Table des Matičres

DÉBUT

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(Meilleure que les autres.)

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(A suivre avec attention.)

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(Eperdue)

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(Épique)

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(De plus en plus)

SUITE

(ARCHI) SUITE

COMMENCEMENT DE LA FIN

ENFIN FIN !



SAN-ANTONIO

LES COCHONS SONT LÂCHÉS


(TANGO ARGENTIN)



A Marc BONNANT
qui parle le français le plus pur, avec la tendresse de celui qui écrit le français le plus trouble.
SAN-A.

On a souvent vu des vivants faire semblant d’être morts.
Mais on n’a jamais vu des morts faire semblant d’être vivants.
SAN-A.

DÉBUT

Le soleil cognait dur et l’on entendait presque rissoler sa graisse comme du lard dans une poêle chauffée.
Elle dormait et faisait penser à cet énorme veau marin affalé dans la lumière, pour qui soulever une paupière constituait un exercice exténuant. L’animal apparaissait dans je ne sais plus quelle pub ; chaque fois que je le voyais à la téloche, je me mettais à bâiller.
Elle portait un aimable maillot de bain deux-pièces qui aurait pu servir de hamacs à la famille Tarzan. Il était bleu marine et imprimé de gros dahlias rouges. Sa partie supérieure ne parvenait pas à contenir les deux formidables mamelles qui s’échappaient de toutes parts ; quant à la partie inférieure, elle dissimulait mal une moulasse grosse comme deux kilogrammes de pain, dont la touffe exubérante s’égaillait loin sur le ventre et les cuisses.
Elle dormait avec l’innocence d’une petite fille obèse. La chaleur avait fait fondre son rouge à lèvres, lequel perlait en menues boulettes aux poils de sa moustache. Elle souriait d’aise à travers la bouillie pourpre résultant de cette fusion. Elle tenait chastement un bras sur ses yeux et ses voisins de plage, fascinés par le rare spectacle qu’elle constituait, pensaient qu’un chat angora était pelotonné dans le creux de son aisselle.
Son compagnon, un brun du genre Roméo pour fête foraine : chevelure gominée à la Travolta, fine baffie rappelant celle du regretté Adolphe Menjou, se tenait sur un coude à l’ombre de cette masse de chair. Avec une longue brindille trouvée sur la plage, il caressait le monceau de cellulite mis à sa disposition pour faire naître un frisson sur la monstrueuse cuisse offerte au soleil.
Il entendit un petit rire moqueur et tourna la tête. Il vit une jeune fille brune, très bronzée, qui regardait son manège avec amusement. Le galantin jeta sa brindille et s’assit en tailleur sur sa serviette pour consacrer son intérêt à la femme brune. Elle avait des yeux presque verts, couleur huître. Il l’avait déjà aperçue à leur hôtel. Dans la salle à manger en plein air, elle occupait une table proche de la leur et il avait été surpris de constater qu’une fille aussi ravissante était seule. Chaque soir il se disait que, le lendemain, un compagnon l’aurait rejointe, mais ce n’était jamais le cas.
Comme elle le dévisageait hardiment, il lui plaça un sourire voluptueux qui montrait un bout de langue, ainsi qu’une œillade de velours dont il avait le secret (il était d’origine napolitaine).
Elle lui rendit son œillade.
« Cette salope est en manque de chibre », songea-t-il.
Il humait les effluves de la femme avec une circonspection animale. Au bout de peu, il s’avança vers elle en se déplaçant sur les genoux. Lorsqu’il fut à un mètre de la femme brune, il s’assit sur ses talons.
— Hello ! fit-il. Buena dias !
Elle retrouva son sourire.
— Sans vouloir vous vexer, fit-elle en italien, votre espagnol n’est pas très fameux.
Il eut une moue piteuse.
— Vous êtes made in Italie ? demanda-t-il.
— Pas moi : vous !
— C’est vrai, reconnut-il.
— Napoli ? poursuivit-elle.
— En effet. Vous parlez rudement bien le dialecte napolitain.
— J’ai toujours été surdouée pour les langues étrangères ; j’en parle seize en tout ! Vous vivez en France, n’est-ce pas ?
— Exact.
— Votre femme est tout à fait française, ajouta la fille brune avec une expression ironique qui le fit rougir.
— Ce n’est pas ma femme.
— C’est quoi alors, votre maîtresse ?
Il ne répondit pas. Son regard salingue restait fixé sur l’entrejambe écarté de son interlocutrice. Il devinait un sexe délicat, merveilleusement fendu, et une impétueuse envie de s’en délecter lui vint. C’était un rustre aux désirs souverains qu’il dorlotait comme des enfants. Un jouisseur sans états d’âme.
— C’est étrange, soupira la jeune femme.
— Qu’est-ce qui est étrange ?
— Une femme, quand on l’épouse, elle est convenable, et puis il arrive qu’elle se mette à grossir et qu’elle devienne obèse. Mais qu’on prenne une maîtresse obèse dénote de curieux instincts. Seriez-vous pervers ?
Il haussa les épaules :
— Je ne sais pas.
— Elle vous plaît ?
— C’est une formidable salope : je prends un pied d’enfer avec elle.
— C’est bien ce que je pensais : vous êtes sadique.
— Non mais, ça va pas ! protesta le Casanova pour noces et banquets.
— Ne vous fâchez pas, venant de moi c’est un compliment. J’aime les hommes qui baisent avec les yeux. Vous avez une façon tout à fait particulière de fixer une femme qui vous inspire. Vous me faites mouiller !
Le don Juan en eut la gorge nouée.
— C’est vrai ? bredouilla-t-il comme un con.
— Il ne tient qu’à vous de vous en rendre compte.
L’invite était grande comme la cathédrale de Chartres ; le bellâtre n’y résista pas.
— Je ne demande pas mieux, mais où ?
— J’occupe la chambre 612.
Elle se leva avec une grâce féline, comme l’on écrit dans certains ouvrages de haute tenue littéraire. Du pouce glissé sous son maillot unipièce noir, elle remit ce dernier en bonne place de part et d’autre de sa chatte.
— Je rentre la première, rejoignez-moi dans trois minutes.
Il la regarda s’éloigner à contre-soleil. Elle était du feu de Dieu. Le séducteur transi se sentait bouleversé par cette aventure imprévue. Son cœur partait en dérapage incontrôlé et une monstrueuse soif rendait sa langue pareille à un os de seiche. Il se dressa à son tour et s’approcha de la dormeuse. La grosse vachasse ronflottait harmonieusement. Elle inspirait du nez avec de légers crachotements et expirait de la bouche en émettant un sifflement de fusée allant se perdre dans le cosmos.
Il s’accroupit près d’elle et, de l’index, écrivit dans le sable : « Je suis aux W-C. Bisous. »
Ayant tracé ce poétique message, il s’éloigna à longues foulées en direction de l’hôtel.
La 612 se trouvait à deux pas des ascenseurs ; la clé était restée à l’extérieur. Il toqua d’un doigt léger, puis grattouilla le montant pour dissiper toute équivoque. Une voix lointaine le pria d’entrer. Il obéit.
— Reprenez la clé ! cria la femme brune depuis la salle de bains séparée de la chambre par un dressing.
Il obtempéra et ferma consciencieusement de l’intérieur. Elle avait eu l’heureuse initiative de baisser les stores vénitiens et de tirer les doubles rideaux. Malgré tout, la clarté impétueuse du dehors parvenait à forcer la pénombre et les ténèbres souhaitées se fissuraient de traits lumineux.
Elle surgit en caracolant et bondit sur le lit où elle se plaça les bras et les jambes en croix de Saint-André.
— Viens ! haleta la femme brune d’une voix rauque.
Il se défit en un tour de main de son maillot de bain ensablé et, galant, secoua son membre pour en faire tomber les grains de quartz abrasifs.
Son sexe était perpendiculaire à son corps musclé et dodelinait avec des grâces pataudes. Sans déclencher le délire, il se présentait sous un volume de bon aloi, sa longueur inusitée compensant le diamètre passe-partout.
— Tu es superbe ! flatta la donzelle.
Il s’agenouilla au fond du lit et l’entreprit par des manœuvres propitiatoires auxquelles elle se montra sensible.
Il faisait minette correctement, sans plus. On sentait qu’il ne s’agissait là, pour ce tringleur d’obèse, que d’une mesure d’engagement. Il devait rarement amener sa partenaire à l’orgasme complet par ce moyen raffiné, trop intellectuel pour lui !
Effectivement après une brève tyrolienne silencieuse, il remonta le matelas et se mit en batterie. Dans cette partie des « imposées », il déployait beaucoup de brio ; tout à l’énergie, fougueux et infatigable. Cette charge de cosaque surprit sa conquête qui faillit en perdre l’esprit. Elle eut l’heureuse idée de haleter :
— Je t’en supplie, sois gentleman : je suis en pleine fécondation et je ne porte aucune protection !
Cette exhortation le dérouta car elle ne correspondait guère aux mœurs de l’époque ; mais il pensa qu’il était en Argentine, pays très européanisé, certes, cependant encore plein de lacunes.
Touché par la requête, il promit dans un râle d’éternuer hors circuit. Ce qu’il fit en toute conscience quatre minutes et vingt secondes plus tard, un peu prématurément sans doute, toutefois les râles de la femme lui donnèrent à penser qu’elle avait eu le temps de faire homologuer son panard. Il resta anéanti sur la couche des voluptés, taureau devenu bœuf par la délivrance du plaisir. Alors elle l’enjamba pour rallier la salle d’eau.
Au moment où elle passait par-dessus son partenaire, elle remarqua :
— Eh bien ! dis donc, j’ai bien fait de te prévenir ! Tu es d’une abondance ! Fichtre, quel étalon !
Cette constatation le flatta. C’était effectivement l’une de ses caractéristiques et elle confondait les « pipeuses ».
Le lac aux cygnes ! L’étang de Berre ! Le Léman en réduction !
Vidé et comblé, il se détendit sur le lit. Sa noble queue de séducteur avait une langueur de reptile gavé. Il songea à sa belle compagne qui somnolait sur la plage. Peut-être était-elle déjà réveillée et s’inquiétait-elle de son absence. Elle irait à la relance jusqu’aux cagoinsses, probable. Elle était d’une jalousie torride. Il devrait s’inventer un alibi : les haricots noirs de midi l’avaient « barbouillé » et il était allé jusqu’à la pharmacie acheter des sels d’Eno. Seulement elle demanderait à voir le flacon. Non, il fallait trouver autre chose. Il ne pouvait pas se sauver comme un malpropre, son coup tiré, en plantant sa jolie partenaire en pleines ablutions. Le savoir-vivre le lui interdisait. Lorsqu’elle se serait rafraîchi la tirelire, il devrait lui prodiguer quelques bisous reconnaissants, de la belle pelloche bien roulée. Il était le roi du baiser caméléon ; sa menteuse, longue et preste, « leur » titillait les amygdales de telle sorte que les frangines reprenaient vite envie de remettre le couvert.
Tout en l’attendant, il s’endormit d’un sommeil bestial de mâle assouvi. La chambre était fraîche, la pénombre capiteuse. Il fit un rêve dont il ne devait pas se souvenir clairement par la suite. Il ne lui en resta que des bribes. Il était nu contre une fille lascive, auprès d’une cascade, sur un tapis de mousse. Des oiseaux gazouillaient. Et puis des bûcherons vinrent abattre des arbres géants à grands coups de cognée. Ce furent ces coups qui l’éveillèrent. Il rouvrit les yeux, se rappela où il se trouvait et ce qu’il venait d’y faire. On frappait violemment à la porte de la chambre.
Le bourreau des cœurs sauta du lit et courut à la salle de bains.
— Chérie ! On frappe ! annonça-t-il.
Personne ne lui répondant, il en ouvrit la porte et constata qu’elle était vide. Sa compagne était déjà ressortie et, attendrie sans doute par son sommeil profond, ne l’avait pas réveillé. Il fut touché par sa sollicitude et cette preuve de confiance.
Comme les coups redoublaient dans le couloir, il enfila prestement son maillot de bain gisant sur la moquette et alla ouvrir. Quelque chose le déconcerta confusément, mais comme il était embrumé, il n’eut l’explication que plus tard. Il se trouva en face d’un employé de l’hôtel et d’un policier en uniforme. Le policier lui lança une longue phrase en espagnol qu’il ne comprit pas. Voyant son ignorance, l’employé de l’hôtel la lui traduisit :
— Le señor policier voudrait savoir ce qui s’est passé dans cette chambre.
La cervelle du bellâtre se mit à bouillonner comme un chaudron de confiture. Il imagina dans la foulée mille folles hypothèses : la fille brune avait un mari jaloux qui la faisait surveiller et il était bonnard pour un constat d’adultère. Ou bien…
Comme il restait coi, le flic s’avança dans la pièce d’une démarche péremptoire, alla tirer les rideaux et actionner le bouton électrique commandant la remontée du store. Une vive clarté, impitoyable, fit place à la douillette pénombre.
Penaud, le baiseur déconfit suivait les déplacements du poulet dans la chambre. Cela ressemblait un peu à un viol. L’homme avait un aspect de soudard en pays conquis. L’amant de la pensionnaire frivole déplorait l’absence de celle-ci. Elle aurait pu parler, s’expliquer. Il se sentait abandonné, avec le poids du péché sur les endosses.
Il repensa à sa grosse maîtresse. S’il y avait du zef, elle allait lui passer une sacrée branlée. Adieu les belles vacances dorées, la vie de palace, les monstres tringlées du soir, les siestes polissonnes, les drinks pris au bar de la plage en compagnie d’autres Français rencontrés sur ces rivages lointains. Elle le dérouillerait comme cela était déjà arrivé par le passé. Et elle était costaude, la gueuse ! Une vraie lutteuse de foire qui te vous plaçait des manchettes redoutables !
Le policier venait de regarder le lit défait au centre duquel scintillait la mer Morte dans le soleil inondant la chambre. Cette étendue de semence le laissa perplexe. L’amant d’un jour se dit que le foutre abandonné dans la liesse de l’étreinte devenait redoutable et sinistre, contemplé par un flic.
L’employé qui faisait du zèle, s’était mis à déambuler à son tour. Soudain, comme il venait de contourner le lit, il eut un sursaut et poussa un grand cri de défenestré. Le flic le rejoignit, jeta un coup d’œil sur « la chose » qui tant perturbait l’employé. Mais il ne s’attarda pas et bondit sur l’amoureux transi en dégainant son pistolet. L’arme était bien superflue car le malheureux bonhomme se trouvait sur le point de défaillir. Le policier n’eut pas le moindre mal à lui passer les menottes ; ensuite, il le propulsa d’une bourrade en direction de la zone « critique ».
Alors le sabreur « abondant » vit. Il fut assommé par la stupeur et l’incompréhension. Il se demanda s’il avait déjà connu une scène de ce genre au cinéma, dans l’un de ces films « B » dont il était friand. La fille brune qu’il venait de baiser quelques instants plus tôt gisait sur la droite du lit, le corps lardé de coups de couteau. Le meurtrier avait abandonné l’arme dans la gorge de la victime, et son amant crut la reconnaître. C’était un des couteaux du restaurant qu’on proposait aux clients qui se délectaient de la merveilleuse viande du pays. Un couteau au manche de bois sombre, virole de cuivre, lame triangulaire. Le malheureux avait utilisé le même au repas de midi.
Le policier s’approcha du téléphone et composa un numéro. Lorsqu’il l’eut obtenu, il se mit à parler à toute allure pendant que l’employé de l’hôtel allait dégueuler dans les gogues.


