La proposition
séduisit Pinaud.
Un instant plus
tard, il objecta :
— Ce sont des
fleurs artificielles, Sandre !
— Ben tant mieux,
au moins ça les f’ra pas crever !
Dans la matinée,
la police vint demander la permission d’examiner les pièces de
l’appartement donnant sur le port. Messieurs les poulets de Buenos
Aires découvrirent que l’un des monte-charge du gratte-ciel était
stoppé au trente-sixième étage, la porte bloquée par une cale de
bois. La fenêtre donnant sur le palier avait également été coincée
et on trouva des particules de caoutchouc sur la corniche qui
courait autour de la construction, tous les douze étages, pour en
harmoniser la perspective. On conclut que le monte-en-l’air avait
essayé de pénétrer dans un appartement du trente-sixième, mais
qu’il avait perdu l’équilibre et s’était fraisé la gueule comme un
malpropre. Il s’agissait d’un dangereux malfaiteur récemment évadé
du pénitencier de Cordoba, qu’on appelait Monkey (le singe) à cause
de son agilité effarante, mais son véritable nom était
Nevada.
Lorsque Mme del
Panar et son rejeton menacé comprirent que le valdingue du bandit
était consécutif à l’intervention de leurs hôtes français, ils se
jetèrent à leur cou en chialant et leur jurèrent une reconnaissance
éternelle.
Emu jusqu’au foie,
Béru pleura aussi. Il ne marchandait jamais ses larmes dans les cas
dignes d’intérêt.
La mère del Panar
flambait neuf. Elle s’était octroyé un brin de maquillage qui,
certes, ne raccourcissait pas son long pif crochu, ni n’effaçait
ses fâcheuses verrues, mais éclairait quelque peu son visage
naturellement sévère. La troussée inattendue et puissante dont
l’avait gratifiée le Gros avait insufflé à la pauvre femme une
énergie neuve et un certain appétit de vivre. On lisait dans son
regard des appels à l’espérance.
Quand ils eurent
pris le petit déje : un plat de viandes froides et des haricots
noirs arrosés d’un vin rouge corsé pour Béru, celui-ci se retira
dans le salon avec Pinaud afin de dresser un plan
d’action.
Ils savaient, d’un
commun accord, que le moment d’agir était venu. Les crapules
avaient engagé la première bataille et l’avaient piètrement perdue.
C’était à eux, maintenant, de passer à l’offensive.
Pinaud résuma la
situation avec son esprit de concision coutumier :
— La bande payée
par feu Martin respecte le contrat, malgré la mort de ce dernier.
Elle a engagé un tueur en fuite pour venir trucider le gamin. Si je
ne lui avais malencontreusement fait mordre le pavé, Salvador
aurait passé l’arme à gauche. Le coup a raté pour eux, mais ils
vont recommencer. Qu’en penses-tu ?
Bérurier lâcha
trois longs pets affirmatifs.
— Bien, apprécia
Pinuche. Quels sont les éléments dont nous disposons ?
Là, le Mastar en
plaça deux, mais sur modulation de fréquence, et le bruit stoppa
dans ce sas mystérieux où le gaz cesse d’être gaz pour acquérir de
la consistance.
— Arrête ! supplia
Pinuche : tu me redonnes envie !
Le Mammouth sourit
finement, orgueilleusement, en homme qui sait contrôler son anus et
s’en servir en virtuose. Par taquinerie il plaça une louise filée
qui ressemblait aux doux ricochets d’un galet plat sur la surface
mélancolique d’un lac de Savoie.
Comprenant que son
équipier aurait toujours le dernier mot en la matière (si nous
osons dire), Pinaud reprit sa démonstration :
— Les éléments
dont nous disposons sont au nombre de trois. En un, nous
connaissons l’identité du tueur à gages qui est mort ; en deux,
nous savons que ses complices utilisaient une Saab décapotable
blanche ; en trois enfin, nous avons la preuve que les meurtriers
connaissaient l’emplacement précis de la chambre du jeune homme.
Pour cela, il faut que quelqu’un les ait renseignés. Comme il ne
peut s’agir des occupants de cet appartement, il est probable
qu’une personne extérieure est venue visiter les lieux. Nous allons
par conséquent interviewer la vieille servante et ses
maîtres.
Le Gros eut la
perfide intention de saluer l’exposé à sa manière, mais son
instinct l’avertit que, cette fois, le risque était trop grand et
il s’abstint.
— Bien causé, la
Pine ! Va questionner ces trois from’tons, d’ c’temps-là, moive,
j’avais turluter à Carmen dont y faut qu’ell’ n’s’expédie d’la
main-d’œuvre indigègène.
— Pour quoi faire
?
Béru ricana sur
son secret.
— Tu veuilles qu’
j’t’ dise, Pépé ? Tu résumes bien, mais t’inventes pas. Tu r’gardes
en arrière, et moi, je mate d’vant ; c’est ça not’ différence
!
Un moment, il a
cru qu’on ne la lui passerait jamais, because il jactait le français. Et puis la
standardiste l’a virgulé à une collègue qui, elle, jacte le
canadien français et ça s’est arrangé.
Carmen a le
souffle rauque, la voix cassée.
Elle s’écrie
:
— Dieu soit loué,
c’est toi, mon amant ardent ! C’est toi ma queue d’enfer ! Je ne
pense qu’à toi, je suis folle de désir au point de devoir prendre
des bains de siège toutes les demi-heures ! La nuit, je rêve à ton
énorme sexe, et je dois mettre mon oreiller entre mes cuisses pour
étouffer les appels de détresse de ma chatte en folie ! Que
devient-elle en ce moment, ta bite faramineuse, cochon lubrique ?
Dans quels culs la plantes-tu, gros bandit ? Oh ! tu me fais mourir
de désir insatisfait ! Je me dessèche comme une plante sans eau !
Je vois sans trêve ta grosse tête de nœud avec son œil de cyclope.
Je t’interdis de me tromper, m’entends-tu, crapule de matelas ? Il
est pour moi toute seule, ton zob monstrueux ! Qu’une autre le
touche et je te le tranche comme un cou d’oie ! Tu m’entends,
dégueulasse immonde ? Tu m’entends ?
— C’s’raye
malheureux, qu’j’t’entendasse pas, ma vierge, la manière
qu’t’égosilles ! T’vas pas m’péter une pendule av’c ta jalousance,
merde ! On est dans un monde civilisé, bordel à cul ! Si m’faut un
sauf-conduite pour tremper l’biscuit, autant m’faire faire
l’ablution des sœurs Karamazov, qu’on n’en cause plus ! J’sus un
mec normal, moive ! Faut qu’je lime trois quat’ fois par jour,
comme tout un chacun, ma gosse ! Sinon, j’ai la marmite norvégienne
qu’esplose ! Mais fais-toi pas d’souci, Ninette, dès qu’on
s’revoye, t’auras ta part. J’te mets d’côté les meilieurs morcifs :
rien qu’ d’ l’entrelardé ! Et j’t’innove l’œil d’bronze, si t’es
sage ; alors là, tu pourras am’ner ton petit pot d’ beurre, kif l’
Chaperon Rouquinos ! C’sera la goualante du pauvre Jean, espère !
N’en attendant, v’là ce qu’y se passe, fais taire ta cramouille et
ouv’ tes étagères à mégots ! Tu piges, p’tite tête d’ linotypiste
?
Et il lui relate
les événements de la notte. Pour conclure,
il déclare :
— Faut absolutely qu’tu m’envoyes deux gonziers en renfort,
ma brune. Notre handicapage, c’est qu’on cause pas l’espanche. On a
absolument b’soin d’un interprêtre pour aller questionner Pedro,
Paolo, Jacques. J’verrerais bien qu’tu nous espédies ton beau
sergent Alonzo Gogueno qui m’a l’air dégourdoche. N’ent’
parenthèses, faudra qu’tu l’misses dans ton page un d’ ces quat’,
ma gosseline. C’julot, j’peux t’annoncer qu’y doit calcer
d’première, c’t’un vergeur-né, ça s’voye dans ses yeux. Lui av’c ta
jolie escrétaire, ça d’vrait valoir Sissi
Impératrice, au plan spectacle. J’te
confillerais deux trois choses essentielles si t’organiserais
c’tournoi ! Des trucs pur’ment français, sans forfant’rie
d’clocher.
« L’s’cond mecton,
c’est pour surveiller l’appart’ du temps qu’on est en enquête.
M’faut pas une pomme-à-l’huile, mais du futé bien galbé du bulbe,
a capito ? Good !
J’t’laisse, t’irrite pas trop l’clito en m’attendant, qu’ n’ensute
faudra t’pommader la vallée d’ la Maurienne pour limer. Ciao,
poupée rose. Virgule-moi tes péones par hélico, ça urge. Et
oublille pas d’ passer un doigt mouillé dans la culotte d’ ta
s’crétaire quand é t’apporte l’ courrier à signer. Bisous !
»
Il raccroche,
détendu, content de lui. Décidément, l’Argenterie lui
plaît.
Marinette a un
beau sourire radieux en les voyant revenir.
— Tiens !
messieurs les hommes ! s’exclame l’exquise dame. Justement, je
rêvais de toi ! fait-elle au Gros.
— Je sais : toutes
! répond-il, modeste.
— Avec une queue
comme tu as, tu ne devrais pas travailler, assure la tenancière de
La Tour Eiffel. Bien organisé, avec un
démarcheur subtil, tu pourrais faire des passes à deux mille cinq
cents balles. Tu te rends compte : deux mille cinq cents pions par
jour, tu vis large !
Il sursaute
:
— Deux mille cinq
cents points par jour ? Tu dérailles, ma
gosse ! Je peux assurer quatre parties de miches sans problème ! Et
p’t’êt’ même un’ nocturne en supplément comm’ au Salon d’ l’Auto,
l’vendredi, par exemple.
— La vache ! Et
t’as la santé en plus. Tu vois, Alexandre, si tu te fixais à
Buenos, moi je me chargerais de te rabattre des rombières bourrées
d’osier. On ferait de la surenchère, tu affurerais de quoi te
préparer une retraite de rêve ! Sans compter que tu pourrais
travailler pour le cinéma d’art et d’essai, une queue de quarante
centimètres, c’est gagné d’avance ! J’ai dans ma clientèle un
producteur de films « X » qui recherche des sujets d’élite ! Tu
deviendrais le Gary Cooper des productions foutre, mec
!
Le Gros hoche la
tête :
— J’t’ rmercille,
ma colombe, d’m’mouiller la compresse, mais commercer d’ma bite,
franch’ment, je pourrerais pas. C’t’un cadeau du Ciel,
comprends-tu-t-il ? J’ai l’d’voir d’l’donner, mais l’interdiction
d’l’ vend’, ça m’déshonneurerait !
— T’es un
spécimen, murmure Marinette, rêveuse.
Le sergent Alonzo
déguste un bacardi-Coca. Pinaud, selon le conseil de Béru, écluse
un verre de blanc. Le trouve trop doux et grimace à chaque gorgée.
Sa chiasse à grand spectacle l’a amaigri et il ressemble à son
squelette habillé. C’est le début de la soirée, il commence à y
avoir du trèpe dans le cabaret. Sur l’estrade, des musicos en tenue
de gauchos d’opérette affûtent leurs instruments. Y a un banjo,
deux bandonéons, une guitare.
Les premiers
accords langourent déjà dans la salle.
— Vous avez le
temps, les gars ? demande Marinette. J’ai un couple de danseurs qui
va vous couper le souffle.
Béru répond qu’ils
ont la nuit devant eux. Marinette va chercher une assiette de
saucisses au piment. C’est le régal de Pinaud. Béru les lui
déconseille, compte tenu de son délabrement intestinal. Marinette
réfute comme quoi ce qu’on aime bouffer ne fait jamais de mal.
Alors, la Pine se farcit deux chorizos entre pouce et index, le
petit doigt levé, façon thé chez la baronne.
— Dis voir,
Marilou, puis-je-t-il te poser une question ?
— Je ne vois pas
ce qui t’en empêcherait, ma grosse queue !
— Parmi tes
habitués, connaîtrais-tu-t-il un client qui roule dans un’ Saab
blanche décapotab’ ?
— Pas un client,
une cliente.
— Tu sais son
blaze, trognon ?
— Ses copains
l’appellent Veronica. Elle a l’air huppée, si j’en crois ses
toilettes. Pas d’esbroufe, mais du bon ton hors de
prix.
— Elle vient
souvent ?
— Très souvent, et
mon petit doigt me chuchote qu’elle sera là ce soir car j’aperçois
des copains à elle près de l’estrade.
— Montre-me-les
!
— Le gars blond
décoloré qui porte une veste blanche, et la souris brune avec le
bermuda noir et le chemisier vert.
Marinette a grande
envie de savoir « pourquoi ces questions », mais dans son monde on
doit réfréner sa curiosité, avec les mecs.
Le Gros se penche
sur ses deux compagnons et leur désigne le couple.
— Ça s’passerait
d’ c’côté, annonce-t-il. P’t’être qu’on a l’ cul bordé d’nouilles,
c’soir, et qu’ça voudrait déquiller…
En attendant, ils
biberonnent. Marinette, mobilisée par ses occupes les largue avec
promesse de venir leur signaler l’arrivée de la Veronica, si
toutefois elle s’opère. Les musicos se foutent à l’établi et c’est
du sérieux. Du vrai tango argentin. Là, c’est poignant comme
musique, ça te dépèce le présent, te file des coups de scie égoïne
dans le palpitant, te racle les nerfs longuement. Au bout d’un peu,
tu te sens tout chose. Autrement, perdu, vagueur de l’âme… Ils
écoutent en lichetrognant. La picole accompagne bien. Elle est
indispensable.
Après deux trois
morcifs, quand t’es à point, la salle s’éteint, trois projos de
couleur s’allument et un couple de danseurs surgit de la nuit. De
noir vêtu ! Ils sont superbes, l’un et l’autre, longs, minces,
étroits des hanches. Lui a des bottes étincelantes, un chapeau rond
à jugulaire, une veste-boléro moulée. Elle, est sublime : visage
allongé, chevelure de jais, robe droite, mais fendue haut pour
permettre à la jambe de se couler loin entre celles de son
partenaire.
Une âcre émotion
s’empare du public. Ils sont si beaux, ces deux danseurs, si
gracieux, si élégants, si pleinement en possession de leur art !
Ils décrivent des figures si lascives ! Ils sont portés par le
tango ! Emportés ! On s’attend à ce qu’ils s’envolent. La salle
retient son souffle. Les bandonéons chialent. Les pauvres projos
loupiotent comme ils le peuvent, incendiant les visages, puis les
abandonnant à des loucheurs vert-de-grisés. Les jambes s’emmêlent,
les bras volutent, les joues se rapprochent. Ça volte, virevolte,
survolte. C’est sensuel, sexuel, même. Il doit goder, le julot à un
régime pareil. Béru mate sa vitrine, guettant un renflement. Mais
balpeau ! L’habitude, cette saloperie, dévastatrice de tout
!
