Le déjeuner fut un désastre. La beauté de la
vaisselle, la qualité de la cuisine, la puissance des vins ne
faisaient que renforcer l’absence de Marc. Il nous restait moins de
trois heures avant d’affronter son cercueil et son frère. Un repas
d’obsèques précédant l’enterrement, c’était déjà contre nature,
mais le déguiser en banquet de bienvenue pour une fiancée qui
feignait d’être dupe augmentait encore la tension au fil des
minutes.
Chacun de nous luttait à sa manière contre le
compte à rebours. Bany racontait le mariage de Costals dans
Les Jeunes Filles de Montherlant. Lucas
parlait de la succession du président Hu Jintao. Jean-Claude
commentait le plat de résistance, galinette au pistou, expliquant à
Yun pourquoi c’était le meilleur poisson de la Méditerranée,
surtout servi avec des beignets de fleurs de courge, afin de l’initier à la gastronomie niçoise qui,
malgré ses découvertes culinaires aux quatre coins du monde,
demeurait la préférée de Marc. Déborah l’interrompait, parlant à sa
nouvelle copine de chanteurs et de marques de pompes qui ne nous
disaient rien. Yun connaissait, renchérissait, comme si elle avait
potassé durant des semaines les références d’une ado
parisienne.
Jean-Claude contemplait leur connivence avec une
fierté de chef de famille. Il se mêlait à la discussion,
s’intéressait, voulait tout savoir à présent de l’univers de sa
fille, comme pour rattraper le temps qu’il avait gâché à pleurer
sur sa femme. Son énergie de papa modèle était encore plus soûlante
que la déprime de divorcé trompé qu’il nous infligeait depuis deux
ans.
– L’un de vous a des nouvelles de
Marc ?
Tout le monde s’est tourné vers Yun, qui avait
lancé sa question en ouvrant son beignet de fleur de courge comme
on désarête un poisson.
– Il n’y a pas de réseau, là où il est, a
marmonné Lucas.
– Pour demain, il a prévu un programme
précis ? Que faites-vous, d’habitude, le soir de
Noël ?
Nos bruits de couverts ponctuaient le ronflement
des flammes au gaz dans la cheminée.
– C’est qu’elle ne connaît même pas les
maisons ! s’est exclamé Jean-Claude pour réchauffer
l’atmosphère.
Il est allé chercher dans son appartement du
grenier notre album de famille, qu’il a ouvert devant Yun comme on
présente un menu. Villefranche le soir des quarante ans de Marc,
l’avenue Junot le jour de l’acquisition, Chevreuse après et avant
les travaux, l’hôtel Demarne dans tous ses états, de l’inauguration
officielle à la dépose de la charpente… Yun tournait les pages à
l’envers, remontant notre vie, nos vacances, nos amours, nos
chantiers, pour en arriver au lycée Masséna, sur la scène du club
théâtre où Marc nous avait distribués pour la première fois dans
une pièce de Camus : Les
Justes.
Elle s’est moquée de nos looks rebelles de classes
préparatoires, puis a désigné, sur la page de garde, Jaja sortant
de la mer au temps où elle ressemblait à une starlette américaine.
Elle nous a demandé de lui raconter son histoire, la seule part de
notre vie que Marc avait laissée dans l’ombre.
Intarissable, Jean-Claude lui a dépeint l’Algérie
de Janine Hessler, la mort qu’elle avait
évitée de justesse, son rapatriement, sa folle histoire d’amour
secrète avec le père des jumeaux, leur villa jaune au-dessus de la
rade de Villefranche…
– C’est si important, pour Marc, qu’on se
marie là-bas ?
– Evidemment ! s’est rengorgé
Jean-Claude. C’est notre lieu magique, le départ de ce que nous
avons construit… Quoi qu’il arrive dans nos vies, ç’a toujours été
notre point de ralliement. Allez, on passe au château-de-bellet
2002, le plus grand cru des collines de Nice, production dérisoire
et vinification de génie ! C’était le préféré de Marc.
L’imparfait a sonné le glas des réjouissances.
