L'oie blanche
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C'était un week-end de Toussaint comme bien d'autres, gris et tristounet. Les portes des cimetières étaient comme de coutumes, gaies et colorées.
Pierre, mon compagnon, et moi-même,
Sacha, allions consoler Roland, mon ami d'enfance, qui vivait
sa troisième séparation .
Pour Pierre c'était la première
réunion de ce genre . Moi j'aurais été des trois, et les deux
premières furent une apothéose de rires, dans une beuverie sans
nom, mais où chaque fois un évènement important se
passa .
L’initiale, fut il y a 20 ans.
L'épouse de Roland et mère de ses enfants , le quittait pour
un bel hidalgo et collègue de travail. Roland avait appelé ses amis
à la rescousse, et nous sonnions présent .Il y avait Yannick
mon ex-mari , Stéphane, un autre ami d’enfance.
Laura, une copine désœuvrée et plaquée
de frais, nous accompagnait.
Nous allions rejoindre Roland dans le
village où nous nous étions connus, Stéphane, Yannick et moi,
pendant les vacances que nous passèrent ensemble, de l'enfance à
l'adolescence . Mes parents possédaient une maison de famille
qu'ils avaient sommairement retapée pour y venir l'été, comme les
parents de Yannick et de Stéphane. Roland était l'autochtone
.
Cette fois-là, donc, après quelques
pleurs d'usage, que notre présence assécha, Roland flasha pour
Laura qui le consola le soir même, devenant pour quelques années,
sa compagne . Mission accomplie, nous retournions en plaine le
lendemain, sans Laura !
Le village était accroché en haut des gorges du
Chassesac, prés de Villefort et au pied d'un château
moyenâgeux .
Le lieu pittoresque, se noyait dans
les châtaigneraies et les genets . Il fut le berceau de tous mes
émois d'enfant puis d'adolescente , le terrain de jeu, de batailles
entre bandes rivales des villages voisins, de flirts, et enfin
d'amour dans un calice d'herbe tendre avec Yannick, que j'admirais
depuis toujours. C'était un prince charmant beau, fort et courageux
que je dus, malgré moi, et à mon insu, partager avec plein d'autres
princesses charmantes, pendant que j'élevais nos enfants.
Pierre découvrait les paysages
cévenols d'automne et leur splendeur colorée, ou le vert foncé des
épicéas, se noie dans une palette chatoyante allant du brun au
jaune tendre en passant par le rouge . Les feuilles jonchaient les
bas côtés de la route comme le ferait la neige dans quelques
semaines . Par endroits c'étaient des châtaignes qui occupaient le
territoire des feuilles mortes. Quelques automobilistes
s'arrêtaient pour en ramasser et en faire le souper du soir au coin
du feu .
La conversation dans
l'automobile en vint immanquablement à évoquer la nouvelle
séparation de Roland d'avec Patricia, sa dernière compagne . Pierre
n'avait pas été surpris de la nouvelle et, comme je m'en étonnais,
il répliqua un peu sèchement :
— Mais enfin Sacha, tu n'as pas vu son
manège depuis ces années, elle en avait que pour son fric et ça se
remarquait. Ce n'était pas le charme des Cévennes, ni le bide de
Roland qui la faisait tenir . Elle voulait se marier, et quand elle
a compris que Roland, pour une fois, serait ferme à ce sujet, elle
est partie pour séduire le premier venu, avec le talent d'une nana
qui affiche des heures de vol au compteur .
Des heures de vol au compteur,
L'expression m'était encore inconnue. Née, sans doute, dans
quelques hangars de l’aviation balbutiante, où les hommes régnaient
encore en maîtres.
Je connaissais les filles faciles,
celles que seul le train avait épargnées, je connaissais les
baisables, les bonnes, voire, la plus salace : pignes au cul
mettables. Mais pas celles qui affichaient des heures de vol au
compteur.
Cette nouvelle expression du
vocabulaire masculin m'offusqua un peu, juste un peu.
Il faut reconnaître que les
expressions, relatant le nombre de partenaires féminins du mâle,
étaient plus restreintes et quelques par, moins péjoratives :
coureur, tombeur, chaud lapin, au pire, baiseur . L'homme porte
souvent ces étiquettes comme des blasons .
— Le passé de Patricia ne nous
intéresse pas, c'est hors sujet. Sa vie sexuelle avant Roland
n'entre pas dans le débat .
Pierre perçut cette réponse avec un
petit sourire .
— OK ! Ne le prend pas mal, tu as
parfois des réactions d'oies blanches, quand on parle de
l'amour.
D'oies blanches ! Encore une expression inconnue .
J'imaginais très bien son sens : vierge éplorée, fleur bleue,
romantique . Moi ? une oie blanche ?
Peut-être oui. J'avais cru à l'amour
avec Yannick, mon beau Yannick qui, avec l'âge et l'alcool, devint
de moins en moins beau, de plus en plus lourd de silhouettes et
d'esprit .
Je me replongeais, dans l'atmosphère de la deuxième séparation
de Roland, il y a 10 ans . Encore une fois Yannick, Stéphane et moi
accourions. Le repas fut copieux et arrosé comme de coutume, et
Yannick, comme de coutume, depuis quelques années, fut saoul.
