Table des
Matičres
DÉBUT
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
(Meilleure que les autres.)
(Meilleure que les autres.)
SUITE
SUITE
(A suivre avec attention.)
(A suivre avec attention.)
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
SUITE
(Eperdue)
(Eperdue)
SUITE
SUITE
(Épique)
(Épique)
SUITE
(De plus en plus)
(De plus en plus)
SUITE
(ARCHI)
SUITE
COMMENCEMENT DE LA
FIN
ENFIN FIN
!
SAN-ANTONIO
LES COCHONS SONT
LÂCHÉS
(TANGO
ARGENTIN)
A Marc BONNANT
qui parle le français le plus pur, avec la tendresse de
celui qui écrit le français le plus trouble.
SAN-A.
On a souvent vu des
vivants faire semblant d’être morts.
Mais on n’a jamais
vu des morts faire semblant d’être vivants.
SAN-A.
DÉBUT
Le soleil cognait
dur et l’on entendait presque rissoler sa graisse comme du lard
dans une poêle chauffée.
Elle dormait et
faisait penser à cet énorme veau marin affalé dans la lumière, pour
qui soulever une paupière constituait un exercice exténuant.
L’animal apparaissait dans je ne sais plus quelle pub ; chaque fois
que je le voyais à la téloche, je me mettais à
bâiller.
Elle portait un
aimable maillot de bain deux-pièces qui aurait pu servir de hamacs
à la famille Tarzan. Il était bleu marine et imprimé de gros
dahlias rouges. Sa partie supérieure ne parvenait pas à contenir
les deux formidables mamelles qui s’échappaient de toutes parts ;
quant à la partie inférieure, elle dissimulait mal une moulasse
grosse comme deux kilogrammes de pain, dont la touffe exubérante
s’égaillait loin sur le ventre et les cuisses.
Elle dormait avec
l’innocence d’une petite fille obèse. La chaleur avait fait fondre
son rouge à lèvres, lequel perlait en menues boulettes aux poils de
sa moustache. Elle souriait d’aise à travers la bouillie pourpre
résultant de cette fusion. Elle tenait chastement un bras sur ses
yeux et ses voisins de plage, fascinés par le rare spectacle
qu’elle constituait, pensaient qu’un chat angora était pelotonné
dans le creux de son aisselle.
Son compagnon, un
brun du genre Roméo pour fête foraine : chevelure gominée à la
Travolta, fine baffie rappelant celle du regretté Adolphe Menjou,
se tenait sur un coude à l’ombre de cette masse de chair. Avec une
longue brindille trouvée sur la plage, il caressait le monceau de
cellulite mis à sa disposition pour faire naître un frisson sur la
monstrueuse cuisse offerte au soleil.
Il entendit un petit
rire moqueur et tourna la tête. Il vit une jeune fille brune, très
bronzée, qui regardait son manège avec amusement. Le galantin jeta
sa brindille et s’assit en tailleur sur sa serviette pour consacrer
son intérêt à la femme brune. Elle avait des yeux presque verts,
couleur huître. Il l’avait déjà aperçue à leur hôtel. Dans la salle
à manger en plein air, elle occupait une table proche de la leur et
il avait été surpris de constater qu’une fille aussi ravissante
était seule. Chaque soir il se disait que, le lendemain, un
compagnon l’aurait rejointe, mais ce n’était jamais le
cas.
Comme elle le
dévisageait hardiment, il lui plaça un sourire voluptueux qui
montrait un bout de langue, ainsi qu’une œillade de velours dont il
avait le secret (il était d’origine napolitaine).
Elle lui rendit son
œillade.
« Cette salope est
en manque de chibre », songea-t-il.
Il humait les
effluves de la femme avec une circonspection animale. Au bout de
peu, il s’avança vers elle en se déplaçant sur les genoux.
Lorsqu’il fut à un mètre de la femme brune, il s’assit sur ses
talons.
— Hello ! fit-il.
Buena dias !
Elle retrouva son
sourire.
— Sans vouloir vous
vexer, fit-elle en italien, votre espagnol n’est pas très
fameux.
Il eut une moue
piteuse.
— Vous êtes
made in Italie ? demanda-t-il.
— Pas moi : vous
!
— C’est vrai,
reconnut-il.
— Napoli ?
poursuivit-elle.
— En effet. Vous
parlez rudement bien le dialecte napolitain.
— J’ai toujours été
surdouée pour les langues étrangères ; j’en parle seize en tout !
Vous vivez en France, n’est-ce pas ?
—
Exact.
— Votre femme est
tout à fait française, ajouta la fille brune avec une expression
ironique qui le fit rougir.
— Ce n’est pas ma
femme.
— C’est quoi alors,
votre maîtresse ?
Il ne répondit pas.
Son regard salingue restait fixé sur l’entrejambe écarté de son
interlocutrice. Il devinait un sexe délicat, merveilleusement
fendu, et une impétueuse envie de s’en délecter lui vint. C’était
un rustre aux désirs souverains qu’il dorlotait comme des enfants.
Un jouisseur sans états d’âme.
— C’est étrange,
soupira la jeune femme.
— Qu’est-ce qui est
étrange ?
— Une femme, quand
on l’épouse, elle est convenable, et puis il arrive qu’elle se
mette à grossir et qu’elle devienne obèse. Mais qu’on prenne une
maîtresse obèse dénote de curieux instincts. Seriez-vous pervers
?
Il haussa les
épaules :
— Je ne sais
pas.
— Elle vous plaît
?
— C’est une
formidable salope : je prends un pied d’enfer avec
elle.
— C’est bien ce que
je pensais : vous êtes sadique.
— Non mais, ça va
pas ! protesta le Casanova pour noces et banquets.
— Ne vous fâchez
pas, venant de moi c’est un compliment. J’aime les hommes qui
baisent avec les yeux. Vous avez une façon tout à fait particulière
de fixer une femme qui vous inspire. Vous me faites mouiller
!
Le don Juan en eut
la gorge nouée.
— C’est vrai ?
bredouilla-t-il comme un con.
— Il ne tient qu’à
vous de vous en rendre compte.
L’invite était
grande comme la cathédrale de Chartres ; le bellâtre n’y résista
pas.
— Je ne demande pas
mieux, mais où ?
— J’occupe la
chambre 612.
Elle se leva avec
une grâce féline, comme l’on écrit dans certains ouvrages de haute
tenue littéraire. Du pouce glissé sous son maillot unipièce noir,
elle remit ce dernier en bonne place de part et d’autre de sa
chatte.
— Je rentre la
première, rejoignez-moi dans trois minutes.
Il la regarda
s’éloigner à contre-soleil. Elle était du feu de Dieu. Le séducteur
transi se sentait bouleversé par cette aventure imprévue. Son cœur
partait en dérapage incontrôlé et une monstrueuse soif rendait sa
langue pareille à un os de seiche. Il se dressa à son tour et
s’approcha de la dormeuse. La grosse vachasse ronflottait
harmonieusement. Elle inspirait du nez avec de légers crachotements
et expirait de la bouche en émettant un sifflement de fusée allant
se perdre dans le cosmos.
Il s’accroupit près
d’elle et, de l’index, écrivit dans le sable : « Je suis aux W-C.
Bisous. »
Ayant tracé ce
poétique message, il s’éloigna à longues foulées en direction de
l’hôtel.
La 612 se trouvait
à deux pas des ascenseurs ; la clé était restée à l’extérieur. Il
toqua d’un doigt léger, puis grattouilla le montant pour dissiper
toute équivoque. Une voix lointaine le pria d’entrer. Il
obéit.
— Reprenez la clé !
cria la femme brune depuis la salle de bains séparée de la chambre
par un dressing.
Il obtempéra et
ferma consciencieusement de l’intérieur. Elle avait eu l’heureuse
initiative de baisser les stores vénitiens et de tirer les doubles
rideaux. Malgré tout, la clarté impétueuse du dehors parvenait à
forcer la pénombre et les ténèbres souhaitées se fissuraient de
traits lumineux.
Elle surgit en
caracolant et bondit sur le lit où elle se plaça les bras et les
jambes en croix de Saint-André.
— Viens ! haleta la
femme brune d’une voix rauque.
Il se défit en un
tour de main de son maillot de bain ensablé et, galant, secoua son
membre pour en faire tomber les grains de quartz
abrasifs.
Son sexe était
perpendiculaire à son corps musclé et dodelinait avec des grâces
pataudes. Sans déclencher le délire, il se présentait sous un
volume de bon aloi, sa longueur inusitée compensant le diamètre
passe-partout.
— Tu es superbe !
flatta la donzelle.
Il s’agenouilla au
fond du lit et l’entreprit par des manœuvres propitiatoires
auxquelles elle se montra sensible.
Il faisait minette
correctement, sans plus. On sentait qu’il ne s’agissait là, pour ce
tringleur d’obèse, que d’une mesure d’engagement. Il devait
rarement amener sa partenaire à l’orgasme complet par ce moyen
raffiné, trop intellectuel pour lui !
Effectivement après
une brève tyrolienne silencieuse, il remonta le matelas et se mit
en batterie. Dans cette partie des « imposées », il déployait
beaucoup de brio ; tout à l’énergie, fougueux et infatigable. Cette
charge de cosaque surprit sa conquête qui faillit en perdre
l’esprit. Elle eut l’heureuse idée de haleter :
— Je t’en supplie,
sois gentleman : je suis en pleine fécondation et je ne porte
aucune protection !
Cette exhortation
le dérouta car elle ne correspondait guère aux mœurs de l’époque ;
mais il pensa qu’il était en Argentine, pays très européanisé,
certes, cependant encore plein de lacunes.
Touché par la
requête, il promit dans un râle d’éternuer hors circuit. Ce qu’il
fit en toute conscience quatre minutes et vingt secondes plus tard,
un peu prématurément sans doute, toutefois les râles de la femme
lui donnèrent à penser qu’elle avait eu le temps de faire
homologuer son panard. Il resta anéanti sur la couche des voluptés,
taureau devenu bœuf par la délivrance du plaisir. Alors elle
l’enjamba pour rallier la salle d’eau.
Au moment où elle
passait par-dessus son partenaire, elle remarqua :
— Eh bien ! dis
donc, j’ai bien fait de te prévenir ! Tu es d’une abondance !
Fichtre, quel étalon !
Cette constatation
le flatta. C’était effectivement l’une de ses caractéristiques et
elle confondait les « pipeuses ».
Le lac aux cygnes !
L’étang de Berre ! Le Léman en réduction !
Vidé et comblé, il
se détendit sur le lit. Sa noble queue de séducteur avait une
langueur de reptile gavé. Il songea à sa belle compagne qui
somnolait sur la plage. Peut-être était-elle déjà réveillée et
s’inquiétait-elle de son absence. Elle irait à la relance jusqu’aux
cagoinsses, probable. Elle était d’une jalousie torride. Il devrait
s’inventer un alibi : les haricots noirs de midi l’avaient «
barbouillé » et il était allé jusqu’à la pharmacie acheter des sels
d’Eno. Seulement elle demanderait à voir le flacon. Non, il fallait
trouver autre chose. Il ne pouvait pas se sauver comme un
malpropre, son coup tiré, en plantant sa jolie partenaire en
pleines ablutions. Le savoir-vivre le lui interdisait. Lorsqu’elle
se serait rafraîchi la tirelire, il devrait lui prodiguer quelques
bisous reconnaissants, de la belle pelloche bien roulée. Il était
le roi du baiser caméléon ; sa menteuse, longue et preste, « leur »
titillait les amygdales de telle sorte que les frangines
reprenaient vite envie de remettre le couvert.
Tout en
l’attendant, il s’endormit d’un sommeil bestial de mâle assouvi. La
chambre était fraîche, la pénombre capiteuse. Il fit un rêve dont
il ne devait pas se souvenir clairement par la suite. Il ne lui en
resta que des bribes. Il était nu contre une fille lascive, auprès
d’une cascade, sur un tapis de mousse. Des oiseaux gazouillaient.
Et puis des bûcherons vinrent abattre des arbres géants à grands
coups de cognée. Ce furent ces coups qui l’éveillèrent. Il rouvrit
les yeux, se rappela où il se trouvait et ce qu’il venait d’y
faire. On frappait violemment à la porte de la
chambre.
Le bourreau des
cœurs sauta du lit et courut à la salle de bains.
— Chérie ! On
frappe ! annonça-t-il.
Personne ne lui
répondant, il en ouvrit la porte et constata qu’elle était vide. Sa
compagne était déjà ressortie et, attendrie sans doute par son
sommeil profond, ne l’avait pas réveillé. Il fut touché par sa
sollicitude et cette preuve de confiance.
Comme les coups
redoublaient dans le couloir, il enfila prestement son maillot de
bain gisant sur la moquette et alla ouvrir. Quelque chose le
déconcerta confusément, mais comme il était embrumé, il n’eut
l’explication que plus tard. Il se trouva en face d’un employé de
l’hôtel et d’un policier en uniforme. Le policier lui lança une
longue phrase en espagnol qu’il ne comprit pas. Voyant son
ignorance, l’employé de l’hôtel la lui traduisit :
— Le señor policier voudrait savoir ce qui s’est passé
dans cette chambre.