Pour détourner l’attention de Yun, Lucas l’a branchée sur les JO de
Pékin, puis il a embrayé, avec ses gros sabots, sur la censure
Internet et les Droits de l’homme. Elle est restée vague, détachée,
courtoise. A la fin de la bouteille, il l’a attaquée sur le Tibet.
Elle a subi sans broncher l’invasion chinoise de 1950, le génocide,
la destruction des monastères. Puis, à la dernière bouchée de son
poisson, elle lui a rappelé d’une voix posée l’origine de la croix
gammée, symbole sacré de bon augure en Inde, détourné et offert à
Hitler par un moine tibétain.
Il a brisé son verre en le reposant.
– Tu n’es quand même pas en train de traiter
les Tibétains de nazis ? Eux que ton pays torture, déporte,
extermine…
– J’évite de généraliser, comme tu devrais le
faire.
Lucas a quitté la table. Jean-Claude s’est levé
pour le ramener, juste au moment où sa fille s’étranglait avec une
arête. Il a lâché le fauteuil roulant pour courir aux toilettes
avec Déborah.
Bany et moi sommes restés seuls avec Yun, dans un
silence rythmé par les vomissements sporadiques de l’ado, que son
père encourageait par des acclamations de supporter.
– Qu’est-ce que tu as raconté à Déborah,
exactement ? s’est informé Bany avec curiosité, pour
dédramatiser la sortie de Lucas.
– Que si elle voulait que ses parents ne se
réconcilient jamais, a répondu Yun, elle devait changer de
stratégie.
J’ai demandé :
– Et c’est quoi, la nouvelle
stratégie ?
– Faire croire à son père que c’est sa mère
qui l’avait obligée à mentir, pour toi et lui. Dis-moi, tu n’avais
pas rendez-vous à la galerie ?
Prise de court, j’ai hoché la tête en m’essuyant
la bouche. Elle a insisté :
– Nous y allons ?
J’ai consulté Bany du regard. La situation nous
échappait, la désertion de Lucas avait cassé la dynamique de
groupe. A mesure que l’échéance se précisait, nous perdions pied.
J’en venais à penser que ce serait une erreur d’assister à la
crémation. Un retour en arrière sans effet, un hommage dénué de
sens, un affrontement stérile avec Jérôme. Nous devions nous
résoudre à lui abandonner la dépouille et les cendres. Ce n’est pas
au crématorium que Marc nous attendait. Notre avenir était
ailleurs.
– Je vous dépose, a suggéré Bany en réponse à
mon regard.
– On file aux urgences ! a décidé
Jean-Claude en revenant dans le salon, soutenant sa fille
livide.
– Ça va, pap, je l’ai avalée…
– On ne sait jamais où ça peut se loger.
Clémence, appelez un taxi et le Pr Lachaux à la clinique
Saint-Paul : je veux un scanner.
Lui aussi avait trouvé le prétexte idéal pour
sécher les obsèques. Sur le seuil, il s’est retourné vers
Yun.
– En dessert, je vous ai prévu tarte aux
citrons de Menton, sorbet garrigue ou crème
brûlée à la lavande. Bonne fin d’appétit, pardon, je vous tiens au
courant, à tout à l’heure.
On s’est regardés. Yun a couché ses couverts en
travers de son assiette et s’est levée :
– Je monte prendre mon manteau.
Jean-Claude, le visage radieux, a cru un instant
qu’elle voulait venir avec eux. Quand il a compris qu’elle
m’accompagnait à la galerie, j’ai vu dans ses yeux le rêve déçu
d’une famille recomposée autour d’un problème médical. Il est
sorti la tête basse, en serrant l’épaule de sa fille.
*
* *
* *
Sur le trottoir, tandis que Bany allait chercher
la voiture, Yun a observé Lucas en haut de la rue Cortot. Il
moulinait des bras sur place, empêtré dans les congères. Sur un ton
de conciliation, elle m’a dit :
– On pourrait le ramener chez lui,
non ?
– Ça l’énerverait encore plus, il habite à
cent mètres. Et il a ses pneus neige.