Stéphane devait partir tôt le lendemain matin, aussi avait-il
quitté la table à une heure raisonnable, sobre comme
toujours.
Nous nous sommes retrouvé seuls,
Roland et moi, pour transporter mon mari, ivre mort, sur l’un
des lits jumeaux de notre chambre . Un peu essoufflé Roland
s'assit près de moi sur l'autre lit. Sous les ronflements
tonitruants de mon ivrogne d'époux, il me raconta sa séparation
douloureuse d'avec Laura, ses déboires avec ses enfants qui ne
supportaient pas leur belle mère et vice-versa.
Bref, il raconta la longue liste de
tous ces petits compromis anodins, ces petites tracasseries qui
font le quotidien des couples recomposés et qui leur bouffent la
vie.
Par moment, et je pense l'alcool
aidant, il pleurait sur mon épaule, je lui caressais les cheveux .
Il m'embrassait sur la joue, je l'embrassais sur le front. Il était
comme un frère Roland, et je le consolais en sœur, jusqu'à ce qu'il
aventure ses lèvres sur mon cou et que je le laisse faire.
Bientôt ses mains qui câlinaient mon dos par-dessus le pull,
se glissèrent sur ma peau . Des frissons m'envahirent, je laissais
aller ses doigts, je laissais aller mon corps qui s'allongea sur le
petit lit . Nos lèvres s'effleurèrent, puis je saisis son cou et
appuyais ma bouche, mon corps, mon bassin contre le sien.
Une main glissa doucement sous mon
soutient gorge , je relâchais mon étreinte un instant, histoire de
me poser une question qui demeura sans réponse, j'arrête?
Puis au rythme des ronflements de
Yannick, si proches que je sentais parfois son souffle alcoolisé
sur ma peau, nos corps nus dansèrent un voluptueux ballet,
accompagné d'un duo de gémissement psalmodiant notre jouissance .
L'oie blanche s'était offert une nuit d'amour, extraconjugale,
presque incestueuse, avec un ami d'enfance et sur le lit jouxtant
celui de son mari endormi .
Voilà la seule aventure adultère de
l'oie blanche, pensais-je. Mais quelle aventure! Mon Dieu que ce
fut bon ! Bref, mais bon.
Nous partions Yannick et moi le
lendemain. Il n'y eut pas de suite à cette étreinte, nous n'en
avons jamais parlé, même dans les rencontres épisodiques qui
suivirent. Je divorçais d'avec Yannick un an plus tard, lassée de
sa lente descente aux enfers de l'alcoolisme, pour rencontrer
Pierre, l'homme de ma vie, et compagnon depuis 10 ans .
Pierre est un homme
merveilleux, attentionné, doux, amoureux encore et sobre, le rêve,
enfin, mon rêve. Pas macho pour deux sous, mais bon, c'est un
homme, et il a du mal à l'oublier quand il parle des femmes, même
s'il fait des progrès .
Mais peut toujours mieux faire !
Une arête de l'oie blanche, ce
jour-là, avait dû me rester coincée dans la gorge . Je restais donc
muette jusqu'à notre arrivée dans le village.
Je pus, à loisir, observer le paysage,
et les mille recoins de mon enfance, aux abords du hameau.
Surtout le mûrier, là dans le champ,
c'était un soir d'août, l'air exhalait des parfums de foin coupé,
je devais avoir 14 ans ou 15, je ne sais plus exactement. Stéphane
m'avait pris la main en regardant les étoiles. Cette main m'a
bouleversée, je ne sais pourquoi. Est-ce sa douceur, sa chaleur,
l’interrogation fugace de la signification de ce geste ? Enfin
ce fut un plaisir que je ne ressentis plus en saisissant la
main d'un amoureux pour la première fois . Nous nous sommes assis
sous le mûrier centenaire, sa main a lâché la mienne pour la poser
sur mon épaule. Nos visages se sont tournés l'un vers l'autre, et
nos bouches se sont unies. Nos langues d'abord timides, ont tâté le
terrain puis se sont livrées à une exploration méthodique de la
cavité qui jusqu'alors était défendue .
Ne mets pas tes doigts à la bouche,
c'est sale!
Ne lèche pas la cuillère de ton
frère!
Jusqu'aux quelques gouttes de salive
sur la joue qui me faisaient horreur lors d'un bisou, et que
j'effaçais d'un revers de main avec précipitation .
Je ne sais plus si c'était la
sensualité du baiser, ou bien la transgression d'un interdit, la
remise en cause de l'hygiène élémentaire inculquée depuis l'enfance
qui me donnait du plaisir.
Je m'étais, même, exceptionnellement, lavée les dents ce
jour-là, prémonition ?
Le flirt dura quelques jours, en fait
jusqu'à la fin très proche des vacances. Le dernier baiser se fit
sous le mûrier. L'année suivante Stéphane ne semblait plus attiré
par mon charme . C'est Yannick qui prit le relai, vous savez la
suite.
Cependant j'ai gardé une immense affection pour Stéphane, pour ne
pas dire autre chose. D'autant plus que des trois amis d'enfance,
il resta au fil des ans, beau, svelte, toujours séduisant et
distingué . Je ne le vis qu'une fois, accompagné d'une amie.