurez l'impression de vivre au milieu d'une banquise...

Et tirant Junia par le bras, il la poussa vers le ballon.

— Assez parlé, conclut-il, préparez-vous à prendre votre envol!