Je décide d’aller à pinces chez le gigolo de madame. Ça me fera faire un peu de foutinge ce qui, dans ma situation, est plutôt indiqué par le corps médical.
Maintenant je connais Liège comme si j’y avais vu le jour. Je déambule dans les artères silencieuses comme un bon bourgeois qui revient de sa partie de touche-pépite. J’espère cette fois-ci trouver le freluquet et avoir une explication sérieuse avec lui.
A un carrefour, j’avise une gentille pépée qui regagne son domicile d’une démarche onduleuse. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle accentue les circonvolutions de son valseur.
C’est le genre de doudoune qui marche pour deux. Elle a le panier à changement de vitesses sur roulement à billes. Comme suspension, c’est idéal… Je me rapproche d’elle parce que son déhanchement me porte à la peau ; d’autant plus que la séance de voyeur de l’hôtel m’a énervé.
J’accentue mon allure et, comme elle freine la sienne, on finit par se trouver côte à côte.
— Alors, ma ravissante, je lui dis, vous n’avez pas peur, toute seule, la nuit ?
Elle me regarde avec sympathie. C’est une gamine charmante, brune avec une mèche savamment décolorée et un air gentiment stupide sur la physionomie.
Elle roucoule :
— Oh ! pas du tout !
— Vous avez raison, approuvé-je, qui donc chercherait à vous faire du mal ? Bâtie comme vous l’êtes, on pense plutôt à vous faire du bien.
Ça lui va droit au soutien-gorge. Ses roberts se mettent eux aussi à danser la langoureuse.
— D’où venez-vous, si tard, belle inconnue ?
— Du cinéma…
— C’était bien ?
— Je suis ouvreuse.
Le beau métier… Les voilà bien, les vraies filles de la nuit. Elles vivent avec une lampe électrique et zigzaguent dans l’obscurité tandis que les spectateurs polissons leur caressent nonchalamment les flûtes au passage.
En tout cas elle n’est pas farouche.
— Nous avons l’air d’aller du même côté, je remarque.
— Oui, admet la douce enfant.
— Où habitez-vous ?
— Avenue Léopold-Ier.
— Marrant, j’y vais aussi…
— Moi je vais au 186, dit-elle.
— C’est pas vrai !
— Si, pourquoi ?
— Parce que je me rends justement à cette adresse.
On s’exclame comme il se doit devant pareille coïncidence. Elle décrète que la vie est marrante ; que le hasard est grand ; que le bon Dieu fait bien les choses et que le monde est petit.
Je demeure confondu devant une telle pertinence.
— Si vous habitez au 186, je demande, vous devez connaître mon ami Ribens. C’est lui que je vais voir…
Elle hoche la calebasse d’un petit air gêné.
— Oui, je le connais très bien, on a été amis passé un temps.
Voyez-vous ! Ce grand polichinelle s’est farci la gamine ! Il m’a l’air drôlement équipé pour la bagatelle, Ribens… Les gonzesses doivent se succéder entre ses mancherons à un rythme accéléré.
— Il est gentil, je hasarde, ne voulant pas la heurter par trop d’enthousiasme pour le cas où il y aurait eu du grabuge entre eux deux.
— Pff ! fait-elle, c’est un gamin, il n’a pas de suite dans les idées. Et puis il est coureur…
— Comme c’est vilain !
Elle me zieute en biais et un sourire égrillard lui plisse les babines.
— Vous devez l’être aussi, dit-elle.
— Ah ! vous croyez ?
— Pardine ! Puisque vous êtes français !
— Comment savez-vous ça ?
— Je vous entends parler…
Elle se tait un moment, nous faisons quatre pas et demi et elle ajoute :
— J’aime bien les Français… j’ai eu beaucoup d’amis français.
En voilà une, plus je la regarde, plus je suis persuadé qu’elle ne doit pas faire trop de giries. C’est pas le genre de poupée à crier au secours quand on lui parle de près.
Histoire de vérifier si mon estimation est juste, je lui biche le bras. Loin de se dégager elle presse son bras contre son flanc.
Je me serre un peu plus contre elle.
— Je parie que Ribens vous a fait la cour ? fais-je.
— Oh ! il la fait à tout le monde…
— Il travaille ?
— Il est stagiaire chez un avocat.
— Quel genre de vie mène-t-il ?
Elle ne pige pas très bien.
— Il a une maîtresse, affirme-t-elle. Une blonde qui vient souvent le voir.
Elle me décrit suffisamment bien la blonde en question pour que je puisse identifier Huguette Van Boren.
— Il ne reçoit pas d’autres visites ?
— Oh ! si : des filles, des camarades avec qui il fait la foirinette…
— Quel type ! Vous n’avez jamais vu chez lui un grand bonhomme coiffé d’un chapeau rond et d’un imperméable ? Il porte une moustache blonde hérissée et il a des yeux bizarres.
Elle hausse les épaules.
— Non !
— Vous êtes sûre ?