La cervelle du
bellâtre se mit à bouillonner comme un chaudron de confiture. Il
imagina dans la foulée mille folles hypothèses : la fille brune
avait un mari jaloux qui la faisait surveiller et il était bonnard
pour un constat d’adultère. Ou bien…
Comme il restait
coi, le flic s’avança dans la pièce d’une démarche péremptoire,
alla tirer les rideaux et actionner le bouton électrique commandant
la remontée du store. Une vive clarté, impitoyable, fit place à la
douillette pénombre.
Penaud, le baiseur
déconfit suivait les déplacements du poulet dans la chambre. Cela
ressemblait un peu à un viol. L’homme avait un aspect de soudard en
pays conquis. L’amant de la pensionnaire frivole déplorait
l’absence de celle-ci. Elle aurait pu parler, s’expliquer. Il se
sentait abandonné, avec le poids du péché sur les
endosses.
Il repensa à sa
grosse maîtresse. S’il y avait du zef, elle allait lui passer une
sacrée branlée. Adieu les belles vacances dorées, la vie de palace,
les monstres tringlées du soir, les siestes polissonnes, les
drinks pris au bar de la plage en compagnie
d’autres Français rencontrés sur ces rivages lointains. Elle le
dérouillerait comme cela était déjà arrivé par le passé. Et elle
était costaude, la gueuse ! Une vraie lutteuse de foire qui te vous
plaçait des manchettes redoutables !
Le policier venait
de regarder le lit défait au centre duquel scintillait la mer Morte
dans le soleil inondant la chambre. Cette étendue de semence le
laissa perplexe. L’amant d’un jour se dit que le foutre abandonné
dans la liesse de l’étreinte devenait redoutable et sinistre,
contemplé par un flic.
L’employé qui
faisait du zèle, s’était mis à déambuler à son tour. Soudain, comme
il venait de contourner le lit, il eut un sursaut et poussa un
grand cri de défenestré. Le flic le rejoignit, jeta un coup d’œil
sur « la chose » qui tant perturbait l’employé. Mais il ne
s’attarda pas et bondit sur l’amoureux transi en dégainant son
pistolet. L’arme était bien superflue car le malheureux bonhomme se
trouvait sur le point de défaillir. Le policier n’eut pas le
moindre mal à lui passer les menottes ; ensuite, il le propulsa
d’une bourrade en direction de la zone « critique ».
Alors le sabreur «
abondant » vit. Il fut assommé par la stupeur et l’incompréhension.
Il se demanda s’il avait déjà connu une scène de ce genre au
cinéma, dans l’un de ces films « B » dont il était friand. La fille
brune qu’il venait de baiser quelques instants plus tôt gisait sur
la droite du lit, le corps lardé de coups de couteau. Le meurtrier
avait abandonné l’arme dans la gorge de la victime, et son amant
crut la reconnaître. C’était un des couteaux du restaurant qu’on
proposait aux clients qui se délectaient de la merveilleuse viande
du pays. Un couteau au manche de bois sombre, virole de cuivre,
lame triangulaire. Le malheureux avait utilisé le même au repas de
midi.
Le policier
s’approcha du téléphone et composa un numéro. Lorsqu’il l’eut
obtenu, il se mit à parler à toute allure pendant que l’employé de
l’hôtel allait dégueuler dans les gogues.
SUITE
Tu voyes, dit Béru
à Pinaud, c’t’une bagnole commak dont il t’ faudrait. Quand
t’est-ce t’embugnes un gus, c’est sa tire qu’est plein d’bosses,
toi tu continues ta route en père turbable.
Il désigne un stand
où sont présentés en forme de trèfle trois monstres américains,
hauts sur pattes et bardés de pare-chocs dits
anti-buffles.
Comme la Vieillasse
hoche la tête, Sa Majesté reprend sa plaidoirie avec plus de
véhémence :
— Ta Rolle-Rosse,
j’veux bien pour draguer les péteuses qu’ont jamais traîné leur
p’tit cul pommé d’dans, mais en cambrousse, elle vaut pas tripette
! Pour ta propriété d’Touraine, c’t’un carrosse textuel qu’y
t’faut. Rends-toive compte d’ce qu’tu peux trimbaler avec. J’te
prends pour préparer l’réveillon d’ Noël, sans aller plus loin –
les dindes, le boudin blanc, le champagne, les bûches. Et n’en plus
tu peux tirer une gonzesse à l’arrière si tu rabattrais la
banquette.
— Tu crois ?
s’allume la Vieillasse, soudain alerté.
— J’te parie une
pipe au bois d’Boulogne. Tu vas voir !
Il s’approche d’un
minuscule salon aménagé près des véhicules où une hôtesse en
uniforme rouge délivre des catalogues aux possibles
clients.
— Escusez-moi si
j’vous d’mande pardon, mad’m’selle, l’aborde-t-il. Puis-je-t-il
vous solliciter un service démonstratif ?
— Mais je vous en
prie ! s’empresse la préposée, une fausse blonde avec peu de
nichons mais un rutilant sourire de pute.
Le Gravos lui
désigne l’un des véhicules.
— Si vous
voulassiez bien transformer l’arrière en braque…
La fille s’active,
ploie la banquette, la fait basculer contre le dossier de l’autre.
Un fort volume se propose alors.
— J’veux prouver
quéqu’chose à mon ami, déclare Alexandre-Benoît. Cela vous
ennuierait de vous allonger su’ la moquette ? Comme ell’ est toute
neuve, vous risquez pas d’vous salir.
Docile et bien «
formée » à sa besogne, la donzelle obéit. Béru escalade alors le
hayon et s’agenouille entre ses jambes.
— Tu t’rends compte
d’la margelle d’action qu’tu prédisposes, César ? lance-t-il à
Baderne-Baderne. Moi, c’te ravissante, j’pourrerais même la tirer
en levrette, lui faire 69, la grimper à la due Dos-au-mâle, que
savais-je encore !
Tout en parlant, il
s’est déganté le Pollux. La « démonstratrice » qui commence à
trouver l’expérience douteuse va pour se redresser, mais le
braquemard effarant du Gros la sidère.
— Soye charitab’,
vieux ! bredouille Bérurier. Ferme l’arrière et va amuser
l’vendeur, pas qu’y ramène sa fraise.
Ayant dit, avec
cette fougue, imparable et cette dextérité qui n’appartiennent qu’à
lui, il arrache d’une secousse le mignon slip de la fille et se met
en batterie en chuchotant :
— Pas d’panique,
Baby, j’ t’fais une grand’ première : la troussée cosaque en plein
salaud de loto, j’veuille dire : en plein salon de l’auto ; tu
m’troubes !
— C’est de la
démence ! crie la môme.
— Non, ma poule :
c’est la vie. Un esploit pareil, quand tu le raconteras à tes
copines, elles voudront jamais l’croire. Et pourtant, qu’est-ce
qu’est en train d’ s’enquiller ma grosse tête chercheuse ? Comme
dans du beurre, Chouchou ! C’est rare qu’une gonzesse m’reçusse
cinq sur cinq d’entrée d’jeu ! Dis donc, ta babasse, c’t’une fosse
d’orchestre ! En tout cas, ça c’est d’la bagnole. Haute
pareillement et les vitres teintées, on peut s’donner du bonheur
sans qu’ça soye télévisé. T’apprécies la bonne marchandise au gars
Sandre, Poupette ? C’est pas tous les jours qu’t’as droit à une
ration travailleur d’force, avoue !
« C’t’une combien
d’cylind’ cette calèche ? Huit ? En tout cas, pour ce dont il est
des amortisseurs, chapeau ! Tu sens comme on opère dans le moileux
? Un vrai v’lours. Faut dire que tu lubrifies d’première, ma
gosseline. J’ai rarement calcé une frangine aussi opérationnelle du
frifri. Sans manigances prélavables ! Directo du producteur au
consommateur ! T’es un don du Ciel ! Faut dire qu’t’aimes grimper
en mayonnaise, ça se sent. Tu prends ton goume en pure vorace ; pas
d’chichis à la con : t’es une vraie femme, quoive ! Attention, lève
pas tes cannes à la verticale que tes paturons vont s’voir
d’l’estérieur. Tu veux que j’attaque un canter ? Ouais, t’as
raison, on peut pas s’éterniser. Bon, cramponne-toi, je sprinte.
Pique de mes deux ! C’est chouette, ma darlinge ? T’sais qu’j’te
baratte à mort !
« Hé ! vous,
l’bonhomme qui vient de vous asseoir au volant, cassez-vous :
v’voiliez bien qu’le véhicule est à l’essai ! Oh ! l’voyeur ! V’là
qu’y s’taille une plume d’accompagnement ! Ah ben, il a de la
présence d’esprit, c’gnaf ! Vous parlez d’un sans-gêne ! Qu’est-ce
tu gazouilles, ma colombe ? C’est bon ? Tu parles ! J’veux que
c’est rider ! Allez, on va au fade, chérie : y a du monde qui
s’intéresse, ça va d’viendre gênant. Et l’aut’ croquant qui
s’astique la membrane comme un babouin ! C’est lui qu’a attireré
l’intention générale ! Bon, t’es parée, ma Douceur ? On y va de
not’ lâcher d’ballons ? C’est parti ! »
Après ça, ils
descendent. La « démonstratrice » est rouge et froissée. Elle
courbe l’échine sous les quolibets. Heureusement que Béru est
magnanime. Il brandit sa brème de police en braillant
:
— Circulez, y a
plus rien à voir, sauf les voitures !
Le vendeur est aux
prises avec Pinuche. C’est un jeune con, chauvassu du dessus, avec
un blazer et la certitude d’appartenir à l’élite.
— Ah ! bon, ça y
est, murmure Pinaud en apercevant son pote. (Il ajoute :) En «
attendant », j’ai acheté la voiture.
— T’as bien fait,
c’t’un emplac’ment d’père d’ famille, rassure le
Magnifique.
— Où étiez-vous
passée, mademoiselle Latouffe ? demande le chauvard blazéreux à
l’hôtesse.
Elle chuchote
:
— Aux lavabos,
monsieur Legay-Ridon.
César dédicace un
chèque plein de zéros. Le vendeur continue de le baratiner quant
aux performances de la bagnole. Le Débris n’en a rien à secouer ;
tout ce qu’il sait des voitures, c’est qu’elles ont quatre roues,
un volant et qu’il faut mettre de l’essence dans leur réservoir.
Mais le marchand veut lui en donner pour son argent. Il le traîne
au véhicule, lui fait la courte échelle pour lui permettre de se
jucher derrière le volant.
Il se sent éperdu,
César, sur ces hauteurs. Se croit conducteur de bus à la R.A.T.P.
Il panique un chouille, le pauvret. Hèle le Mastar, toujours si
avantageux, fier de soi et dominateur.
— Tu viens ?
lance-t-il à son compagnon.
Le Mammouth se
hisse, côté passager. Dans son rétablissement, il craque le fond de
son bénoche. C’est le genre de pépin qui l’affecte fréquemment,
avec son cul majuscule et ses fendards toujours en retard de deux
tailles sur son obésité montante. Quand il renouvelle sa
garde-robe, il prend du deux tailles au-dessus, ce qui lui assure
quelques mois de tranquillité, puis les calories reprennent
inexorablement l’ascendant !
Malgré tout, le
voilà assis auprès de la Vieillasse pinulcienne. D’en bas, M.
Legay-Ridon continue ses commentaires élogieux relatifs à la V 8.
Quatre × quatre, verrouillage central multifonctionnel, vitres
athermiques, lunette arrière chauffante, verre feuilleté, colonne
de direction à réglage électrique, ADS, airbag pour conducteur et passager
avant.
Il a pas le temps
de nomenclaturer davantage. Pinuche a actionné la clé de contact
sans se gaffer qu’une vitesse se trouvait enclenchée. La voiture
bondit, il veut freiner. Las ! son pied inexpérimenté enfonce le
champignon d’accélération ; dès lors, l’énorme tank se rue hors de
son stand, sa portière demeurée ouverte frappe la gueule du vendeur
qui valdingue. Pinaud ne sait plus quoi faire. Il a complètement
perdu les pédales, c’est le cas de le dire.
Son acquisition
récente traverse l’allée centrale sans blesser personne,
heureusement. Elle pénètre sur le stand Ferrari, emplâtre une Testa
Rossa qu’elle accordéonne de première. L’airbag joue illico et deux énormes ballons, en un
éclair gonflés, sont les brusques vis-à-vis des deux compères. Rien
de plus puissant qu’un V 8 de ce tonneau, gavé de super. Il passe
de chez Ferrari chez Porsche où il télescope une Carrera bleu clair
métallisé, puis chez Peugeot où il fait une moisson d’aimables
205.
Dans le Salon,
c’est la panique. On croit à un attentat terroriste, les visiteurs
refluent (et même refluxent) vers les sorties. Peureux, donc
charognards, ils se piétinent allégrement. Se bousculent, se
tentaculent, se dérobent leurs sacs à main, se glissent des mains
aux fesses, jouent les presse-bites, gueulent au secours
!
La V 8 satanique a
rasé le stand des merguez et des décalitres d’huile bouillante
cascadent sur les marches. Elle continue de foncer inexorablement,
dépiaute, ce qui n’est pas grave, des tires japonaises qu’était en
train de visiter Son Excellence Yamamoto Kékassé, ambassadeur du
Japon à Andorre.