SUITE

Tu voyes, dit Béru à Pinaud, c’t’une bagnole commak dont il t’ faudrait. Quand t’est-ce t’embugnes un gus, c’est sa tire qu’est plein d’bosses, toi tu continues ta route en père turbable.
Il désigne un stand où sont présentés en forme de trèfle trois monstres américains, hauts sur pattes et bardés de pare-chocs dits anti-buffles.
Comme la Vieillasse hoche la tête, Sa Majesté reprend sa plaidoirie avec plus de véhémence :
— Ta Rolle-Rosse, j’veux bien pour draguer les péteuses qu’ont jamais traîné leur p’tit cul pommé d’dans, mais en cambrousse, elle vaut pas tripette ! Pour ta propriété d’Touraine, c’t’un carrosse textuel qu’y t’faut. Rends-toive compte d’ce qu’tu peux trimbaler avec. J’te prends pour préparer l’réveillon d’ Noël, sans aller plus loin – les dindes, le boudin blanc, le champagne, les bûches. Et n’en plus tu peux tirer une gonzesse à l’arrière si tu rabattrais la banquette.
— Tu crois ? s’allume la Vieillasse, soudain alerté.
— J’te parie une pipe au bois d’Boulogne. Tu vas voir !
Il s’approche d’un minuscule salon aménagé près des véhicules où une hôtesse en uniforme rouge délivre des catalogues aux possibles clients.
— Escusez-moi si j’vous d’mande pardon, mad’m’selle, l’aborde-t-il. Puis-je-t-il vous solliciter un service démonstratif ?
— Mais je vous en prie ! s’empresse la préposée, une fausse blonde avec peu de nichons mais un rutilant sourire de pute.
Le Gravos lui désigne l’un des véhicules.
— Si vous voulassiez bien transformer l’arrière en braque…
La fille s’active, ploie la banquette, la fait basculer contre le dossier de l’autre. Un fort volume se propose alors.
— J’veux prouver quéqu’chose à mon ami, déclare Alexandre-Benoît. Cela vous ennuierait de vous allonger su’ la moquette ? Comme ell’ est toute neuve, vous risquez pas d’vous salir.
Docile et bien « formée » à sa besogne, la donzelle obéit. Béru escalade alors le hayon et s’agenouille entre ses jambes.
— Tu t’rends compte d’la margelle d’action qu’tu prédisposes, César ? lance-t-il à Baderne-Baderne. Moi, c’te ravissante, j’pourrerais même la tirer en levrette, lui faire 69, la grimper à la due Dos-au-mâle, que savais-je encore !
Tout en parlant, il s’est déganté le Pollux. La « démonstratrice » qui commence à trouver l’expérience douteuse va pour se redresser, mais le braquemard effarant du Gros la sidère.
— Soye charitab’, vieux ! bredouille Bérurier. Ferme l’arrière et va amuser l’vendeur, pas qu’y ramène sa fraise.
Ayant dit, avec cette fougue, imparable et cette dextérité qui n’appartiennent qu’à lui, il arrache d’une secousse le mignon slip de la fille et se met en batterie en chuchotant :
— Pas d’panique, Baby, j’ t’fais une grand’ première : la troussée cosaque en plein salaud de loto, j’veuille dire : en plein salon de l’auto ; tu m’troubes !
— C’est de la démence ! crie la môme.
— Non, ma poule : c’est la vie. Un esploit pareil, quand tu le raconteras à tes copines, elles voudront jamais l’croire. Et pourtant, qu’est-ce qu’est en train d’ s’enquiller ma grosse tête chercheuse ? Comme dans du beurre, Chouchou ! C’est rare qu’une gonzesse m’reçusse cinq sur cinq d’entrée d’jeu ! Dis donc, ta babasse, c’t’une fosse d’orchestre ! En tout cas, ça c’est d’la bagnole. Haute pareillement et les vitres teintées, on peut s’donner du bonheur sans qu’ça soye télévisé. T’apprécies la bonne marchandise au gars Sandre, Poupette ? C’est pas tous les jours qu’t’as droit à une ration travailleur d’force, avoue !
« C’t’une combien d’cylind’ cette calèche ? Huit ? En tout cas, pour ce dont il est des amortisseurs, chapeau ! Tu sens comme on opère dans le moileux ? Un vrai v’lours. Faut dire que tu lubrifies d’première, ma gosseline. J’ai rarement calcé une frangine aussi opérationnelle du frifri. Sans manigances prélavables ! Directo du producteur au consommateur ! T’es un don du Ciel ! Faut dire qu’t’aimes grimper en mayonnaise, ça se sent. Tu prends ton goume en pure vorace ; pas d’chichis à la con : t’es une vraie femme, quoive ! Attention, lève pas tes cannes à la verticale que tes paturons vont s’voir d’l’estérieur. Tu veux que j’attaque un canter ? Ouais, t’as raison, on peut pas s’éterniser. Bon, cramponne-toi, je sprinte. Pique de mes deux ! C’est chouette, ma darlinge ? T’sais qu’j’te baratte à mort !
« Hé ! vous, l’bonhomme qui vient de vous asseoir au volant, cassez-vous : v’voiliez bien qu’le véhicule est à l’essai ! Oh ! l’voyeur ! V’là qu’y s’taille une plume d’accompagnement ! Ah ben, il a de la présence d’esprit, c’gnaf ! Vous parlez d’un sans-gêne ! Qu’est-ce tu gazouilles, ma colombe ? C’est bon ? Tu parles ! J’veux que c’est rider ! Allez, on va au fade, chérie : y a du monde qui s’intéresse, ça va d’viendre gênant. Et l’aut’ croquant qui s’astique la membrane comme un babouin ! C’est lui qu’a attireré l’intention générale ! Bon, t’es parée, ma Douceur ? On y va de not’ lâcher d’ballons ? C’est parti ! »
Après ça, ils descendent. La « démonstratrice » est rouge et froissée. Elle courbe l’échine sous les quolibets. Heureusement que Béru est magnanime. Il brandit sa brème de police en braillant :
— Circulez, y a plus rien à voir, sauf les voitures !
Le vendeur est aux prises avec Pinuche. C’est un jeune con, chauvassu du dessus, avec un blazer et la certitude d’appartenir à l’élite.
— Ah ! bon, ça y est, murmure Pinaud en apercevant son pote. (Il ajoute :) En « attendant », j’ai acheté la voiture.
— T’as bien fait, c’t’un emplac’ment d’père d’ famille, rassure le Magnifique.
— Où étiez-vous passée, mademoiselle Latouffe ? demande le chauvard blazéreux à l’hôtesse.
Elle chuchote :
— Aux lavabos, monsieur Legay-Ridon.
César dédicace un chèque plein de zéros. Le vendeur continue de le baratiner quant aux performances de la bagnole. Le Débris n’en a rien à secouer ; tout ce qu’il sait des voitures, c’est qu’elles ont quatre roues, un volant et qu’il faut mettre de l’essence dans leur réservoir. Mais le marchand veut lui en donner pour son argent. Il le traîne au véhicule, lui fait la courte échelle pour lui permettre de se jucher derrière le volant.
Il se sent éperdu, César, sur ces hauteurs. Se croit conducteur de bus à la R.A.T.P. Il panique un chouille, le pauvret. Hèle le Mastar, toujours si avantageux, fier de soi et dominateur.
— Tu viens ? lance-t-il à son compagnon.
Le Mammouth se hisse, côté passager. Dans son rétablissement, il craque le fond de son bénoche. C’est le genre de pépin qui l’affecte fréquemment, avec son cul majuscule et ses fendards toujours en retard de deux tailles sur son obésité montante. Quand il renouvelle sa garde-robe, il prend du deux tailles au-dessus, ce qui lui assure quelques mois de tranquillité, puis les calories reprennent inexorablement l’ascendant !
Malgré tout, le voilà assis auprès de la Vieillasse pinulcienne. D’en bas, M. Legay-Ridon continue ses commentaires élogieux relatifs à la V 8. Quatre × quatre, verrouillage central multifonctionnel, vitres athermiques, lunette arrière chauffante, verre feuilleté, colonne de direction à réglage électrique, ADS, airbag pour conducteur et passager avant.
Il a pas le temps de nomenclaturer davantage. Pinuche a actionné la clé de contact sans se gaffer qu’une vitesse se trouvait enclenchée. La voiture bondit, il veut freiner. Las ! son pied inexpérimenté enfonce le champignon d’accélération ; dès lors, l’énorme tank se rue hors de son stand, sa portière demeurée ouverte frappe la gueule du vendeur qui valdingue. Pinaud ne sait plus quoi faire. Il a complètement perdu les pédales, c’est le cas de le dire.
Son acquisition récente traverse l’allée centrale sans blesser personne, heureusement. Elle pénètre sur le stand Ferrari, emplâtre une Testa Rossa qu’elle accordéonne de première. L’airbag joue illico et deux énormes ballons, en un éclair gonflés, sont les brusques vis-à-vis des deux compères. Rien de plus puissant qu’un V 8 de ce tonneau, gavé de super. Il passe de chez Ferrari chez Porsche où il télescope une Carrera bleu clair métallisé, puis chez Peugeot où il fait une moisson d’aimables 205.
Dans le Salon, c’est la panique. On croit à un attentat terroriste, les visiteurs refluent (et même refluxent) vers les sorties. Peureux, donc charognards, ils se piétinent allégrement. Se bousculent, se tentaculent, se dérobent leurs sacs à main, se glissent des mains aux fesses, jouent les presse-bites, gueulent au secours !
La V 8 satanique a rasé le stand des merguez et des décalitres d’huile bouillante cascadent sur les marches. Elle continue de foncer inexorablement, dépiaute, ce qui n’est pas grave, des tires japonaises qu’était en train de visiter Son Excellence Yamamoto Kékassé, ambassadeur du Japon à Andorre.
Toujours à fond la caisse, le char d’assaut de Pinuche percute une surface vitrée qu’il réduit en miettes et se retrouve sur l’esplanade de la porte de Versailles où il poursuit sa course folle. Il traverse le boulevard Victor, écornant un bus, défonçant un kiosque à journaux, broyant une Fiat Panda, saccageant la terrasse d’une brasserie qu’il franchit de part en part avant d’embugner un galandage séparant la salle des toilettes où un certain Albéric Lenécreux est en train de déféquer en lisant Paris-Turf. Ses pronostics hippiques et ses tribulations intestinales sont ensevelis sous des gravats.
Un silence de cataclysme succède. Puis nos deux amis sortent indemnes du tank.
— T’as compris pourquoive j’te conseillais d’ach’ter c’te chignole ? demande Alexandre-Benoît à son ami. Mate-la, mec : pas une gratignure. T’iras faire ça av’c une voiture française, mon pote ?
