Notre premier rendez-vous secret eut lieu à
l’hôtel Saga, lorsque je revins
d’Akureyri après avoir vu son mari, Tómas Ottósson. J’avais
soigneusement choisi ma tenue. J’avais sorti mes plus belles
chaussures. Je me regardais dans la glace. Je ressentais une
excitation que je n’avais jamais connue auparavant. C’était une
joie anticipée qu’à vrai dire je ne saurais expliquer. Excitation,
joie anticipée et Bettý. Somme toute, un cocktail dangereux et tout
à fait irrésistible.
À la réception, la femme à la poitrine
plantureuse m’aperçut au moment où je passai devant son comptoir.
Elle sourit dans ma direction, mais je ne lui jetai qu’un bref coup
d’œil sans la saluer et me dirigeai directement vers les
ascenseurs. Je sentais tout le temps son regard sur moi et j’avais
la certitude qu’elle était au courant de tout ce qui était interdit
dans cet hôtel, y compris notre rendez-vous à Bettý et à moi.
Je vis tout de suite que Bettý aussi avait soigné
sa tenue. Elle avait une robe d’été très décolletée qui soulignait
les délicates rondeurs de ses petits seins, elle portait des
chaussures basses très soignées ; elle était fardée avec goût,
avec une petite mouche sur une joue que je n’avais pas remarquée
auparavant.
– Tu veux du champagne ? fit-elle en
refermant la porte.
– Oui, je te remercie, dis-je en m’étonnant une
fois de plus de la magnificence de cette suite. C’était la même que
lors de ma première visite pour m’entretenir avec Tómas Ottósson.
Mais, cette fois, c’était une tout autre atmosphère. Cette fois,
c’était une tout autre affaire. Elle le savait et moi aussi.
Excitation. Joie anticipée. Bettý.
– Tu te plais à Akureyri ? demanda-t-elle en
versant du champagne dans une coupe.
– Il est sympa, Léo, tu ne trouves
pas ?
Elle vint vers moi avec la coupe de champagne,
s’assit sur un grand canapé blanc et me fit signe de m’asseoir. Je
voulais m’asseoir sur une chaise en face d’elle, mais du plat de la
main elle tapota le canapé et je m’assis à côté d’elle.
Nous avons parlé un moment de Léo. Et un moment
aussi de Tómas et de l’entreprise. De la suite. Nous cherchions
quelque chose qui servirait de transition. La seule chose à
laquelle j’étais capable de penser, c’était quand elle m’avait
donné un baiser dans leur palais de Thingholt. Peut-être qu’elle
pensait à la même chose.
– Et toi ? demanda-t-elle. Qu’est-ce que tu
peux me dire sur toi ?
J’hésitai. Je ne savais pas ce qu’elle voulait
savoir.
– Tu vis avec quelqu’un ?
Je secouai la tête.
– Non, c’est que… La solitude ne me déplaît pas.
La plupart des gens semblent éprouver le besoin d’avoir constamment
du monde autour d’eux. Moi, je ne suis pas comme ça. Je n’ai jamais
été comme ça.
– Moi, j’ai besoin de monde, dit-elle. Je ne
pourrais jamais végéter comme ça toute seule sans avoir du monde
autour de moi. C’est le bon côté de Tozzi. Il y a toujours du
mouvement autour de lui. Avec cette grande entreprise et tout le
personnel qu’il dirige. Les hommes avec lesquels il traite. Il n’y
a pas de temps mort avec lui et je trouve ça parfait. J’aime bien
quand il se passe des tas de choses.
Elle se mit à siroter sa coupe de champagne et la
reposa sur la table. Ensuite, elle se leva pour aller chercher la
bouteille et remplir à nouveau les coupes.
– Mais c’est aussi la seule chose qui me plaît
chez lui, dit-elle en se rasseyant. La seule chose qui me plaît
chez Tómas Ottósson Zoëga. Il est capable d’être un sacré
salaud.
Elle se tut.
– Tous les hommes sont des
salauds, ajouta-t-elle comme si elle pensait à haute voix. Des
sacrés machos.
Elle me regarda en souriant.
Je sirotais mon champagne. Elle n’avait jamais
auparavant manifesté une telle colère et je me demandai quelle en
était la cause.
– Pourquoi est-ce qu’il te frappe ?
demandai-je.
Elle ne me répondit pas tout de suite. Peut-être
qu’elle refléchissait à la meilleure façon de répondre. Peut-être
que je n’aurais pas dû poser cette question.
– Pourquoi est-ce que tu ne le quittes pas, tout
simplement ? ajoutai-je brisant le silence qui avait accueilli
ma question.
– Non mais tu vis dans quel rêve ?
demanda-t-elle en me regardant d’un air de profonde commisération à
cause de ma puérilité. Tout est toujours aussi simple dans ton
esprit ?
– C’est ce qu’il te semble ? dis-je.
– Non, dit-elle. Bien sûr que non. Tu ne pourrais
jamais penser comme ça. Ces derniers temps, ça a empiré, dit-elle
ensuite. D’abord, ce n’était qu’un jeu, tu comprends, au lit. Il
aime les choses un peu brutales.
– Brutales ?
– Je le lui ai permis. Permis d’aller de plus en
plus loin. Mais maintenant ce n’est plus du tout drôle, si tant est
que ça l’ait jamais été. Il va trop loin. Tu comprends ?
– Non, fis-je.