Toujours à fond la
caisse, le char d’assaut de Pinuche percute une surface vitrée
qu’il réduit en miettes et se retrouve sur l’esplanade de la porte
de Versailles où il poursuit sa course folle. Il traverse le
boulevard Victor, écornant un bus, défonçant un kiosque à journaux,
broyant une Fiat Panda, saccageant la terrasse d’une brasserie
qu’il franchit de part en part avant d’embugner un galandage
séparant la salle des toilettes où un certain Albéric Lenécreux est
en train de déféquer en lisant Paris-Turf.
Ses pronostics hippiques et ses tribulations intestinales sont
ensevelis sous des gravats.
Un silence de
cataclysme succède. Puis nos deux amis sortent indemnes du
tank.
— T’as compris
pourquoive j’te conseillais d’ach’ter c’te chignole ? demande
Alexandre-Benoît à son ami. Mate-la, mec : pas une gratignure.
T’iras faire ça av’c une voiture française, mon pote ?
Il s’approche du
comptoir, nonobstant l’effervescence et lance :
— Deux grands
blancs gommés, plize !
Pinuche se pointe,
flageoleur.
— On a eu d’la
chance, bredouille-t-il.
M. Legay-Ridon, le
concessionnaire, arrive, la gueule ensanglantée en hurlant
putois.
Béru le biche par
la cravtouze.
— Eh ! calmos,
l’artisse. V’ d’vreriez nous lécher l’anus, pour la pube dont on
vient d’vous faire. V’ vrendez-vous compte qu’tous les journaux
vont numérer l’nomb’ de guindes et d’murailles qu’on a disloquées
sans qu’ait la moind’ rayure su’ vot’ carriole ! Si j’recevrais pas
une forte gratification d’vot’ marque, j’en croirerais pas mes yeux
!
Interdit, le
chauvasse se rend à l’évidence, entrevoit le parti à tirer de la
mésaventure. Il va demander qu’on vienne photographier la voiture
perturbatrice dans la brasserie, et puis qu’on reconstitue par
l’image sa trajectoire destructrice. Tout le monde va vouloir en
acheter une, par ces temps insécurables.
Il hoche la tête,
convaincu. Puis, baissant la voix :
— Votre pan de
chemise sort de votre pantalon ! confie-t-il.
Le Gravos baisse la
tête, avise une étoffe blanche et tire dessus en éclatant de
rire.
— C’est pas ma
limace, mec, mais la p’tite culotte d’vot’ hôtesse. T’nez,
rendez-la la lui ; elle est déchirée, mais p’t’être que bien
r’cousue, ell’ pourrera lu faire encore d’ l’usage.
L’autre est vert,
du coup.
— La culotte de mon
hôtesse ?
— Ouais ! J’peux
vous l’confier en camarade : j’y ai filé une p’tite tringlée
d’démonstration dans la V 8.
— Mais ! Mais
!
— Mais quoive, mon
gars ?
— Mlle Latouffe est
mon amie !
— Ben j’vous fais
mes compliments, rétorque Bérurier sans s’émouvoir. C’t’une p’tite
pernicieuse, c’te fille ! J’raffole les gnères qu’ont la babasse
comme un’ entrée d’métro. Montrez vot’ pouce. Non, c’est pas vous
qu’avez pu lu pratiquer une aire d’ jeu pareille, vous vous payez
un’ p’tite affaire de ouistiti ; l’gars qu’a déberlingué mam’zelle,
croiliez-moi, y pouvait casser des briques av’c son mandrin !
Mettez un aut’ blanc gommé pour môssieur, garçon, j’sens qu’il a
b’soin d’un remontant !
Un peu plus tard,
ils arrivent chez Pinaud.
La maîtresse de
maison est entre les mains de son masseur, lequel se trouve entre
les jambes de sa cliente. Il la besogne les yeux fermés, pas se
couper l’envie à cause de sa décrépitude ravalée. C’est un pro,
Evariste : masseur-pineur-pour-dames. Les croulantes fortunées se
refilent son numéro de bigophe. Ils sont pas mal à sévir sur la
place de Paris.
Eux, leur
spécialité, c’est l’embrocation avant l’embroquage. Ça leur permet,
ces messieurs Bitenfer, de procéder à un état des lieux. Grâce au
massage prélavable (comme dit Béru), ils peuvent délimiter les
zones praticables et circonscrire celles qui ne sont plus
possibles. Telle vieillarde, ils décrètent que « minette », faut
plus y songer : trop tari définitivement ; tu perds ta salive pour
ballepeau et t’as des haut-le-cœur qui débouchent sur rien. Le
pelotage des blagues à tabac, de même, ils déterminent s’il est
encore possible la moindre ; mais quand t’as plus que la peau sur
la peau, hein ? L’enfournage par l’œil de bronze aussi, c’est
délicat, surtout pour la santé de la patiente. Y a des mémés qu’il
a fallu hospitaliser d’urgence après un emplâtrage à sec, pour
cause d’éclatement des décharnances, voire occlusion
intestinale.
La plupart du
temps, ça se solde par le calçage classique : grand veneur, à
renfort de vaseline ou d’huile d’amandes douces. Quand elles aiment
la bouffarde, no problème : le fripon se
laisse mâchouiller et déflaque ses produits manufacturés dans la
clape à médème. Le danger, chez les Carabosses du fion, c’est
l’étouffement. T’as des asthmatiques qui font des collapsus,
consécutivement. Alors, en fin de compte, le
masseur-pineur-de-dames, il préfère tirer à la papa, en se
racontant la Belle au Bois dormant version
non expurgée. Les ancêtres, elles sont toutes joyces de la bonne
troussée réconfortante. Ça réchauffe leurs bois morts ; les v’là en
rupture de cercueil, à se donner l’illuse de ressembler à Vanessa
Paradis. Elles redeviennent héroïnes amoureuses, les pauvres
chéries.
Dans le fond, ces
bons garçons sont des bienfaiteurs, des dieux de la gérontologie.
Bravo ! Qu’ils continuent donc d’amidonner les moulasses fripées de
nos vieilles indételeuses. N’y voyons pas scandale, mais charité
chrétienne, bien qu’elle soit à but lucratif.
Le vit, c’est la
vie !
César aperçoit donc
madame sur la table pliante du masseur. Lui, orfèvre, se livre à
son boulot avec mesure, au point de calcer sa cliente sans ébranler
la table. Le fait que la Pinaudère soit sur cette étroite surface
de cuir confère un côté clinique à « la chose ». Il lui triturerait
les orteils que ça ferait le même effet aux spectateurs,
fussent-ils son époux, si l’on peut dire.
— Ça soulage, hein,
mon trognon ? lui lance familièrement Béru.
Et les deux
arrivants s’asseyent en bordure de la couche
démontable.
Le kinési est un
gorille musculeux sous sa blouse blanche. Beaucoup de poils, et des
vrais : noirs et frisés serré.
Peu de front, le
regard con, l’air appliqué. Il tient de ses fortes paluches le
maigre dargeot de la patiente et le va-et-viente. Comme un
ustensile ; tu croirais qu’il s’applique un cataplasme de pauvre
cul autour de la bitoune. Cette dernière est valable. Diamètre
estimable, longueur légèrement supérieure à la moyenne, brune de
peau, coussin de crins à la base. Il lime masseur. C’est
méthodique, sans passion. Travail honnête.
— Ça va, la santé,
Alexandre-Benoît ? demande dame Pinuche d’une voix un tantisoit
altérée.
— Ça peut pas être
mieux, assure cet optimiste.
— La famille se
porte bien, aussi ?
— La pêche !
Apollon-Jules est chez Mme Félicie, la mère à l’Antonio, vu qu’ ma
Berthe a parti en Normandie soigner sa sœur qui s’est nazé les deux
guitares en changeant ses rouleaux d’ papier tue-mouches au
plafond. C’te grosse vache qui met un tabouret su’ la table pour
grimper dessus. Cent vingt kilos ! Un tabouret à trois pieds
!
La Pinaude pinée
émet les lamenteries d’usage.
— Si vous pouviez
un peu plus fort, Evariste, implore-t-elle, et me soutenir les
jambes : je fatigue des jarrets.
Lui, chose payée,
chose due. Prestation irréprochable. La cliente est souveraine. Il
lui ramasse les cannes de ses deux bras arrondis et pousse les
feux.
César regarde,
attendri.
— C’est beau, la
jeunesse ! dit-il, ému. Si je devais lui faire ça maintenant
!…
Le téléphone sonne.
Il se lève pour aller répondre. Béru s’empare du gros tube de
vaseline posé sur le sol. Il lit la marque. Il demande si ça ne «
cuit » pas. Le masseur assure que « pas le moins du monde ». La
dame Pinaud confirme.
— Je peux vérifier
? les en prie Bérurier.
Ils sont d’accord.
Le masseur décule, Bibendum dégaine son infatigable panoche. Le
masseur siffle d’admiration. Il demande comme quoi est-ce que ce
monsieur serait d’accord, une bite pareille, de faire des extras
avec lui ? Y aurait gros à affurer. La duchesse de Branloche, par
exemple, qui est insatiable, paierait une fortune pour être
entreprise par un goumi aussi féroce. Le Gros répond « qu’y faut
voir » et comble Mme Pinaud à ras bord. Elle gémit. Il pousse. La
table ne peut supporter ses assauts et se disloque. Il écrase de
son poids la femme de son ami. Le masseur vole au secours ! La
table est cassée, Mme Pinaud aussi : un orteil ! C’est peu, mais ça
fait souffrir.
Béru déconfite et
dégode également. Une mesure pour rien ! Incident de parcours. La
vie !
Réapparition de
Pinuchet. Soucieux, le front bandonéon. Il a glavioté son mégot. Il
ne s’aperçoit même pas du désastre.
— Viens par ici,
Alexandre-Benoît, j’ai à te parler.
Béru rajuste sa
braguette démoniaque, mais la fermeture reste coincée au tiers du
parcours de remontée. Il abandonne, fataliste. Dans le fond, ces
endroits-là, plus ils sont aérés, mieux ça vaut ; tout le monde y
gagne.
Les voilà au salon.
Un luxe ! Le meilleur architecte d’intérieur de Paris : mélange
habile d’ancien et de plexiglas, tissus de chez Etamine the must ! Sur les murs, un Botero, un Mathieu et
une eau-forte de Rembrandt, juste pour vous dire !
César amène la cave
à liqueurs roulante entre leurs deux fauteuils.
Un porto de
cinquante ans d’âge ? propose-t-il.
— Banco ! Mais tu
m’fil’ras une giclette de marc de Bourgogne dedans pour l’muscler.
Alors, qu’est-ce t’as à m’dire ?
— Le coup de fil
que je viens de prendre…
— Moui
?
— C’était
Berthe.
Le Mastar
sourcille.
— Pourquoi qu’é
t’appelle, toi ?
— Elle avait
quelque chose d’ennuyeux à te dire et elle a préféré que je m’en
charge.
— En v’là des
mystères, bordel à cul ! Si c’est qu’sa sœur est clamsée, faut pas
qu’é s’gêne, j’m’en tartine la prostate !
— Elle n’est pas
chez sa sœur.
— Ah ! bon
?
— Elle est en
Argentine.
— En quoi
?
— Tu sais où se
trouve l’Argentine ?
— C’te connerie : à
côté du Maroc !
— Un peu plus loin,
de l’autre côté de l’Atlantique.
— Qu’est-ce elle a
été foutre là-bas ?
— C’est Alfred qui
lui a payé le voyage : il a gagné un million de nouveaux francs au
tiercé.
— L’salaud ! Il
aurait pu m’emm’ner aussi.
— Il n’a pas dû y
penser. Ils sont à Mar de Plata, une station balnéaire en
vogue.
— Ah ben, dis donc
: elle a une façon d’ r’voir sa Normandie, c’te morue
!
— Il y a un os !
bêle Pinaud. Figure-toi qu’Alfred a eu des rapports sexuels avec
une cliente de leur hôtel et que, dans une crise de démence, il l’a
tuée à coups de couteau !
SUITE
Un temps.
Alexandre-Benoît vide son verre. Il se ressert : un quart de porto,
trois quarts de marc. Reboit cul sec.
— Alfred, rapiérer
une frangine, lui qui s’évanouit quand il voit du sang ! Je m’
marre !
Pinaud hausse les
épaules.
— Berthe est
formelle. D’ailleurs elle va te le dire elle-même, j’ai laissé le
téléphone décroché et elle est toujours en ligne.
Le Mammouth
s’arrache.
— J’espère qu’la
communicance est à la charge d’Alfred.
Il va saisir le
combiné.
— Berthy
?
La voix pathétique
de la femme adultère lui gouzille la trompe
d’Eustache.
— Oh ! mon Sandre,
mon Sandre, te voilà ! râle-t-elle.
— Ton Sandre, y
t’pisse au cul, salope ! Vous tailler en Argenterie les deux, sans
me proposer d’viendre ! Tu croives, qu’j’vous aurais gênés ? C’est
nouveau, ça, d’ filer en loucedé, sous prétesque qu’ta charogne
d’sœur s’est fané les guibolles ! T’as tort, Berthe. T’as tort.