Il s’approche du comptoir, nonobstant l’effervescence et lance :
— Deux grands blancs gommés, plize !
Pinuche se pointe, flageoleur.
— On a eu d’la chance, bredouille-t-il.
M. Legay-Ridon, le concessionnaire, arrive, la gueule ensanglantée en hurlant putois.
Béru le biche par la cravtouze.
— Eh ! calmos, l’artisse. V’ d’vreriez nous lécher l’anus, pour la pube dont on vient d’vous faire. V’ vrendez-vous compte qu’tous les journaux vont numérer l’nomb’ de guindes et d’murailles qu’on a disloquées sans qu’ait la moind’ rayure su’ vot’ carriole ! Si j’recevrais pas une forte gratification d’vot’ marque, j’en croirerais pas mes yeux !
Interdit, le chauvasse se rend à l’évidence, entrevoit le parti à tirer de la mésaventure. Il va demander qu’on vienne photographier la voiture perturbatrice dans la brasserie, et puis qu’on reconstitue par l’image sa trajectoire destructrice. Tout le monde va vouloir en acheter une, par ces temps insécurables.
Il hoche la tête, convaincu. Puis, baissant la voix :
— Votre pan de chemise sort de votre pantalon ! confie-t-il.
Le Gravos baisse la tête, avise une étoffe blanche et tire dessus en éclatant de rire.
— C’est pas ma limace, mec, mais la p’tite culotte d’vot’ hôtesse. T’nez, rendez-la la lui ; elle est déchirée, mais p’t’être que bien r’cousue, ell’ pourrera lu faire encore d’ l’usage.
L’autre est vert, du coup.
— La culotte de mon hôtesse ?
— Ouais ! J’peux vous l’confier en camarade : j’y ai filé une p’tite tringlée d’démonstration dans la V 8.
— Mais ! Mais !
— Mais quoive, mon gars ?
— Mlle Latouffe est mon amie !
— Ben j’vous fais mes compliments, rétorque Bérurier sans s’émouvoir. C’t’une p’tite pernicieuse, c’te fille ! J’raffole les gnères qu’ont la babasse comme un’ entrée d’métro. Montrez vot’ pouce. Non, c’est pas vous qu’avez pu lu pratiquer une aire d’ jeu pareille, vous vous payez un’ p’tite affaire de ouistiti ; l’gars qu’a déberlingué mam’zelle, croiliez-moi, y pouvait casser des briques av’c son mandrin ! Mettez un aut’ blanc gommé pour môssieur, garçon, j’sens qu’il a b’soin d’un remontant !
Un peu plus tard, ils arrivent chez Pinaud.
La maîtresse de maison est entre les mains de son masseur, lequel se trouve entre les jambes de sa cliente. Il la besogne les yeux fermés, pas se couper l’envie à cause de sa décrépitude ravalée. C’est un pro, Evariste : masseur-pineur-pour-dames. Les croulantes fortunées se refilent son numéro de bigophe. Ils sont pas mal à sévir sur la place de Paris.
Eux, leur spécialité, c’est l’embrocation avant l’embroquage. Ça leur permet, ces messieurs Bitenfer, de procéder à un état des lieux. Grâce au massage prélavable (comme dit Béru), ils peuvent délimiter les zones praticables et circonscrire celles qui ne sont plus possibles. Telle vieillarde, ils décrètent que « minette », faut plus y songer : trop tari définitivement ; tu perds ta salive pour ballepeau et t’as des haut-le-cœur qui débouchent sur rien. Le pelotage des blagues à tabac, de même, ils déterminent s’il est encore possible la moindre ; mais quand t’as plus que la peau sur la peau, hein ? L’enfournage par l’œil de bronze aussi, c’est délicat, surtout pour la santé de la patiente. Y a des mémés qu’il a fallu hospitaliser d’urgence après un emplâtrage à sec, pour cause d’éclatement des décharnances, voire occlusion intestinale.
La plupart du temps, ça se solde par le calçage classique : grand veneur, à renfort de vaseline ou d’huile d’amandes douces. Quand elles aiment la bouffarde, no problème : le fripon se laisse mâchouiller et déflaque ses produits manufacturés dans la clape à médème. Le danger, chez les Carabosses du fion, c’est l’étouffement. T’as des asthmatiques qui font des collapsus, consécutivement. Alors, en fin de compte, le masseur-pineur-de-dames, il préfère tirer à la papa, en se racontant la Belle au Bois dormant version non expurgée. Les ancêtres, elles sont toutes joyces de la bonne troussée réconfortante. Ça réchauffe leurs bois morts ; les v’là en rupture de cercueil, à se donner l’illuse de ressembler à Vanessa Paradis. Elles redeviennent héroïnes amoureuses, les pauvres chéries.
Dans le fond, ces bons garçons sont des bienfaiteurs, des dieux de la gérontologie. Bravo ! Qu’ils continuent donc d’amidonner les moulasses fripées de nos vieilles indételeuses. N’y voyons pas scandale, mais charité chrétienne, bien qu’elle soit à but lucratif.
Le vit, c’est la vie !
César aperçoit donc madame sur la table pliante du masseur. Lui, orfèvre, se livre à son boulot avec mesure, au point de calcer sa cliente sans ébranler la table. Le fait que la Pinaudère soit sur cette étroite surface de cuir confère un côté clinique à « la chose ». Il lui triturerait les orteils que ça ferait le même effet aux spectateurs, fussent-ils son époux, si l’on peut dire.
— Ça soulage, hein, mon trognon ? lui lance familièrement Béru.
Et les deux arrivants s’asseyent en bordure de la couche démontable.
Le kinési est un gorille musculeux sous sa blouse blanche. Beaucoup de poils, et des vrais : noirs et frisés serré.
Peu de front, le regard con, l’air appliqué. Il tient de ses fortes paluches le maigre dargeot de la patiente et le va-et-viente. Comme un ustensile ; tu croirais qu’il s’applique un cataplasme de pauvre cul autour de la bitoune. Cette dernière est valable. Diamètre estimable, longueur légèrement supérieure à la moyenne, brune de peau, coussin de crins à la base. Il lime masseur. C’est méthodique, sans passion. Travail honnête.
— Ça va, la santé, Alexandre-Benoît ? demande dame Pinuche d’une voix un tantisoit altérée.
— Ça peut pas être mieux, assure cet optimiste.
— La famille se porte bien, aussi ?
— La pêche ! Apollon-Jules est chez Mme Félicie, la mère à l’Antonio, vu qu’ ma Berthe a parti en Normandie soigner sa sœur qui s’est nazé les deux guitares en changeant ses rouleaux d’ papier tue-mouches au plafond. C’te grosse vache qui met un tabouret su’ la table pour grimper dessus. Cent vingt kilos ! Un tabouret à trois pieds !
La Pinaude pinée émet les lamenteries d’usage.
— Si vous pouviez un peu plus fort, Evariste, implore-t-elle, et me soutenir les jambes : je fatigue des jarrets.
Lui, chose payée, chose due. Prestation irréprochable. La cliente est souveraine. Il lui ramasse les cannes de ses deux bras arrondis et pousse les feux.
César regarde, attendri.
— C’est beau, la jeunesse ! dit-il, ému. Si je devais lui faire ça maintenant !…
Le téléphone sonne. Il se lève pour aller répondre. Béru s’empare du gros tube de vaseline posé sur le sol. Il lit la marque. Il demande si ça ne « cuit » pas. Le masseur assure que « pas le moins du monde ». La dame Pinaud confirme.
— Je peux vérifier ? les en prie Bérurier.
Ils sont d’accord. Le masseur décule, Bibendum dégaine son infatigable panoche. Le masseur siffle d’admiration. Il demande comme quoi est-ce que ce monsieur serait d’accord, une bite pareille, de faire des extras avec lui ? Y aurait gros à affurer. La duchesse de Branloche, par exemple, qui est insatiable, paierait une fortune pour être entreprise par un goumi aussi féroce. Le Gros répond « qu’y faut voir » et comble Mme Pinaud à ras bord. Elle gémit. Il pousse. La table ne peut supporter ses assauts et se disloque. Il écrase de son poids la femme de son ami. Le masseur vole au secours ! La table est cassée, Mme Pinaud aussi : un orteil ! C’est peu, mais ça fait souffrir.
Béru déconfite et dégode également. Une mesure pour rien ! Incident de parcours. La vie !
Réapparition de Pinuchet. Soucieux, le front bandonéon. Il a glavioté son mégot. Il ne s’aperçoit même pas du désastre.
— Viens par ici, Alexandre-Benoît, j’ai à te parler.
Béru rajuste sa braguette démoniaque, mais la fermeture reste coincée au tiers du parcours de remontée. Il abandonne, fataliste. Dans le fond, ces endroits-là, plus ils sont aérés, mieux ça vaut ; tout le monde y gagne.
Les voilà au salon. Un luxe ! Le meilleur architecte d’intérieur de Paris : mélange habile d’ancien et de plexiglas, tissus de chez Etamine the must ! Sur les murs, un Botero, un Mathieu et une eau-forte de Rembrandt, juste pour vous dire !
César amène la cave à liqueurs roulante entre leurs deux fauteuils.
Un porto de cinquante ans d’âge ? propose-t-il.
— Banco ! Mais tu m’fil’ras une giclette de marc de Bourgogne dedans pour l’muscler. Alors, qu’est-ce t’as à m’dire ?
— Le coup de fil que je viens de prendre…
— Moui ?
— C’était Berthe.
Le Mastar sourcille.
— Pourquoi qu’é t’appelle, toi ?
— Elle avait quelque chose d’ennuyeux à te dire et elle a préféré que je m’en charge.
— En v’là des mystères, bordel à cul ! Si c’est qu’sa sœur est clamsée, faut pas qu’é s’gêne, j’m’en tartine la prostate !
— Elle n’est pas chez sa sœur.
— Ah ! bon ?
— Elle est en Argentine.
— En quoi ?
— Tu sais où se trouve l’Argentine ?
— C’te connerie : à côté du Maroc !
— Un peu plus loin, de l’autre côté de l’Atlantique.
— Qu’est-ce elle a été foutre là-bas ?
— C’est Alfred qui lui a payé le voyage : il a gagné un million de nouveaux francs au tiercé.
— L’salaud ! Il aurait pu m’emm’ner aussi.
— Il n’a pas dû y penser. Ils sont à Mar de Plata, une station balnéaire en vogue.
— Ah ben, dis donc : elle a une façon d’ r’voir sa Normandie, c’te morue !
— Il y a un os ! bêle Pinaud. Figure-toi qu’Alfred a eu des rapports sexuels avec une cliente de leur hôtel et que, dans une crise de démence, il l’a tuée à coups de couteau !