Fin de la danse,
ovations ! Salut gracieux du couple. A la lumière ordinaire, les
tangoteurs sont encore plus merveilleux que dans la bouillasse
d’éclairage chiqué.
Ils remettent la
gomme. Le second tango ressemble au premier comme le duc de
Bordeaux à mon cul ! Pourtant, les deux ailés composent des figures
nouvelles.
Marinette vient
chuchoter à la portugaise de Béru :
— Tu jouis, Gros
Zob ? Elle est choucarde, la môme, non ?
— J’m’en f’rais
bien une capote anglaise, assure le Mammouth.
— Je peux
t’arranger ça, si le cœur t’en dit.
Il incrédulise
:
— Tu m’berlures,
Marilou ! Ce prix de Diane !
— Pas du tout :
son partenaire est pédoque et elle raffole des grosses chopines. Si
je lui annonce ton calibre, elle voudra à toute force l’essayer
!
— Oh ! merde,
dis-moi pas ça, j’vas pas pouvoir tiendre jusque z’à la fin du
spectac’ ! Déjà que Miss Coquette dévergonde dans ses appar’t’ments
privés ! Touche, pour t’ prouver.
Elle tâte
discrètement mais fermement.
— Charogne !
soupire-t-elle. Du bronze ! Je ferais mieux de me le garder pour
moi !
— T’auras ta
commission, la mère, soye pas en détresse.
— Il ne vous
resterait pas encore quelques saucisses ? pleurniche César : je
suis à la diète depuis mes ennuis et, maintenant, la faim me
tenaille.
— Je vous apporte
ça, les Franchouilles ! Pour toi, Alexandre, je mettrai quelques
chunchulines.
— Ça consiste en
quoice ?
— C’est de
l’intestin tressé, explique Alonzo.
— Pourquoi tressé
? s’étonne l’Enflure. C’est vraiment se donner d’ la peine pour
balpeau.
— Oh ! merde !
souffle Marinette, voilà la gonzesse dont tu m’as parlé. La fille à
la Saab blanche !
Du menton, elle
désigne dans la pénombre une fille très brune, aux cheveux coupés
court, qui porte un ensemble de daim clair. Ladite est escortée
d’un Noir assez beau quoiqu’un peu trop « enveloppé ». Ils vont
rejoindre le couple primitivement désigné par la tenancière,
s’embrassent, s’assoient.
— Sergent, fait
Béru à Gogueno, va faire un tour dehors et retapisse bien pour voir
s’il y aurait une Saab décapotab’ blanche. Si moui, tu notes
l’numéro et tu t’rencardes immediately pour
savoir à qui est-ce ell’ appartient ; comme t’es flic, ça
n’poserera pas d’problo !
Alonzo s’esquive
discrètement pendant que les danseurs s’expliquent.
Un loufiat, loqué
en garçon de café parisien à l’ancienne, comme t’en trouves encore
chez Lipp, leur renouvelle les consos et
dépose sur leur table chorizos et intestin tressé.
Béru bougonne en
voyant le Chétif engouffrer les saucisses au piment :
— J’prévoye
qu’j’vais encor’ dormir dans du v’lours ! Du pimenté, par-dessus c’
qu’t’as eu, tu peux déjà poser ton bénoche pour êt’ prêt aux grand’
manoeuv’.
Puis il
s’intéresse à l’arrivante.
— Du beau linge,
estime-t-il. J’les imagine mal dans la tuerie à gages. Y font fils
et filles à papa, y compris l’Noirpiot qu’y a longtemps qu’son dabe
grimpe plus aux cocotiers !
Les danseurs
achèvent leur prestation dans un délire. Les clients de La Tour Eiffel se mettent debout pour les
ovationner. Ils se retirent enfin alors que les applaudissements
continuent de courir sur leur erre.
— Tu sais c’ qu’je
croive ? murmure Béru à l’esgourde constipée de son pote. La
greluse au négro, j’t’parille qu’c’est elle qu’a chambré c’con
d’Alfred sur la plage pou’ l’faire grimper à la chamb’ d’la fille
del Panar.
— Elle aurait
assassiné-la petite en question ?
— Pas fatal’ment.
La Conchita était p’t’êt’ déjà refroidie quand l’pommadin s’est
annoncé. C’con de Rital, bouc comme j’le sais, pour peu qu’ c’te
gisquette l’aye attendu assise en tailleuse su’ l’plumzing, y était
pas l’homme à faire l’tour du propriétaire avant d’ la fourrer ! Tu
penses, un pareil goret, d’la régalade, y a rien d’plus urgent !
Lui, un’ chèvre av’c un sac, y dégaine son panoche !
Le loufiat revient
à eux et se penche sur Béru :
— La señora Marinetta, qu’elle demander vous, señor !
— J’arrive. J’voye
ce qu’y s’agite. J’t’ d’mande dix minutes, Pinuche. Surveille bien
ces emmanchés, là-bas. Et pour l’amour du Christ, arrête d’ becter
ces saucisses de merde, qu’aut’ment sinon j’vais êt’ encore obligé
d’prendre un bain dans la noye ! Moi, deux bains en quarante-huit
heures, c’ s’rait historique !
Il suit le serveur
en coulisse, marchant un peu au pas de parade moscovite, because les perspectives qui s’inscrivent à
l’horizon.
« Ce pays
m’réussit, songe le brave policier d’élite. Si j’ l’habit’rais,
av’c toutes ces saute-au-paf qui m’entourent, j’aurais plus l’temps
d’aller licebroquer ! »
Il sourit d’un
contentement béat.
Béru, je vais te
dire : c’est une nature. Faut pas se choquer. C’est l’étalon homme.
Chez lui, la sève l’emporte. L’assouvissement constitue son art de
vivre. Il voit pas les choses autrement. La nature lui a accordé un
sexe monumental qui fascine les femelles, alors il l’utilise. Il
considère la baise comme une mission sacrée. Une espèce de service
qu’il doit à l’humanité cahotique. Il est un maillon de la chaîne.
Il transmet. Sa semence, même quand elle se perd en des chattes de
mauvais aloi, est un dépôt qu’il restitue. Le Seigneur est au
courant et aime Alexandre-Benoît Bérurier. Qui sait si notre ami ne
sera pas canonisé un jour ? Il a tout pour mériter la sainteté. Il
choque beaucoup, mais seulement les cons, ce qui n’est pas grave.
Choquer un con, c’est le conforter dans son bonheur d’être con ;
c’est apporter de la connerie à son moulin. Au début de mon
édifiante carrière, les cons me faisaient mal ; à présent ils me
font chaud au cœur. Je comprends combien j’aurais été désemparé
sans eux. Quelle triste errance aurait été la mienne sans leurs
miséreuses manigances.
Marinette lui
adresse un clin d’œil. Toute joyce. Il y a de la mère maquerelle
chez les gonzesses de son âge qui ont souvent pris
l’autobus.
— Elle est tout
émoustillée, la Paquita, confie-t-elle au « maître-queue ». Surtout
après la danse qui déjà la transporte. Elle t’attend dans ma
piaule, au premier.
Le Lourdingue
s’engage dans un escadrin de bois prometteur (déjà les marches sont
branlantes). En haut, il y a une porte ouverte. Ça pue le parfum
pas cher et la sueur abondante. Béru avise la danseuse en train de
poser sa robe de scène. Dessous : la cata ! Elle est planchéiforme.
Ses nichemards ? Des prothèses camouflées dans le soutien-gorge !
Son dargif ? Des baleines de la robe ! Sinon, voyez gouttes d’huile
! Tu pourrais loger ta main, sans faire chevaucher tes doigts, dans
son entrecuisse. Son triangle de panne ? La barbiche de Pierre Loti
! Oh ! dis donc, la désilluse, lui qui aime l’abondance : les
cuisseaux, les forts tétons, les ventres en cascade, les belles
crinières similiastrakan qui dévalent jusqu’à mi cuisses. Seule la
frime est choucarde, surtout because les
châsses en amande et les longs cheveux noirs qui lui choient
jusqu’au coccyx. Elle le regarde entrer, l’air
stupéfait.
Elle bégaie
:
— Ce est vous
?
— Yes, ma gosse, ce est moi, avec tous les accessoires
!
Elle fait une
mimique évoquant la dégueulanche et dit :
— Vous ? Moi !
Beurrg !
Alors là, il l’a
mauvaise, le Gros. Qu’est-ce qui lui prend, Marinette, de
l’adresser à cette pécore maigrichonne et bégueule ! Il va lui
jouer Zorba le Grec si elle rectifie pas le tir d’urgence
!
Il fait un pas de
plus dans la carrée de la mère Marinoche où tu trouves plein de
photos made in France dans des cadres qui
feraient chialer ta grand-mère !
— Hé ! dis, la
planche à voile, faudrait voir à pas t’offrir la tronche d’
l’homm’, qu’sinon, une baffe est vite arrivée ! Non mais, c’t’
darlinge a moins d’nichons qu’un’ plaque chauffante ! Pas l’moind’
cul, qu’c’est à s’d’mander à quoi é s’cramponne pour assurerer sa
sécurité quand é va aux cagoinsses ! Et y a du pauv’ monde qui sont
r’venus d’Buchenwald av’c dix fois plus d’graisse qu’elle. Mais
j’t’en fous, elle vanne ! Elle pintarise d’vant un mec qu’ a
tronché tant tell’ment d’frangines qu’on pourrait plus les compter,
même av’c le théorème d’ Pichtgorne !
« Momie, va ! Sac
d’os ! Danseuse d’mes deux ! Tu peux toujours courir pour
quj’t’emplâtre, connasse ! Et pis d’abord, où qu’j’le mettrerais
mon missile lunaire, palissade ? Tu bouillaves avec des allumettes
! Ta chaglatte, t’y rent’rerais pas l’capuchon d’un stylo
Mont-Blanc ! Et tu penses qu’j’pourrais faire régaler mon
avant-centre ? Tiens, pour qu’tu piges ton erreur, j’vas t’montrer
l’personnage. Ouv’ grand tes yeux, à défaut d’tes meules, Miss
Esquelette ! »
Il se dégrafe,
opération si fréquente de sa part qu’il l’accomplit en deux gestes.
Le premier vertical (de haut en bas) pour ouvrir la boîte de
Pandore ; le second plongeant, tournant et haleur pour dégager de
son vivier la superbe truite frétillante.
Le ziffolo de
monsieur opère son effet magique. Il a l’habitude, Béru. Il sait.
S’abstient de tout triomphalisme exagéré. Il montre la bête,
sobrement. Voilà ! Foin de mots inutiles. Regarde et tais-toi
!
Elle regarde, se
tait.
Mais elle a un
frémissement qui va s’intensifiant. Toutes pareilles ! Les voilà
captatrices, happeuses, béantes ! Elles EN VEULENT ! Et puis c’est
tout ! Ce truc pas croyable qui croise leur route doit faire escale
par elles ! La bouche s’ouvre, les mains se tendent.
Le pafosky du
Mastar qui léthargeait un peu, compte tenu de sa colère, trahit le
maîmaître. Le désir provoque le désir ! Il n’en a cure, le gourdin
vivant, des rancœurs béruréennes. Il se dilate à en éclater. La
danseuse oublie ce qu’il y a autour, ne voit plus son propriétaire
gras et hirsute. Il n’y a que LUI au monde, à cette minute ! Que ce
zob de gladiateur ou de pachyderme. Elle s’en saisit en tremblant
de bonheur. Le guide ! Incrédule, Béru constate que ses
appréhensions étaient vaines, infondées, voire infamantes ! La
danseuse qu’il croyait exiguë est tout à fait capable d’accueillir
son panais ! Elle le lui coiffe sans barguigner. L’épisode marque
aussitôt la fin d’un stupide différend.
Tout en chauffant
les turbines, Béru chuchote à l’oreille de sa dernière conquête
:
— Là, tu
m’cisailles, la môme ! J’tcroivais pas capab’ d’ m’engourdir l’
manche à burnes d’un seul coup ! Les coulisses d’ l’esploit, c’est
ta gamelle, técolle ! T’es un fourreau d’ sabre, dans ton genre,
Poulette ! Et puis, dis donc, pile ma pointure ! On aurait fait
deux essayages avant, ça pouvait pas mieux cadrer ! Au Bodygraphe,
chérie ! C’que c’t’agréab d’êt’ chaussé sur m’sure !
« Oh ! et
qu’est-ce que je senté-je su’ mes arrières ? Mâme Marinette qui
monte en ligne !’ Mâme Marinette qui veut profiter d’la consultance
au docteur Béru ! Feuille de rose, siouplaît ! Mazette, rien qu’ça
! On s’mouche pas du coude ! Et la menteuse qui m’furette les
roustons, maint’nant ! C’est fête au village ! C’est le quartorze
Juliet ! On va allumer les lampions ! Mords-moi pas la poitrine,
môme, j’vaye avoir des bleus ! Ah ! dis donc, t’es la vraie
enragée, y a pas qu’au tango qu’t’usines !
« Mais qu’est-ce
elle cherche à m’bricoler, la Marinette ? Un doigt d’ cour dans l’
fignedé pour faire plus classe ? Si j’m’aurais attendu à ces
réjouissances quand j’ai arrivé ! Hé ! oh ! Marilou, tu fourvoies
un peu d’trop ! C’t’av’c l’ pouce qu’ tu m’bricoles l’œil d’ bronze
? Mollo, la mère. Une caresse d’amitié, j’dis pas, mais pousse pas
les feux, l’oignon, c’est pas mon sacerdoce ! T’entends ce que
je…
« Oh ! nom de
Dieu, de salaud ! C’est pas la taulière mais l’danseur qui s’
permet des voies d’ fesses su’ ma personne sans autorisation
prélavable ! Escuse-moi, la môme, j’te finirerai plus tard !
»
Bérurier bouscule
son agresseur, saute du lit et lui place un doublé à la face. Il
retient l’intempestif par le gilet, pas qu’il tombe, le pousse sur
le palier et, d’un coup de boule entre les carreaux, le propulse
dans l’escadrin où le gars exécute un saut périlleux arrière. Il
dévale encore quelques ultimes marches et reste
immobile.
Sa Majesté regagne
la chambre, ivre de fureur.
— Des combines
commak, j’intolère ! annonce-t-il à Paquita. La bonne foi d’mon cul
a été surprise et c’est grave ! Si tu fais équipe av’c ton pédoque
jusqu’ z’au plumard, j’déclare forfait. Ciao, Gras d’os ! Termine-toi à la mano si l’cœur
t’en dirait, moi j’ai plus enville.
Il sort, toujours
sous pression. En bas, Marinette et un loufiat prodiguent des soins
au tangoteur groggy.
— Qu’est-ce qui
s’est passé, Alexandre ? s’inquiète-t-elle.