J’veuille bien qu’ tu m’trompes, mais j’veuille pas qu’tu m’mentes
! Entre époux mariés, c’est pas convenab’. Et t’v’là bien avancée
av’c ton Rital d’Alfredo encabané, car y l’ont enchtibé, mes
collègues d’là-bas, bien sûr ?
— Oui.
Elle
pleure.
— Bien fait pour ce
gommeux ! Toujours à rouler ses épaules en bouteille Perrier, à
draguer la première pétasse v’nue ! Ça y f’ra les pinceaux d’moisir
en taule. Quand y r’sortira, l’aura des champignons ent’ les doigts
d’pieds. N’en attendant, t’as plus qu’à rentrer fissa, la mère. Tu
biches l’premier avion ou l’premier train, au choix, autr’ment
sinon, j’fais constater par huissier ton abandonnage d’ domicile et
j’d’mande l’ divorce.
— Mais j’peuve pas
rentrer ! sanglote la Baleine ; la police d’ici éguesige qu’
j’demeurasse à sa disposance.
— Y t’a filé dans
une drôle d’merderie, ton merlan de mes fesses ! T’t’rends compte
que, pendant des années, tu t’ayes fait monter par un assassin,
Berthe ? En es-tu-t-il consciente ou pas ?
— J’arrive pas à y
croire ! lamente-t-elle. Caisse il a pu lui prendre, un garçon si
doux, si prév’nant ?
— Il y a pris
qu’c’t’un sadique, Berthe. Quinze piges qu’tu es tirée par un
monstre plein d’instinctes ! Et moi j’passe derrière : la voiture
balai ! Merci bien. Si tu croives qu’j’vais continuyer d’ troncher
les restes d’un meurtrier, tu t’ goures. T’iras t’faire zébrer par
les nègres du dix-huitième et tu mouriras du sida, ça t’évit’ra d’
d’vnir vieille !
Furax, il raccroche
avec tant de violence qu’il écrase le poste téléphonique comme un
camion une merde. Son courroux le fait trembler, le Gravos. Il
arpente la pièce en balançant des louises d’énervement. Il
psalmodie des injures, des présages bien funestes. Il dit que,
quand sa mégère rentrera, il la mettra au turf, rue Saint-Martin,
avec des cuissardes, pas de culotte et des chaînes en guise de
vêtements. Qu’elle pompe des cilles, des pasteurs, des employés de
la voirie, n’au moins ça rapportera d’l’artiche !
Apercevant le bar
roulant, il revient se servir. Cette fois, c’est le verre empli de
marc avec quelques gouttes de porto pour parfumer.
Pinaud le contemple
avec tristesse.
— Cette charognasse
aura gâché ma vie ! dit Bérurier. Ah ! si j’aurais eu un’ épouse
modèle, comme la tienne. La femme rangée, d’belle éducance, qui se
fait piner sobr’ment à la maison par une personne
qualifiée…
César hoche sa
belle tête de gâteux gentil.
— J’admets que j’ai
eu de la chance, fait-il. Que va faire Berthe ?
— Rien ! Les
draupers de là-bas l’ont consignée à son hôtel, comme si ça s’rait
elle qu’aurait tué. Tu t’rends compte si ça fait riche pour
l’épouse mariée d’un officier d’police français ?
— Il faut la tirer
de ce pétrin ! affirme le charitable Pinuche. On va prévenir
San-Antonio.
— San-Antonio mon
nœud ! Il est en voiliage d’amour en Inde, av’c Marie-Marie. Ça les
a r’pris, la tendresse. Ils font des éclipses, mais un jour,
fatal’ment, y s’marieront !
— Bon, alors allons
voir le Vieux pour lui demander d’intervenir auprès des autorités
argentines, qu’elles laissent rentrer Berthe !
Béru donne du talon
sur le tapis persan.
— Jamais ! Ses
sargasses, j’les supportererais pas ! Tu l’entends d’ici, s’en
donner à claire-voie : « Mon cher Bérurier, lorsqu’on a épousé une
catin, il faut s’attendre à ce genre de désagréments ! » J’aim’rais
mieux qu’ Berthe crevasse dans un cul de fausse contrebasse
1
plutôt qu’ d’aller chialer su’ la crav’touze
d’Achille ! Je l’hais, c’mec ! Y s’rait trop content d’m’savoir
dans la merde. Faut pas trop donner d’bonheur aux gens, y t’en
gardent aucune r’connaissance !
Cette déclaration
convainc Pinaud. C’est un psychologue qui sait tout de l’existence,
de ses misères. Il opine tristement. Béru se verse un nouveau
verre. Il omet le porto, mais avale toujours cul sec, d’une superbe
glottée qui rappelle le bruit de siphon d’un lavabo obstrué qu’on
vient enfin de déboucher à la ventouse de caoutchouc.
— J’ai une
proposition à te faire, Alexandre-Benoît, murmure le Débris d’une
voix rêvasseuse.
— On accepte les
dons en nature ! rétorque le Mastar.
César rallume son
mégot à la flamme torche de son éternel briquet de poilu
14-18.
— Nous allons aller
en Argentine pour voir les choses d’un peu plus près,
dit-il.
Le Gravissimo
demeure comme un bouddha avec seulement deux bras (mais quelle bite
!).
Au bout d’un peu,
il objecte :
— C’est bien joli,
mais faut payer le voiliage !
— Je prends tout à
ma charge.
— J’peux pas
accepter, Pinuche. C’est pas pa’ce que j’ai marié une pute qu’ ses
conneries t’incombent !
— Berthe n’est pas
une méchante femme, assure le Débris. Certes, elle possède un
tempérament de braise, sinon tu n’as rien à lui reprocher. Et si tu
fais ton examen de conscience, Gros, tu dois convenir que toi aussi
tu es faible du côté de la chair. Si vous faisiez un concours de
baise, ta femme et toi, je suis sûr que tu décrocherais la timbale
!
Sa Majesté sourit
fièrement.
— Je dois
conviendre qu’effectiv’ment en effet, j’donne pas ma part aux
chiens pour c’qu’est du cul ! Moive, un trou av’c d’la chaleur,
j’résiste pas, surtout quand y a du poil autour.
Il s’approche de
son ami, se penche et l’embrasse sur les yeux, malgré que ceux-ci
fussent chassieux.
— Tu voyes, César,
murmure-t-il, t’es vieux, t’es moche, tu pues d’la gueule, t’as pas
une grosse queue et tu bandes mou, mais si j’s’rais été une femme,
j’m’serais donnée à un homme comm’ toi. T’es bon à en dégueuler
dans les pots d’fleurs, mec. L’abbé Pierre, c’t’un vieux voyou à
vous comparer ! J’t’l’prédis en grande pompe : tu s’ras canoné
saint, un jour. T’auras ton estatue dans les églises et on t’f’ra
brûler des cierges contre. J’accepte ta propose. Pour m’reconnaît’,
je t’offrirerai la montre d’mon vieux, av’c la chaîne ! Or dix-huit
carats !
— Mais non,
penses-tu ! proteste Pinaud. C’est un souvenir de famille
!
— C’est vrai,
convient Béru, alors je t’offrirai la grosse coquille, de famille
également, qu’on voit d’dans une vue de la Prom’nade des Anglais et
dont on a marqué d’sus « Souvenir de Nice ». Une vraie œuv’ d’art
qui vaudrerait un’ fortune chez un antiquitaire.
Il torche ses
larmes avec sa manche.
— C’est inestimab’
d’avoir des aminches, assure-t-il. Si j’aurais pas la foi,
j’croiverais en Dieu d’c’que tu viens d’faire !
SUITE
Bon. Alors ils font
escale à Dakar, ce qui les réveille. Par les portes béantes du zinc
une chaleur moite lutte contre la climatisation de l’appareil. S’y
mêle la puissante odeur du kérosène. Une équipe de Noirs
nonchalants vient faire le ménage. Pinuche qui, décidément, se
montre princier, a pris des first. Les deux
compères se pavanent. Béru a posé ses groles et chaussé les
pantoufles proposées par Air France. Il a également confié son
veston à l’hôtesse, non sans y avoir prélevé son portefeuille. Par
contre, il a conservé son bitos, because l’aérateur qui balance
dru. Il loufe à tout berzingue et le compartiment des first sent un
peu la caserne qu’on vidange. Il est minuit et des. La chef hôtesse
a annoncé, avant l’escale, qu’un repas serait servi par l’équipe
suivante. Ça rend Béru très joyce, cette perspective. Il proclame
qu’il va aller « faire un peu de place » en prévision du réveillon
promis par la compagnie.
Pinaud se
rendort.
Quarante minutes
plus tard, on redécolle.
En l’air ! En l’air
! Tout l’monde aviateur ! comme criaient les forains de la Foire du
Trône, jadis.
César se réveille.
Il a un coup d’adrénaline en constatant que le siège voisin est
vide. Par contre, les croquenots de son pote sont toujours sur le
Plancher. Il veut se dresser, mais il a omis de détacher sa
ceinture et la sangle lui cisaille l’estomac. Il retombe sur son
cul maigrichon, le souffle coupé.
L’appareil navigue
dans le velours bleuté de la nuit. A douze mille mètres d’altitude,
elle est tellement plus belle que sur terre ! T’es en contact avec
les étoiles et la lune te semble moins conne. Les hôtesses se
radinent avec leur fourbi à roulettes pour le bouffement promis. Y
a des odeurs et des grésillements légers dans la
cabine.
Le pauvre Pinaud
esseulé se masse la poitrine. Il possède un poitrail de poulet
biafrais. Il fait sauter la boucle de sa ceinture, se cramponne au
dossier dressé devant lui et parvient à se soulever. Une grande
rassurance l’inonde d’un bonheur simple et vrai. Son pote n’est pas
descendu à Dakar. Il est bien là, en chair et en graisse. Assis à
l’avant gauche auprès d’une dame que, pardon, oh ! la la ! gaffe
aux châsses, mettez vos lunettes de soleil ! Elle doit tutoyer la
cinquantaine, mais sans dommage, avec brio ! Les cheveux bruns,
coupés court, avec de légères mèches bleutées. Le teint bronzé, la
bouche écarlate. Il voit pas ses yeux, mais les suppose sensass.
Elle porte un ensemble de cuir noir, un chemisier du même rouge que
sa bouche. La veste déboutonnée laisse s’épanouir une poitrine
mesurée et ferme.
Pinuche sourit
autour de son mégot éteint. Incorrigible, le Mastar. Dès qu’il y a
de la chair dans les parages, faut qu’il se lance à l’assaut. La
Vieillasse se risque d’un pas dans la travée. Il voit une main du
Gravos entre les jambes cuivrées de la passagère, l’autre entoure
sa nuque et le bout de ses francforts caressent le corsage. Bien
parti ! Il va pas se la faire en avion ! Un jour, au cours d’un
voyage lointain, il a calcé une vieillarde pendant le vol et, de
saisissement, la Carabosse a défunté. Heureusement, l’arrivée de la
tortore va lui calmer les ardeurs.
Fectivement, les
plateaux repas galvanisent Alexandre-Benoît. Il récupère ses dix
doigts pour les consacrer à d’autres joies tout aussi réelles. Le
Pinaud rassis se rassied. César n’est pas un bâfreur. Il se
contente d’un toast au caviar et d’une demie de Mumm. Un
oiseau.
Il y a peu de trèpe
en first : les temps sont durs. Outre la «
dame du gros » et les deux compères, ne s’y trouvent qu’un très
vieil homme du type indien, chenu, de noir vêtu et portant une
espèce de chéchia noire, et un tennisman en renom avec sa « fiancée
». Pinaud a vu le sportif à la télé, mais ne se rappelle plus son
blaze. Ils ont un petit chien avec eux, une horreur enrubannée qui,
de temps à autre, lorsque les hôtesses s’activent au-dessus de ses
maîtres, se met à japper.
L’organe de Béru,
stimulé par les bons vins, retentit de plus en plus fort. Il
balance des madrigaux qui feraient gerber des bonniches portugaises
et que sa voisine paraît déguster à la cuiller. César songe que son
ami est un être en vie, imperméable à l’adversité. Sa femme vient
de faire des galipettes en Argentine avec un pote devenu assassin,
mais il conserve sa santé, sa fougue, sa bonne humeur. Quelle leçon
d’optimisme !
Le Chétif s’endort.
Il ne sent même pas qu’on le débarrasse de son plateau et qu’on
redresse la tablette devant lui. En état second, il bascule son
siège en arrière, croise ses paluches de curé de campagne sur son
ventre.
Après le repas, la
compagnie propose un film à ses passagers. Déjà ancien : Victor Victoria, mais excellent.
Pour suivre la
partie sonore du film, il faut casquer des écouteurs. Béru fait une
tentative, mais il se goure quant au choix du canal et, sur les
délicieuses images du film, se fait un documentaire sur la caste
dirigeante de la société inca dans l’Amérique
précolombienne.