Elle a remis droit le col de ma veste en cuir,
rajusté mon écharpe et m’a murmuré, les yeux dans les
yeux :
– Pourquoi vous l’incinérez si
tôt ?
J’ai répondu que c’était la décision de
Jérôme : sans doute souhaitait-il rentrer le plus vite
possible dans sa famille lyonnaise, pour fêter Noël tranquille avec
ses quatre enfants.
– Et sa mère ?
– Ça fait dix ans qu’il veut la mettre en
maison de retraite médicalisée. Marc s’y est toujours opposé. On
s’occupait d’elle à tour de rôle, mais là… On n’a plus voix au
chapitre.
– Tu crois que je dois être présente à la
cérémonie ?
Je n’ai su que répondre. Je l’ai regardée
boutonner son manteau de velours zébré. Si cela ne tenait qu’à moi,
on ferait toutes les deux la crémation buissonnière. A l’heure où
des jet-setteurs d’avant-premières s’apitoieraient devant des
flammes invisibles, on resterait elle et moi à la galerie, dans mon
élément, ce décor de mes passions où Marc s’était tant investi. Sa
mémoire, dans une heure et demie, ce serait là, quai Voltaire, que
je lui rendrais hommage, au milieu des chefs-d’œuvre qu’il m’avait
permis de réunir, d’exposer, de faire changer de mains.
– Tu crois que je dois être présente ?
a-t-elle répété.
– Je ne pense pas que ce soit
nécessaire.
– Il faut confirmer l’option, alors.
– L’option ?
– L’option que vous avez prise pour mon
billet de retour. J’ai appelé China Airlines.
Le vent glacé a fait rouler vers nous une canette
de bière dans le caniveau. Queen Mum est arrivée juste derrière, au
pas, prenant toute la largeur de la rue, couinant sur les pavés
disjoints.
– On ne sait plus trop où on en est,
Yun…
– Moi non plus. Mais vous avez le choix. Ou
vous me remettez dans l’avion demain matin, ou vous me tirez au
sort.
J’ai frissonné. La même expression que Marc,
avant-hier soir, au moment de répartir les témoins.
– Votre but, si j’ai bien compris, pour
atténuer mon drame, c’était de me rendre amoureuse de l’un de vous.
N’est-ce pas le contraire qui est en train de se produire ?
Bany et Jean-Claude sont preneurs, tu as su te placer, et Lucas
sera sur les rangs avant la fin de la nuit : j’y
veillerai.
Je n’ai pas bronché. Tant de cynisme exprimé avec
une voix si douce, c’était un tour de force qui n’était pas seulement dû à l’accent suisse. Et
l’attaque était d’autant plus efficace que c’était notre propre
tactique qu’elle reprenait à son compte.
La vieille auto s’est arrêtée, a reculé pour
ménager l’ouverture des portières entre les créneaux de béton qui
empêchaient de stationner sur le trottoir.
– Mais il y a une troisième solution, qui me
permettrait de rester fidèle à Marc. Tu m’emploies à la galerie. Tu
fais de moi une vraie peintre sous mon nom : tu me montres ce
qui se vend en ce moment sur le marché français, je m’en inspire et
tu me lances.
L’ongle de son index a dessiné un visage sur le
dos de ma main.
– A moins que tu ne préfères exploiter en
secret mes talents de faussaire, si tu les estimes plus rentables…
Ça m’est égal. Inscris-moi dans un cadre : si je
l’accepte, je deviens alors totalement docile et heureuse. A toi de
voir avec ta conscience.
Une camionnette est arrivée derrière la Rolls, a
klaxonné. Yun est montée à l’arrière et a refermé la portière,
m’incitant clairement à m’asseoir à côté du chauffeur.
Insensiblement, nous étions passés du statut de comité d’accueil au
rôle d’exécutants de ses quatre volontés.
– Dans l’esprit de cet arrangement, a-t-elle
poursuivi quand la voiture a redémarré, je pense que vous auriez
tout à gagner si nous respections le désir de Marc.