— Il a raté une
marche, répond le Gros en enjambant sa victime.
— Tu as vu dans
quel état il est ? Il va lui falloir plusieurs jours avant de
pouvoir retravailler ! Ma clientèle va salement renauder
!
— J’viendrai lu
montrer ma bite pour lu faire prendre patience ! Elle est bien plus
chouette qu’un tango.
La soirée se
prolonge. Marinette annonce que, par suite d’un malaise, Paquito
(le partenaire de Paquita) ne pourra accomplir d’autres prestations
chorégraphiques ce soir. Murmures de désappointement. Pour calmer
les esprits, elle ajoute que Paquita se produira seule.
Applaudissements. Excepté quelques tantes, les clients de La Tour Eiffel sont beaucoup là pour la grâce féline
de la danseuse.
Cela fait deux
plombes qu’Alonzo Gogueno a quitté les lieux, lorsqu’il réapparaît,
un léger sourire aux lèvres. Il reprend sa place entre les deux
aminches. Pinuche s’est endormi sur la table, le front dans le
creux de son coude replié ; son bada est cabossé comme un carton
tombé sur une route à grande circulation.
— J’ai les
renseignements, annonce-t-il. La voiture est bien devant le bar.
Elle appartient à Veronica Trabadjabueno, la fille d’un gros
importateur de Buenos Aires. Cette souris a donné et donne encore
bien du souci à sa famille. Très jeune, elle a eu des difficultés
avec la police : drogue, vols de voitures, et même attaque à main
armée d’une banque de province. L’argent et les hautes relations du
vieux sont parvenus à lui éviter la prison : on a mis sur le compte
d’une déficience nerveuse ce qui est, en réalité, un fort instinct
criminel. Elle a effectué plusieurs séjours dans des cliniques
spécialisées pour « cacher la merde au chat », comme nous disons en
Argentine, mais ses parents vivent dans les transes. Elle passe ses
nuits avec des amis douteux, dans des endroits comme celui-ci,
claquant un argent fou qui ne provient pas de son père, celui-ci
lui ayant coupé les vivres…
Béru donne une
tape dans le dos de son confrère argentin. Alonzo en fait une
quinte de toux.
— Beau travail,
fils. J’voye clair’ment c’dont y s’agite : un’ fille à papa
cinoquée. Elle a formé une bande pour d’rire. C’est moins l’oseille
qu’ l’aventure qui la fait mouiller. Vise-la, là-bas, avec ses
potes : des plombes qu’elle chuchote. Ces criminels amateurs sont
les pires. Rien n’les arrête parce quy JOUENT à êt’ des criminels,
comprends-tu-t-il, mon p’tit Alonzo ?
— Que comptez-vous
faire ? murmure Gogueno.
Alexandre-Benoît
branle tu sais qui ? Le chef !
— Ils ont raté
l’coche, la nuit dernière, et les v’là excités comme des poux ;
alors y complotent pour r’froidir l’gamin d’une aut’ manière.
C’s’rait intéressant d’avoir l’magnéto à Pinuche placardé au-dessus
d’ leur tab’.
Il produit son
effort cérébral le plus intense depuis que l’homme a marché sur la
Lune et d’un ton de médium déclare :
— J’voye un’
soluce, mec ! J’voye…
Dévotionneux,
Alonzo attend.
— Ces aristos
d’merde, poursuit le Gros, faut les coiffer à la brutale. T’sais c’
qu’y craindent, tous ? Les gnons, mon frère ! Les big tartes aux pommes dans la tirelire ! Quand tu
leur confectionnes une tronche au carré, là, y s’affalent. C’est
des coquins, des rusés, des fortiches, mais des douillets. La
douilletterie, v’là leur point faib’, leur étalon d’Achille
!
— Vous ne pouvez
pas aller les massacrer de but en blanc !
— Non. Faut
qu’j’les coinçasse dans un endroit discret.
— Admettons que
vous y parveniez, vous ne serez pas en mesure de les contrôler tous
! Car, n’oubliez pas, monsieur l’officier de police, que je n’ai
pas le droit d’intervenir. Je suis là à titre préventif, non à
titre exécutoire. Protéger le fils del Panar, vous trouver le
propriétaire d’une plaque minéralogique, voire des renseignements
sur quelqu’un, d’accord. Mais côté action, tant qu’un flagrant
délit n’aura pas été enregistré, il ne faut pas y compter, les
instructions de la señora directeur sont
formelles !
— Pétasse ! rumine
Béru.
Il réagit
:
— N’importe,
j’opérerai avec Pinaud !
Marinette
circulant entre les tables, il la hèle d’un geste.
— Ecoute-moi, la
Grosse, faut qu’on cause.
Elle s’assoit sur
le genou qu’il lui propose, ainsi que le font les taulières de la
tradition bordélique.
— Pour en r’v’nir
su’ not’ converse d’ t’à l’heure, j’ai envie qu’on fasse un estra
av’c mon zob, môme !
— Ah ! tu
t’décides ?
— Tes clilles,
sous l’estrade, la Veronica et ses aminches, t’es en bons termes
av’c z’eux ?
— Tu parles : des
années qu’j’ les pratique !
— C’t’à eux qu’tu
vas proposer d’mater ma membrane, Cocotte ! Raconte-z’y c’qu’tu
voudreras, comme quoi tu viens d’ dégauchir l’plus beau manche du
monde. Un Français pafé comme un’ bourrique. La pièce d’collection
à n’pas rater. Çui qu’a pas vu ça, n’sait rien d’la bite ! Si,
comme j’l’espère, y sont branchés, tu leur annonces qu’ je prends
cinq cents dollars pour l’esposer et, au b’soin, la laisser
manipuler. Deux cents dollars d’mieux pour fourrer les d’moiselles
intéressées ; par cul, naturellement ! Si y veuillent, tu leur
racontes comme quoi j’ai pas d’local et qu’y m’emmènent où ça leur
chante. Banco ?
Marinette, bonne
fille, se lève.
— T’es un sacré
loustic, Alexandre ! J’aimerais savoir ce que tu as derrière la
tête…
N’empêche qu’elle
gagne la table de Veronica Trabadjabueno. Elle s’accroupit au
milieu du groupe et se met à parler à ses bizarres
clients.
— J’sens qu’ça va
jouer, annonce le Gros. Mon instincte s’goure jamais. Si c’est
O.K., tu t’casses et t’attends not’ décarrade au volant d’ ta tire.
Ton rôle s’ra d’nous filocher, qu’au moins tu suces où qu’on gît,
si ça tourne mal !
Il réveille
Pinaud.
— Rambouillet !
lui crie-t-il à l’orée de la feuille. Tous les voiliageurs
descendent d’ voiture !
César revient au
monde immense et radieux. Il remue ses lèvres comme un que ses
profondeurs taquinent mochement.
— Je crois que tu
avais raison, murmure-t-il.
— A quel propos
?
— Au sujet des
chorizos. Voilà que je reprends mal au ventre !
— T’es pas
voiliageable ! s’emporte Béru. Si tu sens qu’ ça foire, va à
l’hôtel, ça r’pos’ra la lit’rie d’ la mère del Panar !
Marinette vient
annoncer que les blousons blancs acceptent d’enthousiasme. Elle
leur a fait une telle description des charmes discrets du Mastar
qu’ils veulent absolument s’offrir ce délicat
spectacle.
Alonzo Gogueno se
brise sans plus attendre. Là-bas, les quatre se lèvent. Marinette
leur adresse un signe et ils s’approchent de la table du
phénomène.
— Ecce homo ! leur fait-elle, en montrant Béru. Puis,
désignant Pinuche : son manager.
Le quatuor examine
Béru avec un étonnement non feint. Ces jeunes, superbes et beaux,
s’imaginaient que le détenteur d’un paf de légende devait être un
mâle ardent, baraqué Tarzan. Et qu’ont-ils devant eux ? Un gros
poussah cradingue et mal rasé, qui pue la porcherie.
— Il trompe son
monde ! plaide Marinette qui devine leur scepticisme. Laissez-lui
tomber son pantalon et alors vous vous croirez sur une autre
planète !
— On va voir !
décide la Veronica.
Elle leur fait
signe de les suivre.
Son copain noir et
elle font grimper les deux Franchouillards à l’arrière de la Volvo.
La fille se place au volant et se met à rouler comme une perdue
dans les rues de Buenos Aires. Ses amis la filent à bord d’une
Porsche gris métallisé. Ils traversent la place de Mayo à une
allure de missiles.
— Ça me reprend !
larmoie Pinaud à l’oreille de son ami. Je ne vais pas pouvoir me
retenir longtemps !
— Faudrait qu’ tu
bouffes du riz, déclare le Gros.
Il se retourne. La
Porsche exceptée, il n’aperçoit pas de troisième charrette. La
petite 5 CV Renault du sergent Gogueno n’a pas pu soutenir ce train
d’enfer et a été larguée d’entrée de jeu.
Fataliste, le
Mammouth en prend son parti. « On fera sans lui », se
dit-il.
L’agglomération de
Buenos Aires est très étendue et la course infernale n’en finit
pas. Ces écervelés jouent à la roulette russe, enquillant les
carrefours sans lever le pied, se contentant d’un appel de phares,
ou d’un coup de klaxon quand se présente un danger
précis.
Bérurier, relaxe,
entonne une chanson que chantait son grand-père dans les banquets :
Roule, roule, train du malheur… C’était
probablement inspiré de la Bête humaine d’Emile Zola, puisque ça racontait
l’histoire d’un mécanicien de locomotive et de son soutier qui se
battaient et tombaient de la machine. Le train fou, privé de
conduite, se ruait vers la catastrophe inévitable, emportant aux
abîmes son chargement de voyageurs joyeux. Mais ça, je t’en ai déjà
causé il y a lurette. Les classiques ne meurent
jamais.
Enfin, ils
arrivent à destination.
La destination
c’est le « Tigre », à trente bornes au nord de la ville, soit le
delta du Rio Paraná, dont les deux bras débouchent, l’un dans le
Rio de la Plata, l’autre dans le Rio Uruguay. Le Tigre est un
archipel de petites îles luxuriantes, séparées par une chiée de
minuscules canaux. La Venise argentine, en somme.
Les conducteurs
ralentissent pour franchir des ponts et finissent par emprunter un
chemin à travers un boqueteau. La nature sent fort et bon. Odeur
végétale d’eau et de plantes. Bientôt, les deux voitures se rangent
côte à côte devant une maisonnette basse, au toit d’ardoise, qui
évoque la Bretagne.
Veronica délourde
et donne la lumière. Béru découvre un living en contrebas, comme
creusé dans le sol ; il faut descendre deux marches pour y
accéder.
Tout autour de la
dénivellation, des canapés sont aménagés. Au fond, une vaste
cheminée en demi-cercle, à la hotte de cuivre sombre. Au centre,
quelques tables basses et beaucoup de tapis. Pas sale, le repaire
de la bande des snobs !
L’importance du
salon et la relative exiguïté de la maison donnent à penser qu’il y
a peu de chambres : deux ou trois, et pas grandes !
Les six
s’installent au gré de leur fantaisie. Pinaud se tient courbé en
avant, ses deux avant-bras comprimant son pauvre cher ventre en
panique.
Veronica, qui
parle un excellent français, demande à Bérurier s’il souhaite boire
un verre « avant ».
— J’ai jamais
r’fusé un gorgeon, ma jolie ! rétorque l’homme à l’appendice caudal
extravagant.
Il a droit à un
whisky. Souate ! Pas contrariant. C’est un tout-terrain de la bite
et du gosier, le Plantureux !
Les autres
éclusent également. Pinaud refuse en geignant. Alexandre-Benoît se
dit que ses compagnons ont des drôles de frimes. Ils sont bien
saboulés, clean de partout, mais de
vilaines lueurs font briller leurs châsses. Des reflets cruels, si
tu comprends ça ? Une malfaisance endémique les anime. De la
mauvaise herbe, quoi ! Généralement, elle pousse dans les sales
banlieues ; dans leur cas, elle a grandi dans des crèches de luxe.
Une sorte de revanche du sort, quoi ! Pas toujours aux mêmes à
porter le bitos ! La canaillerie se développe aussi à l’ombre des
nurses et sur les banquettes des Rolls.
Tout en
gambergeant, il fomente, Alexandre-Benoît. Quatre personnes à
neutraliser. Et pas des enfants de chœur.
Il ne suffirait
pas qu’il dégaine son feu pour les faire tenir tranquilles : ce
sont des coriaces. Et l’endoffé de Pinuche qui est bon à nib avec
sa chiasse décidément chronique !
S’il pouvait les
anesthésier avec son membre ! Les gonzesses, déjà. Ensuite il
opérerait les bonshommes à coups de crosse. Con de Pinuche
!
Alonzo Gogueno
perdu corps et biens ! La couille ! Oh ! merde ! Il se sent un coup
de flou artistique dans l’âme, Béduglas. Cherche sa bonne étoile à
travers les vitres cernant le salon, mais on est dans l’hémisphère
Sud et sa bonne étoile ne fréquente pas la région. Elle se pavane
dans l’autre partie de la Voie lactée, la garce !
— Eh bien, dit
Veronica, vous nous montrez votre… différence, cher ami
?
Le Gros ne perd
pas le sens des affaires :
— Alors allongez
le grisbi, ma jolie. Vous connaissez nos tarifs ?
Elle secoue la
tête.
— Pas avant
d’avoir constaté qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise
!
— C’est contraire
z’aux z’usages, assure le Placide. Quand t’est-ce on grimpe un’
pute, on la cigle avant l’embroque !
— Pas nous, gros
sac ! Allez, sors ta queue qu’on se marre ! fait le copain blond à
la Porsche.
— J’me plaindrerai
à Marinette, avertit Béru, ell’ m’a branché su’ du mond’ qu’y sont
pas corrèques !
Mais le blouson
blanc n’en a cure ; tout ce qu’il fait, c’est de
rigoler.
A ce moment de la
scène tendue, le téléphone retentit. Veronica décroche, écoute et
pousse un hurlement victorieux, onomatopée argentine qui exprime
l’enthousiasme.
Elle se retourne
vers les autres pour leur apprendre une very
good nouvelle. Ils marquent à leur tour un vif contentement et,
pour l’instant, oublient les deux Français pour s’abandonner à leur
liesse.
— T’as compris
c’dont y s’passe ? demande le Mammouth à Pinaud.
— J’ai bien peur,
chevrote le chiasseux. Je crois qu’ils se sont emparés du fils del
Panar et qu’ils vont l’amener ici !
— Mais y avait un
garde à son ch’valet, bordel !
— Que
racontez-vous, tous les deux ? demande Veronica, méfiante comme une
hyène (où y a de la hyène y a pas de plaisir).
— On cause, répond
le Gros.
— Ouvre ta
boutique, goret !
Le Mastar hoche la
tête.