Au bout de pas
longtemps, il déclare à sa compagne que cette production est sans
intérêt et lui propose d’enlever le large appui-bras qui les
sépare. Elle accepte. Le Mammouth profite de la pénombre
cinémateuse pour entreprendre sa voisine de palier. Il lui fait le
bout des seins, lui lèche les coquilles, lui glisse un doigt de
cour ; toutes ces entreprises sont jugées les bienvenues par la
dame de cuir dévêtue (il lui a arraché sa veste et entreprend
l’écossage du bénouze). Inutile de te chambrer plus avant, ce qui
doit arriver se produit. Vers le milieu du film, la dame est
agenouillée face au hublot, regardant déferler l’Atlantique Sud
blanc d’écume, un genou sur son siège, son autre jambe prenant
appui sur le plancher tandis que M. Alexandre-Benoît l’entrelarde
de son big, tout en lui massant l’ergot. La
passagère en conçoit un tel contentement qu’elle se croit autorisée
à le clamer en espagnol.
Une hôtesse vient
voir ce dont il s’agit, n’en croit pas bien ses yeux et va appeler
ses copines pour qu’elles l’assurent du bon fonctionnement de ses
sens. Ce remue-machin sollicite l’intérêt du tennisman. Les gaziers
du poste de pilotage, prévenus, mettent les manœuvres automatiques
et se pointent à la régalade. S’ensuit un émoi effrayant dans les
first. Le sportif se rue sur sa fiancée
pour lui montrer sa braguette de pénis. Le commandant de bord
touche la chatte de la cheftaine hôtesse, le radio palpe la bite du
steward pédoque et le copilote s’en fait tailler une par la plus
âgée des hôtesses, une dame frisant la cinquantaine et qui a
l’habitude de ramasser tous les pafs à la traîne.
Pour couronner, le
yorkshire du champion aboie après le dargif de Béru et lui mord les
roustons. Notre ami lâche le clito de sa conquête pour se saisir,
par-derrière et à tâtons du teigneux roquet qu’il propulse loin de
ses balloches. Le chien emplâtre la frite de l’Indien endormi. Fou
de douleur, il se met à lui bouffer la gueule avec acharnement. Le
bonhomme glapit en hindi moderne. La potesse de Bérurier, à bout
d’endurance, take son foot. Pinaud dort toujours.
En deçà du rideau
séparant les first des tourist, le restant des passagers visionnent Victor
Victoria ou bien roupillent. Le Jet qui s’autopilote emmerde
l’océan. Tout est là, simple et tranquille.
Des couilles se
vident. Le film s’achève. Chacun reprend son poste, d’autres des
postures. Béru le Grand s’allonge sur sa partenaire dévêtue et se
met à pioncer.
Pinaud avait deviné
juste : « elle » possède des yeux ensorceleurs, d’un vert profond,
cerné de brun clair. Longs cils, pommettes saillantes. Et quel
parfum délicat !
— J’t’r’présente la
comtesse Dolorès de la Fuenta, une personn’ très agriable et
surtout bourrée d’ fric. Elle fait l’él’vage des bêtes z’à cornes
en Argenterie, et, espère, c’est pas des escarguinches ! Veuvasse !
Le rêve ! Un coup d’reins dont t’as pas idée. Elle vient t’aussi à
Yen-a-Marre-del-Plata où qu’é possède une propriété de mille
hectares carrés. E s’occup’rera d’nous. D’puis la mort d’son mec
qui s’est planté en coléoptère en sulfatant ses récoltes l’an
dernier, ell’ avait pas r’tâté du braque. Et moi qu’j’m’annonce
av’c ma chopine féroce, tu parles d’un triomphle ! E veuillait qu’
j’bissasse mon numéro, mais quand on n’a pas franch’ment ses
zaizes, c’est d’la confiture aux gorets ! Le pr’mier coup d’tring’
pour dégorger l’plus gros, d’accord. N’ensute, ça d’vient de l’art
! J’lu réserv’ mon enfilade d’gala pour Y-en-a-Marre-del-Plata. Là,
j’lui frai grimper aux rideaux d’ la chambre,
promis-juré-croix-de-bois-croix-de-fer-je-crache-par-terre
!
Tout en causant, il
masse le fessier « gainé » de cuir de la personne. Une femme de
cul, certes, mais de surcroît femme de tête, ça se sent à son
regard intense qui te plonge au fond des bourses déliées. Te doit
gérer ses biens avec compétence et énergie, la Dolorès. Faut pas la
payer avec des chèques en bois, la comtesse !
— Leur famille est
parentée au roi d’Espagne, renchérit Béru. T’vas m’dire qu’on n’en
a rien à branler et qu’c’est pas la dame la plus sous-titrée qui
baise le mieux, n’anmoins, ça fait plaisir d’savoir qu’on trempe sa
queue dans d’la noblesse rigoureus’ment t’authentique. Av’c les
sang-bleu t’as moins peur de choper la vérole. Dis, t’as vu ses
tétons-de-derrière, à Dolorès ? Malgré ses heures de vol, on dirait
du bois ! Faudra qu’j’y en mette un p’tit coup dans l’fournil. Pas
vrai, ma grande ? J’parille qu’ton vieux t’a jamais pointée du
cadran solaire. J’me goure ? Y t’a eu fait flamboyer l’pétrus ?
Non, hein ? Elle est encore vierge du tafanar, la pauvrette ! On va
lu réparer c’t’oublille ! Faudra pas pleurer l’huile d’olive pour
l’engouffrer d’la pastille, bien prendre mon temps, un espadon
comme l’mien ! Chérie, va !
La riche
propriétaire parle le français, suffisamment mal pour ne pas réagir
aux argotismes du Gros. Béru n’en peut plus de lui ! Dégringoler
une personne de cette classe, l’ennoblit par contagion. Il fait le
galantin, l’enroulé. Risque des bribes de subjonctifs qui capotent
en cours de phrase, mais c’est l’intention qui compte.
Le vol s’achève
dans de la Chantilly. C’est onctueux, délectable (de logarithmes).
La comtesse, à vrai dire, est joyce de ramener de France la plus
grosse queue d’Europe ! S’étant rendue à Paris pour renouveler sa
garde-robe de deuil (qui venait de s’achever), elle a déniché, en
prime, un zob exceptionnel. Mal porté sans doute, par un gros
gonzier sans grâce, mal fagoté et aux manières soudardes, mais si
fabuleux, si exceptionnel, qu’on lui pardonnerait d’être accroché
au ventre d’un gorille !
Ils se posent à
Buenos Aires sans problo. Une heure plus tard, ils s’embarquent
pour Mar del Plata, non pas à bord d’un zinc d’une ligne
intérieure, mais avec le Jet privé de Dolorès : un coucou de dix
places au confort époustouflant.
Pendant le trajet,
le Mammouth raconte la situation à son Argentine argentée. Sa femme
a accompagné un aminche à Mardel (c’est ainsi qu’on appelle la
prestigieuse station en Argentine). Ce mec est accusé d’avoir
trucidé à coups de ya une nana en vacances dans leur hôtel. De ce
fait, on interdit à l’épouse Bérurier de regagner ses pénates
françaises. Elle doit rester à Mardel comme témouine. Dolorès
déclare qu’elle est très liée avec le chef de la police de Mardel
et qu’elle interviendra en faveur de Berthe. En attendant, elle
propose de les loger à son latifundio et de
mettre une voiture avec chauffeur à leur disposition. C’est
fourmulé avec tant d’empressement que les deux compères
acceptent.
Imagine des
étendues vertigineuses, presque sans arbres. Culture céréalière et
élevage de bovins. Des gauchos habillés en gauchos chevalent à
travers l’immensité. L’avion perd de l’altitude et plonge vers une
piste privée bordant des enclos où paît en paix le bétail. Au loin,
une zone harmonieusement arborisée au centre de laquelle se dresse
une somptueuse demeure entourée d’un jardin fleuri.
— Ma maison !
annonce sobrement Mme de la Fuenta.
Le Mastar a une
exclamation de circonstance pour traduire son impression
:
— Ben, ma vache
!
— J’en possède
douze mille, révèle la comtesse qui se méprend.
— J’plains l’mec
qui trait tout ça ! s’exclame ce fils de fermiers.
Le pilote a prévenu
la maison par radio car, à peine a-t-il stoppé les réacteurs,
qu’une limousine blanche décapotable surgit et vient se ranger à
côté de l’appareil. Un chauffeur guarani, de blanc vêtu, accueille
les passagers avec une déférence joyeuse. Une jeep arrive à son
tour pour trimbaler les bagages de la comtesse. En route pour la
maison ! Avant la décarrade, Béru, pour montrer qu’il sait vivre,
glisse une pièce de dix francs français dans la main du pilote
éberlué.
— Tu dois pouvoir
t’faire tailler un’ p’tite pipe, av’c c’t’auber, confie le Gros ;
l’franc français s’maintient mieux qu’ l’franc argentin, d’après c’
qu’on m’a dit !
Et ce fut une
installation de rêve dans un univers de rêve ! Dolorès avait un
goût exquis et répandait en tous lieux un luxe léger, plein de
charme et de délicatesse. Rien d’écrasant, de pompeux ! Meubles
Renaissance espagnole sur gros crépi blanc frotté au savon sec
ensuite ! Statues baroques en petite quantité. Tableaux rares.
Objets délicats. Elle conduisit elle-même ses invités dans leurs
appartements. Pinaud eut la priorité de l’âge. Puis ce fut le tour
d’Alexandre-Benoît. Quand ils furent entrés dans la grande chambre
où tournait, pour le charme du décor, un grand ventilateur
superflu, le Dodu referma la porte et tira le délicat verrou de fer
forgé, œuvre d’art parmi les autres.
— A présent, on va
s’expliquer en grand ! déclara le surhomme. Et pas b’soin d’
flécher l’ parcours !
Il posa sa veste
sur un dossier de chaise, dégaina ses croquenots et se mit à
dégrafer son pantalon.
Bérurier portait un
slip spécial dont l’avant ressemblait à un sac tyrolien. Malgré
tout, ce qu’il avait à maintenir arrimé s’échappait de l’étoffe
rendue lâche par l’activité de la grosse bébête
prisonnière.
La comtesse
regardait le strip-tease de son invité avec émotion. Elle sentit
vraiment, en présence de ce mâle de rencontre, que son deuil
prenait fin.
SUITE
Dans l’après-midi,
ils se rendirent au Sirena Palacio où était
descendu le couple infernal et où avait eu lieu l’assassinat de la
fille brune. Les journaux étaient encore pleins de ce meurtre et la
comtesse de la Fuenta leur avait traduit de longs articles y
consacrés. Ainsi avaient-ils appris que le criminel, un coiffeur
parisien d’origine italienne, niait toute culpabilité. Il
prétendait avoir été « dragué » par la victime, laquelle l’avait
convié dans sa chambre. Là, il l’avait régalée (des indices
irréfutables attestaient la chose), puis s’était assoupi, vaincu
par l’intensité de sa prestation. Des coups à sa porte l’avaient
réveillé et il avait ouvert au policier qu’un locataire du palace
avait prévenu par téléphone ; ce dernier prétendait avoir entendu
des appels au secours. L’accusé reconnaissait que la chambre était
fermée à clé de l’intérieur, ainsi que les fenêtres (la pièce était
climatisée). Donc, personne ne pouvait s’y être introduit, ni même
l’avoir quittée. Le coiffeur, terriblement abattu, affirmait que
s’il avait tué la fille, ce ne pouvait qu’être en état second, ce
qui faisait bien rigoler les policiers argentins. Autre preuve, et
pas des moindres, de sa culpabilité : ses empreintes figuraient sur
le couteau.
— Il l’a dans
l’fion ! pronostiqua sobrement Béru.
Et comme c’était un
brave homme, il eut un peu honte du capiteux plaisir que lui
procurait cette certitude.
Le chauffeur en
livrée blanche était celui-là même qui les attendait à leur
descente du Jet privé. Il s’appelait Pedro Bandalez et riait
toujours. Quand il ne riait pas, il fredonnait. L’arrivée des deux
compères au palace dans cet équipage provoqua de l’émoi dans la
valetaille. On les accueillit avec mille courbettes dont ils
n’eurent cure et ils demandèrent séance tenante à parler au
directeur. En moins de jouge, on les introduisit dans une immense
pièce au centre de laquelle trônait une statue de bronze verdi
représentant un militaire frappé en pleine poitrine, soutenu par un
camarade compatissant, tandis qu’un autre de ses potes s’efforçait
de calmer son cheval ; le tout grandeur nature !
Devant cette
admirable fresque, il y avait un large bureau ministre et, derrière
le burlingue, un petit mec vêtu de noir, avec des rouflaquettes si
pointues que son pommadin devait les lui finir au crayon à
sourcils.
Béru et Pinuche lui
montrèrent leur carte d’officier de police et prétendirent
constituer une commission rogatoire dépêchée par Paris pour
connaître de « l’affaire en question ». Le dirlo frétilla du
croupion, se cassa en deux, ce qui ne laissa plus grand-chose de
lui à regarder et affirma qu’il était à la disposition de ces
messieurs.
Ces messieurs
déclarèrent qu’ils souhaitaient deux choses seulement, mais qu’ils
les souhaitaient ardemment. La première c’était de rencontrer la
compagne du meurtrier, la seconde, de visiter la chambre du
crime.