Elle a sorti de son sac une enveloppe qu’elle m’a
tendue. J’ai croisé le regard en alerte de Bany qui négociait le
virage pour descendre la rue des Saules. C’était une copie du
contrat de mariage que j’avais trouvé dans la boîte à gants.
– Il existe une façon et une seule
d’appliquer l’article premier, a-t-elle enchaîné en mettant sous
mon nez la page 2.
J’ai joué franc jeu ; j’ai dit à Yun que nous
étions au courant, mais que légalement seul le président de la
République pouvait accorder l’autorisation nécessaire.
– Je sais. Marc a beaucoup photographié sa
femme, n’est-ce pas ? C’est à elle qu’il faudrait demander. Je
pense qu’elle sera là, à dix-sept heures, ou qu’au moins elle
enverra une personne importante pour la représenter.
Banyuls a arrêté la voiture au coin de la rue
Saint-Vincent. Il s’est retourné vers elle, bouleversé par ce
qu’impliquait sa dernière phrase. Non seulement elle nous avait
menés en bateau pour nous aider à tenir notre
cap, mais sa stratégie de sauvetage était calquée sur la nôtre. Il
ne lui a pas demandé de quelle manière elle avait appris le décès.
Il lui a simplement présenté ses excuses pour le mensonge dans
lequel on s’était enferrés depuis ce matin.
– Elles n’ont pas lieu d’être, Bany, a-t-elle
répondu avec la bienveillance d’une patronne qui refuse la
démission de son bras droit. Jean Cocteau a écrit : « Je
suis un mensonge qui dit la vérité. » Vous m’avez offert le
plus beau des cadeaux de mariage, par le mal que vous vous êtes
donné. Et ce n’est pas terminé, je le sais.
Elle s’est laissée aller au fond de la banquette,
a ôté ses chaussures, étendu ses jambes sur le cuir fauve, et calé
sa tête sous le petit miroir de courtoisie cerclé d’acajou.
– J’ai la tête qui tourne, avec tout ce vin
blanc. Vous me réveillez quai Voltaire ?
*
* *
* *
Bany nous a déposées devant la galerie, puis il a
continué le long de la Seine. Yun s’étirait en regardant ma
vitrine, où j’exposais la peintre contemporaine sur laquelle je
misais le plus en ce moment : Soÿ. Je
venais de lui décrocher la Biennale de Venise, sa cote s’envolait
depuis six mois et bientôt elle n’aurait plus besoin de moi.
J’ai poussé la porte, j’ai dit à Fernando qu’il
pouvait aller déjeuner. Avec un soupir exténué, il a attrapé sa
gibecière Hermès, m’a signifié qu’il avait encore reçu une offre à
soixante mille pour le Claire Damms, que L’Escalier de Jean-François Farion resterait à
Beaubourg et que le Jackson Pollock d’Atlanta nous était passé sous
le nez. Puis, à court de mauvaises nouvelles, il s’est déhanché sur
le quai vers son restaurant végétarien.
J’observais Yun, en arrêt devant mon Soÿ
préféré : un homme en méditation, l’air lucide et harmonieux,
un crucifix à la place du sexe. Elle le contemplait comme on
absorbe une série d’informations. Son regard scannait, ses narines
identifiaient le vernis, son doigt mémorisait la texture et le
travail de la pâte. C’était la plus productive de mes artistes sous
contrat ; cet examen préliminaire ne s’imposait guère. J’ai
pris la Shanghaïenne sous le bras et l’ai emmenée face à mon
crève-cœur : le dernier Claire Damms que je ne pouvais me
résoudre à vendre. Un cadavre de sirène à demi dévoré sur une
plage.
Le visage de Yun s’est assombri et sa respiration
s’est accélérée, comme si elle captait la souffrance de mon amie à
travers son œuvre ultime.
– Qu’en penses-tu ?
– Je ne porte jamais de jugement, Marlène.
J’assimile et je recrée, c’est tout. Sirène, 2007. Tu veux que je t’en fasse une
copie ?
– Non.
J’ai donné un tour de clé à la porte de la
galerie, j’ai descendu l’escalier en colimaçon qui menait au
coffre, et j’ai remonté La Mante, 2004.