— D’ac, j’vas
déballer l’zoziau, mais t’as tort d’me causer su’ c’ ton, biscotte
il est dans ses p’tits souliers au lieu d’épanouir comme un
parasol. Moi, j’aim’ l’ montrer en pleine forme ! N’ serait ce qu’
par coquett’rie.
En rechignant, il
se défroque. Son bénouze lui choit sur les pompes. Il descend son
slip des deux pouces conjugués. Mister Dunœud apparaît. Non dans
toute sa gloire, mais très intimidant tout de même. Genre tuyau de
pompe à essence. Il pend et, cependant, tu enregistres des
promesses dans le frémissement qui le galvanise.
Veronica brandit
son pouce pour féliciter le phénomène et lance un quolibet
humiliant à ses deux copains mâles. Ils font la gueule. Et pas
qu’un peu ! Puis elle se tourne vers la potesse du blond et lui
jette un ordre. C’est vraiment elle qui dirige la troupe.
L’interpellée regarde son ami. Très pâle, il acquiesce pour
confirmer l’ordre. Alors la gonzesse s’agenouille devant le
Vigoureux et entreprend de lui choyer le mandrin. Béru, tu le
connais ? Une petite secouée mutine, un coup de langue sur la
collerette à Julot, et voilà son instrument qui requinque à tout
berzingue, prend son essor et se met à diriger la Cinquième comme un vrai chef.
C’est commotionnel
comme effet. Un qui ne connaît pas, qu’il soit homme ou femme, est
toujours frappé de saisissement à la vue de ce sauciflard
dantesque.
Ils matent
silencieusement.
— Corrèque ?
demande l’Hénorme à la ronde. Alors aboulez l’osier,
m’sieurs-dames, avant qu’nous allassions plus loin dans les
démonstrations.
— Viens ! fait
Veronica en lui tendant la main.
Béru se lève. Pour
pouvoir se laisser guider, il enjambe son pantalon et son slip
tire-bouchonnés. Le voilà parti sans eux, tel un petit garçon que
sa gentille maman entraîne à l’école. Son énorme cul nu, poilu et
crevassé de cicatrices, est d’un effet certain sous le veston. De
même, ses chaussettes dépareillées et ses godasses complètent
harmonieusement le pittoresque de la silhouette.
Le couple sort. Le
Noir n’a pas l’air joyce. L’exhibition de ce gros Français tourne
mal pour son prestige à lui. Après cette séance, il aura à tout
jamais l’air d’un connard aux yeux de sa gonzesse.
Ils se taisent. Le
grand blond vêtu de blanc file une mandale à sa poule pour avoir
turluté le bâton à un bout de Messire Bigzob. Elle comprend, ne
proteste pas.
Veronica referme
au verrou.
La chambre, comme
l’a laissé entendre l’auteur de ce pur chef-d’œuvre, est minuscule
: un plumard, un placard mural, un fauteuil.
— Allonge-toi sur
le lit ! enjoint la fille.
Tu sais ce qu’il
pense à cet instant, l’Obèse ?
Que cette pétasse
est celle qui a fait dégorger l’ami Alfred et l’a plongé dans les
noires manigances qui lui valent d’être au trou. S’il s’écoutait,
il lui décollerait la tronche d’une mandale. Il en pratique de
vraiment meurtrières, parfois. C’est la terreur des cervicales,
Béru ! Une bielle de loco lancée à toute vibure est comme anémiée,
comparée à sa droite.
Il s’étend, nez en
moins, et attend.
Elle le contemple
avec un rire mauvais.
— Tu n’es pas un
phénomène, tu es un monstre ! fait-elle. Tu es sale, grossier,
grotesque, puant. Ton énorme membre est une anomalie de la
nature.
L’Hénorme se
contient.
— P’t’êt’,
admet-il. N’empêche, poupée, qu’ si tu l’morfles dans la casemate,
tu d’viens tout’ chose du réchaud. T’as la craquette qui part à
dame ! La bouche d’en bas qui bave des rondelles d’ sauciflard ! L’
minou qui déjante ! L’ nénuphar de culotte qu’épanouit ! J’ai
tringlé des milliers d’sagouines, espère, à part trois-quat’
qu’étaient trop z’étroites du chaudron et trois ou quat’ zaut’ qui
cramaient du frigounet après la séance, j’ai eu qu’ des
compliments, des suppliances à recommencer, des pâmades qu’en
finissaient pas. Pose ta culotte si t’en as une, c’qu’est pas
certain v’nant d’une greluse comme toi, et grimpe-moi en danseuse,
ma poule ! C’qu’en découl’ra, tu l’oublilleras jamais. Tu s’ras au
paradis. Et encore, j’ai idée que les zélus du paradis doivent
s’plumer un peu la banane à s’gratter l’trou du luth.
Contrairement à
l’estimation, Veronica porte une culotte. Et même une culotte
classique, de bon ton.
Elle la
décarpille.
Juste comme elle
l’envoie dinguer à travers la pièce du bout de son pied mutin, on
tambourine à la porte. Elle va ouvrir. Le négro, son pote, pénètre
comme un fou dans la chambre, les lotos dégoulinant sur ses joues
sombres.
Il fulmine
:
— Ecoute, Véro, tu
as envie de te le taper, bon ! Mais je te préviens que quand ce
sera terminé, je lui couperai la queue !
Et de sortir un
lingue dont il fait jaillir la lame d’une poussée.
— Qu’est-ce y
veut, c’gorille ? questionne le Gravos.
Elle lui traduit.
Alors Mister Bérurier fils, qui se trouve également être Bérurier
père (et même Bérurier paire) se dit que le moment d’agir est idéal
étant donné que le quatuor se trouve divisé en deux
duos.
Il cueille
l’oreiller par-dessus sa tête et le lance dans le portrait de
l’énergumène. Le temps que celui-ci ait exécuté la parade,
Alexandre-Benoît est déjà debout et lui file sa tatane gauche dans
le service trois-pièces. Le méchant lâche sa lame pour sles
frangines et tombe à genoux en geignant. Béru l’assaisonne d’un
second coup de latte dans le temporal. Le black se fait (également) dans l’esprit du jaloux.
Out ! Flegmatique, Mister Cognedur ramasse
le ya, fait rentrer la lame dans le manche et le glisse dans une de
ses chaussures.
— Escuse-moive
pour ton petit copain, mais j’ supporte pas les
m’naces.
Il empoigne le
groggy par sa ceinture pour le coltiner, telle une valoche,
jusqu’au placard mural penderie dans lequel il le
bouclarde.
La Veronica est
confondue.
— Dis donc, tu
n’as pas froid aux yeux ! admire-t-elle.
Bigbraque flatte
son zob de la main, comme s’il s’agissait d’un animal familier
:
— T’as déjà vu un
gonzier avoir froid aux châsses, avec un ardillon commak dans sa
musette ?
Conquise, elle lui
noue ses beaux bras de femelle autour du cou.
— Tu es un salaud
excitant ! avoue-t-elle.
— V’là comm’ y
faut m’causer, gazouille le Mastodonte, j’raffole les mots
tendres.
Et de la bicher
par les miches pour la balancer sur le paddock.
— Allez, ouv’ ton
brancard, ma bien chère sœur, j’vas t’entr’prend’ à la papa pour
débuter. Faut doser les efforts, ma Colombine. N’à quoi bon t’
démonicher à coups de braque ? J’sus un monstre délicat. Je décarre
dans la Chantilly, moi ! Tiens : une minouchette d’ reconnaissance,
manière d’baliser l’entrée des catacombes. T’aimes la lichouille d’
broussailles, mignonne ? Pas triste, hein ? Ça réveille ? Ça t’met
le fion en état de siège, pas vrai ? Oh ! mais mam’zelle crache pas
dessus. Ell’ s’fait brouter l’gazon à ses moments perdus, j’sens.
Bouge pas qu’j’opérasse un bout d’espertise dans la case trésor.
Un, deux, trois, quat’ doigts ! Salutations, marquise ! T’as la
babasse confortab’. Faut pas t’présenter d’l’agace-frifri, ta pomme
! T’as la pointure grenadier. C’est pour ça qu’tu t’ paies un
Noirpiot ! Les colored sont chopinés d’
première.
« Bon, on va
pouvoir passer à l’œuvre n’après c’ te préambulation. J’voye pas
pourquoi on début’rerait pas par une bioutifoule levrette à
injection dirèque. Pour c’la faut qu’tu t’mettes les seins à plat
ventre su’ l’ pieu et n’ensute qu’tu t’remontes l’valseur un max.
Bravo ! T’as tout compris. On peut obtiendre un meilieur écartage
des jambons, Miss Senorita, plize ? Parfait ! Déjà, j’peux
t’annoncer qu’ c’est gagné. Quand t’as la babasse d’une frangine
qui t’fait des baisers à vide, tu peux bien inaugurer d’la sute, ma
chérie.
« Attends,
j’glaviote un chouïa su’ la tronche du monstre, mett’ tous les
atouts dans not’ jeu, et c’est l’appareillage du Normandie dans l’port du Havre ! Au départ, bouge
pas, assur’ s’l’ment ta position pour éviter les dérapages.
T’ent’ras dans la danse une fois la mise en place fectuée. Voilà !
J’l’avais dit : du v’lours ! Oh ! mais dis, c’t’une partie
d’plaisir. L’embarqu’ment pour Citerne, comme dit l’Antonio.
Venez, Margot, dans ma nacelle ? M’man qui
chantait ça quand elle était joyce. Ma parole, t’vas z’êt’ obligée
d’marner d’la collerette pour m’emmitoufler l’ Pollux. On aura tout
vu ! »
Ils s’escriment en
grande fougue d’amour. Le bonheur que ressent Béru est nouveau. Il
le stupéfie. Bibendum ne parle plus. Il besogne à âme et biroute
que veux-tu, soucieux de prodiguer un ineffable plaisir, lui qui
travaille ordinairement en force, sans trop se soucier du
capiteux.
C’est une
chevauchée éperdue, avec des périodes de valse lente, et d’autres
de jerk endiablé. Il y a des arrêts haletants qu’ils respectent,
souffle à souffle, collés par la sueur. Des redémarrages langoureux
qui durent longtemps avant de trouver le rythme
éternel.
Ça se prolonge que
tu peux pas savoir combien, et moi non plus, et Bérurier non
plus.
A un moment,
Veronica a un léger hoquet. Elle chuchote à l’oreille du Surbraqué
:
— Oh ! je
t’aime…
Et tu sais quoi ?
Tu sais vraiment quoi ?
— Moi z’aussi, lui
répond Béru !
Le Noir
remue-ménage dans la penderie. Du train qu’il cogne, il va finir
par enfoncer les deux faibles lourdes.
En maugréant, Béru
disjoncte et va ouvrir. Le Noirpiot est agenouillé. Il lui file un
coup de saton dans la bouche. L’autre part à dame et le Gros
referme. Vite, il réintègre le cul de Veronica. La môme est folle
de délices et orgues. Leur étreinte n’en finit pas. C’est une danse
éperdue. L’enchantement sensoriel. Le Mastar ne pense plus qu’il
est certainement en train de limer une criminelle. Il a dépassé les
frontières de la raison. Il s’en torche ! La morale ? Quoi, la
morale ? Le faites pas chier avec ces conneries ! Il baise comme
pour la toute première fois de son vit ! Il met sobre. Il met bien.
Droite ligne, les paluches plaquées au michier de la fille. Son
bassin est le moteur de ce superbe cou. Pendulaire ! Infatigable.
Il prodigue, elle encaisse. Loi de l’espèce ! Soumission femelle
éternelle !
— Chope
!
— Encore
!
— Tiens
!
— Oui
!
Mouvement de marée
! Et odeur. La vie en perpétuation. Le grand chemin culier qui
grimpe aux azurs. Bonheur coûte que coûte prolongé par ce
va-et-vient ineffable.
Le Mastar ferme
les yeux d’enchantement. Il y a un hymne dans son cœur et dans sa
tête.
Sa partenaire
aussi s’accomplit dans un tourbillon jamais connu, dans un prélude
à l’orgasme jamais atteint, plus intense que ses étreintes de
naguère. Un cheminement fabuleux à travers glandes et fantasmes,
monts (de Vénus) et merveilles !
Depuis combien de
temps sont-ils ainsi unis par magie ? On frappe à la porte. La
copine qui vient aux renseignements. Elle pousse la lourde infermée
et paraît. Regarde. Elle est impressionnée, bouleversée même par la
gravité de cette baise. Elle finit par demander :
— Mais où est donc
Nicar ?
Sans cesser de
brosser, Béru lui fait signe d’approcher du plumard. Elle obéit.
Lorsqu’elle est à portée, il lui vote une mandale retournée, du dos
de la main, qui fait éclater les lèvres de la môme et l’expédie sur
son pétrousquin. Elle en est étourdie. Le plus impressionnant,
c’est que le Gros ne s’occupe plus d’elle et n’a pas cessé de limer
Veronica. Depuis le plancher, la gonzesse a une vue imprenable sur
les énormes roustons d’Alexandre-Benoît, bruns et hérissés de
poils, qui ressemblent à des marrons dans leur gangue
végétale.
Sa bouche lui
brûle, mais malgré la douleur, elle pense qu’un spectacle comme
celui-ci elle ne le reverra jamais. Elle envie sa potesse d’être
vergée si prestigieusement. Oh ! maman ! Ce braque en action ! Elle
demeure immobile, assise en tailleur.
Elle regarde,
comme si c’était pour la dernière fois, à l’instar de ce bon Michel
Strogoff dont on brûlait les yeux avec un sabre chauffé à blanc,
mais qui conserva la vue grâce aux larmes d’émotion qu’il
versa.
Un léger murmure
de source sort de ses lèvres tuméfiées.
— Moi aussi !
implore-t-elle. Moi aussi !
Sacrilège !
Requête irrecevable. Ne sait-elle donc point que Bérurier nique
d’amour ? D’amour ! T’entends, vérole ?
Ah ! comme il se
sent indigné par la revendication de cette niaisette. Il parvient à
tourner la tête dans sa direction et, hagard, grogne :
— Toi ? Tiens
!
Un pet d’un
demi-mètre cube ! De circonstance ! Bien placé ! Rédhibitoire ! qui
saccage les illuses ! Coupe les ponts avec le moindre espoir ! Le
genre de loufe hautement péremptoire, tu vois ? Vhouafff ! Prrrrr !
et encore Brrong ! Qui ne barguigne pas ! Décisif !
La môme en est
dolorée de partout. Les larmes lui montent. Elle qui déjà
mouillotait dans ses harnais.
Béru, suprême, a
repris sa mission. Le geste auguste du limeur. Le sommier, très
sage, ne moufte pas. T’en as qui la ramènent ! Un poids comme Bébé
Rose, tu parles ! Ils te coupent le sifflet de leurs jérémiades,
certains. Te donnent la sensation que tu scies une bûche. Là, impec
! Dévoué, silencieux. Le serviteur muet. La classe !