SUITE

Un temps. Alexandre-Benoît vide son verre. Il se ressert : un quart de porto, trois quarts de marc. Reboit cul sec.
— Alfred, rapiérer une frangine, lui qui s’évanouit quand il voit du sang ! Je m’ marre !
Pinaud hausse les épaules.
— Berthe est formelle. D’ailleurs elle va te le dire elle-même, j’ai laissé le téléphone décroché et elle est toujours en ligne.
Le Mammouth s’arrache.
— J’espère qu’la communicance est à la charge d’Alfred.
Il va saisir le combiné.
— Berthy ?
La voix pathétique de la femme adultère lui gouzille la trompe d’Eustache.
— Oh ! mon Sandre, mon Sandre, te voilà ! râle-t-elle.
— Ton Sandre, y t’pisse au cul, salope ! Vous tailler en Argenterie les deux, sans me proposer d’viendre ! Tu croives, qu’j’vous aurais gênés ? C’est nouveau, ça, d’ filer en loucedé, sous prétesque qu’ta charogne d’sœur s’est fané les guibolles ! T’as tort, Berthe. T’as tort. J’veuille bien qu’ tu m’trompes, mais j’veuille pas qu’tu m’mentes ! Entre époux mariés, c’est pas convenab’. Et t’v’là bien avancée av’c ton Rital d’Alfredo encabané, car y l’ont enchtibé, mes collègues d’là-bas, bien sûr ?
— Oui.
Elle pleure.
— Bien fait pour ce gommeux ! Toujours à rouler ses épaules en bouteille Perrier, à draguer la première pétasse v’nue ! Ça y f’ra les pinceaux d’moisir en taule. Quand y r’sortira, l’aura des champignons ent’ les doigts d’pieds. N’en attendant, t’as plus qu’à rentrer fissa, la mère. Tu biches l’premier avion ou l’premier train, au choix, autr’ment sinon, j’fais constater par huissier ton abandonnage d’ domicile et j’d’mande l’ divorce.
— Mais j’peuve pas rentrer ! sanglote la Baleine ; la police d’ici éguesige qu’ j’demeurasse à sa disposance.
— Y t’a filé dans une drôle d’merderie, ton merlan de mes fesses ! T’t’rends compte que, pendant des années, tu t’ayes fait monter par un assassin, Berthe ? En es-tu-t-il consciente ou pas ?
— J’arrive pas à y croire ! lamente-t-elle. Caisse il a pu lui prendre, un garçon si doux, si prév’nant ?
— Il y a pris qu’c’t’un sadique, Berthe. Quinze piges qu’tu es tirée par un monstre plein d’instinctes ! Et moi j’passe derrière : la voiture balai ! Merci bien. Si tu croives qu’j’vais continuyer d’ troncher les restes d’un meurtrier, tu t’ goures. T’iras t’faire zébrer par les nègres du dix-huitième et tu mouriras du sida, ça t’évit’ra d’ d’vnir vieille !
Furax, il raccroche avec tant de violence qu’il écrase le poste téléphonique comme un camion une merde. Son courroux le fait trembler, le Gravos. Il arpente la pièce en balançant des louises d’énervement. Il psalmodie des injures, des présages bien funestes. Il dit que, quand sa mégère rentrera, il la mettra au turf, rue Saint-Martin, avec des cuissardes, pas de culotte et des chaînes en guise de vêtements. Qu’elle pompe des cilles, des pasteurs, des employés de la voirie, n’au moins ça rapportera d’l’artiche !
Apercevant le bar roulant, il revient se servir. Cette fois, c’est le verre empli de marc avec quelques gouttes de porto pour parfumer.
Pinaud le contemple avec tristesse.
— Cette charognasse aura gâché ma vie ! dit Bérurier. Ah ! si j’aurais eu un’ épouse modèle, comme la tienne. La femme rangée, d’belle éducance, qui se fait piner sobr’ment à la maison par une personne qualifiée…
César hoche sa belle tête de gâteux gentil.
— J’admets que j’ai eu de la chance, fait-il. Que va faire Berthe ?
— Rien ! Les draupers de là-bas l’ont consignée à son hôtel, comme si ça s’rait elle qu’aurait tué. Tu t’rends compte si ça fait riche pour l’épouse mariée d’un officier d’police français ?
— Il faut la tirer de ce pétrin ! affirme le charitable Pinuche. On va prévenir San-Antonio.
— San-Antonio mon nœud ! Il est en voiliage d’amour en Inde, av’c Marie-Marie. Ça les a r’pris, la tendresse. Ils font des éclipses, mais un jour, fatal’ment, y s’marieront !
— Bon, alors allons voir le Vieux pour lui demander d’intervenir auprès des autorités argentines, qu’elles laissent rentrer Berthe !
Béru donne du talon sur le tapis persan.
— Jamais ! Ses sargasses, j’les supportererais pas ! Tu l’entends d’ici, s’en donner à claire-voie : « Mon cher Bérurier, lorsqu’on a épousé une catin, il faut s’attendre à ce genre de désagréments ! » J’aim’rais mieux qu’ Berthe crevasse dans un cul de fausse contrebasse 1 plutôt qu’ d’aller chialer su’ la crav’touze d’Achille ! Je l’hais, c’mec ! Y s’rait trop content d’m’savoir dans la merde. Faut pas trop donner d’bonheur aux gens, y t’en gardent aucune r’connaissance !
Cette déclaration convainc Pinaud. C’est un psychologue qui sait tout de l’existence, de ses misères. Il opine tristement. Béru se verse un nouveau verre. Il omet le porto, mais avale toujours cul sec, d’une superbe glottée qui rappelle le bruit de siphon d’un lavabo obstrué qu’on vient enfin de déboucher à la ventouse de caoutchouc.
— J’ai une proposition à te faire, Alexandre-Benoît, murmure le Débris d’une voix rêvasseuse.
— On accepte les dons en nature ! rétorque le Mastar.
César rallume son mégot à la flamme torche de son éternel briquet de poilu 14-18.
— Nous allons aller en Argentine pour voir les choses d’un peu plus près, dit-il.
Le Gravissimo demeure comme un bouddha avec seulement deux bras (mais quelle bite !).
Au bout d’un peu, il objecte :
— C’est bien joli, mais faut payer le voiliage !
— Je prends tout à ma charge.
— J’peux pas accepter, Pinuche. C’est pas pa’ce que j’ai marié une pute qu’ ses conneries t’incombent !
— Berthe n’est pas une méchante femme, assure le Débris. Certes, elle possède un tempérament de braise, sinon tu n’as rien à lui reprocher. Et si tu fais ton examen de conscience, Gros, tu dois convenir que toi aussi tu es faible du côté de la chair. Si vous faisiez un concours de baise, ta femme et toi, je suis sûr que tu décrocherais la timbale !
Sa Majesté sourit fièrement.
— Je dois conviendre qu’effectiv’ment en effet, j’donne pas ma part aux chiens pour c’qu’est du cul ! Moive, un trou av’c d’la chaleur, j’résiste pas, surtout quand y a du poil autour.
Il s’approche de son ami, se penche et l’embrasse sur les yeux, malgré que ceux-ci fussent chassieux.
— Tu voyes, César, murmure-t-il, t’es vieux, t’es moche, tu pues d’la gueule, t’as pas une grosse queue et tu bandes mou, mais si j’s’rais été une femme, j’m’serais donnée à un homme comm’ toi. T’es bon à en dégueuler dans les pots d’fleurs, mec. L’abbé Pierre, c’t’un vieux voyou à vous comparer ! J’t’l’prédis en grande pompe : tu s’ras canoné saint, un jour. T’auras ton estatue dans les églises et on t’f’ra brûler des cierges contre. J’accepte ta propose. Pour m’reconnaît’, je t’offrirerai la montre d’mon vieux, av’c la chaîne ! Or dix-huit carats !
— Mais non, penses-tu ! proteste Pinaud. C’est un souvenir de famille !
— C’est vrai, convient Béru, alors je t’offrirai la grosse coquille, de famille également, qu’on voit d’dans une vue de la Prom’nade des Anglais et dont on a marqué d’sus « Souvenir de Nice ». Une vraie œuv’ d’art qui vaudrerait un’ fortune chez un antiquitaire.
Il torche ses larmes avec sa manche.
— C’est inestimab’ d’avoir des aminches, assure-t-il. Si j’aurais pas la foi, j’croiverais en Dieu d’c’que tu viens d’faire !