Le dirlo répondit,
avec un accent pour comédie de Feydeau, que la dame se trouvait
dans sa chambre : la 414. Quant à l’appartement du meurtre, il
regrettait, mais la justice de Mar del Plata avait apposé les
scellés sur la porte.
Bérurier rétorqua
qu’il s’en doutait, mais que les autorités lui avaient remis un
appareil pour les faire sauter et il montra au directeur,
intéressé, son vieil Opinel à manche de bois.
Le petit bonhomme
déclara alors que tout était parfait. La chambre du crime était la
612.
Les Laurel et Hardy
de la Rousse remercièrent et vaquèrent.
Parvenu devant la
porte marquée 414, Pinaud chuchota.
— Pas surprenant
qu’ils aient eu la scoumoune : en réalité il s’agit de la chambre
413 puisque la précédente est la 412.
— J’sus t’ému à
l’idée d’la r’voir, soupira le Gros. Dans quel triste état é doit
être, la pauvrette !
Il repliait déjà
son médius pour frapper quand il perçut un rire flûté qu’il
reconnut aussitôt. La voix de Berthe retentit, douce et maternelle
:
— Mais non, Bijou,
tu t’ goures ! Le trou qu’tu t’escrimes, c’est pas ma chatte,
c’t’un pli d’ma cuisse !
Alexandre-Benoît
tourna le loquet. C’était fermé à clé. Il recula de deux pas et
donna de l’épaule droite. La serrure rendit l’âme et le panneau de
bois claqua contre le mur, à l’intérieur. Il découvrit – et Pinaud
en même temps que lui – son infidèle, à poil sur son lit, en
compagnie d’un groom tout de rouge et d’or vêtu qui s’efforçait de
la besogner de sa misérable quéquette adolescente !
Le Musculeux porta
la main entre son col de chemise et son cou, comme pour les
prémices d’une crise cardiaque.
Puis il s’avança
tandis que le gamin rentrait Popaul dans sa niche à tout berzingue
et caltait comme un garenne.
Berthe se mit sur
son formidable séant.
— Mon homme ! Mon
homme ! haleta la Baleine. J’étais sûre qu’tu viendrerais ! T’es un
homme desception, Sandre, mon amour !
— Toi, c’qu’t’es,
j’trouve pas d’mots ! riposta l’époux bafoué. La plus pute et
vérolée des putes, c’est la p’tite sœur Thérèse d’ Lisieux,
comparée à toi. Faudrait quoi pour t’calmer, saleté ? Qu’on
t’enfourne un tomb’reau d’betteraves sucrières dans le fion ? Qu’on
t’l’cimente ? Qu’on t’entifle dix litres d’essence av’c un
entonnenoir et qu’on y flanque l’feu ? Une vache comme toi, les
bras vous tombent ! Madame a marié la plus grosse bite d’France,
après celle d’M. Félix, et ça y suffit pas ! Faut qu’elle aille
s’faire planter d’l’aut’ côté des océans par un connard comme
Alfredo. Et quand ce maboul est enchristé, suite d’assassinat, la
v’là qui viole des p’tits groumes qu’ont une cacahuète comme
zézette ! Non mais c’est ben la rage du cul, ça ! Tu vas
t’envoilier des bourrins, si tu continues ! Des z’éléphants !
L’obélisqu’ d’la Concorde ! Un régiment d’légionnaires ! L’T.G.V. !
La tour Eiffel ! Not’ gosse me ressemblerait pas comme une goutte
d’eau, y aurait pas déjà un chibre d’âne, je’croiererais pas qu’il
est d’moi !
Berthe s’est assise
en tailleuse, si bien que Pinaud n’ose plus s’approcher d’elle pour
l’embrasser. Il regarde à distance et pense au tunnel sous la
Manche qui nous rend ces cons d’Anglais un peu plus
voisins.
La Grosse sait
combien cette posture excite son mari. Elle murmure :
— Tombe pas dans
l’éguesagération, Sandre. Certes, j’sus une pauv’ femme avec des
faiblesses, beaucoup d’faiblesses. J’ai du tempérament, qu’ veux-tu
! Mais la faute à qui ? Qui c’est, l’mec qu’a su m’embraseser
l’essence ? Il s’appelle comment est-ce ? Hmm ! Oui : Béru ! Y
m’arrive d’papillonner et de prend’ des pafs, mais d’cœur je t’ai
resté fidèle. J’t’aye dans la peau, Sandre. J’sus amoureuse de toi
pour la vie. Et si tu mourrirais, bien sûr, j’m’ferais encore
sauter, mais jme remarierais jamais !
Là-dessus, elle a
la belle initiative d’éclater en sanglots.
Complètement
retourné, Alexandre-Benoît tombe à genoux et prononce les mots
qu’il faut :
— J’t’ d’mande
pardon, Berthy, ma pensée a dépassé mes paroles !
Larmes.
Ensuite, le couple
turbulent se joint. Berthe se met au bord du lit, les jambes
pendantes. Béru enfouit son visage d’agenouillé entre les
délectables cuisseaux de sa moitié. Il retrouve avec émotion ce
goût subtil de charcuterie bavaroise qui tant l’ensorcelle. Oublie
la comtesse, trop parfumée de la chatte pour son robuste
appétit.
Devant cette sorte
de prière païenne, Pinaud se sent remué par un sentiment profond
fait d’admiration, de reconnaissance, de foi profonde en l’humain,
si fragile et si fort aussi ! Il va s’asseoir dans un fauteuil et
regarde le Gros déguster Berthe avec une tendre voracité. Elle a
appliqué ses deux mains de lavandière sur la nuque puissante du
taureau fougueux comme pour l’imprimer en creux dans son sexe
béant.
Elle a une
douloureuse grimace de jouissance, apostrophe Pinuche
:
— R’gardez comme il
s’y met d’bon cœur, m’sieur César ! Quel ogre ! Y va tout
m’disloquer la craquette à ce train d’enfer ! C’t’un bouffeur-né,
mon Sandre ! Et vous n’voiliez pas sa menteuse ! Un vrai caméléon !
Il tire un panais gros comme un’ escalope, l’apôtre ! Vous pouvez
croire qu’y s’régale. Oh ! Oh ! la la ! Ça me gouzille partout ! Je
pâme déjà ! Quel artiste ! Si on organis’rait des championnats
d’minette, y gagnerait la coupe ! Ça y est : y m’déclenche,
l’sagouin ! Je pars en liqueur, m’sieur César ! Ah ! le gros
salingue ! Mais y m’en laissera pas, hein ! y veule tout pour lui,
c’goret de merde ! Voui ! Vouiiii ! Sandre : je t’aémaeu
!
Elle fade. Le Goulu
poursuivant toujours sa manœuvre, elle lui décoche un coup de genou
dans la gueule en grondant :
— Mais y va pas
lâcher prise, ce con ! Un vrai bulldog, bordel ! Arrête, nom de
Dieu ! J’ai donné !
Le Mastar décélère
en soufflant fort et dégage une trogne cramoisie et barbouillée du
haut lieu où elle s’était encastrée. Il est haletant, ébloui,
dévasté par trop de bonheur.
— Berthe,
chuchote-t-il, ô Berthy, ma toute petite, mon zoiseau, t’es unique
!
Pinaud ramène le
trio aux problèmes de l’heure, après cette page d’amour si
nécessaire au rétablissement de l’harmonie. Il dit, pendant que
Berthe se torchonne la babasse, manière de pouvoir réintégrer sa
culotte la tête haute :
— A présent, il
faudrait que nous parlions de cette pénible affaire, ma chère amie.
Je pense que vous devriez nous raconter par le menu les événements,
en commençant par votre arrivée à l’hôtel.
La Vouivre
acquiesce.
— Je
pourrais-je-t-il vous parler seul à seul, m’sieur César,
j’m’sentirerais plus libre.
— Si j’s’rais
d’trop, dis-le ! s’emporte le mari. Comme si je pourrerais pas tout
entendre ! J’le sais qu’t’as fait la chienne av’c c’criminel
d’Alfredo. Et j’t’ai déjà eu vue lu pomper l’nœud ou t’faire
embroquer par ce connard ; qu’est-ce tu veux ajouter d’mieux,
pétasse ?
Elle rengracie
:
— D’accord,
j’causais pour ménager ta susceptibilité, Sandre.
— Fais-toi pas
d’mouron pour elle, j’sus blindé d’puis l’temps !
Elle hausse les
épaules.
— Bon, souate. On
est arrivés ici, Freddy et moi, le mardi.
Installation.
— Séance de lonche
n’à peine les valoches défaites, hein ? grince Sa Majesté
encornée.
Et la perfide, se
piquant au jeu :
— Avant
!
— Salope
!
— Alfred est très
sensib’ aux chambres d’hôtel.
— Salaud ! Et bien
entendu, y s’est hâté d’te pratiquer le « tourniquet japonais »
dont à propos duquel y m’casse les couilles ?
— Fectivement
!
— Fumier ! Et « la
chaise du roi », œuf corse ?
— Testuel
!
— Le gueux ! Sans
compter le « i grec en folie », j’présompte ?
—
Naturellement.
— Le grand jeu,
quoi !
— En plein
!
— Qu’il crève !
J’espère qu’y z’ont la peine d’mort en Argenterie pour les
assassins ! Et, bien sûr, toutes ces saloperies, vous les avez
faites habillés ?
— C’est
meilleur.
— Tu veuilles
qu’j’t’éventrasse à coups d’talon, morue ?
Elle se fait
pathétique. Mère Courage ! La Dame aux Camélias dans sa phase
bacillaire !
— Si ça peut te
soulager, mon pauvre Sandre.
Il
repleure.
Pinuche intervient
:
— Ecoutez, mes
enfants, vous n’allez pas passer le restant de vos jours à vous
déchirer pour de menus incidents de parcours ! Nous ne sommes que
des êtres vivants lâchés dans le cosmos. Il faut s’aimer, se
pardonner, s’aider. Alors arrêtons les frais, question
jalousie.
Il est beau comme
l’abbé Pierre rasé de frais. Son clope jaune pendouille de sa lèvre
inférieure tel une bistougnette de lapereau. De la sanie sort de
ses yeux comme de la mayonnaise en tube. Il arbore son tendre et
miséricordieux sourire. Il y a de l’évangéliste chez cet homme. Je
sais que Dieu l’aime beaucoup.
— Reprenons, chère
Berthe. Vous vous êtes donc installés ici. Ensuite ?
— Ben on a commencé
les vacances, quoi : la bouffe, des siestes, des bains de soleil,
des parties d’ cartes au bar.
— Une vie de con,
en somme ! résume l’actif Bérurier.
Elle lui sourit
désarmant ; c’est son nouveau style à Berthaga : la coupable qui
accepte l’opprobre, joue les martyres résignées. Ça paye
!
— Vous connaissiez
la personne qui a été trucidée ? reprend le vieil enquêteur
chevronné.
— Quand j’ai vu sa
photo dans l’journal, j’m’ai rappelé l’avoir entrecroisée pendant
not’ séjournement, moui. L’était seule. Une brune, pas beaucoup de
formes.
— Alfred lui
faisait du gringue ?
— Pensez-vous :
ell’ était bien trop maig. Lui, sa régalade, c’est quand y a du
répondant sur les miches et les loloches.
— Un dégueulasse,
quoi ! résume Béru, hautement qualifié pour porter ce genre de
jugement.
— Il y a parfois
des exceptions, enchaîne Pinuchet. Il se peut que le coiffeur ait
été sensible au charme de cette personne.
— Elle en avait
point ! assure catégoriquement la Bérurière. J’ai l’œil. Si Freddy
y avait balancé des coups d’saveur, je les eusse eu surpris, n’ayez
crainte, m’sieur César. On s’disait même pas bonjour, c’te crevure
et nous.
— Pourtant Alfred
l’a suivie dans sa chambre. Cela s’est opéré comment ?
Berthe s’assombrit
comme un ciel de neige.
— J’en sais rien.
On était allongés, moi et lui, su’ l’sable. J’me dorais. La
chaleur, moi, ça m’endort. Freddy, j’me rappelle parce que j’m’en
souviens, m’chatouillait la moule av’c un fœtus de paille. Ça
m’f’sait mouilloter, mais j’dormais d’trop pour réagir
vraiment.
« A deux trois
mètres devant nous, y avait c’te merderie de gonzesse. N’à un
moment donné, y m’semb’ les avoir entendus causer, Freddy et elle.
C’t’après coup qu’ça m’est r’venu. Y z’ont parlé un moment,
doucement, du ton d’la converse. Et puis plus rien. Jpas si j’ai
dormi longtemps, n’ayant pas d’montre su’ la plage n’à cause du
sable qui coince les mouvments. J’ai parlé à Freddy, mais y n’m’a
pas répondu. Alors j’m’ai assise et j’ai vu qu’il avait écrit dans
l’sable comme quoi il était été aux vécés, ce qui l’arrivait
fréquemment biscotte la cuisine à l’huile, lui, ça l’détraque ; et
pourtant il est italien d’origine, je vous fais
remarquer.