Mais le bruit
arrive d’ailleurs, d’où on ne l’attendait point. Trois hommes font
une brutale intrusion sur le territoire de nique du couple. Le
blond et deux mecs teintés, grêlés, vêtus de cuir méchant. Ces
deux-là brandissent des arquebuses dégoulinantes d’huile, tellement
qu’ils ont peur qu’elles s’enrayent. Elles ont l’air de sortir d’un
bac à friture.
Le blond hurle
:
— Arrête, Véro !
Tu brosses avec un flic !
En espagnol. Mais
je te dis que le lardu s’est mis à la langue de Cervantès, il pige.
Gentleman, il demande :
— Vous permettez
que je termine mademoiselle ?
Non, ils
permettent pas. D’ailleurs, ce paysage bucolique de baise
langoureuse les met hors d’eux.
L’un d’eux braque
sa rapière sur le cigare d’Alexandre-Benoît en hurlant
:
— Stoooop
!
Contraint, le Gros
s’en va de Véronique (Véro ne nique plus).
Elle est furax, la
tigresse noire. Elle vitupère comme quoi ils lui coupent son
bonheur ! Ils la meurtrissent en pleine décarrade d’orgasme. Elle
allait plonger de la saucière, la chérie ! Tourner béchamel ! Ils
lui paieront ce coup-là, les veaux !
Ils tentent de la
calmer en racontant. Ils ont réussi à embarquer Salvador, malgré la
surveillance établie chez lui. Ils se pointent ici avec lui et qui
reconnaissent-ils ? Le vieux. Et à présent : le gros. Ces deux
Français assuraient la sécurité du jeune homme.
Bon, ça la calme
un brin, Véro. Un tout petit brin. N’empêche qu’elle a la moule en
berne, dis ! C’est pas les fêtes du bicentenaire dans son frifri.
Vous avez vu le paf qu’elle s’octroyait ? Non, mais imaginez une
courgette comme ça en action et qui vous laisse quimper en plein
essor ? Ils veulent pas lui foutre la paix encore un quart d’heure,
nom de Dieu ! Qu’elle finisse de se faire braquemarder la moniche !
Elle va en mourir de cette rupture de secteur !
Ils peuvent pas
piger, ces petits cons, avec leurs bistougnets de serins ! Au
contraire, ils sont surexcités, fous de jalousie, de rage
meurtrière. Y en a un qui lui cloque son poing dans la gueule,
preuve qu’elle n’est pas si cheftaine que cela !
Dans l’armoire, le
négus reprend sa sérénade. Ils le délivrent. L’autre, voyant que le
danger est écarté, se jette sur Veronica en la traitant de pute
vérolée. Il la cigogne si fort que le Mastar, indifférent au canon
toujours appliqué contre sa hure, lui cloque un monstre coup de
boule. Le truand tire. C’est Veronica qui morfle la bastos dans la
poitrine, en haut à gauche, au-dessus du sein. Elle pousse un cri.
Son chemisier devient rouge. Sa copine hurle ! Les deux
arquebusiers sont décontenancés. Le blond est plus pâle que
l’intérieur d’une noix de coco. Le négus est une fois de plus
out, mais sûrement pour lurette. Il lui
pousse sur la gogne un machin gros comme une borne
kilométrique.
Et puis, bon,
bien, ça se calme un peu. Le blond ordonne à son écuyère de
s’occuper de Véro. Les hommes retournent au salon où se tiennent
Pinaud, un gros zig armé et le frêle Salvador, beaucoup plus mort
que vif. Il a les mains entravées par des menottes et une grande
plaque de sparadrap sous le pif. Ça cache toujours une partie de
ses bubons répugnants, ce trouduc !
Il y a comme du
flottement dans le clan des méchants. Ça ressemble à la dessoûlance
des petits matins, après la nuit orgiaque.
Ils conseillent de
guerre, les mecs. S’arrêtent sur la décision suivante : ils vont
lester les jambes des deux Français de plots de ciment, puis ils
prendront une vedette automobile et iront les débastinguer dans le
Rio de la Plata, aux eaux jaunasses.
Le môme, ils vont
le planquer en attendant de s’en servir comme argument pour obtenir
une forte rallonge. Là c’est le chantage à l’envers : « Si vous ne
payez pas, on le rend. Si vous versez le pognon, on le supprime !
»
L’un des deux
arquebusiers a un tatouage au cou qui représente un serpent. C’est
très décoratif et, une fois exécuté, ça ne coûte pas cher
d’entretien. Il explique au blond que « l’opération » a été menée
de main de maître. Ils ont endormi leur monde à l’aide d’une bombe
soporifique introduite dans un gros bouquet de fleurs livré à dame
Panar. Ensuite, c’était du gâteau.
— Vous avez
planqué la came ? leur demande le blond vêtu de blanc.
Ils l’ont fait.
Diabolique : une cachette sûre. Ils ont désencadré un tableau et
filé les sachets d’héroïne entre la toile et le contreplaqué
protecteur.
Je te le révèle
tout de suite, que si on oublie par la suite tu viendras gueuler au
charron, putois comme je te sais : ils ont, en dernier recours,
décidé de faire croire que le môme chiquait les dealers et qu’il a été victime d’un règlement de
compte. Astucieux, non ? Merci !
Mais le Noir,
revenu une fois de plus du schwartz, ces palabres ne font pas ses
bidons. Il demande au tatoué de lui prêter son soufflant. Il tient
à dessouder personnellement Béru. Son programme est alléchant : il
lui fait sauter les deux genoux de deux coups de feu à bout
portant, après quoi il lui sectionne les joyeuses et lui colle tout
le pacsif dans le groin en le faisant tenir avec de l’albuplast et
en obstruant ses narines. Puis, il lui pisse dessus et le regarde
crever. En fin de parcours, il finit de vider le chargeur à
l’emplacement de son sexe ablationné. Il opère sur une bâche pour
éviter de salir le parquet. O.K., tout le monde ?
Bon, ils ont rien
contre. Conviennent même que ça peut être joyce, comme one man chauve. Le blond va personnellement chercher
une toile cirée à la cuisine. Les autres font de la
place.
Le Noir saisit
l’arme de son pote, vérifie que le cran de sûreté est bien enlevé.
Il est investi de la mission sacrée qu’engendre la vengeance. Il
doit laver deux outrages : l’enfilade carabinée de sa dulcinée et
la balle qu’elle a morflée au défaut de l’épaule. Alors tu penses
s’il est pénétré de son rôle. Othello ! (« Elle bout ! » comme on
ajoutait au lycée.)
Ses sbires
aminches empoignent le Mastar pour le faire placer sur la toile
cirée.
Mais il y a plus
prompt ! Pinaud ! Oh ! pas dans une action d’éclat, crois bien.
Plutôt une action d’éclaboussures.
Le voilà qui se
précipite sur la toile, accroupi, pantalon tombé, et qu’il se met à
déféquer à en perdre haleine.
Toujours fort
civil, il gémit :
— Excusez-moi,
messieurs, je suis navré ! Mais je ne parvenais plus à me retenir
et je n’aurais pas eu la possibilité de me rendre aux toilettes !
Je suis détraqué de fond en comble : les saucisses pimentées de Mme
Marinette, comprenez-vous ? J’ai l’intestin si fragile ! Je
relevais déjà d’une sérieuse indisposition… Oh ! Oh ! la ! Oh ! la
la !
Et de tirer
d’abominables salves que si je te les décrivais, je perdrais une
partie de mes clients. Des choses inqualifiables, liquides et
pestilentielles. Mousseuses, aussi ! Verdâtres à s’enfuir ! Il
geint ! Il larmoie. Sa tripe s’exténue, entre en agonie
boyassière.
Et tous regardent
ce pauvre et triste cul gris, pointu, sans poils, qui pilonne des
positions ennemies imaginaires. Le blond se met à gerber. Le tatoué
amorce la pompe pour y aller de son voyage, lui aussi.
C’est
indescriptible, insoutenable. Le second mercenaire a la présence
d’esprit d’ouvrir les fenêtres. Les méchants n’ont même pas la
force de protester. Il les a par trop de sincérité, Pinaud ; trop
de candeur diarrhéique. Un mec qui chie, dans une situation
pareille, c’est qu’il ne peut se contenir. Il explose. Tu morigènes
une bombe qui éclate, toi ?
Non, non : y a
rien à dire. Béru, comme les copains, spasme à tout va. Il titube
en faisant des beurghh ! vraougggg ! saisissants de vérité. Dans la
confuse ambiante, les autres ne l’ont plus en point de
mire.
Pinaud a déjà
repeint les deux tiers de la toile cirée, car il se déplace en
déféquant, le chéri ! A pas minuscules, trottineurs, comme pour
s’éloigner du désastre qu’il crée. Pareil au bombardier : il fuit
l’impact des projectiles qu’il largue ! Il va peut-être décéder de
sa bédolanche excessive, le pauvre biquet !
— Foutez-le dehors
! inarticule le blond entre deux gerbes.
O.K., mais par
quel bout l’attraper ? Tel, il semble insaisissable, César. On a
davantage envie de s’éloigner de lui que de l’éloigner de
soi.
Et puis, dominant
cette effervescence faite de nausée, de dégoût grondant, de panique
sensorielle, l’organe claironnant de Sa Majesté sonnant la diane
française :
— Les pognes en
l’air, tous, où j’vous astique les os au jus d’plomb !
Ils le regardent y
compris ceux qui ne comprennent pas le français car tout le monde
lit le pistolet dans le texte. Le gros marle est parvenu à
subtiliser les pétoires des deux kidnappeurs de Salvador et il en a
une dans chaque paluche, comme dans les ouesternes. Faut le voir,
en veston, les fesses à l’air, la queue pendante (enfin !), les
chaussettes tire-bouchonnées sur ses souliers qui bâillent. Ivan le
Terrible !
Comme le tatoué
lui fonce dessus, il le praline sans barguigner. L’homme tombe dans
les flaques pinulciennes, une quetsche dans le col du fémur
!
— J’ai dit les
mains en l’air ! Hands up ! Manos levantade !A
capito ?
On lui
obéit.
Il s’adresse alors
à Salvador :
— Qui c’est qui
t’a mis les m’nottes, gamin ?
Le frêle
boutonneux désigne l’ami du tatoué. Béru se tourne vers l’incriminé
:
— Open the door, mec ! Et plus quickly que ça ! Menottes du bambino ! Schnell !
L’interpellé finit
par comprendre et va délivrer Salvador.
— Ecoute-moi,
Tarte aux fraises, lui lance alors Béru. Y a le téléphone dans
cette masure, au fond du livinge. Appelle la police, tu dis
qu’c’est d’la part de Carmen Abienjuy, le directeur d’la flicaille
de Mardel. Dis où qu’on est et qu’ç’urge ! Tu mords l’topo, Burnes
vides ? Les poulagas vont ramasser tout’ la bande dans son r’paire.
Dis-y qu’y z’amènent une ambulance, du temps qu’y z’y
sont.
Tout flageolant,
pâle sous ses boutons nacrés, l’héritier du fils del Panar
obtempère. Il décroche le téléfon, demande aux renseignements le
numéro de la police.
C’est alors que la
copine de Veronica entre en scène pour le trois. Elle tient une
mitraillette dans ses bras, non pas comme un bébé, mais comme une
mitraillette quand on sait s’en servir.
— Laisse tomber !
jette-t-elle au paumé.
Il se grouille de
remettre le combiné sur sa fourche (comme on dit toujours dans les
romans policiers pour que ça fasse documenté et plus
long).
La gonzesse
pétroleuse apostrophe Béru :
— Amigo con la gorda cola, lâche los pistolas si tu pas vouloir que je tue lui
!
Elle désigne le
pauvre Pinaud dans ses œuvres.
Béru évalue la
topographie. Elle se tient derrière Salvador et braque le chieur de
fond. Il ne peut rien tenter qui ne soit une folie. D’autant
qu’elle paraît tout à fait déterminée, la gueuse !
Alors, le cœur en
berne, il jette ses deux rapières dans la merde de Pinaud, tel
Vercingétorix ses armes aux pieds de César.
— Tenez, fait-il
avec noblesse, servez-vous !
Il a tout jugé,
pesé, défini, Béru : une bande de blousons blancs pervers, privés
de sens moral qui, pour les besognes de choc, s’acoquinent à des
voyous pur fruit. De sales vermines, tous ! Des pourris naturels,
nés gâtés (par leurs parents également). Il sait qu’au point où ils
en sont et ayant percé leurs fonctions, à Pinaud et à lui, ils ne
voient pas d’autres solutions que de les mettre en l’air. Vont s’en
faire un plaisir. Pour eux, le meurtre est un sport de luxe : la
catégorie au-dessus du golf et avant le polo ! Alors il va falloir
jouer son va-tout ! Et ce con de César qui n’a plus aspect humain.
Ce vieux Père la Colique, déjà à moitié scrafé ! Tu parles d’une
croix, ce chieur ! Incapable qu’il est de faire autre chose que de
déféquer, tu voudrais entreprendre quoi, avec sa pomme ? Sur
l’instant, il le hait !
Minute confuse. Le
Noir désigne les pistolets en flaques au Gros et dit :
— Ramasse-les et
nettoie-les !
Il s’empare de la
mitraillette de la fille. Entre les pattes d’un gusman comme lui,
l’arme semble encore plus menaçante, plus, redoutable.
Il braque le
Mahousse.
— Tout de suite !
Je compterai pas jusqu’à trois !
— O.K. ! O.K. !
s’empresse l’Indomptable, comme s’il était dompté.
Il se penche, paré
pour l’action, ayant, dans un éclair (au chocolat), établi son
plan.
— Vieux
dégueulasse, fait-il à Pinuche en lui virgulant un coup de tatane
dans le dossard.
La Pine, propulsé
en position précaire, décrit un valdingue de deux mètres dans le
living. Ce faisant, il libère la toile cirée de sa modeste
présence. C’est ce que souhaite le Mammouth qui a remarqué que son
noir antagoniste a les pieds sur l’autre extrémité de la toile.
Alexandre-Benoît feint de vouloir ramasser les deux feux, en fait
il saisit un bord du rectangle fécalisé et tire de toutes ses
forces. Le Noir bascule en arrière. Béru rabat la toile cirée
par-dessus sa personne et attrape le canon de la sulfateuse qui
dépasse. Le reste de l’arme est bassement souillé, mais Bérurier ne
s’arrête pas à ce genre de détail.
— Maintenant, vous
m’avez assez suffisamment plumé, les mecs ! tonne-t-il de sa voix
de centaure (comme il le dit lui-même). Alignez-vous face au mur du
fond, et au moind’ mouvement j’vous vide ce putain d’chargeur dans
les poumons. Les valdas, c’est bon pour les bronches !
Ils pigent et
obtempèrent.
Béru regarde son
compère.