SUITE

Bon. Alors ils font escale à Dakar, ce qui les réveille. Par les portes béantes du zinc une chaleur moite lutte contre la climatisation de l’appareil. S’y mêle la puissante odeur du kérosène. Une équipe de Noirs nonchalants vient faire le ménage. Pinuche qui, décidément, se montre princier, a pris des first. Les deux compères se pavanent. Béru a posé ses groles et chaussé les pantoufles proposées par Air France. Il a également confié son veston à l’hôtesse, non sans y avoir prélevé son portefeuille. Par contre, il a conservé son bitos, because l’aérateur qui balance dru. Il loufe à tout berzingue et le compartiment des first sent un peu la caserne qu’on vidange. Il est minuit et des. La chef hôtesse a annoncé, avant l’escale, qu’un repas serait servi par l’équipe suivante. Ça rend Béru très joyce, cette perspective. Il proclame qu’il va aller « faire un peu de place » en prévision du réveillon promis par la compagnie.
Pinaud se rendort.
Quarante minutes plus tard, on redécolle.
En l’air ! En l’air ! Tout l’monde aviateur ! comme criaient les forains de la Foire du Trône, jadis.
César se réveille. Il a un coup d’adrénaline en constatant que le siège voisin est vide. Par contre, les croquenots de son pote sont toujours sur le Plancher. Il veut se dresser, mais il a omis de détacher sa ceinture et la sangle lui cisaille l’estomac. Il retombe sur son cul maigrichon, le souffle coupé.
L’appareil navigue dans le velours bleuté de la nuit. A douze mille mètres d’altitude, elle est tellement plus belle que sur terre ! T’es en contact avec les étoiles et la lune te semble moins conne. Les hôtesses se radinent avec leur fourbi à roulettes pour le bouffement promis. Y a des odeurs et des grésillements légers dans la cabine.
Le pauvre Pinaud esseulé se masse la poitrine. Il possède un poitrail de poulet biafrais. Il fait sauter la boucle de sa ceinture, se cramponne au dossier dressé devant lui et parvient à se soulever. Une grande rassurance l’inonde d’un bonheur simple et vrai. Son pote n’est pas descendu à Dakar. Il est bien là, en chair et en graisse. Assis à l’avant gauche auprès d’une dame que, pardon, oh ! la la ! gaffe aux châsses, mettez vos lunettes de soleil ! Elle doit tutoyer la cinquantaine, mais sans dommage, avec brio ! Les cheveux bruns, coupés court, avec de légères mèches bleutées. Le teint bronzé, la bouche écarlate. Il voit pas ses yeux, mais les suppose sensass. Elle porte un ensemble de cuir noir, un chemisier du même rouge que sa bouche. La veste déboutonnée laisse s’épanouir une poitrine mesurée et ferme.
Pinuche sourit autour de son mégot éteint. Incorrigible, le Mastar. Dès qu’il y a de la chair dans les parages, faut qu’il se lance à l’assaut. La Vieillasse se risque d’un pas dans la travée. Il voit une main du Gravos entre les jambes cuivrées de la passagère, l’autre entoure sa nuque et le bout de ses francforts caressent le corsage. Bien parti ! Il va pas se la faire en avion ! Un jour, au cours d’un voyage lointain, il a calcé une vieillarde pendant le vol et, de saisissement, la Carabosse a défunté. Heureusement, l’arrivée de la tortore va lui calmer les ardeurs.
Fectivement, les plateaux repas galvanisent Alexandre-Benoît. Il récupère ses dix doigts pour les consacrer à d’autres joies tout aussi réelles. Le Pinaud rassis se rassied. César n’est pas un bâfreur. Il se contente d’un toast au caviar et d’une demie de Mumm. Un oiseau.
Il y a peu de trèpe en first : les temps sont durs. Outre la « dame du gros » et les deux compères, ne s’y trouvent qu’un très vieil homme du type indien, chenu, de noir vêtu et portant une espèce de chéchia noire, et un tennisman en renom avec sa « fiancée ». Pinaud a vu le sportif à la télé, mais ne se rappelle plus son blaze. Ils ont un petit chien avec eux, une horreur enrubannée qui, de temps à autre, lorsque les hôtesses s’activent au-dessus de ses maîtres, se met à japper.
L’organe de Béru, stimulé par les bons vins, retentit de plus en plus fort. Il balance des madrigaux qui feraient gerber des bonniches portugaises et que sa voisine paraît déguster à la cuiller. César songe que son ami est un être en vie, imperméable à l’adversité. Sa femme vient de faire des galipettes en Argentine avec un pote devenu assassin, mais il conserve sa santé, sa fougue, sa bonne humeur. Quelle leçon d’optimisme !
Le Chétif s’endort. Il ne sent même pas qu’on le débarrasse de son plateau et qu’on redresse la tablette devant lui. En état second, il bascule son siège en arrière, croise ses paluches de curé de campagne sur son ventre.
Après le repas, la compagnie propose un film à ses passagers. Déjà ancien : Victor Victoria, mais excellent.
Pour suivre la partie sonore du film, il faut casquer des écouteurs. Béru fait une tentative, mais il se goure quant au choix du canal et, sur les délicieuses images du film, se fait un documentaire sur la caste dirigeante de la société inca dans l’Amérique précolombienne.
Au bout de pas longtemps, il déclare à sa compagne que cette production est sans intérêt et lui propose d’enlever le large appui-bras qui les sépare. Elle accepte. Le Mammouth profite de la pénombre cinémateuse pour entreprendre sa voisine de palier. Il lui fait le bout des seins, lui lèche les coquilles, lui glisse un doigt de cour ; toutes ces entreprises sont jugées les bienvenues par la dame de cuir dévêtue (il lui a arraché sa veste et entreprend l’écossage du bénouze). Inutile de te chambrer plus avant, ce qui doit arriver se produit. Vers le milieu du film, la dame est agenouillée face au hublot, regardant déferler l’Atlantique Sud blanc d’écume, un genou sur son siège, son autre jambe prenant appui sur le plancher tandis que M. Alexandre-Benoît l’entrelarde de son big, tout en lui massant l’ergot. La passagère en conçoit un tel contentement qu’elle se croit autorisée à le clamer en espagnol.
Une hôtesse vient voir ce dont il s’agit, n’en croit pas bien ses yeux et va appeler ses copines pour qu’elles l’assurent du bon fonctionnement de ses sens. Ce remue-machin sollicite l’intérêt du tennisman. Les gaziers du poste de pilotage, prévenus, mettent les manœuvres automatiques et se pointent à la régalade. S’ensuit un émoi effrayant dans les first. Le sportif se rue sur sa fiancée pour lui montrer sa braguette de pénis. Le commandant de bord touche la chatte de la cheftaine hôtesse, le radio palpe la bite du steward pédoque et le copilote s’en fait tailler une par la plus âgée des hôtesses, une dame frisant la cinquantaine et qui a l’habitude de ramasser tous les pafs à la traîne.
Pour couronner, le yorkshire du champion aboie après le dargif de Béru et lui mord les roustons. Notre ami lâche le clito de sa conquête pour se saisir, par-derrière et à tâtons du teigneux roquet qu’il propulse loin de ses balloches. Le chien emplâtre la frite de l’Indien endormi. Fou de douleur, il se met à lui bouffer la gueule avec acharnement. Le bonhomme glapit en hindi moderne. La potesse de Bérurier, à bout d’endurance, take son foot. Pinaud dort toujours.
En deçà du rideau séparant les first des tourist, le restant des passagers visionnent Victor Victoria ou bien roupillent. Le Jet qui s’autopilote emmerde l’océan. Tout est là, simple et tranquille.
Des couilles se vident. Le film s’achève. Chacun reprend son poste, d’autres des postures. Béru le Grand s’allonge sur sa partenaire dévêtue et se met à pioncer.
Pinaud avait deviné juste : « elle » possède des yeux ensorceleurs, d’un vert profond, cerné de brun clair. Longs cils, pommettes saillantes. Et quel parfum délicat !
— J’t’r’présente la comtesse Dolorès de la Fuenta, une personn’ très agriable et surtout bourrée d’ fric. Elle fait l’él’vage des bêtes z’à cornes en Argenterie, et, espère, c’est pas des escarguinches ! Veuvasse ! Le rêve ! Un coup d’reins dont t’as pas idée. Elle vient t’aussi à Yen-a-Marre-del-Plata où qu’é possède une propriété de mille hectares carrés. E s’occup’rera d’nous. D’puis la mort d’son mec qui s’est planté en coléoptère en sulfatant ses récoltes l’an dernier, ell’ avait pas r’tâté du braque. Et moi qu’j’m’annonce av’c ma chopine féroce, tu parles d’un triomphle ! E veuillait qu’ j’bissasse mon numéro, mais quand on n’a pas franch’ment ses zaizes, c’est d’la confiture aux gorets ! Le pr’mier coup d’tring’ pour dégorger l’plus gros, d’accord. N’ensute, ça d’vient de l’art ! J’lu réserv’ mon enfilade d’gala pour Y-en-a-Marre-del-Plata. Là, j’lui frai grimper aux rideaux d’ la chambre, promis-juré-croix-de-bois-croix-de-fer-je-crache-par-terre !
Tout en causant, il masse le fessier « gainé » de cuir de la personne. Une femme de cul, certes, mais de surcroît femme de tête, ça se sent à son regard intense qui te plonge au fond des bourses déliées. Te doit gérer ses biens avec compétence et énergie, la Dolorès. Faut pas la payer avec des chèques en bois, la comtesse !
— Leur famille est parentée au roi d’Espagne, renchérit Béru. T’vas m’dire qu’on n’en a rien à branler et qu’c’est pas la dame la plus sous-titrée qui baise le mieux, n’anmoins, ça fait plaisir d’savoir qu’on trempe sa queue dans d’la noblesse rigoureus’ment t’authentique. Av’c les sang-bleu t’as moins peur de choper la vérole. Dis, t’as vu ses tétons-de-derrière, à Dolorès ? Malgré ses heures de vol, on dirait du bois ! Faudra qu’j’y en mette un p’tit coup dans l’fournil. Pas vrai, ma grande ? J’parille qu’ton vieux t’a jamais pointée du cadran solaire. J’me goure ? Y t’a eu fait flamboyer l’pétrus ? Non, hein ? Elle est encore vierge du tafanar, la pauvrette ! On va lu réparer c’t’oublille ! Faudra pas pleurer l’huile d’olive pour l’engouffrer d’la pastille, bien prendre mon temps, un espadon comme l’mien ! Chérie, va !
La riche propriétaire parle le français, suffisamment mal pour ne pas réagir aux argotismes du Gros. Béru n’en peut plus de lui ! Dégringoler une personne de cette classe, l’ennoblit par contagion. Il fait le galantin, l’enroulé. Risque des bribes de subjonctifs qui capotent en cours de phrase, mais c’est l’intention qui compte.
Le vol s’achève dans de la Chantilly. C’est onctueux, délectable (de logarithmes). La comtesse, à vrai dire, est joyce de ramener de France la plus grosse queue d’Europe ! S’étant rendue à Paris pour renouveler sa garde-robe de deuil (qui venait de s’achever), elle a déniché, en prime, un zob exceptionnel. Mal porté sans doute, par un gros gonzier sans grâce, mal fagoté et aux manières soudardes, mais si fabuleux, si exceptionnel, qu’on lui pardonnerait d’être accroché au ventre d’un gorille !
Ils se posent à Buenos Aires sans problo. Une heure plus tard, ils s’embarquent pour Mar del Plata, non pas à bord d’un zinc d’une ligne intérieure, mais avec le Jet privé de Dolorès : un coucou de dix places au confort époustouflant.
Pendant le trajet, le Mammouth raconte la situation à son Argentine argentée. Sa femme a accompagné un aminche à Mardel (c’est ainsi qu’on appelle la prestigieuse station en Argentine). Ce mec est accusé d’avoir trucidé à coups de ya une nana en vacances dans leur hôtel. De ce fait, on interdit à l’épouse Bérurier de regagner ses pénates françaises. Elle doit rester à Mardel comme témouine. Dolorès déclare qu’elle est très liée avec le chef de la police de Mardel et qu’elle interviendra en faveur de Berthe. En attendant, elle propose de les loger à son latifundio et de mettre une voiture avec chauffeur à leur disposition. C’est fourmulé avec tant d’empressement que les deux compères acceptent.
Imagine des étendues vertigineuses, presque sans arbres. Culture céréalière et élevage de bovins. Des gauchos habillés en gauchos chevalent à travers l’immensité. L’avion perd de l’altitude et plonge vers une piste privée bordant des enclos où paît en paix le bétail. Au loin, une zone harmonieusement arborisée au centre de laquelle se dresse une somptueuse demeure entourée d’un jardin fleuri.
— Ma maison ! annonce sobrement Mme de la Fuenta.
Le Mastar a une exclamation de circonstance pour traduire son impression :
— Ben, ma vache !
— J’en possède douze mille, révèle la comtesse qui se méprend.
— J’plains l’mec qui trait tout ça ! s’exclame ce fils de fermiers.
Le pilote a prévenu la maison par radio car, à peine a-t-il stoppé les réacteurs, qu’une limousine blanche décapotable surgit et vient se ranger à côté de l’appareil. Un chauffeur guarani, de blanc vêtu, accueille les passagers avec une déférence joyeuse. Une jeep arrive à son tour pour trimbaler les bagages de la comtesse. En route pour la maison ! Avant la décarrade, Béru, pour montrer qu’il sait vivre, glisse une pièce de dix francs français dans la main du pilote éberlué.
— Tu dois pouvoir t’faire tailler un’ p’tite pipe, av’c c’t’auber, confie le Gros ; l’franc français s’maintient mieux qu’ l’franc argentin, d’après c’ qu’on m’a dit !
Et ce fut une installation de rêve dans un univers de rêve ! Dolorès avait un goût exquis et répandait en tous lieux un luxe léger, plein de charme et de délicatesse. Rien d’écrasant, de pompeux ! Meubles Renaissance espagnole sur gros crépi blanc frotté au savon sec ensuite ! Statues baroques en petite quantité. Tableaux rares. Objets délicats. Elle conduisit elle-même ses invités dans leurs appartements. Pinaud eut la priorité de l’âge. Puis ce fut le tour d’Alexandre-Benoît. Quand ils furent entrés dans la grande chambre où tournait, pour le charme du décor, un grand ventilateur superflu, le Dodu referma la porte et tira le délicat verrou de fer forgé, œuvre d’art parmi les autres.
— A présent, on va s’expliquer en grand ! déclara le surhomme. Et pas b’soin d’ flécher l’ parcours !
Il posa sa veste sur un dossier de chaise, dégaina ses croquenots et se mit à dégrafer son pantalon.
Bérurier portait un slip spécial dont l’avant ressemblait à un sac tyrolien. Malgré tout, ce qu’il avait à maintenir arrimé s’échappait de l’étoffe rendue lâche par l’activité de la grosse bébête prisonnière.
La comtesse regardait le strip-tease de son invité avec émotion. Elle sentit vraiment, en présence de ce mâle de rencontre, que son deuil prenait fin.