« J’ai attendu en
m’ faisant bronzer l’dos. J’ai dû me rassoupir. C’qui m’a réagi,
c’est des sirènes d’ police qu’arrivaient en trompe à l’hôtel. Vous
dire, m’sieur César, y m’a pris comme un pressentiment prémonitoire
dû à la prémonition. J’m’ai levée et jété aux nouvelles. J’arrive
dans l’hall et vous savez qu’est-ce que j’vois, m’sieur César ?
J’vous l’donne en mille ! Freddy qui sortait de l’encenseur entre
deux flics, les m’nottes aux poignets. Vous dire ce dont j’ai
ressenti ! Pour la grande charité du Christ, des instants pareils,
merci bien ! Plutôt mourir ! J’m’ai élancée sur lui en lu d’mandant
ce qui se passait. Mais l’était prosterné, si vous voyez ? Hagard,
les yeux vides !
« D’autres poulets
s’est jetés sur moi et m’ont emballée, voiliant qu’j’étais l’amie
du monstre. Y m’ont emmenée à la police, questionnée pendant des
heures. Et qui c’était Freddy, d’où qu’y v’nait, c’qu’y f’sait dans
la vie ? S’il avait des instinctes sadiques ? Des choses encore
qu’j’me rappelle plus, tellement y en avait et tellement
c’t’interrogatoire m’semblait sot et grenu. J’voulais savoir ce
dont on l’accusait. Mais y n’m’répondaient pas, ces fumiers.
J’veuille pas m’vanter, mais y en a un qui me caressait les fesses.
Quand j’l’regardais, y m’montrait son paf à travers son pantalon,
qu’était très conséquent d’apparence. Y dessinait son volume av’c
la main, croiliant m’impressionner, moi, la femme à Béru. Peau
d’zob, va !
« Y m’ont r’lâchée
en m’annonçant comme quoi y gardaient mon passeport et qu’j’pouvais
plus quitter l’pays jusqu’à tant qu’l’instruction serait terminée.
C’est en r’venant ici qu’j’ai su ce dont y s’était passé. Alfred
qui grimpe av’c la gonzesse brune, qui l’empaffe puis la surine
av’c son couteau d’table d’à midi qu’y avait conservé dans son
maillot. Alors là, j’insurge, m’sieur César. Alfred portait un
maillot très court, v’savez comme y aimait mettre sa bite et ses
couilles en valeur chaque fois qu’il en avait l’occasion, vanneur
comme y est ! Y n’avait point d’couteau dans le slip d’bain. Juste
avant qu’j’m’endormisse, j’lu avais trituré l’guignolo par
sympathie. Vous pensez bien qu’un lingue, j’l’aurais senti
!
« Enfin, quoi, vous
l’avez fréquenté, Alfred, tous les deux. Des défauts, c’est pas
c’qu’y lu manque : un Rital, vous pensez ! Mais zigouiller une dame
qu’y vient de fourrer, j’peuve pas y croire. V’savez biscotte y
s’est fait coiffeur pour dames ? Parce qu’aut’fois, lorsqu’il
tenait un salon messieurs, y s’évanouissait quand y f’sait une
p’tite entaille de rien aux mecs qu’il rasait. »
— Peut-être a-t-il
eu un coup de folie ? suggère César.
— Lui ! L’était
bien trop raisonnable pour d’venir fou ! assure dame
Béru.
Le Gros caresse ses
bajoues d’un air pensif.
— Ecoute, la mère :
ton Mirliflor s’trouvait bouclarès avec la morte. L’avait
défoutraillé plein les draps et l’y a porté ses empreintes de
gitane. Conclusion : personne n’autre a pu commett’ ce meurtre.
Donc, si c’est personne n’autre, c’est lui !
Il a un rire
méchant qui ne lui va pas très bien parce que c’est un brave mec,
le Gros. Un violent, mais bon zig.
La Bérurière secoue
ses frisettes qui partent en sucette.
— Pour qu’j’y
croive à son crime, faudrait qu’y m’l’avouasse d’visu
!
Pinaud
réagit.
Allons voir la
chambre du drame ! décide-t-il.
Des scellés et un
Opinel se livrent un combat singulier dont le bon vieil Opinel sort
vainqueur.
Béru et son pote
pénètrent dans la « chambre tragique », comme l’appellent les
journalistes. Elle sent bizarre : le parfum musqué, plus de vagues
remugles fadasses. Ils entrent, referment la porte et attendent un
instant, troublés par l’étrange atmosphère. Le silence n’est rompu
que par le bruit lancinant d’un robinet, mal fermé qui
goutte.
Béru, le premier,
s’avance vers le lit. La semence du Rital forme toujours une flaque
importante sur le drap du dessous. Cette surabondance le vexe
quelque part, sans qu’il puisse s’expliquer trop pourquoi ; cela
est du ressort de la jalousie, cette gueuse ! Il contourne le
plumard et découvre des traînées de sang séché sur la moquette
beige. Se dit que le sang sèche plus rapidement que le foutre,
donc, il est moins « vivant » ?
Pinaud suit les
mêmes pérégrinations. Il a retrouvé son air frileux, voire
malheureux, d’avant sa richesse tardive. Il fait clodo de luxe,
veuf inconsolable.
Il s’accroupit pour
regarder le plancher, puis s’agenouille et se déplace à quatre
pattes dans la chambre. Se rend ainsi à la salle de bains. Au bout
d’un moment, comme il ne réapparaît pas, le Gros va le rejoindre.
Le trouve assis sur le rebord de la luxueuse baignoire, les mains
croisées entre ses genoux cagneux, réfléchissant.
— Tu patauges dans
l’tapioca, mec ? demande Béru.
Le Fossile
s’arrache à ses méditances.
— Sur le journal,
il est bien dit que la femme assassinée était habillée
?
— Voui, pourquoice
?
— Elle a été
assassinée ici, et ensuite tramée dans la ruelle du lit, déclare la
Vieillasse.
— Où qu’t’as pigé
ça ?
César désigne du
doigt quelques petits points rouges dans le ciment ayant servi à
faire les joints des carreaux.
— Du sang
!
Il fait signe à son
coéquipier de le suivre dans la chambre.
— Il y a eu des
piétinements depuis, mais c’est encore visible.
— Quoi donc
?
— Les deux traces
des talons. On a coltiné le corps en le tenant par les bras. Tu
vois cette double ligne parallèle dans les poils de la moquette qui
est neuve ?
— Moui, et alors
?
— Alors ça,
simplement. Poignardée dans la salle de bains, tirée jusqu’au lit.
Pour quelle raison Alfred aurait-il agi ainsi ?
— Il avait perdu
les pédales, ce sale con !
— Il faudrait
vraiment qu’il les eût perdues en effet !
— Il était seulâbre
dans la taule : la lourde bouclée à clé de l’intérieur, c’est
prouvé, la fenêtre fermaga ! Pas de fenestron dans la salle de
bains, juste une grille d’ventilation ! C’est l’mystère d’la
chambre close qu’tu veuilles reconstitutionner, l’Ancêtre
?
Pinuche retourne à
la salle d’eau, monte sur la partie large de la baignoire pour
examiner la ventilation. Il s’agit d’une grande plaque métallique,
peinte de la couleur des murs, dans laquelle s’inscrivent deux
volets d’aération munis d’une grille. Il essaie de secouer la
plaque, mais elle est vissée en ses quatre coins. Bernique
!
Mathusalem a un
soupir du genre fétide. L’estomac n’a jamais été très performant
chez lui. En fait d’haleine fraîche, sa pomme ce serait plutôt la
laine des Pyrénées avec son suint.
Il murmure
:
— Le mystère de la chambre close…
La réflexion
ironique du Gros l’a frappé. Il sent confusément « quelque chose »
de pas blanc-bleu et il est convaincu que Bérurier aussi le sent.
Ils sont trop authentiquement flics pour ne pas éprouver cette
curieuse sensation. Seulement, Alexandre-Benoît est trop de parti
pris pour en convenir. Pour l’instant, il rêve
d’échafaud.
SUITE
J’en jette, non ?
demanda Béru à Pinaud.
Il est debout
devant une psyché et s’examine complaisamment. Le smoking col châle
qu’il porte le transforme en « quelqu’un d’autre ». Il fait gros
entrepreneur en maçonnerie.
— Tu es saisissant,
confirme le Géronte.
Ce matin, la
comtesse a annoncé qu’elle allait donner un grand dîner pour les
présenter au chef de la police de Mardel.
« — Avez-vous de
quoi vous habiller ? » s’est-elle inquiétée, vu l’extrême modestie
des bagages du Mastar : un simple sac en plastique provenant de la
Samaritaine (c’est écrit en très gros dessus).
« — Ben, j’ai ce
dont j’ai sur moi », a répondu Bérurier.
Elle lui a expliqué
qu’il lui fallait un smoking et l’a conduit, chez un grand tailleur
du cru qui a mis un smok d’obèse à ses mesures en moins de
rien.
Maintenant, chemise
à plastron, nœud noir, vernis rutilants aux pinceaux, le Mammouth
éclabousse comme un gyrophare d’ambulance.
Pinaud, qui, lui,
est dûment embagagé ne donne pas sa part aux cadors. Il fait vieux
maître d’hôtel blanchi sous le harnais.
A l’heure dite, ils
descendent de leurs chambres et tu croirais deux diplomates
lituaniens venus demander aide et assistance à
l’Elysée.
Beaucoup de trèpe !
Du beau linge ! Pognon à flots ! Inflation ? Fume ! Gros
propriétaires terriens de la Pampa ! Industriels (cuirs et laines),
ministres en vacances, maires, avocats, écrivains (c’en est plein
en Argentine), hauts fonctionnaires (dont le chef de la police
!).
La comtesse les
attendait, la bouche et le frifri en fleurs ! Elle a le fion
branché sur la haute tension, Dolorès. La membrane du Formide la
survolte. Elle voudrait garder toujours ce braque à dispose, s’en
faire des tartines, mouillettes, éclairs géants ! La fiesta ! Pas
un gaucho sur tout ce putain de territoire qui soit capable de
dégainer de son futal de cuir une rapière aussi extravagante ! Si
Bérurier doit la quitter, elle photographiera son paf avant la
séparation. Elle, en train de le pomper, pour qu’on puisse bien
comprendre qu’il n’y a pas trucage, qu’il soit possible de référer
au réel. Un trophée de cette qualité, tu ne peux pas le perdre de
vue à tout jamais. Les années passant, tu douterais de lui,
estimerais que ton imaginaire te joue des tours et qu’il était plus
« normal » que dans ta mémoire. Le phénomène inverse à celui du
pêcheur à la ligne dont la prise fameuse croît dans ses
souvenirs.
— Venez, je vais
vous présenter au chef de la police.
Elle les biche
chacun par une aile, mutine, joyeuse, le décolleté comme la loge
d’honneur de la Scala de Milano.
Les guide jusqu’à
une jeune femme très belle, avec des boucles d’oreilles que ça
représente des balançoires à perroquet (avec un perroquet sur
chacune). Très blonde, la dame, avec une mèche brune qui lui donne
un aspect étrange. De grands yeux noirs qui laissent croire que sa
blondeur est bidon et que sa toison chatière est moins claire que
l’astrakan.
Dolorès lui
présente nos deux lascars puis, à eux :
— Carmen Abienjuy,
notre directeur de la police !
Alors là, ils sont
sciés en deux dans le sens de la longueur, Pinuche et Béru. Cette
somptueuse créature, directeur de la Rousse ! Ils
hébètent.
Pinaud sauve la
situation par son côté Vieille France :
— Madame le
directeur, notre surprise et notre émoi nous laissent sans voix.
Nous ne nous attendions pas à trouver une femme aussi exquise et
dotée de grâce en la personne d’un haut fonctionnaire. Certes, chez
nous, en France, il existe quelques femmes juge d’instruction,
voire commissaire de police, mais il n’en est pas, à ma
connaissance du moins, qui occupe un poste aussi élevé dans la
hiérarchie.
Il baise la main
qui lui est tendue, un peu trop ardemment car son dentier se
décroche et choit aux pieds de l’élégante personne : robe du soir
en soie verte moirée, sautoir de perles. Il le ramasse prestement,
se l’enfourne vite fait, mais, dans son émotion, le place à
l’envers, ce qui lui interdit de parler désormais.
La comtesse, fidèle
à sa promesse, explique l’objet du voyage de ces messieurs à son
invitée qui écoute gravement. A seconde vue, on constate qu’elle
n’est pas futile, la belle directeur, et que sa promo à ce poste
clé, elle l’a pas dégauchie dans la braguette d’un ministre. Elle
écoute en regardant ailleurs, ce qui est le signe de la chefferie.
Un chef, il confie rien avec ses yeux. Il s’économise, réserve ses
manifestations. Pas un signe, pas la moindre onomatopée : il laisse
dérouler le moulinet. Son attention va l’amble.
A la fin de
l’exposé, elle se tourne vers le Mastar :
— Ainsi, la
compagne du meurtrier est votre épouse ?
— Oui, monsieur la
directrice, bafouillasse notre pote. Exactement. Mon épouse
légitime.
— Et vous
connaissez l’assassin ?
— C’tait un ami,
reconnaît loyalement le Dodu.
— Vous saviez qu’il
était l’amant de votre femme ?
— L’amant, non.