— Hé ! Pinocchio !
lui dit-il, où qu’t’en es ? Tu meurs ou on continue d’faire équipe
d’nuit ?
— Je crois que ça
y est, lamente le doux Vieilloche, mais comme je me sens faible
!
— Bon, cherche la
salle de bains et r’fais-toi un cul, Vieille Morve ! Quant à toi,
l’môme aux myrtilles, continue c’qu’j’t’avais d’mandé : appelle la
flicard’rie !
L’Imberbe
réentreprend le cadran du gnoufzingue. Au bout d’un moment, il
renonce.
— Il n’y a pas de
tonalité, annonce-t-il.
— Et y en avait
t’t’à l’heure ?
— Je crois, oui
!
Bérurier réfléchit
:
— P’t’être qu’a
des loustics qu’est v’nus en renfort et qu’ont cisaillé la ligne.
Viens m’ remplacer un moment. Naturliche, t’sais pas t’servir d’un’
sulfateuse ? R’garde, mouflet : on tient la bécane d’cette manière.
L’indesque su’ la détente. Gaffe des éclaboussages : j’ai r’l’vé
l’écran d’ sûr’té, prends pas d’rixes inutil’ment superflus, mon
drôlet. Un qui joue au con, t’appuye su’ l’clito d’ l’engin ; pense
qu’c’sont ces salauds qu’a buté ta frangine ! Alors, pas
d’quartier’ !
Il sort pour aller
faire sa ronde de nuit. Mais les abords de la maison sont déserts
et silencieux. Il a beau ouvrir grands ses vasistas, le Sandre, il
ne décèle rien d’anormal, dans cette riante région du
Tigre.
Comme il s’apprête
à rentrer, un vacarme se produit dans la taule. Rafale de
mitraillette. Ça crache épais : tout le chargeur y passe dans la
foulée. Le fracas s’accompagne de cris, de bruits de verreries
pulvérisées. Le Mammouth émet son barrissement de guerre et se rue
aux nouvelles (en anglais : to the news).
En débouchant dans
le salon, il n’en revient pas. Séché, il est, déshydraté du
cervelet en plein. Le blond, le Noir, la fille, les autres malfrats
gisent sur le sol, criblés de balles, morts ou râlant ; saignants,
en tout cas. Le fils del Panar se tient au milieu de la pièce, la
mitraillette fumante entre les mains, hagard, les yeux fous, un
rictus indicible tordant ses lèvres.
— Qu’est-ce y est
arrivé ? bredouille Gargantua.
Pinaud qui est
accroupi à l’écart, déféquant de plus rechef, explique
:
— Ce qu’on voulait
faire, Sandre, il l’a fait.
— De quoi tu
causes ?
— Nous voulions
leur arracher la vérité par la force. Le môme l’a fait sous la
menace. Il était terrible. Il a demandé comment s’était passé
l’assassinat de sa grande sœur. Le blond a craqué, il a dit qu’ils
avaient engagé le tatoué pour la suriner. C’est lui qui avait
dérobé le couteau à viande d’Alfred à la fin du repas. Pendant que
Veronica allait draguer notre pote sur la plage, le tatoué a
assassiné Mlle del Panar dans la salle de bains de sa chambre, puis
il a traîné son cadavre dans la ruelle du lit. Quand la vamp est
revenue, tout était fini. Elle a fait l’amour avec le coiffeur
puis, comme nous l’avons déterminé ensuite, s’est enfuie par le
conduit d’aération. Crime parfait !
Pour ce qui est du
môme Salvador, ils l’ont embarqué et ont planqué de la drogue chez
lui pour donner à croire qu’il s’agissait d’un règlement de compte
entre trafiquants. Leur but, c’était de réclamer beaucoup plus de
fric à la seconde femme du père del Panar. Ils comptaient la
menacer de libérer le môme si elle ne crachait pas au
bassinet.
Le Gros continue
de contempler le carnage. C’est le massacre de la Saint-Valentin
!
— Pourquoi
t’est-ce il a défouraillé ? demande-t-il. Y l’ont menacé
?
—
Non.
— Ben, alors
?
— C’est ses nerfs
qu’ont craqué. Brusquement, il s’est mis à les arroser en criant :
« Assassins ! Assassins ! Ma sœur ! Ma sœur ! »
Le Gros va
arracher l’arme vide des mains de l’adolescent.
— J’ai été con d’
t’prend’ pour un homme, p’tit nœud ! Fais pas ces châsses de merlan
frit, Ducon !
Il le gifle en
deux exemplaires, puissant aller-retour qui imprime la marque
palucharde du Gros sur les joues acnéeuses du gamin en faisant
éclater quelques-uns de ses bubons.
— La police va se
pointer, Branleur, écoute bien la version de m’sieur Pinaud ici
présent. V’v’lez bien nous narrerer les faites, qu’v’s’avez
assisté, m’sieur Pinaud, j’vous prille ?
— Certainement,
s’empresse le cher Délabré. Lorsque vous avez quitté la pièce, la
jeune femme s’est approchée de M. del Panar fils, ici présent, et
lui a arraché l’arme sans difficulté. Elle a crié aux autres : «
C’est de votre faute si nous sommes perdus ! Regardez où nous en
sommes ! » Et, saisie d’une crise de démence, elle s’est mise à
leur tirer dessus. Ce que voyant, avec un courage stupéfiant, M.
del Panar fils a voulu la désarmer. Au risque de sa vie, il lui a
arraché la mitraillette à son tour, mais, dans l’échauffourée, des
balles sont parties…
— Mouais, apprécie
l’officier de police Bérurier, j’voye très bien l’topo. V’s’avez
n’entendu, Salvador, ce dont il s’est passé ? Vous v’ souviendierez
bien d’ l’aversion d’ m’sieur Pinaud ? Récitez-me-la, qu’
j’m’rendisse compte !
Pinaud revient de
la salle de bains, chancelant mais vide et nettoyé. Même, pour te
dire : il sent bon, s’étant lotionné copieusement d’eau de
toilette. Il dit :
— Qu’est devenue
la personne avec laquelle tu t’es isolé pour forniquer, Sandre
?
Bérurier dresse
l’oreille, la queue, les paupières et deux ou trois autres parties
amovibles de son académie. Puis il fonce à la chambre où se
perpétrèrent ses amours inconclues.
Le lit est vide.
Il devient donc livide. Des traces de sang, consécutives à la
blessure subie par Veronica, se lisent sur les draps blancs. Mais
la personne de son cœur a disparu et une profonde meurtrissure
laboure l’âme si noble de cet être délicat.
— E s’est cassée,
balbutie-t-il. Dieu de Dieu ! elle a enfui en roulant sur la jante,
la pauvrette, qu’on n’aura pas fini d’prendr’ not’ pied, moi z’et
elle ! Se peut-ce ? Une gonzessse qu’ pour la première fois d’ma
vie j’ai z’eu l’coup de foutre ! Mais ell’ va mourir si on n’la
sogne pas, la chère chérie ! Ou bien les perdreaux d’ici risquent
d’lui défourailler cont’. Faut qu’ j’vais la sauver, l’Amour ! Y la
ramèn’rerai dans l’droit ch’min d’abord, en France ensute.
J’l’épous’rerai, j’y f’rai des lardons. On r’tourn’ra à
Saint-Locdu-leVieux, mon village natal. J’r’prendrerai la ferme à
mes vieux et on f’ra l’cochon. Un él’vage modèle. Ça pue l’été,
mais ça rapporte. J’prendrai la variété Babylas : les gros roses
qu’a la queue noire. On s’ra primés dans les commissures agricoles
! Not’ entreprise, j’la baptiserai « Béru-porc-export ». La Véro,
j’la saut’rai à longueur d’jornée : su’ la grand’ tab’ d’ la
cuisine, dans la grange, à même l’plancher, dans le tas d’grain du
gr’nier et elle aura du blé plein la chatte ! Qu’y faudra vach’ment
qu’elle s’injectionne après, pas qu’y en reste, sinon y
gerin’raient à l’intérieur, biscotte la chaleur ; y doive régner
un’ température d’au moins cent d’grés dans son minou : y
m’brûlrait l’Nestor !
Il a le temps de
dire tout cela, Alexandre-Benoît Bérurier, en l’espace de peu de
secondes. Soucieux mais déterminé, il rabat sur les lieux du
carnage.
— Pinuche, fait-il
gravement, faut qu’on se quitte un bout d’temps. J’ doive retrouver
la gosseline, tu comprends ? C’est ta pomme qui va donc r’cevoir
les draupers et leur espliquer l’topo. Veille qu’ ce p’tit glandu
tienne l’choc : on doit ça à sa mère, moive du moins ! C’est pas
d’sa faute s’il a eu un coup de nervouze après tout c’ qu’y v’nait
d’subir. On s’r’trouvra chez lui où l’ami Alonzo doit nous attend’.
Tu mettras Carmen au courant des périphéries d’ la noye, qu’elle
nous ouvre l’pébroque en grand, n’au cas où ses collègues
chican’raient su’ c’tas d’viande froide !
Il pose ses deux
pattounes plantigradeuses sur les épaules fuyantes du jeune homme
:
— Quant à toi,
loupiot, du nerf ! T’en verreras d’aut’ ! Pense à Maradona et
d’mande-toi c’qu’il aurait fait à ta place !
Après cette double
exhortation, Bérurier tourne les talons et s’enfonce dans la
nuit.
Il prend le
vent.
Justement, une
brise légère souffle du Rio de la Plata. Le Gros se dit que, pour
quitter la maison, Veronica a dû soit passer par la fenêtre, soit
emprunter une sortie de derrière. Alors il contourne l’habitation
et trouve ce qu’il attend : des traces de sang sur l’appui de la
croisée de la chambre où il contracta ce mal étrange qu’on appelle
l’amour.
Partant de là, il
suit des foulures de pas dans la pelouse. Elles se dirigent vers le
fond de la propriété. A l’extrémité d’icelle : aucune barrière,
mais un bras d’eau. Un instant, le Gros se met à redouter que la
blessée se soit jetée dedans. Il se dissuade en pensant qu’elle
aura été capable de nager puisqu’elle a pu enjamber une
fenêtre.
Il furète dans
l’herbe haute. Voici les traces de pas qui reprennent. Il les suit.
Elles cessent à l’orée d’un petit pont en dos-d’âne réservé aux
seuls piétons. Sa Majesté le franchit lentement, courbé en deux, à
la recherche de nouvelles traces.
Deux petites
étoiles sombres dans la poussière ! La môme est passée par là
!
Le côté animal de
cet homme donne à plein quand il est en chasse. Tout le ramène à
l’instinct sauvage : les sons, les odeurs, la pression
atmosphérique.
Il se dit, en
termes presque télégraphiques : « Quand elle a entendu défourailler
au salon, elle est venue jeter un œil à la sauvette. L’a vu le
p’tit gonzier dans ses z’œuvres. S’est dit qu’il allait aller la
seringuer aussi. L’a mis les adjas par la f’nêt’ de sa piaule. La
trouille donne l’énergie manquante. Au lieu d’enfuir par la route,
s’est mis à calter par les arrières. D’deux choses lune : elle sait
où qu’elle allait ou ell’ l’sait pas. »
L’animal béruréen
stoppe, à genoux sur la berge d’un étroit canal. Il renifle, il
pète, il attend l’inspiration. Et puis, surtout, il regarde.
Qu’aperçoit-il ? Le paysage romantique du Tigre. La plaine
sillonnée de canaux avec plein de maisons de vacances ou de
véquendes rivalisant de grâce et d’ingéniosité. Les architectes «
argentiers » sont très forts, bourrés d’idées
originales.
Le Mastar perçoit
une sirène de police, un brouhaha en provenance des lieux qu’il
vient de larguer. Il croise les doigts pour conjurer le mauvais
sort. Il souhaite que le petit massacreur boutonneux s’en tire. Il
l’a pris en pitié, voire en sympathie. Et puis il se sent coupable
d’avoir foutu cette mitraillette entre ses mains, dans l’état
commotionnel où il se trouvait.
Bon, on verra plus
tard. La Léa jacte à l’est, comme on dit en
latin (il s’est torché un jour avec les pages roses du Larousse,
les jugeant superflues). Il a bien fait de marquer une pause :
pendant cette halte, son instinct a pris la direction des
opérations. Il lui souffle la réponse à la question qu’il se posait
à l’instant : Veronica est allée se planquer dans un endroit
précis. Elle connaît parfaitement ce lieu résidentiel.
Bérurier se
dresse, sonde la nuit de son regard. Il distingue, au loin, une
lumière. Une seule. Tel les bergers de la crèche guidés par
l’étoile, il s’y dirige, franchissant d’autres ponts, traversant
d’autres pelouses, enjambant des haies basses, des massifs de
fleurs. L’amour le pousse ! Il veut la retrouver coûte que coûte,
la sauver, finir de la baiser, l’emmener élever des cochons à
Saint-Locdu-le-Vieux.
Au bout d’un quart
d’heure, le voici devant une construction de style californien.
C’est moi, l’auteur, qui dit « californien » ; Béru, lui, il ignore
ce dont il s’agit. La maison n’a pas d’étage. Tout de plain-pied,
elle est en forme de « Z ». Au jambage du bas, il y a la fameuse
lumière. Alexandre-Benoît s’en approche. Mais on a tiré le store
intérieur, les lamelles se chevauchent parfaitement et il ne voit
rien. Pourtant, quelque chose lui dit qu’il « brûle ».
Que faire ? Taper
au carreau en appelant ? Dangereux. Si c’est quelqu’un d’étranger
qui se trouve dans la taule, il appellera les bourdilles, et si
c’est « elle », elle prendra peur et aura des réactions
imprévisibles. Alors il va à la porte. Elle est fermée. San-Antonio
serait de la partie, avec son fameux sésame, tu parles qu’il en
rigolerait de cette serrure bouclarès, ce grand con pavaneur
!
Messire prend une
décision forte. Il furète dans le jambage supérieur du « Z » qui
est le garage, y dégauchit des outils et se met à besogner une
fenêtre éloignée de celle qui est éclairée. Il est pugnace, fort et
madré. En moins de jouge il craque le montant, redoutant quelque
système d’alarme ; mais non, tu vois, c’est franco. Il escalade. Il
perçoit un bruit étrange venu d’ailleurs, croit un bref instant
qu’il s’agit d’un de ses nombreux pets inadvertés, mais comprend,
en fin de compte, qu’il s’agit de son fond de bénoche qui vient de
rendre l’âme, un de plus ! Son talon d’Achille, le fond de
futal.