SUITE

Dans l’après-midi, ils se rendirent au Sirena Palacio où était descendu le couple infernal et où avait eu lieu l’assassinat de la fille brune. Les journaux étaient encore pleins de ce meurtre et la comtesse de la Fuenta leur avait traduit de longs articles y consacrés. Ainsi avaient-ils appris que le criminel, un coiffeur parisien d’origine italienne, niait toute culpabilité. Il prétendait avoir été « dragué » par la victime, laquelle l’avait convié dans sa chambre. Là, il l’avait régalée (des indices irréfutables attestaient la chose), puis s’était assoupi, vaincu par l’intensité de sa prestation. Des coups à sa porte l’avaient réveillé et il avait ouvert au policier qu’un locataire du palace avait prévenu par téléphone ; ce dernier prétendait avoir entendu des appels au secours. L’accusé reconnaissait que la chambre était fermée à clé de l’intérieur, ainsi que les fenêtres (la pièce était climatisée). Donc, personne ne pouvait s’y être introduit, ni même l’avoir quittée. Le coiffeur, terriblement abattu, affirmait que s’il avait tué la fille, ce ne pouvait qu’être en état second, ce qui faisait bien rigoler les policiers argentins. Autre preuve, et pas des moindres, de sa culpabilité : ses empreintes figuraient sur le couteau.
— Il l’a dans l’fion ! pronostiqua sobrement Béru.
Et comme c’était un brave homme, il eut un peu honte du capiteux plaisir que lui procurait cette certitude.
Le chauffeur en livrée blanche était celui-là même qui les attendait à leur descente du Jet privé. Il s’appelait Pedro Bandalez et riait toujours. Quand il ne riait pas, il fredonnait. L’arrivée des deux compères au palace dans cet équipage provoqua de l’émoi dans la valetaille. On les accueillit avec mille courbettes dont ils n’eurent cure et ils demandèrent séance tenante à parler au directeur. En moins de jouge, on les introduisit dans une immense pièce au centre de laquelle trônait une statue de bronze verdi représentant un militaire frappé en pleine poitrine, soutenu par un camarade compatissant, tandis qu’un autre de ses potes s’efforçait de calmer son cheval ; le tout grandeur nature !
Devant cette admirable fresque, il y avait un large bureau ministre et, derrière le burlingue, un petit mec vêtu de noir, avec des rouflaquettes si pointues que son pommadin devait les lui finir au crayon à sourcils.
Béru et Pinuche lui montrèrent leur carte d’officier de police et prétendirent constituer une commission rogatoire dépêchée par Paris pour connaître de « l’affaire en question ». Le dirlo frétilla du croupion, se cassa en deux, ce qui ne laissa plus grand-chose de lui à regarder et affirma qu’il était à la disposition de ces messieurs.
Ces messieurs déclarèrent qu’ils souhaitaient deux choses seulement, mais qu’ils les souhaitaient ardemment. La première c’était de rencontrer la compagne du meurtrier, la seconde, de visiter la chambre du crime.
Le dirlo répondit, avec un accent pour comédie de Feydeau, que la dame se trouvait dans sa chambre : la 414. Quant à l’appartement du meurtre, il regrettait, mais la justice de Mar del Plata avait apposé les scellés sur la porte.
Bérurier rétorqua qu’il s’en doutait, mais que les autorités lui avaient remis un appareil pour les faire sauter et il montra au directeur, intéressé, son vieil Opinel à manche de bois.
Le petit bonhomme déclara alors que tout était parfait. La chambre du crime était la 612.
Les Laurel et Hardy de la Rousse remercièrent et vaquèrent.
Parvenu devant la porte marquée 414, Pinaud chuchota.
— Pas surprenant qu’ils aient eu la scoumoune : en réalité il s’agit de la chambre 413 puisque la précédente est la 412.
— J’sus t’ému à l’idée d’la r’voir, soupira le Gros. Dans quel triste état é doit être, la pauvrette !
Il repliait déjà son médius pour frapper quand il perçut un rire flûté qu’il reconnut aussitôt. La voix de Berthe retentit, douce et maternelle :
— Mais non, Bijou, tu t’ goures ! Le trou qu’tu t’escrimes, c’est pas ma chatte, c’t’un pli d’ma cuisse !
Alexandre-Benoît tourna le loquet. C’était fermé à clé. Il recula de deux pas et donna de l’épaule droite. La serrure rendit l’âme et le panneau de bois claqua contre le mur, à l’intérieur. Il découvrit – et Pinaud en même temps que lui – son infidèle, à poil sur son lit, en compagnie d’un groom tout de rouge et d’or vêtu qui s’efforçait de la besogner de sa misérable quéquette adolescente !
Le Musculeux porta la main entre son col de chemise et son cou, comme pour les prémices d’une crise cardiaque.
Puis il s’avança tandis que le gamin rentrait Popaul dans sa niche à tout berzingue et caltait comme un garenne.
Berthe se mit sur son formidable séant.
— Mon homme ! Mon homme ! haleta la Baleine. J’étais sûre qu’tu viendrerais ! T’es un homme desception, Sandre, mon amour !
— Toi, c’qu’t’es, j’trouve pas d’mots ! riposta l’époux bafoué. La plus pute et vérolée des putes, c’est la p’tite sœur Thérèse d’ Lisieux, comparée à toi. Faudrait quoi pour t’calmer, saleté ? Qu’on t’enfourne un tomb’reau d’betteraves sucrières dans le fion ? Qu’on t’l’cimente ? Qu’on t’entifle dix litres d’essence av’c un entonnenoir et qu’on y flanque l’feu ? Une vache comme toi, les bras vous tombent ! Madame a marié la plus grosse bite d’France, après celle d’M. Félix, et ça y suffit pas ! Faut qu’elle aille s’faire planter d’l’aut’ côté des océans par un connard comme Alfredo. Et quand ce maboul est enchristé, suite d’assassinat, la v’là qui viole des p’tits groumes qu’ont une cacahuète comme zézette ! Non mais c’est ben la rage du cul, ça ! Tu vas t’envoilier des bourrins, si tu continues ! Des z’éléphants ! L’obélisqu’ d’la Concorde ! Un régiment d’légionnaires ! L’T.G.V. ! La tour Eiffel ! Not’ gosse me ressemblerait pas comme une goutte d’eau, y aurait pas déjà un chibre d’âne, je’croiererais pas qu’il est d’moi !
Berthe s’est assise en tailleuse, si bien que Pinaud n’ose plus s’approcher d’elle pour l’embrasser. Il regarde à distance et pense au tunnel sous la Manche qui nous rend ces cons d’Anglais un peu plus voisins.
La Grosse sait combien cette posture excite son mari. Elle murmure :
— Tombe pas dans l’éguesagération, Sandre. Certes, j’sus une pauv’ femme avec des faiblesses, beaucoup d’faiblesses. J’ai du tempérament, qu’ veux-tu ! Mais la faute à qui ? Qui c’est, l’mec qu’a su m’embraseser l’essence ? Il s’appelle comment est-ce ? Hmm ! Oui : Béru ! Y m’arrive d’papillonner et de prend’ des pafs, mais d’cœur je t’ai resté fidèle. J’t’aye dans la peau, Sandre. J’sus amoureuse de toi pour la vie. Et si tu mourrirais, bien sûr, j’m’ferais encore sauter, mais jme remarierais jamais !
Là-dessus, elle a la belle initiative d’éclater en sanglots.
Complètement retourné, Alexandre-Benoît tombe à genoux et prononce les mots qu’il faut :
— J’t’ d’mande pardon, Berthy, ma pensée a dépassé mes paroles !
Larmes.
Ensuite, le couple turbulent se joint. Berthe se met au bord du lit, les jambes pendantes. Béru enfouit son visage d’agenouillé entre les délectables cuisseaux de sa moitié. Il retrouve avec émotion ce goût subtil de charcuterie bavaroise qui tant l’ensorcelle. Oublie la comtesse, trop parfumée de la chatte pour son robuste appétit.
Devant cette sorte de prière païenne, Pinaud se sent remué par un sentiment profond fait d’admiration, de reconnaissance, de foi profonde en l’humain, si fragile et si fort aussi ! Il va s’asseoir dans un fauteuil et regarde le Gros déguster Berthe avec une tendre voracité. Elle a appliqué ses deux mains de lavandière sur la nuque puissante du taureau fougueux comme pour l’imprimer en creux dans son sexe béant.
Elle a une douloureuse grimace de jouissance, apostrophe Pinuche :
— R’gardez comme il s’y met d’bon cœur, m’sieur César ! Quel ogre ! Y va tout m’disloquer la craquette à ce train d’enfer ! C’t’un bouffeur-né, mon Sandre ! Et vous n’voiliez pas sa menteuse ! Un vrai caméléon ! Il tire un panais gros comme un’ escalope, l’apôtre ! Vous pouvez croire qu’y s’régale. Oh ! Oh ! la la ! Ça me gouzille partout ! Je pâme déjà ! Quel artiste ! Si on organis’rait des championnats d’minette, y gagnerait la coupe ! Ça y est : y m’déclenche, l’sagouin ! Je pars en liqueur, m’sieur César ! Ah ! le gros salingue ! Mais y m’en laissera pas, hein ! y veule tout pour lui, c’goret de merde ! Voui ! Vouiiii ! Sandre : je t’aémaeu !
Elle fade. Le Goulu poursuivant toujours sa manœuvre, elle lui décoche un coup de genou dans la gueule en grondant :
— Mais y va pas lâcher prise, ce con ! Un vrai bulldog, bordel ! Arrête, nom de Dieu ! J’ai donné !
Le Mastar décélère en soufflant fort et dégage une trogne cramoisie et barbouillée du haut lieu où elle s’était encastrée. Il est haletant, ébloui, dévasté par trop de bonheur.
— Berthe, chuchote-t-il, ô Berthy, ma toute petite, mon zoiseau, t’es unique !
Pinaud ramène le trio aux problèmes de l’heure, après cette page d’amour si nécessaire au rétablissement de l’harmonie. Il dit, pendant que Berthe se torchonne la babasse, manière de pouvoir réintégrer sa culotte la tête haute :
— A présent, il faudrait que nous parlions de cette pénible affaire, ma chère amie. Je pense que vous devriez nous raconter par le menu les événements, en commençant par votre arrivée à l’hôtel.
La Vouivre acquiesce.
— Je pourrais-je-t-il vous parler seul à seul, m’sieur César, j’m’sentirerais plus libre.
— Si j’s’rais d’trop, dis-le ! s’emporte le mari. Comme si je pourrerais pas tout entendre ! J’le sais qu’t’as fait la chienne av’c c’criminel d’Alfredo. Et j’t’ai déjà eu vue lu pomper l’nœud ou t’faire embroquer par ce connard ; qu’est-ce tu veux ajouter d’mieux, pétasse ?
Elle rengracie :
— D’accord, j’causais pour ménager ta susceptibilité, Sandre.
— Fais-toi pas d’mouron pour elle, j’sus blindé d’puis l’temps !
Elle hausse les épaules.
— Bon, souate. On est arrivés ici, Freddy et moi, le mardi. Installation.
— Séance de lonche n’à peine les valoches défaites, hein ? grince Sa Majesté encornée.
Et la perfide, se piquant au jeu :
— Avant !
— Salope !
— Alfred est très sensib’ aux chambres d’hôtel.
— Salaud ! Et bien entendu, y s’est hâté d’te pratiquer le « tourniquet japonais » dont à propos duquel y m’casse les couilles ?
— Fectivement !
— Fumier ! Et « la chaise du roi », œuf corse ?