Mais j’savais qu’y couchaient ensemb’, temps à aut’. Ma femme,
c’est pas la mauvaise femme ; mais ell’ est portée, si vous
comprendrez c’qu’ j’veuille dire. On est un couple porté, moi et
elle. On s’permet’ des primautés qui n’tirent pas à conséquence,
comprenez-vous-t-il ? Ell’ est saute-au-zob, quoi ! Et moive, j’sus
volontiers main-au-cul. Question d’tempérament et d’conformance.
Quand, comme ma pomme, on défile dans l’éguesistence av’c un braque
de quarante centimètres, et même quarante-deux quand j’tire d’sus,
on n’a pas la comportance du tout-venant.
Le directeur de la
police réagit :
— Quarante
centimètres ?
— A vot’ service,
mon trognon. D’mandez à la Dolorès qui, pas plus tard qu’y a une
plombe, s’en est pris les trois quarts dans l’arrière-boutique et
ell’ beuglait tell’ment fort qu’on croivait qu’elle dérouillait un
missile Scud dans la moniche !
Carmen Abienjuy se
tourne vers son hôtesse, laquelle est écarlate de
confusion.
— Quarante
centimètres ? répète le directeur d’un ton mi-incrédule,
mi-interrogateur.
Dolorès prend le
parti le plus sage : celui de l’aveu.
— Unique !
acquiesce-t-elle avec une mimique qui en dit aussi long que l’objet
mis en cause.
La superbe blonde à
la mèche brune déclare :
— Señor Bérourier, votre témoignage est mucho importante ; venez me voir mañana à mon bureau. Disons midi.
C’est plus qu’une
proposition : un ordre !
L’Eperdu répond
mais comment donc, monsieur la directrice, c’sera volontiers et
av’c beaucoup d’parfaitement ; tout l’honneur, l’plaisir et
l’machin sera pour moi !
Là-dessus, on passe
à table. Trente-deux couverts dans la salle à manger d’apparat !
Caviar, viandes ! On boit un Torrontes de Don David et un cabernet
Michel Torrino. Bérurier, assis à la droite de la maîtresse de
maison (devenue également la sienne), fait le bouc-en-train. Il se
ramasse une peinture carabinée et, au dessert, chante les Matelassiers pour le plus grand plaisir de
l’assistance.
Le lendemain,
Pinaud qui a libationné avec excès, lui aussi, doit garder la
chambre car il gerbe toutes les quatre minutes et son estomac
martyr lui provoque d’atroces brûlures que la chère comtesse lui
soigne avec du bicarbonate délayé dans du vin, vieux remède gaucho
que la Pine ingurgite stoïquement, tout en récitant mentalement une
prière qu’il envoie au Seigneur par chronopost.
Le Mammouth, fraise
et dix pots (comme il se plaît à déclarer), se rend donc seul au
rendez-vous que lui a intimé le directeur.
L’hôtel de police
est un grand bâtiment neuf sur l’Avenida 9 de Julio. Le délicat
drapeau argentin (deux bandes bleues sur du blanc au milieu duquel
Wolinski a dessiné un petit soleil jaune rigolo) flotte au fronton
de l’édifice. Le planton (il s’appelle Bombard) l’accueille. On a
prévu sa visite car, illico, le gars le drive aux ascenseurs et le
pilote sans coup férir jusqu’au quatrième laitage. Au fond du
couloir, une double porte. Toujours, les P.-D.G., grands chefs de
ceci-cela : la porte deux panneaux. La puissance et Magloire !
Quand on t’emmène jusqu’à un bureau à porte unique, reste peinard ;
mais si c’est vers un burlingue à deux lourdes, là tu as le droit
de bicher les mouillettes : ça va être sérieux !
Un timbre au centre
d’un support de marbre. Le convoyeur (con voyeur à l’occasion) le
presse.
Une ampoule verte
au-dessus de l’encadrement, kif dans un studio de cinoche ou TV. Tu
peux to go à gogo. Le planton s’efface,
Bérurier entre. Il remarque que la porte se referme automatiquement
sur ses talons, avec à la fois lourdeur et moelleux (redis-le
moelleux).
Ah ! la vaste
pièce. Et comme elle a été féminisée malgré son apparence
administrative. Les murs tendus de papier de riz jaune paille, des
rideaux aux fenêtres. Grand burlingue entre les deux fenêtres du
fond. Un côté du mur garni de classeurs, sur l’autre partie un
canapé de velours vert bronze. Au-dessus, une photo du président
Carlos Menem.
Carmen Abienjuy
écrit derrière le bureau. Sans relever la tête, elle claque les
doigts de sa main libre, puis désigne les deux fauteuils qui lui
font face. Alexandre-Benoît comprend et s’obstrue le trou du cul
avec du cuir. Il attend. Le directeur continue de rédiger à la mano
sur une feuille de papier à en-tête. Elle se sert d’un gros stylo
Mont-Blanc noir, plutôt masculin. Mais quand on est « LE directeur
», hein ? Voilà, elle appose un parafe impressionnant, d’au moins
dix centimètres de large. Le genre de signature qui n’en finit pas.
Un auteur comme San-Antonio qui aurait la pareille raterait la
vente de cent bouquins lors d’une séance de signatures 2.
L’Argentine a
quelques décades de retard sur l’Europe dont elle s’inspire, car le
directeur use d’un tampon buvard pour sécher son
document.
Enfin, il relève la
tête et Carmen Abienjuy adresse un léger sourire au survenant et
dit :
— Merci d’être à
l’heure.
— La politesse est
l’exactitude des rois ! répond le Raspoutine.
Il s’enhardit à
croiser les jambes. Il porte le smok de la veille, bien qu’on soit
le matin, car cette tenue lui est seyante et il a décidé de la
porter jusqu’à l’usure complète.
Carmen Abienjuy
croise ses admirables mains manucurées sur son sous-main de cuir.
Ce geste rappelle le Vieux, au Gravos. Lui aussi a de ces
mouvements onctueux des mains. Manie de chat et de
chef.
Elle attaque
:
— Avant que nous
n’abordions l’affaire qui vous amène à Mar del Plata, señor Bérourier, je voudrais vous présenter une
requête.
— Vos désirs sont
en désordre ! riposte avec une infinie nonchalance le nouveau
dandy. De quoi s’agite-t-il, monsieur la directrice ?
Au lieu de
répondre, elle biaise :
— Voyez-vous, cher
confrère de France, avant que je n’occupe mon poste actuel, je
travaillais à la Criminelle. Une nuit, j’ai eu à m’occuper d’un
meurtre dans le quartier chaud de Buenos Aires. Une sordide
affaire. Par esprit de vengeance, un Indien qui logeait dans le
barrio du port avait étranglé puis émasculé
un émigré italien qui couchait avec sa femme.
— Qu’ çu-la qu’a
jamais été cocu y jette la première pierre ! soupire
Alexandre-Benoît.
La dame directeur
reprend :
— Le meurtrier
avait placé le pénis sectionné sur le visage de sa
victime.
— Bien fait pou’ sa
gueule !
— En apercevant un
tel spectacle, j’ai failli défaillir, bien que je sois, me
semble-t-il, une femme forte. Ce qui me bouleversait, c’était la
dimension de ce sexe tranché. Trente-deux centimètres.
— Hors tout ?
questionne le Débonnaire.
— Qu’entendez-vous
par là, señor Bérourier ?
— J’veuille dire :
y compris les bourses ?
— Oui.
Le Blasé a un
sourire qui ferait pleurer la Sainte Vierge.
— Moi, sans
vouleloir rouler les mécaniques, c’est du quarante centimèt’ sans
les couilles, ma poule.
— Justement,
murmure la directeur.
— Jus’ment quoice
?
— Depuis cette
vision qui remonte à une dizaine d’années, je suis positivement
hantée par le souvenir de ce membre coupé, señor Bérourier (elle prononce, en fait : «
Bérlllourlllier »). Il m’arrive d’en rêver la nuit. Je n’ai jamais
pu « accueillir » un homme depuis cette atroce vision.
— Quelle idée, ma
gosse ! Faut que vous réagireriez !
— Je sais. Aussi
une idée un peu saugrenue m’est venue, très… très délicate à
formuler.
— Formulassez,
formulassez !
— Eh bien, je
crois… il me semble que si je pouvais voir calmement votre sexe,
lequel, prétendez-vous, est encore plus important que celui qui m’a
traumatisée, oui, si je pouvais le voir, le toucher, même, à la
rigueur, cet instrument qui, lui, est vivant, bien vivant,
peut-être serais-je guérie de mon obsession. Qu’en pensez-vous,
señor Bérourier ?
Il est aux
anges.
— J’en pense
qu’c’est l’idée du sièc’, déclare-t-il catégoriquement. J’vous
déballe l’monstre tout d’sute ou bien on prend rendez-vous
?
Voilà que, soudain,
la facile acceptation du Gros lui fait peur, Carmen. Ses fantasmes
regimbent. Il y a toujours une lâche complaisance du malade
vis-à-vis de ses maux. Elle redoute que l’électrochoc la guérisse
trop brutalement.
Elle baisse la
tête.
— Je ne sais pas,
balbutie-t-elle.
— Eh ben si vous
n’savez pas, j’décide qu’c’est pour immédiatement. Soiliez
gentille, monsieur la directrice, disez à vot’ secrétariat d’n’ pas
nous déranger sous aucun prétesque.
Elle trouve la
suggestion opportune, décroche son biniou et formule en
espingo.
— Voilà ! approuve
Béru. Du côté d’la porte c’est banco ? Un gnaf craint pas d’am’ner
sa couenne dans l’secteur ?
— Soyez sans
crainte, señor Bérourier. Mais vous me
jurez sur l’honneur que ceci restera entre nous ?
— Tout c’ qu’a
d’entre nous, mon lapin ! Parole de flic à un aut’ ! Et vous allez
pas êt’ déçue par 1’bambino, il est tout folâtre d’puis qu’on cause
de ça ! V’nez vous asseoir, su’ l’canapé, vous aurez mieux vos
zaises ! Là, détendez-vous bien, comme si vous s’riez chez le
psychiatre. Les bras pendants, les cannes allongées. On rilaxionne
un max. Et maint’nant, ouvrez grand vos boules de loto, la mère :
l’gros mistigri va vous faire sa révérence.
Il détraponne son
futal de smok, baisse son vaste et flasque slip à l’intérieur
duquel ça remue-ménage à tout va.
— J’vous présente
le señor Popaul, ma belle !
Carmen regarde,
exhale un léger soupir et s’évanouit.
— Et la fête
continue ! grommelle Sa Majesté surmembrée. C’est chef d’la police
et ça tourne d’l’œil à la vue d’un zob ! Bien sûr, Coquette y
rappelle le raminagrobis sectionné d’son type assassiné, mais quand
même ! J’m’en voudraye d’occuper ces z’hautes fonctions et d’jouer
les p’tites marquises du temps jadis qu’évanouissaient pour un oui
ou pour un non. Qu’on le voudrasse ou pas, une gonzesse c’est fait
pour la brod’rie et torcher les chiars !
Cette misogynie
ainsi extériorisée, il s’occupe de ranimer Carmen Abienjuy, non
sans avoir auparavant réintégré Coquette dans son hangar. Deux
baffes bien ajustées permettent à la directeur de récupérer. Elle
frémit, soulève ses paupières délicatement colorées de bleu et
regarde le futal du guerrier. Son missile a disparu. La dame
respire profondément.
— C’est ridicule,
murmure-t-elle ; j’ai ressenti un tel choc !
— V’s’êtes tout
escusée, mon directeur, affirme le hallebardier. C’est pas la
première fois qu’mon sauciflard chavire un’ personne du beau
secse.
— Mais… vous
trouvez… chaussure à votre pied ?
— Naturliche, ma
cocotte ! Av’c d’la persévérance et d’l’huile d’olive, on surmonte
tous les écureuils 3. Si j’vous dirais : y a pas
lulure d’frangines qu’a dû r’noncer. Les dadames les plus étroites
acharnent à m’engouffrer l’Pollux. Z’y mettent une pointe d’honneur
; elles veuillent que ça rentre ou qu’ça casse ! Mais ça casse
jamais ! Qu’elles endolorassent du baigneur par la suite, j’admets.
Une entre z’autres, en Turquie 4 l’est restée
huit jours sans plus pouvoir s’asseoir, mais c’est des cas
rarissimes. Général’ment, une bonne blablution après la carambole,
d’préférence à la mousse à raser, et la mignonne r’part pour une
virginité.
Maintenant, Carmen
Abienjuy s’est complètement ressaisie et retourne à son bureau
directorial. N’empêche qu’elle ne regarde plus Bérurier avec les
mêmes yeux. Elle a pour lui cette espèce de crainte déférente qu’on
marque aux gens célèbres qui veulent bien vous admettre un instant
dans leur environnement.
— Dites-moi,
monsieur la directrice, attaque le Vaillant, est-ce que j’peuve
rencontrer Alfred dans sa cellote ou au parloir d’la prison ? J’sus
persuadé qu’à moi, y racontererait en bonnet difforme ce dont y
s’est passé.
Elle fait la
moue.
— Irrégulier,
lâche-t-elle.
— Comme la raie d’
mon cul, répond paisiblement le Gros ; l’est irrégulière et
pourtant é tourne !