En silence, Yun a dévisagé mon portrait en femme-insecte, sur la
toile lacérée de dix coups de couteau. Le tableau n’était pas
restaurable ; les points de suture auraient dénaturé mon
regard, mon sourire de confiance, ma détresse. Tout l’amour
clairvoyant avec lequel la peintre avait traduit mon âme.
– Il te faudrait combien de
temps ?
– Je ne sais jamais, la première fois. Ça
dépend du nombre d’esquisses. Tant que je n’ai pas retrouvé le
trait initial ni compris l’angle d’attaque, je reste à
l’extérieur.
– Viens.
Le tableau sous le bras, je l’ai conduite au
premier, dans les trois pièces en enfilade donnant sur la Seine qui, pendant six ans, avaient servi
d’atelier à Claire. Tout était resté en l’état. On ne venait
jamais, on dormait au-dessus.
Je lui ai montré les casiers où s’entassaient les
toiles vierges.
– Choisis le format qui te convient. Il
me faut du fidèle, pas de l’identique. C’est juste pour moi.
Elle est allée prendre un châssis
70 × 100 au fond déjà préparé. Elle l’a calé sur le
chevalet. Elle a inspecté les pinceaux dans les verres, les brosses
neuves entassées dans une auge. Puis elle s’est replongée dans
La Mante. J’ai revu la violence de
Claire, l’an dernier, la folie dans ses yeux fixes en manque de
crack. Ses coups de lame dans la toile, devant moi, comme si elle
me tuait par procuration. Regarde ce que je fais de toi, de ton
amour, de ton aide, du talent que tu exploites, quitte-moi,
fous-moi la paix, laisse-moi crever… Sa période térébenthine et
terre de Sienne, où elle avalait ce avec quoi elle n’arrivait plus
à peindre.
J’ai oublié Marc, soudain, j’ai oublié l’avenir,
j’ai oublié la réalité en dehors de la toile en cours. Yun avait
trouvé dans un tiroir les pastels gras qui avaient servi de base à
La Mante. Je me suis vue prendre corps
peu à peu sous ses doigts, comme si je
renaissais dans le regard de Claire. Comme si la vision de cette
étrangère, son empathie et sa technique me restituaient l’amour
auquel je n’avais plus droit.
Lentement j’ai reculé, j’ai laissé la jeune fille
me redonner vie, oscillant du regard et des doigts entre ces deux
versions de moi, l’originale détruite et sa réplique en devenir.
Elle transférait les données de l’une à l’autre, et je n’existais
plus en dehors de ce transfert.
– Je peux rester seule, Marlène ?
Sur la pointe des pieds, je suis montée au second.
J’ai ôté ma veste et mes boots, dénoué mon écharpe. J’ai enlevé mon
jean, mon pull, mes sous-vêtements. J’ai regardé dans la glace
cette nudité qui ne servait plus à rien, ces formes qui survivaient
en pure perte à la quarantaine, aux pâtisseries, au désespoir, aux
fausses joies par lesquelles je donnais le change. Ma vie de femme
était finie, je l’avais décidé pour être enfin zen, et même cette
résolution qui m’avait sauvée me tombait du cœur, à présent.
Je me suis allongée contre le corps de Claire, ses
trente-cinq kilos englués dans le pseudo-sommeil des calmants. Son
seul moyen de lutter contre la drogue. Un
remède encore plus pervers que le mal ; une dépendance de
plus, et l’apathie en prime.
Mon amour, mon espoir, ma fierté. Un légume.
J’ai fermé les yeux et je me suis caressée de sa
part, comme si elle me voyait encore. Mais c’est l’image de la
petite fourmi d’en bas qui s’est substituée à la sienne. La petite
faussaire qui était peut-être en train de me rendre à moi-même, sur
la toile comme à la ville… Je n’étais plus à une illusion près.
« C’est quand on a tout perdu qu’on se retrouve. » Tu
parles. C’est quand on croit avoir retrouvé une raison de vivre
qu’on risque le plus de se perdre. Mais j’irai jusqu’au bout.