– Maintenant, ce n’est plus seulement au lit,
dit-elle en me regardant de ses yeux marron et profonds.
Nous nous tûmes. J’essayais de la comprendre. De
comprendre pourquoi une femme comme elle restait avec cet homme.
Elle semblait lire dans mes pensées. Elle me regarda et je devais
avoir pris un air niais car elle se mit à rire.
– Ne t’inquiète pas, dit-elle. Il m’aime. Je le
sais. Et il ne me ferait jamais rien. Ne crois pas ça !
J’assure.
– Comment tu sais ça ?
– Que j’assure ?
– Non : qu’il t’aime.
– Tu sais comment il est, dit-elle. Il ne pense à
rien d’autre qu’à gagner de l’argent. Il ne pense à rien d’autre
qu’à l’argent. C’est sa seule vraie passion. Amasser de l’argent.
Je sais qu’il m’aime parce qu’une grande partie de ses milliards
(je sais qu’il en a plus de trois) me reviendra s’il meurt avant
moi. Il a assuré mon avenir et ça, chez un homme comme Tozzi, ça ne
veut dire qu’une seule chose : qu’il m’aime, et je le
sais.
– Vous êtes mariés ?
– Non.
– Est-ce qu’il a fait, disons, un
testament ?
– Oui.
Peut-être était-ce impertinent de poser de telles
questions. En réalité, je ne savais quasiment rien d’elle à ce
moment-là, mais il y avait chez elle une telle absence de retenue
et de timidité qu’il me semblait pouvoir tout lui dire, absolument
tout ce que je voulais.
– C’est pour ça que tu restes avec lui ? Pour
l’argent ?
Elle se mit à siroter son champagne.
– Qu’est-ce que tu ferais pour de l’argent ?
demanda-t-elle sans répondre à la question. Qu’est-ce que tu ferais
si tu arrivais à gagner plus d’argent que tu ne pourrais jamais en
dépenser de toute ta vie, quoi que tu fasses ? Tu n’aurais
plus jamais besoin de travailler. Tu n’aurais plus jamais besoin de
quoi que ce soit pour vivre et tu ferais tout ce qui te fait envie,
quelle que soit ton envie. Tu serais libre. Aussi libre qu’on peut
l’être.
– Je ne sais pas, dis-je. Je me suis parfois
demandé comment c’est quand on a plus d’argent qu’on ne peut en
dépenser dans toute une vie. Je me suis demandé si la vie ne serait
pas qu’un rêve. Je n’ai jamais eu d’argent. J’en ai toujours
manqué, mais je n’ai jamais su l’utiliser convenablement. Je ne
trouve pas ça…
Je vis qu’elle ne m’écoutait pas. Elle prit une
cigarette d’un paquet qui était sur la table et l’alluma. C’était
des cigarettes de la marque Hellas. Elle se les faisait expédier en
boîtes en fer-blanc qu’elle me montra. Il y avait quarante paquets
dans chaque boîte. Vu comme elle fumait, je
pouvais imaginer que c’était peut-être sa ration pour un
mois.
– Bien sûr que je ne reste pas avec lui seulement
pour l’argent, dit-elle en riant. Mais sa voix sonnait faux. Elle
pensait à autre chose. Sa voix était lointaine et ses yeux rêveurs.
Il y a tellement d’autres choses que l’argent…
Elle se tut.
– Est-ce qu’il sait comment tu… Je cherchais le
mot juste jusqu’à ce que je le trouve enfin : … comment tu
fonctionnes, comment tu es ? demandai-je. Enfin, je veux
dire…
– Comment je fonctionne ? dit-elle en
attendant une explication.
– Oui, comment tu fonctionnes.
– Non, dit-elle en partant d’un rire enroué. Il
n’en a jamais eu la moindre idée et il ne faut pas qu’il le
découvre.
Je sirotai mon champagne et je me souviens avoir
pensé que jamais je n’avais rencontré une femme comme Bettý. Elle
avait un je ne sais quoi de sans retenue et d’immoral, et malgré ça
de merveilleusement innocent.
– Tu ne peux pas le laisser te frapper,
dis-je.
– Ce n’est rien de sérieux, dit-elle.
J’assure.
– En mettant du maquillage sur ton
ecchymose ?
Elle se tut.
– Il doit avoir au moins vingt ans de plus que
toi, dis-je.
– Vingt-trois, précisa-t-elle.
Elle se blottit contre moi et murmura :
– C’est pour ça que c’est si bon d’être avec
toi.
Je ne bougeai pas et elle s’approcha en mettant la
main sur mon genou.
– Et s’il le découvre ? dis-je.
– Il ne le découvrira pas.
– Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
– On se débrouillera, dit-elle. Tu te fais trop de
souci. Se faire trop de souci, ça donne des rides. Ne te fais pas
de souci.
Elle s’approcha et, avant de m’en apercevoir, je
l’embrassai tendrement sur les lèvres. Je l’embrassai sur le menton
et dans le cou, je découvris un sein en écartant sa robe et lui
embrassai le mamelon. Je baissai les bretelles
de ses frêles épaules et lui embrassai les deux seins. Je fis
glisser la robe plus bas et je l’embrassai sur le ventre, sur le
nombril et sur la fine bande blanche du bikini. Elle se souleva et
je retirai la robe sous elle et la laissai retomber à ses pieds.
Ensuite, j’embrassai les petits poils de sa toison et je sentis en
même temps ses doigts.