— Testuel !
— Le gueux ! Sans compter le « i grec en folie », j’présompte ?
— Naturellement.
— Le grand jeu, quoi !
— En plein !
— Qu’il crève ! J’espère qu’y z’ont la peine d’mort en Argenterie pour les assassins ! Et, bien sûr, toutes ces saloperies, vous les avez faites habillés ?
— C’est meilleur.
— Tu veuilles qu’j’t’éventrasse à coups d’talon, morue ?
Elle se fait pathétique. Mère Courage ! La Dame aux Camélias dans sa phase bacillaire !
— Si ça peut te soulager, mon pauvre Sandre.
Il repleure.
Pinuche intervient :
— Ecoutez, mes enfants, vous n’allez pas passer le restant de vos jours à vous déchirer pour de menus incidents de parcours ! Nous ne sommes que des êtres vivants lâchés dans le cosmos. Il faut s’aimer, se pardonner, s’aider. Alors arrêtons les frais, question jalousie.
Il est beau comme l’abbé Pierre rasé de frais. Son clope jaune pendouille de sa lèvre inférieure tel une bistougnette de lapereau. De la sanie sort de ses yeux comme de la mayonnaise en tube. Il arbore son tendre et miséricordieux sourire. Il y a de l’évangéliste chez cet homme. Je sais que Dieu l’aime beaucoup.
— Reprenons, chère Berthe. Vous vous êtes donc installés ici. Ensuite ?
— Ben on a commencé les vacances, quoi : la bouffe, des siestes, des bains de soleil, des parties d’ cartes au bar.
— Une vie de con, en somme ! résume l’actif Bérurier.
Elle lui sourit désarmant ; c’est son nouveau style à Berthaga : la coupable qui accepte l’opprobre, joue les martyres résignées. Ça paye !
— Vous connaissiez la personne qui a été trucidée ? reprend le vieil enquêteur chevronné.
— Quand j’ai vu sa photo dans l’journal, j’m’ai rappelé l’avoir entrecroisée pendant not’ séjournement, moui. L’était seule. Une brune, pas beaucoup de formes.
— Alfred lui faisait du gringue ?
— Pensez-vous : ell’ était bien trop maig. Lui, sa régalade, c’est quand y a du répondant sur les miches et les loloches.
— Un dégueulasse, quoi ! résume Béru, hautement qualifié pour porter ce genre de jugement.
— Il y a parfois des exceptions, enchaîne Pinuchet. Il se peut que le coiffeur ait été sensible au charme de cette personne.
— Elle en avait point ! assure catégoriquement la Bérurière. J’ai l’œil. Si Freddy y avait balancé des coups d’saveur, je les eusse eu surpris, n’ayez crainte, m’sieur César. On s’disait même pas bonjour, c’te crevure et nous.
— Pourtant Alfred l’a suivie dans sa chambre. Cela s’est opéré comment ?
Berthe s’assombrit comme un ciel de neige.
— J’en sais rien. On était allongés, moi et lui, su’ l’sable. J’me dorais. La chaleur, moi, ça m’endort. Freddy, j’me rappelle parce que j’m’en souviens, m’chatouillait la moule av’c un fœtus de paille. Ça m’f’sait mouilloter, mais j’dormais d’trop pour réagir vraiment.
« A deux trois mètres devant nous, y avait c’te merderie de gonzesse. N’à un moment donné, y m’semb’ les avoir entendus causer, Freddy et elle. C’t’après coup qu’ça m’est r’venu. Y z’ont parlé un moment, doucement, du ton d’la converse. Et puis plus rien. Jpas si j’ai dormi longtemps, n’ayant pas d’montre su’ la plage n’à cause du sable qui coince les mouvments. J’ai parlé à Freddy, mais y n’m’a pas répondu. Alors j’m’ai assise et j’ai vu qu’il avait écrit dans l’sable comme quoi il était été aux vécés, ce qui l’arrivait fréquemment biscotte la cuisine à l’huile, lui, ça l’détraque ; et pourtant il est italien d’origine, je vous fais remarquer.
« J’ai attendu en m’ faisant bronzer l’dos. J’ai dû me rassoupir. C’qui m’a réagi, c’est des sirènes d’ police qu’arrivaient en trompe à l’hôtel. Vous dire, m’sieur César, y m’a pris comme un pressentiment prémonitoire dû à la prémonition. J’m’ai levée et jété aux nouvelles. J’arrive dans l’hall et vous savez qu’est-ce que j’vois, m’sieur César ? J’vous l’donne en mille ! Freddy qui sortait de l’encenseur entre deux flics, les m’nottes aux poignets. Vous dire ce dont j’ai ressenti ! Pour la grande charité du Christ, des instants pareils, merci bien ! Plutôt mourir ! J’m’ai élancée sur lui en lu d’mandant ce qui se passait. Mais l’était prosterné, si vous voyez ? Hagard, les yeux vides !
« D’autres poulets s’est jetés sur moi et m’ont emballée, voiliant qu’j’étais l’amie du monstre. Y m’ont emmenée à la police, questionnée pendant des heures. Et qui c’était Freddy, d’où qu’y v’nait, c’qu’y f’sait dans la vie ? S’il avait des instinctes sadiques ? Des choses encore qu’j’me rappelle plus, tellement y en avait et tellement c’t’interrogatoire m’semblait sot et grenu. J’voulais savoir ce dont on l’accusait. Mais y n’m’répondaient pas, ces fumiers. J’veuille pas m’vanter, mais y en a un qui me caressait les fesses. Quand j’l’regardais, y m’montrait son paf à travers son pantalon, qu’était très conséquent d’apparence. Y dessinait son volume av’c la main, croiliant m’impressionner, moi, la femme à Béru. Peau d’zob, va !
« Y m’ont r’lâchée en m’annonçant comme quoi y gardaient mon passeport et qu’j’pouvais plus quitter l’pays jusqu’à tant qu’l’instruction serait terminée. C’est en r’venant ici qu’j’ai su ce dont y s’était passé. Alfred qui grimpe av’c la gonzesse brune, qui l’empaffe puis la surine av’c son couteau d’table d’à midi qu’y avait conservé dans son maillot. Alors là, j’insurge, m’sieur César. Alfred portait un maillot très court, v’savez comme y aimait mettre sa bite et ses couilles en valeur chaque fois qu’il en avait l’occasion, vanneur comme y est ! Y n’avait point d’couteau dans le slip d’bain. Juste avant qu’j’m’endormisse, j’lu avais trituré l’guignolo par sympathie. Vous pensez bien qu’un lingue, j’l’aurais senti !
« Enfin, quoi, vous l’avez fréquenté, Alfred, tous les deux. Des défauts, c’est pas c’qu’y lu manque : un Rital, vous pensez ! Mais zigouiller une dame qu’y vient de fourrer, j’peuve pas y croire. V’savez biscotte y s’est fait coiffeur pour dames ? Parce qu’aut’fois, lorsqu’il tenait un salon messieurs, y s’évanouissait quand y f’sait une p’tite entaille de rien aux mecs qu’il rasait. »
— Peut-être a-t-il eu un coup de folie ? suggère César.
— Lui ! L’était bien trop raisonnable pour d’venir fou ! assure dame Béru.
Le Gros caresse ses bajoues d’un air pensif.
— Ecoute, la mère : ton Mirliflor s’trouvait bouclarès avec la morte. L’avait défoutraillé plein les draps et l’y a porté ses empreintes de gitane. Conclusion : personne n’autre a pu commett’ ce meurtre. Donc, si c’est personne n’autre, c’est lui !
Il a un rire méchant qui ne lui va pas très bien parce que c’est un brave mec, le Gros. Un violent, mais bon zig.
La Bérurière secoue ses frisettes qui partent en sucette.
— Pour qu’j’y croive à son crime, faudrait qu’y m’l’avouasse d’visu !
Pinaud réagit.
Allons voir la chambre du drame ! décide-t-il.
Des scellés et un Opinel se livrent un combat singulier dont le bon vieil Opinel sort vainqueur.
Béru et son pote pénètrent dans la « chambre tragique », comme l’appellent les journalistes. Elle sent bizarre : le parfum musqué, plus de vagues remugles fadasses. Ils entrent, referment la porte et attendent un instant, troublés par l’étrange atmosphère. Le silence n’est rompu que par le bruit lancinant d’un robinet, mal fermé qui goutte.
Béru, le premier, s’avance vers le lit. La semence du Rital forme toujours une flaque importante sur le drap du dessous. Cette surabondance le vexe quelque part, sans qu’il puisse s’expliquer trop pourquoi ; cela est du ressort de la jalousie, cette gueuse ! Il contourne le plumard et découvre des traînées de sang séché sur la moquette beige. Se dit que le sang sèche plus rapidement que le foutre, donc, il est moins « vivant » ?
Pinaud suit les mêmes pérégrinations. Il a retrouvé son air frileux, voire malheureux, d’avant sa richesse tardive. Il fait clodo de luxe, veuf inconsolable.
Il s’accroupit pour regarder le plancher, puis s’agenouille et se déplace à quatre pattes dans la chambre. Se rend ainsi à la salle de bains. Au bout d’un moment, comme il ne réapparaît pas, le Gros va le rejoindre. Le trouve assis sur le rebord de la luxueuse baignoire, les mains croisées entre ses genoux cagneux, réfléchissant.
— Tu patauges dans l’tapioca, mec ? demande Béru.
Le Fossile s’arrache à ses méditances.
— Sur le journal, il est bien dit que la femme assassinée était habillée ?
— Voui, pourquoice ?
— Elle a été assassinée ici, et ensuite tramée dans la ruelle du lit, déclare la Vieillasse.
— Où qu’t’as pigé ça ?
César désigne du doigt quelques petits points rouges dans le ciment ayant servi à faire les joints des carreaux.
— Du sang !
Il fait signe à son coéquipier de le suivre dans la chambre.
— Il y a eu des piétinements depuis, mais c’est encore visible.
— Quoi donc ?
— Les deux traces des talons. On a coltiné le corps en le tenant par les bras. Tu vois cette double ligne parallèle dans les poils de la moquette qui est neuve ?
— Moui, et alors ?
— Alors ça, simplement. Poignardée dans la salle de bains, tirée jusqu’au lit. Pour quelle raison Alfred aurait-il agi ainsi ?
— Il avait perdu les pédales, ce sale con !
— Il faudrait vraiment qu’il les eût perdues en effet !
— Il était seulâbre dans la taule : la lourde bouclée à clé de l’intérieur, c’est prouvé, la fenêtre fermaga ! Pas de fenestron dans la salle de bains, juste une grille d’ventilation ! C’est l’mystère d’la chambre close qu’tu veuilles reconstitutionner, l’Ancêtre ?
Pinuche retourne à la salle d’eau, monte sur la partie large de la baignoire pour examiner la ventilation. Il s’agit d’une grande plaque métallique, peinte de la couleur des murs, dans laquelle s’inscrivent deux volets d’aération munis d’une grille. Il essaie de secouer la plaque, mais elle est vissée en ses quatre coins. Bernique !
Mathusalem a un soupir du genre fétide. L’estomac n’a jamais été très performant chez lui. En fait d’haleine fraîche, sa pomme ce serait plutôt la laine des Pyrénées avec son suint.
Il murmure :
Le mystère de la chambre close
La réflexion ironique du Gros l’a frappé. Il sent confusément « quelque chose » de pas blanc-bleu et il est convaincu que Bérurier aussi le sent. Ils sont trop authentiquement flics pour ne pas éprouver cette curieuse sensation. Seulement, Alexandre-Benoît est trop de parti pris pour en convenir. Pour l’instant, il rêve d’échafaud.