Il se déplace à
tâtons dans la place investie. Un couloir, un living trempant dans
l’obscurité, un nouveau couloir desservant des chambres avec, tout
au fond, une barre lumineuse soulignant une porte. Bérurier pose
ses godasses et une étrange odeur envahit les lieux. Cela sent la
bergerie au moment de la tonte, le champ d’épandage, le vieux
plateau de fromages à bout de course…
Il va à la porte,
se baisse pour amener l’un de ses lotos au trou de serrure. Il
découvre une chambre de jeune fille aux murs peints en
trompe-l’œil. Argument : Robinson Crusoé, l’île tropicale, Vendredi
en « Y a bon Banania », un perroquet et ce con de Robinson vêtu de
fourrures (sous les tropiques, je te dis que ça !). Un lit à
colonnettes d’acajou. Sur la couche aux draps fanfreluchés :
Veronica, appuyée contre une pile d’oreillers ensanglantés. Elle
semble épuisée, à bout de résistance. Elle a la tête sur le côté.
Un combiné téléphonique gît près d’elle. Elle a dû s’évanouir au
cours d’une communication.
Béru va pour se
précipiter, mais, pile, un ronflement de bagnole se fait entendre
et une tire stoppe devant la maison, dans un crissement de freins
et une giclée de graviers. Alors, Mister Babar se ravise, réprime
son élan après avoir récupéré ses tartines et pénètre dans la
chambre voisine, laquelle est obscure. Il attend.
Des pas pressés
radinent dans le couloir. La porte de Veronica claque. Un organe
d’homme lance, rudement :
— Veronica
!
Des gifles
pleuvent ! Alexandre-Benoît n’en croit pas ses manches à air. Se
peut-il qu’on frappe cet être exténué, blessé, peut-être agonisant
? Il sort.
La porte étant
restée ouverte, il distingue un gros homme, de dos ; c’est lui qui
vient de bigorner la blessée, qui l’invective ! Dans sa colère, il
jacte tellement vite que Béru n’a pas la possibilité de capter le
moindre mot.
La môme a
maintenant les yeux ouverts. Elle balbutie des phrases peu
audibles, sur un ton d’excuse. Le vilain lève derechef la main sur
elle et va cogner encore. Mais une main d’airain chope son poignet.
Il n’a pas entendu survenir. Il en est pétrifié. N’a pas le temps
de piger. Il dérouille un coup de boule taurin dans les naseaux.
Quelques ratiches, vraies ou fausses (bilan à établir plus tard)
dégoulinent de sa bouche. C’est à lui de tourner de l’œil.
Alexandrovitch-Bénito est parti pour la gloire. Après le coup de
tronche, c’est un crochet du droit à la mâchoire. Voyez pommes
mousseline et laitages ! Ça craque. Le Mammouth n’en a pas encore
terminé avec le molesteur de son égérie. Il y va d’une phénoménale
remontée de genou dans les coquilles sans « q ». Le gonzier est
forfait. Il s’écroule. Pour parachever son œuvre dévastatrice,
Bidular lui fane le cervelet d’une talonnade.
Black-out complet
pour le bonhomme : un type grisonnant, aux tifs drus et rêches, au
visage d’aventurier tailladé de rides et cuit par le
soleil.
— Ma biche !
roucoule l’Enflure en déposant son pantalon fendu sur le lit, près
de la gisante, ma bichette jolie, mon atout cœur, ma levrette,
j’t’aye retrouvée. C’est l’amour. J’t’vas sauver, ma pouliche
sauvage. Tu souffres-t-il beaucoup ?
Elle
dénègue.
— Mais t’es à bout
d’forces, ma jolie génisse, ma gorette, ma colombe blanche
!
Il baisote ses
mains inertes sur le drap.
— Et ce
sale-sagouin-de-salaud-de-merde-enculé-de-sa-sœur, reprend-il,
c’est qui est-ce ?
Elle exhale dans
un souffle :
— Mon père
!
Il réagit moche
:
— Tu as un père
qui te bastonne quand t’es blessée, técolle ?
Elle
opine.
— Caisse y y
prend, ce fumier, d’comporter si indign’ment avec toi, mon trognon
?
Elle soupire
:
— Je ne suis pas
certaine qu’il soit véritablement mon père. Ma mère est morte peu
après ma naissance et j’ai appris par la suite qu’elle avait eu un
grand amour…
— Mais c’est la
Veillée des Chaudières, qu’tu m’ bonnis, ma
poule d’eau ! Et pourquoice y t’ cognait, à l’instant
?
— Parce que
l’opération del Panar a échoué et qu’il va y avoir du
grabuge.
Le Mammouth bat de
ses longs cils gracieusement noués par des boulettes de
rillettes.
— Il était z’au
courant ?
— C’est lui qui
organise tous nos sales coups, en douce. Je passe pour diriger
notre organisation, mais je ne suis que la femme de paille de mon
père !
— Pas possible
!
— Si. Ses
affaires, depuis quelques années, sont vacillantes, alors il a
trouvé cette manière de gagner de l’argent à bon compte, en me
laissant porter le chapeau. Quand il y a un coup fourré, il joue
les malheureux pères désespérés et use de ses relations pour
arranger les choses.
— La carne ! Et
tes potes en savaient rien ?
— Non. Ils me
croyaient l’organisatrice de ces arnaques. En fait c’est lui (elle
montre le mec inanimé) qui tirait les ficelles.
Le Gravos réagit
:
— Maint’nant, ma
libellule, faut qu’on va t’ sogner. J’t’vas faire driver dans un
hosto…
— Oh ! non ! par
pitié. Je vais être arrêtée et emprisonnée, après ce qui vient de
se passer !
Le Gros gamberge
un peu sous son chapeau. Il sait qu’elle dit vrai. Le massacre du
Tigre va faire un chabanais de tous les diables.
— Montre un peu ta
blessure ?
Il lui décarpille
le haut, avec douceur. On voit très bien le trajet de la balle.
Elle a pénétré au-dessus du sein gauche, traversé l’omoplate et
elle est ressortie dans le dos. Une opération est fatalement
nécessaire. Sans avoir de notions chirurgicales, Sa Majesté en est
conscient. Alors ?
— C’t’ crèche
appartient à ton vieux ?
—
Oui.
— Et l’aut’, celle
qu’on a vécu ce circus ?
— Ma bande la
louait.
Il sort un faf de
ses profondeurs marsupiales, le Mastoche. Un faf froissé qui tenait
compagnie à un quignon de saucisse, à un couteau Opinel, à de la
monnaie « argentière », à un dé à jouer, à deux épingles de
nourrice, à un stérilet (perdu par l’une de ses conquêtes en cours
d’ébats), à un minuscule pot de la pommade du Tigre (bien en
situation, dans ce pays), à une noix d’origine dauphinoise, à une
fourchette à huîtres emportée par mégarde, à une dragée Flica, à
une balle de 7,65 et à une image pieuse au dos de laquelle il a
griffonné l’adresse d’un clandé du boulevard des
Batignolles.
Il défroisse le
papier initial et finit par décrypter un numéro de téléphone. Le
compose d’une francfort malhabile sur le cadran à touches. Ça
sonne. Il compte les stridences. Cinq… Six… Sept… Huit… A cet
instant, M. Trabadjabueno décomate et se dresse sur un coude. Béru
le rendort d’un coup de latte dans la gueule.
… Onze… Douze…
Tr…
Hip, hip, hip,
hourra !
— Allô ? demande
la voix sommeilleuse de Carmen.
— Ici Bitenfonte !
lance Prosper. J’désespérais qu’tu fussasses chez toi
!
Un cri de liesse
:
— Toi
!
— Textuel
!
— Oh ! ma belle
queue d’amour, je suis en manque, si tu savais. J’ai le bas-ventre
en feu quand j’évoque ton sexe de légende !
— Jockey, gosse !
Viens l’mater d’ près, mais amène une équipe chirurgiale : j’ai un’
blessée qu’y faut soigner fissa, en tout’ discrétion,
j’t’espliqu’rai. Balle dans la poitrine ! C’est quoive, l’adresse
d’ici, ma sucette en suc’ ?
Veronica lui dit
et il répercute.
— On a tout
solutionné, la Belle ! T’vas connaît’ les lauriers sauce d’la
gloire ! Un’ affair’ pas piquée des z’hann’tons, parole ! Mais
r’mue ton joli popotin. Frétille un coléoptère, qu’ça allasse plus
vite 8. Mais t’es pas seule, dis
voir, ma gueuse : j’entends chuchoter près d’toi ? C’est qui ? Ta
s’crétaire ? T’as suvi mon conseil ? Elle est performante à la
choucroute, cette gazelle ? J’en étais certain ! Son r’gard
salingue ! J’aurais parié mon bénouze, bien qu’y n’valusse pas un
kopeck en c’moment ! J’sus sûr qu’sa menteuse doit accomplir un
boulot d’enfer ! Tu d’vrais l’am’ner, qu’on s’
marre.
A ce point de la
conversation, Trabadjabueno se réveille à nouveau ; aussi a-t-il
droit à nouveau à une portion de tatane pointure 45, à semelles
renforcées. Bonne nuit, les petits !
Béru reprend
:
— J’y
enseign’rerai quèques bricoles qu’tu s’ras contente par la sute. La
gaufrette anglaise, tiens ! La guerre des Malines, c’t’un
pique-nique auvergnat, n’en comparaison ! Tu vas court-juter du
soubabass’ment quand on va t’voter une pareille délicatesse dans
l’nid d’amour ! Allez, couic ! Au boulot ! On continuerera c’te
converse pendant qu’ ton chirugien soign’ra la personne dont à
laquelle j’m’intéresse !
Il
raccroche.
— T’es en bonne
voie, gamine. R’pose-toi, un toubib va viendre pou’ t’réparer. J’te
donne rien à prendre, biscotte faudra qu’tu soyasses à jeune pour
t’faire charcuter.
Elle murmure
:
— Fais-moi
l’amour…
Il en est
babatifié, le Terrible. Une fille perforée de part en part et au
bord de l’évanouissure qui veut du membre, alors là, ça dépasse
tout c’ qu’on peut imaginer, y compris les Contes des Mille et Une Nuits : Archibald le Malin,
Baladin ou la Langue merveilleuse, Chère rasade, le calife Aroun
Tazieff et autres féeries bien superbes !
— Mais si
j’t’engouffre la mollusque dans ton état, ma bébête chauve, tu vas
déglinguer d’la pensarde !
— Je t’en supplie
!
— Bon, moi, c’est
l’genr’ d’truc dont y faut pas m’le dire deux fois. N’auparavant,
j’vas m’occuper d’ ton vieux, t’as pas envie d’être tringlée d’vant
cézigmuche !
Il s’attelle entre
les cannes du vilain monsieur et le brouette dans la chambre d’à
côté.
Le ligoter à
l’aide des cordons de rideau est un exercice courant dans lequel
Béru est passé maître. Par excès de sécurité, il attache ensuite le
saucissonné par les pieds après la suspension et place sous lui
quelques vases qu’il brise pour les transformer en
tessons.
— Débats-toi pas,
mon pote ! lui conseille Bérurier. Qu’sinon t’auras l’air d’t’êt’
rasé av’c une moissonneuse-batteuse.
Et il vole vers
l’amour !
En a-t-il perpétré
de louches coïts, Béru ! Des pas cathos, des franchement glauques !
A-t-il assez copulé avec des personnages étrangement bizarres et ce
dans des circonstances incommodes, incroyables, nécessitant force
et impudeur. Pourtant, c’est la première fois qu’il embroque une
femme grièvement blessée. A sa demande, certes, mais quelle énergie
il doit déployer pour porter à l’extase suprême cet être douloureux
et affaibli.
Pour démarrer, il
lui dit :
— Soye pas trop
gourmande, mômaque, j’t’vas assurer l’service à la menteuse,
n’ainsi tu n’s’ras pas s’couée. T’as juste à ouvrir ta mandoline et
j’t’interprète un’ tyrolienne baveuse d’ tout’ beauté. J’sais pas
si t’as évalué la surface portante d’ ma bavarde, mais j’peuve te
traiter cinquant’ centimèt’ carrés n’ à la fois ! Y compris dans
les creux et les plis ! Tandis qu’si j’t’usine au braque, une fois
lancé, j’t’ délabre le fourgon comm’ si qu’aurait un déraill’ment
su’ la ligne !
Alors il démarre
Miss Trabadjabueno en minette mondaine, émettant un bruit mélodieux
de gargarisme contrôlé.
Elle a illico les
centres nerveux qui s’enchevêtrent, Vero. Elle remonte les genoux,
les éloigne l’un de l’autre 9. Le Gros y
va à bloc, comme à la soupe ! La pauvrette en perd les pédales,
voire conscience. Elle entonne un cantique : Je
suis chrétien, voilà ma gloire. La
fièvre qui la met en délirade. Et puis elle refait surface et exige
que le lancier du braque la charge, sabre au clair (ou au clerc,
quand il est dans une étude de tabellion). Il s’exécute d’autant
plus volontiers qu’il en a très envie. Mais quelle délicatesse chez
ce bison non futé ! Il l’embourbe à la nostalgique, façon carte
postale où un couple de cons se susurre des conneries : « Quand tu
es près de moi, je suis pleine d’émoi », ou encore : « Toi et un
toit, pour toujours, mon amour ».
C’est very voluptas, comme exercice. Le trombonage à
coulisse lubrifié. Bérurier se sent glisser dans une onde tiède.
L’amour le capture. Il chuchote à l’oreille de Vero qu’il n’a vécu
que pour cet instant de félicité, qu’il l’adore, l’emportera dans
ses françaises campagnes et que les cochons qu’ils y élèveront
seront primés. Elle répond par des râles. Elle veut tout ce qu’il
veut, plus sa grosse chopine ! Ô bonheur inattendu, brusquement
surgi au détour de la vie. Bonheur infini sans qui la baise ne
serait que ce qu’elle est !
Glorieuse
libération des sens ! Ils s’abîment dans les communes transes de la
volupté paroxystique.
Après quoi, Vero
s’évanouit et Bérurier s’endort ; ce qui revient au même, en
somme.
Le ronflement de
l’hélico réveille notre ami. Il se dresse sur un coude, réagit.
Oui, c’est Carmen Abienjuy et le chirurgien !
Il se
lève.
— Comment te
sens-tu-t-il, ma fée bleue ?
Elle ne répond
pas. Il se penche sur elle et avance la main pour la caresser.
Destination la croupe, là où la femme ressemble le plus à un
Stradivarius ! Mais sa dextre se pose sur du marbre. Il a un coup
de boutoir dans la poitrine. Le T.G.V. qui lui rentre dans le lard
! Un mal atroce le point ; un cri rauque voudrait jaillir de sa
gorge, mais l’encombre comme un mauvais glave.
Veronica est
morte. Elle a défunté à son côté, sans bruit, discrètement,
probablement heureuse de sa dernière troussée.
Alexandre-Benoît
se fout à chialer. Des gros sanglots, comme à la mort de sa mère,
quand on l’a descendue dans la fosse des Bérurier, la maman, tandis
que des abeilles indifférentes bourdonnaient de joie au-dessus de
ces gens en noir ! Il pleure sur la pauvre petite fille à la
jeunesse perdue, il pleure sur ce jeune destin saccagé ! Il
donnerait sa propre vie pour la ressusciter, la sale gamine
perverse.