— Oh, certaine… Vous pensez : nous habitons l’étage au-dessous.
— Nous ?
— Mes parents et moi.
Obscurément je me renfrogne. Je la voyais sans parents à la cabane, cette môme, et, in petto, je faisais déjà des projets d’avenir immédiat avec elle…
— Ah ! vous avez des parents chez vous ? C’est dommage.
— Pourquoi ?
— Pff ! je m’étais dit que vous m’inviteriez à prendre un verre.
— Ben… ç’aurait été avec plaisir mais… vous comprenez ?
— Bien sûr que je comprends ! Vous pensez.
Je la saisis par la taille, elle est toujours consentante. Je sens sous ma pogne son giroscope qui tournique et ça me court-circuite la moelle épinière et les centres nerveux.
Cette môme c’est pas du 120 volts, je vous le garantis. Oh pardon !
Nous nous arrêtons dans un coin d’ombre et je lui broute le mufle d’une bouche vorace. D’une seule lampée je lui nettoie son rouge Baiser. Pour ce qui est de la valse des patineurs, elle en connaît les principales figures. Elle a dû prendre des cours à son ciné : quand le héros chope la menteuse de sa partenaire, elle ouvre grands les carreaux…
Nous sommes à deux pas de l’immeuble de Ribens. Elle sort une clé de sa poche, ouvre la lourde et entre la première. Je la suis et repousse la porte. Nous sommes dans le noir intégral.
On pourrait y développer des photos. Mais ce ne sont pas des photos que je développe ! Avant qu’elle ait appuyé sur le commutateur de la minuterie je la chauffe par le bustier et je me la plaque contre le mur… Belote et re-patins !
Après une séance respiratoire pareille, on peut aller s’engager chez les pêcheurs d’éponges !
Elle vibre comme une corde de violon fortement pincée. Les ondes de son désir se marient avec les miennes. Elles trinquent, nos ondes ! Et il n’y a pas de fading ! Croyez-moi, nous émettons sur la même longueur, elle et moi.
Et puis nous revenons à la réalité. Elle se rajuste, comme on dit dans les romans de la bonne société.
Le terme est délicat, c’est pourquoi je me l’approprie ; j’ai un faible pour la délicatesse !
La preuve ? Vous ne me verrez jamais me moucher dans les rideaux de votre salon ou cracher mes noyaux de cerise dans le décolleté des dames.
Elle me plaît, cette souris, parce qu’elle y va franco dans le champ de manœuvre. Elle n’obéit qu’à son instinct. On n’a même pas échangé nos blazes ! Qu’importent les présentations pourvu qu’on ait l’ivresse. Et de l’ivresse on vient de s’en acheter à tempérament ! De quoi rallumer le Vésuve !
Seulement, entre nous et un pot de géraniums, je peux vous avouer que ce genre de poularde ne doit être consommé qu’une fois. Ne vous amusez jamais à les sortir car vous êtes finis ! Elles vous mettent le grappin dessus et ensuite vous l’emportez avec vous pour vous tenir chaud l’hiver !
Vous êtes pareil au type qui mettait un complet noir quand il conduisait sa voiture blanche. Vous passez aussi inaperçu…
Dans l’ombre elle susurre :
— Ce fut merveilleux, chéri.
J’en avale ma salive de traviole. Me sortir un passé simple à cet instant, vous ne me direz pas que c’est du vice. Qui sait, peut-être l’ai-je mal jugée, cette gosse d’amour ? J’ai sans doute affaire à une cérébrale.
Du tac au tac je lui renvoie la praline :
— Nous nous aimâmes follement, cher ange, et vous me plongeâtes dans un bain de félicité…
— On se reverra ? demande-t-elle, déjà avide.
Mentalement je fredonne le fameux cantique :
Au ciel, au ciel, au ciel…
J’irai la voir un jour…
On se reverra dans un autre monde, là où les gonzes ne pensent plus à la guerre et où les bergères oublient leur fignedé.
Dans ces conditions seulement j’accepterai de rambiner avec cette mitrailleuse ambulante.
— Un jour prochain, dis-je avec un rien de solennité.
A tâtons – si l’on peut dire – elle cherche ma bouche.
Aussi sec, elle remettrait le couvert, la petite ouvreuse.
— Tu me plais, assure-t-elle, comme si je pouvais en douter après cette démonstration.
— Toi aussi, assuré-je. Nous sommes quittes. Allez, gosse, montons…
C’est crevant de vouloir « monter » après avoir sacrifié à Vénus.
— Tu es pressé de me quitter ? demande-t-elle, la voix teintée de mélancolie.
— Au contraire, j’aimerais faire ma vie avec toi, seulement si nous nous attardons encore ici les voisins vont se ramener et on finira la nuit au ballon.
— Bon… Attends, je vais actionner le minutier.
Elle l’actionne, ce qui nous permet de constater que nous venons de nous aimer à cinquante centimètres du cadavre de Ribens.