SUITE

J’en jette, non ? demanda Béru à Pinaud.
Il est debout devant une psyché et s’examine complaisamment. Le smoking col châle qu’il porte le transforme en « quelqu’un d’autre ». Il fait gros entrepreneur en maçonnerie.
— Tu es saisissant, confirme le Géronte.
Ce matin, la comtesse a annoncé qu’elle allait donner un grand dîner pour les présenter au chef de la police de Mardel.
« — Avez-vous de quoi vous habiller ? » s’est-elle inquiétée, vu l’extrême modestie des bagages du Mastar : un simple sac en plastique provenant de la Samaritaine (c’est écrit en très gros dessus).
« — Ben, j’ai ce dont j’ai sur moi », a répondu Bérurier.
Elle lui a expliqué qu’il lui fallait un smoking et l’a conduit, chez un grand tailleur du cru qui a mis un smok d’obèse à ses mesures en moins de rien.
Maintenant, chemise à plastron, nœud noir, vernis rutilants aux pinceaux, le Mammouth éclabousse comme un gyrophare d’ambulance.
Pinaud, qui, lui, est dûment embagagé ne donne pas sa part aux cadors. Il fait vieux maître d’hôtel blanchi sous le harnais.
A l’heure dite, ils descendent de leurs chambres et tu croirais deux diplomates lituaniens venus demander aide et assistance à l’Elysée.
Beaucoup de trèpe ! Du beau linge ! Pognon à flots ! Inflation ? Fume ! Gros propriétaires terriens de la Pampa ! Industriels (cuirs et laines), ministres en vacances, maires, avocats, écrivains (c’en est plein en Argentine), hauts fonctionnaires (dont le chef de la police !).
La comtesse les attendait, la bouche et le frifri en fleurs ! Elle a le fion branché sur la haute tension, Dolorès. La membrane du Formide la survolte. Elle voudrait garder toujours ce braque à dispose, s’en faire des tartines, mouillettes, éclairs géants ! La fiesta ! Pas un gaucho sur tout ce putain de territoire qui soit capable de dégainer de son futal de cuir une rapière aussi extravagante ! Si Bérurier doit la quitter, elle photographiera son paf avant la séparation. Elle, en train de le pomper, pour qu’on puisse bien comprendre qu’il n’y a pas trucage, qu’il soit possible de référer au réel. Un trophée de cette qualité, tu ne peux pas le perdre de vue à tout jamais. Les années passant, tu douterais de lui, estimerais que ton imaginaire te joue des tours et qu’il était plus « normal » que dans ta mémoire. Le phénomène inverse à celui du pêcheur à la ligne dont la prise fameuse croît dans ses souvenirs.
— Venez, je vais vous présenter au chef de la police.
Elle les biche chacun par une aile, mutine, joyeuse, le décolleté comme la loge d’honneur de la Scala de Milano.
Les guide jusqu’à une jeune femme très belle, avec des boucles d’oreilles que ça représente des balançoires à perroquet (avec un perroquet sur chacune). Très blonde, la dame, avec une mèche brune qui lui donne un aspect étrange. De grands yeux noirs qui laissent croire que sa blondeur est bidon et que sa toison chatière est moins claire que l’astrakan.
Dolorès lui présente nos deux lascars puis, à eux :
— Carmen Abienjuy, notre directeur de la police !
Alors là, ils sont sciés en deux dans le sens de la longueur, Pinuche et Béru. Cette somptueuse créature, directeur de la Rousse ! Ils hébètent.
Pinaud sauve la situation par son côté Vieille France :
— Madame le directeur, notre surprise et notre émoi nous laissent sans voix. Nous ne nous attendions pas à trouver une femme aussi exquise et dotée de grâce en la personne d’un haut fonctionnaire. Certes, chez nous, en France, il existe quelques femmes juge d’instruction, voire commissaire de police, mais il n’en est pas, à ma connaissance du moins, qui occupe un poste aussi élevé dans la hiérarchie.
Il baise la main qui lui est tendue, un peu trop ardemment car son dentier se décroche et choit aux pieds de l’élégante personne : robe du soir en soie verte moirée, sautoir de perles. Il le ramasse prestement, se l’enfourne vite fait, mais, dans son émotion, le place à l’envers, ce qui lui interdit de parler désormais.
La comtesse, fidèle à sa promesse, explique l’objet du voyage de ces messieurs à son invitée qui écoute gravement. A seconde vue, on constate qu’elle n’est pas futile, la belle directeur, et que sa promo à ce poste clé, elle l’a pas dégauchie dans la braguette d’un ministre. Elle écoute en regardant ailleurs, ce qui est le signe de la chefferie. Un chef, il confie rien avec ses yeux. Il s’économise, réserve ses manifestations. Pas un signe, pas la moindre onomatopée : il laisse dérouler le moulinet. Son attention va l’amble.
A la fin de l’exposé, elle se tourne vers le Mastar :
— Ainsi, la compagne du meurtrier est votre épouse ?
— Oui, monsieur la directrice, bafouillasse notre pote. Exactement. Mon épouse légitime.
— Et vous connaissez l’assassin ?
— C’tait un ami, reconnaît loyalement le Dodu.
— Vous saviez qu’il était l’amant de votre femme ?
— L’amant, non. Mais j’savais qu’y couchaient ensemb’, temps à aut’. Ma femme, c’est pas la mauvaise femme ; mais ell’ est portée, si vous comprendrez c’qu’ j’veuille dire. On est un couple porté, moi et elle. On s’permet’ des primautés qui n’tirent pas à conséquence, comprenez-vous-t-il ? Ell’ est saute-au-zob, quoi ! Et moive, j’sus volontiers main-au-cul. Question d’tempérament et d’conformance. Quand, comme ma pomme, on défile dans l’éguesistence av’c un braque de quarante centimètres, et même quarante-deux quand j’tire d’sus, on n’a pas la comportance du tout-venant.
Le directeur de la police réagit :
— Quarante centimètres ?
— A vot’ service, mon trognon. D’mandez à la Dolorès qui, pas plus tard qu’y a une plombe, s’en est pris les trois quarts dans l’arrière-boutique et ell’ beuglait tell’ment fort qu’on croivait qu’elle dérouillait un missile Scud dans la moniche !
Carmen Abienjuy se tourne vers son hôtesse, laquelle est écarlate de confusion.
— Quarante centimètres ? répète le directeur d’un ton mi-incrédule, mi-interrogateur.
Dolorès prend le parti le plus sage : celui de l’aveu.
— Unique ! acquiesce-t-elle avec une mimique qui en dit aussi long que l’objet mis en cause.
La superbe blonde à la mèche brune déclare :
Señor Bérourier, votre témoignage est mucho importante ; venez me voir mañana à mon bureau. Disons midi.
C’est plus qu’une proposition : un ordre !
L’Eperdu répond mais comment donc, monsieur la directrice, c’sera volontiers et av’c beaucoup d’parfaitement ; tout l’honneur, l’plaisir et l’machin sera pour moi !
Là-dessus, on passe à table. Trente-deux couverts dans la salle à manger d’apparat ! Caviar, viandes ! On boit un Torrontes de Don David et un cabernet Michel Torrino. Bérurier, assis à la droite de la maîtresse de maison (devenue également la sienne), fait le bouc-en-train. Il se ramasse une peinture carabinée et, au dessert, chante les Matelassiers pour le plus grand plaisir de l’assistance.
Le lendemain, Pinaud qui a libationné avec excès, lui aussi, doit garder la chambre car il gerbe toutes les quatre minutes et son estomac martyr lui provoque d’atroces brûlures que la chère comtesse lui soigne avec du bicarbonate délayé dans du vin, vieux remède gaucho que la Pine ingurgite stoïquement, tout en récitant mentalement une prière qu’il envoie au Seigneur par chronopost.
Le Mammouth, fraise et dix pots (comme il se plaît à déclarer), se rend donc seul au rendez-vous que lui a intimé le directeur.
L’hôtel de police est un grand bâtiment neuf sur l’Avenida 9 de Julio. Le délicat drapeau argentin (deux bandes bleues sur du blanc au milieu duquel Wolinski a dessiné un petit soleil jaune rigolo) flotte au fronton de l’édifice. Le planton (il s’appelle Bombard) l’accueille. On a prévu sa visite car, illico, le gars le drive aux ascenseurs et le pilote sans coup férir jusqu’au quatrième laitage. Au fond du couloir, une double porte. Toujours, les P.-D.G., grands chefs de ceci-cela : la porte deux panneaux. La puissance et Magloire ! Quand on t’emmène jusqu’à un bureau à porte unique, reste peinard ; mais si c’est vers un burlingue à deux lourdes, là tu as le droit de bicher les mouillettes : ça va être sérieux !
Un timbre au centre d’un support de marbre. Le convoyeur (con voyeur à l’occasion) le presse.
Une ampoule verte au-dessus de l’encadrement, kif dans un studio de cinoche ou TV. Tu peux to go à gogo. Le planton s’efface, Bérurier entre. Il remarque que la porte se referme automatiquement sur ses talons, avec à la fois lourdeur et moelleux (redis-le moelleux).
Ah ! la vaste pièce. Et comme elle a été féminisée malgré son apparence administrative. Les murs tendus de papier de riz jaune paille, des rideaux aux fenêtres. Grand burlingue entre les deux fenêtres du fond. Un côté du mur garni de classeurs, sur l’autre partie un canapé de velours vert bronze. Au-dessus, une photo du président Carlos Menem.
Carmen Abienjuy écrit derrière le bureau. Sans relever la tête, elle claque les doigts de sa main libre, puis désigne les deux fauteuils qui lui font face. Alexandre-Benoît comprend et s’obstrue le trou du cul avec du cuir. Il attend. Le directeur continue de rédiger à la mano sur une feuille de papier à en-tête. Elle se sert d’un gros stylo Mont-Blanc noir, plutôt masculin. Mais quand on est « LE directeur », hein ? Voilà, elle appose un parafe impressionnant, d’au moins dix centimètres de large. Le genre de signature qui n’en finit pas. Un auteur comme San-Antonio qui aurait la pareille raterait la vente de cent bouquins lors d’une séance de signatures 2.
L’Argentine a quelques décades de retard sur l’Europe dont elle s’inspire, car le directeur use d’un tampon buvard pour sécher son document.
Enfin, il relève la tête et Carmen Abienjuy adresse un léger sourire au survenant et dit :
— Merci d’être à l’heure.
— La politesse est l’exactitude des rois ! répond le Raspoutine.
Il s’enhardit à croiser les jambes. Il porte le smok de la veille, bien qu’on soit le matin, car cette tenue lui est seyante et il a décidé de la porter jusqu’à l’usure complète.
Carmen Abienjuy croise ses admirables mains manucurées sur son sous-main de cuir. Ce geste rappelle le Vieux, au Gravos. Lui aussi a de ces mouvements onctueux des mains. Manie de chat et de chef.
Elle attaque :
— Avant que nous n’abordions l’affaire qui vous amène à Mar del Plata, señor Bérourier, je voudrais vous présenter une requête.
— Vos désirs sont en désordre ! riposte avec une infinie nonchalance le nouveau dandy. De quoi s’agite-t-il, monsieur la directrice ?
Au lieu de répondre, elle biaise :
— Voyez-vous, cher confrère de France, avant que je n’occupe mon poste actuel, je travaillais à la Criminelle. Une nuit, j’ai eu à m’occuper d’un meurtre dans le quartier chaud de Buenos Aires. Une sordide affaire. Par esprit de vengeance, un Indien qui logeait dans le barrio du port avait étranglé puis émasculé un émigré italien qui couchait avec sa femme.
— Qu’ çu-la qu’a jamais été cocu y jette la première pierre ! soupire Alexandre-Benoît.
La dame directeur reprend :
— Le meurtrier avait placé le pénis sectionné sur le visage de sa victime.
— Bien fait pou’ sa gueule !
— En apercevant un tel spectacle, j’ai failli défaillir, bien que je sois, me semble-t-il, une femme forte. Ce qui me bouleversait, c’était la dimension de ce sexe tranché. Trente-deux centimètres.
— Hors tout ? questionne le Débonnaire.
— Qu’entendez-vous par là, señor Bérourier ?
— J’veuille dire : y compris les bourses ?
— Oui.
Le Blasé a un sourire qui ferait pleurer la Sainte Vierge.
— Moi, sans vouleloir rouler les mécaniques, c’est du quarante centimèt’ sans les couilles, ma poule.
— Justement, murmure la directeur.
— Jus’ment quoice ?
— Depuis cette vision qui remonte à une dizaine d’années, je suis positivement hantée par le souvenir de ce membre coupé, señor Bérourier (elle prononce, en fait : « Bérlllourlllier »). Il m’arrive d’en rêver la nuit. Je n’ai jamais pu « accueillir » un homme depuis cette atroce vision.
— Quelle idée, ma gosse ! Faut que vous réagireriez !
— Je sais. Aussi une idée un peu saugrenue m’est venue, très… très délicate à formuler.
— Formulassez, formulassez !
— Eh bien, je crois… il me semble que si je pouvais voir calmement votre sexe, lequel, prétendez-vous, est encore plus important que celui qui m’a traumatisée, oui, si je pouvais le voir, le toucher, même, à la rigueur, cet instrument qui, lui, est vivant, bien vivant, peut-être serais-je guérie de mon obsession. Qu’en pensez-vous, señor Bérourier ?
Il est aux anges.
— J’en pense qu’c’est l’idée du sièc’, déclare-t-il catégoriquement. J’vous déballe l’monstre tout d’sute ou bien on prend rendez-vous ?
Voilà que, soudain, la facile acceptation du Gros lui fait peur, Carmen. Ses fantasmes regimbent. Il y a toujours une lâche complaisance du malade vis-à-vis de ses maux. Elle redoute que l’électrochoc la guérisse trop brutalement.
Elle baisse la tête.
— Je ne sais pas, balbutie-t-elle.
— Eh ben si vous n’savez pas, j’décide qu’c’est pour immédiatement. Soiliez gentille, monsieur la directrice, disez à vot’ secrétariat d’n’ pas nous déranger sous aucun prétesque.
Elle trouve la suggestion opportune, décroche son biniou et formule en espingo.
— Voilà ! approuve Béru. Du côté d’la porte c’est banco ? Un gnaf craint pas d’am’ner sa couenne dans l’secteur ?
— Soyez sans crainte, señor Bérourier. Mais vous me jurez sur l’honneur que ceci restera entre nous ?
— Tout c’ qu’a d’entre nous, mon lapin ! Parole de flic à un aut’ ! Et vous allez pas êt’ déçue par 1’bambino, il est tout folâtre d’puis qu’on cause de ça ! V’nez vous asseoir, su’ l’canapé, vous aurez mieux vos zaises ! Là, détendez-vous bien, comme si vous s’riez chez le psychiatre. Les bras pendants, les cannes allongées. On rilaxionne un max. Et maint’nant, ouvrez grand vos boules de loto, la mère : l’gros mistigri va vous faire sa révérence.
Il détraponne son futal de smok, baisse son vaste et flasque slip à l’intérieur duquel ça remue-ménage à tout va.
— J’vous présente le señor Popaul, ma belle !
Carmen regarde, exhale un léger soupir et s’évanouit.
— Et la fête continue ! grommelle Sa Majesté surmembrée. C’est chef d’la police et ça tourne d’l’œil à la vue d’un zob ! Bien sûr, Coquette y rappelle le raminagrobis sectionné d’son type assassiné, mais quand même ! J’m’en voudraye d’occuper ces z’hautes fonctions et d’jouer les p’tites marquises du temps jadis qu’évanouissaient pour un oui ou pour un non. Qu’on le voudrasse ou pas, une gonzesse c’est fait pour la brod’rie et torcher les chiars !
Cette misogynie ainsi extériorisée, il s’occupe de ranimer Carmen Abienjuy, non sans avoir auparavant réintégré Coquette dans son hangar. Deux baffes bien ajustées permettent à la directeur de récupérer. Elle frémit, soulève ses paupières délicatement colorées de bleu et regarde le futal du guerrier. Son missile a disparu. La dame respire profondément.
— C’est ridicule, murmure-t-elle ; j’ai ressenti un tel choc !
— V’s’êtes tout escusée, mon directeur, affirme le hallebardier. C’est pas la première fois qu’mon sauciflard chavire un’ personne du beau secse.
— Mais… vous trouvez… chaussure à votre pied ?
— Naturliche, ma cocotte ! Av’c d’la persévérance et d’l’huile d’olive, on surmonte tous les écureuils 3. Si j’vous dirais : y a pas lulure d’frangines qu’a dû r’noncer. Les dadames les plus étroites acharnent à m’engouffrer l’Pollux. Z’y mettent une pointe d’honneur ; elles veuillent que ça rentre ou qu’ça casse ! Mais ça casse jamais ! Qu’elles endolorassent du baigneur par la suite, j’admets. Une entre z’autres, en Turquie 4 l’est restée huit jours sans plus pouvoir s’asseoir, mais c’est des cas rarissimes. Général’ment, une bonne blablution après la carambole, d’préférence à la mousse à raser, et la mignonne r’part pour une virginité.
Maintenant, Carmen Abienjuy s’est complètement ressaisie et retourne à son bureau directorial. N’empêche qu’elle ne regarde plus Bérurier avec les mêmes yeux. Elle a pour lui cette espèce de crainte déférente qu’on marque aux gens célèbres qui veulent bien vous admettre un instant dans leur environnement.
— Dites-moi, monsieur la directrice, attaque le Vaillant, est-ce que j’peuve rencontrer Alfred dans sa cellote ou au parloir d’la prison ? J’sus persuadé qu’à moi, y racontererait en bonnet difforme ce dont y s’est passé.
Elle fait la moue.
— Irrégulier, lâche-t-elle.
— Comme la raie d’ mon cul, répond paisiblement le Gros ; l’est irrégulière et pourtant é tourne !