Il bredouille
:
— J’t’aurais
n’aimée, Moustique, jusqu’ z’à la fin du monde ! J’t’aurais
concassé ma vie ! On s’rait t’été heureux, nous deux ! Tout c’dont
j’possède, j’t’y aurais donné ; tout c’qu’j’sais faire, j’ t’y
aurais apprise ! J’eusse écrit des pouèmes pour toi ! T’aurais
pratiqu’ment vivu av’c ma queue dans les miches !
Dehors, le
grondement est assourdissant. Béru torche son chagrin d’un revers
de manche et sort en titubant. Le couloir. Ah ! oui : et le
father de la môme qu’il a oublié. Merde !
Raide comme barre, lui aussi ! Des heures la tronche en bas, faut
comprendre ! Le Mastar se hâte de trancher la corde et de la faire
disparaître.
Puis il va à la
rencontre des arrivants.
Voici Carmen et sa
secrétaire, escortées d’un monsieur olivâtre, avec des baffies à la
duc de Guise et qui porte une valoche.
— C’est trop tard
! bredouille le Gros. Trop tard…
Chez la mère
Rosita del Panar, c’est la monstre effervescence. Les roycos ont
parfaitement mordu au vanne inventé par Pinaud le chieur et
accrédité par lui. Le jeune Salvador fait figure de héros, et tu
sais qu’il a la tête enflée, tout à coup, ce connard ? Lui, de
dessouder un paquet d’individus, l’a fait basculer dans l’âge
adulte. On dirait déjà qu’il a moins de fraises des bois sur la
bouille, ce matin. Il roule les mécaniques en répondant aux
questions des journalistes et en se laissant flasher par eux.
Maradona ? Tiens, smoke ! Il n’a plus
qu’une idole à adorer : lui-même ! T’as vu comment il les a mis en
l’air, ces guignolos ? Sans faiblir, avec précision, que dis-je !
mi-nu-tie ! Al Capote ! (anglaise). Dans Salvador il y a salve ! Oh
! comment qu’il a zingué ces truandinets, l’apôtre ! Pas de
quartier ! Mise en l’air sur mesure !
Sa maman est folle
de bonheur d’avoir récupéré son dadais ! Pour comble, tu sais quoi
? On vient d’apprendre qu’Hildegarde, la seconde Mme del Panar,
vient de perdre l’enfant qu’elle portait, sous le coup des émotions
fortes. Dès lors, c’est Salvador qui engourdira tout l’héritage, à
la mort du paralytique (qui ne saurait tarder, après un pareil
scandale et tant de sombres chagrins !).
Une qui est
parfaite, c’est Carmen.
La classe ! Elle
s’occupe de tout, décide, agit, étant pratiquement déjà nommée
directeur de la police de Buenos Aires.
Tout baigne. Elle
vient d’ordonner la relaxation d’Alfred. Cézigo est en route pour
rejoindre ses amis. Heureuse conclusion (pour lui) d’une sombre
machination, qui aurait pu ruiner son destin de
frisotteur.
Et puis voilà-t-il
pas la comtesse de la Fuenta qui se pointe. Comment s’y est-elle
prise pour recoller au peloton ? Mystère et goule de bomme ! Quand
le sexe s’empare d’une quinqua, elle devient
indomptable.
Lulure qu’elle a
pas eu sa ration de braque béruréen, la chère femme ! C’est bien
joli, les enquêtes, mais elle entend recevoir sa part de chibre !
Noblesse, pas noblesse : le cul est un roturier solitaire ! Quand
il a faim, faut qu’il bouffe !
Elle se pointe à
l’hôtel où sont descendus nos aminches, juste qu’ils sont en train
de prendre le thé dans l’appartement que Carmen partage avec sa
secrétaire jolie. Béru et Pinaud les accompagnent au muscadet sur
lie. Le sergent Alonzo Gogueno se contente d’une bière argentine.
Et puis dit : voilà la pétulante Dolorès qui rallège avec un
ensemble de cuir noir, très dompteuse, et ses nichemards en marée
montante !
Tout le monde se
gratule le con, comme dirait l’Infâme. Mais le Gros baigne dans la
morosité. La chère comtesse lui en fait la remarque. Un pleur
humecte son regard bovin. Il répond qu’il a le bourdon à la
perspective de quitter tout ce gentil monde, mais il triche, tu
penses bien ! Le souvenir de la petite Veronica le poursuit et
ruine sa joie simpliste de bon vivant. Il la revoit dans ce lit,
allongée à son côté. Lui, s’endormant, terrassé par l’amour ! Elle
s’endormant aussi, terrassée par sa blessure trop longtemps
négligée. Elle se mourait et il ne le savait pas, ce gros con ! Il
roupillait contre un cadavre !
La Dolorès, ça
fait pas son blot, les spleens du Gros. C’est pas son style,
Werther ! Faut avoir la gueule romantique pour toucher l’auditoire
dans ces cas-là. Béru, sa musique intérieure, c’est pas du Chopin
mais de la zizique de cirque ! Son âme joue de la grosse caisse,
pas de la petite flûte !
Elle lui chuchote
dans la baffle gauche :
— Allons dans
votre chambre, bel ami, je vous aiderai à vous refaire un moral
!
Il paraît
s’arracher d’un rêve, regarde le prose gainé (comme on dit
toujours) de cuir de la riche propriétaire et se contraint à des
pensées lubriques.
« Faut qu’j’vais
réagir, décide-t-il. Une bonn’ bitée, c’est good for me, mieux qu’la
Guiness ! »
Ses yeux passent
sur les deux autres filles. Il se demande laquelle est la plus
choucarde à tirer ? Après tout, il ne s’est pas encore fait la
secrétaire aux châsses polissons. Elle doit y aller du radaduche,
la Miss !
La comtesse lui
caresse l’entre-deux doucettement, à gestes de propriétaire. Elle a
l’antériorité pour elle. La bitoune, selon sa morale bourgeoise,
c’est comme la terre : elle appartient au premier occupant. Carmen
coagule du regard en constatant ce geste. Voilà de l’électrac qui
s’accumoncelle dans la pièce. Ah ! non : pas de foyer d’infection !
On n’va pas recommencer la guerre du Golfe !
Bérurier devient
héroïque.
— Bien,
décide-t-il, faut quand même qu’on va fêter not’ succès, mes
aminches !
Il commence à se
déloquer, habile strip-tease, lascif, érotique. Il pose son futal
éclaté pour commencer, tout en conservant ses lattes, puis il
abandonne son slip sexy (jaune devant, brun derrière). Après quoi,
c’est le veston qui choit, précédant la chemise. Tous le
contemplent, avec toujours la même fascination
incrédule.
« N’en somme, se
dit in petto le Gros, toujours lucide, c’t’enquête, j’l’aurais
m’née av’c ma bite ! C’t’elle qui m’aura ouvert toutes les lourdes.
J’m’pointe, j’dégaine Agénor et les frangines pamoisent. Le bon
Dieu est franch’ment magnifique d’m’avoir attaché en bas du bide
un’ panoplie pareille ! »
Et, mentalement,
il réunit les éléments d’un « Notre Père… » de gratitude
:
« Not’ Père
qu’êtes soucieux, qu’Vot’ gnon soye j’sais-plus-quoi, qu’Vot’
araignée arrive… Que Vos… Enfin tout le reste… J’Vous prille
d’m’escuser d’avoir un trou, mais l’cœur y est ! J’Vous doive tout
et surtout ma grosse queue d’âne, Seigneur mon Dieu ! Saint-Cloud
very moche pou’ l’ cadeau ! J’voye mal
c’dont j’aurais fait si Vous m’auriez fublé d’un pauv’ niocchi
comme j’en ai tant vu. Av’c un tel sauciflard, mon Dieu, bien
joufflu d’partout et appétissant, j’peux circuler dans
l’éguesistence la tête haute. Celle d’mon nœud dans tous les cas !
Un d’ces quat’, j’irai à Lourdes. J’frai brancardier et j’
tremp’rai mon paf dans l’eau miraculeuse : pas pou’ d’mander, mais
pou’ r’mercier. Tous ces enfoirés d’ici-bas y passent leur vie
d’merde à Vous faire tarter av’c leurs jérémiances. Toujours à
réclamer, ces enculés ! Moive, j’ai envie d’Vous tend’ la main,
Seigneur, et d’Vous payer un gueul’ton en r’connaissance. En c’jour
qu’j’souff’ d’amour, qu’j’aye une grande peine, v’là qu’Vous me
faites bander quand même pour m’ r’quinquer. Alors là, chapeau,
Seigneur mon Dieu ! Y a qu’Vous pour penser à ça ! »
Et, à la stupeur
générale, il exécute un grand signe de croix
déterminé.
Soudain retrouvé,
radieux et souriant, conforté par ce coup d’âme, il prend
l’initiative des opérations.
— Mes p’tits
choux, fait-il avec son autorité bienveillante coutumière,
j’propose un démarrage à l’arniab’ de la manière ci-dessous : ma
pomme, ici présent, j’vas prend’ l’plumard av’c la p’tite
escrétaire, manière d’ tester ses capacités, c’ qu’est la moind’
des choses. M’sieur Pinaud, sans cesse su’ la bretèche, va démarrer
la comtesse en y fsant langu’ d’ velours, c’ qu’est toujours
appréciab’. Enfin, no’t’ chère Carmen va opérer un bioutifoul
turlutage au sergent, s’assurer s’il vaut l’coup qu’elle le fisse
permuter à Bonno Zairesse. Si vous r’sentiez d’la gêne, on va
tirerer les doub’ rideaux, manière de s’esprimer d’tout son cœur en
pénomb’. Et maint’nant, tout l’mond’ à loilpé, j’vous prille !
V’s’êtes tous bien saboulés et c’est pas la peine d’froisser vos
harnais et d’y balancer des virgules qui font mauvais genre par la
sute !
Ainsi parla
Alexandre-Benoît Bérurier, sur la rive droite du Rio de la Plata
aux eaux couleur de merde.
Vol de nuit Rio de
Janeiro-Paris.
Deux jours plus
tard.
Dans les first, cinq personnes éminentes : Carmen Abienjuy,
la comtesse de la Fuenta, Pinaud, Bérurier, Alfred. On leur a servi
un dîner délicat et projeté un film sur la culture du coton en
Hydrophilie orientale. Pendant la projection, l’insatiable Carmen a
taillé une pipe au Gros, en faisant semblant de dormir sur ses
genoux. Il lui en est consécuté un blocage de la mâchoire et il a
fallu que Sa Majesté lui tire un crochet au bouc pour qu’elle
puisse refermer sa trappe.
Ils se sont tous
endormis du sommeil du juste et c’est l’escale de Dakar qui les
réveille.
Les passagers ne
descendent pas. Comme à l’aller, une équipe de nettoiement
sénégalaise envahit l’avion et des odeurs de kérosène, ce puissant
carburateur breton, font froncer les narines.
Alfred, un peu
pâlot depuis sa détention, s’agenouille sur son siège pour pouvoir
s’entretenir avec Béru, son sauveur, assis derrière
lui.
— J’ai une drôle
d’impression, lui dit-il.
— Ah oui ? laisse
tomber le Mastar, indifférent (il a deux doigts en coup de sifflet
dans la chatte de Carmen Abienjuy).
— La sensation
d’oublier quelque chose, reprend Alfred.
Le Mammouth retire
provisoirement ses deux doigts explorateurs pour les porter à son
pif de sanglier.
— Ta valoche ?
suggère-t-il.
— Non, non : je
l’ai récupérée au greffe.
— Et c’est là, tu
vois ? Regarde bien : là ! Qu’il pousse un cri.
Berthe ! égosille
le merlan ! Berthe ! On l’a laissée au Sirenia
Palacio de Mare del Plata !
Bérurier remet ses
doigts dans la tiédeur où ils se complaisaient. Il constate qu’il
peut leur adjoindre un troisième larron, hésite entre son index et
son auriculaire, penche pour l’index, plus
démonstratif.
— Et qu’est-ce que
tu veux qu’ ça m’fout’ ? demande-t-il. C’est qui est-ce qui l’a
embarquée à Mardel ? Tézigue ! C’t’à tézigue d’la ram’ner si l’cœur
t’en chante. Pour c’ qui est d’ma part, j’ trouve qu’elle est
bonnarde dans son hôtel. L’temps qu’elle aye passé tous les clilles
et les employés à la cass’role, d’l’eau coul’ra sous l’pont Neuf,
Freddo ! Moi, av’c l’ chep’tel qu’ j’ramène, j’ai d’quoi voir
v’nir.
FIN
1
Il est vraisemblable que
Béru veut parler d’un cul-de-basse-fosse.
2
Ceci est une image, car
l’illustre romancier refuse systématiquement de se prêter à ce
genre de cérémonie.
3
Béru veut parler des
écueils, probablement.
4
Cf. Bosphore et fais reluire, ouvrage primé par
l’Académie turque.
5
Probablement Béru veut-il
parler de James Bond.
6
Ici Bérurier parle sans
aucun doute de « disculper ».
7
Scatologique, San-Antonio
? Et alors ?
8
Il est à peu près certain
que Bérurier a voulu dire « Affrète un hélicoptère ».
9
Ce qui frappe chez
San-Antonio, c’est son extrême délicatesse. Il aime choquer et,
cependant, il prend soin d’éviter certains termes qui lui répugnent
parce que trop crus. Ainsi là, en disant que Veronica « éloigne ses
genoux l’un de l’autre », il suggère qu’elle écarte les jambes,
sans avoir à utiliser ce verbe « écarter », si grossier en
l’occurrence.
Jean-François
REVEL
Edition
originale
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© 2000,
Éditions ePocket.
ISBN 2– 266–
10900– 6
“ Si un jour on te
demande quel est le plus gaulois des San-Antonio, le plus vert, le plus salingue, le plus
rabelaisien, le plus scatologique, le plus grivois, le plus
too much, réponds sans hésiter que c’est
Les cochons sont lâchés. Peut-être parce
que c'est le seul où San-Antonio ne joue aucun rôle, sinon celui du
romancier ?
Dans ces pages
paillardes, Béru et Pinuche sont lancés seuls à l’aventure, afin de
dénouer une ahurissante affaire.
Mais le pénis “
hors paire ” de Bérurier sera leur braguette de sourcier. Grâce à
cet appendice exceptionnel, ils franchiront tous les obstacles
!
Comment
?
Lis et tais-toi
!
L'heure est grave
; l'heure est folle : les cochons sont lâchés
! Retiens ton souffle, ma jolie. Et surtout ne déboucle pas ta
ceinture si tu ne veux pas qu'il t'arrive un turbin !”
San-Antonio
ePocket
San-Antonio
Policier
ISBN 2– 266–
10900– 6