LA VOIE DES TÉNÈBRES
Matthew Stover
Chronologie
-68 av BY
Après avoir écrit de nombreux romans, comme la novélisation de La Revanche des Sith, Point de Rupture ou encore Le Traître, Matthew Stover se lance dans la fabuleuse aventure des short-story.
Parue dans l’Insider 130 de Décembre 2011, The Tenebrous Way se déroule à la fin du premier chapitre du roman de James Luceno, Darth Plagueis. Durant la lente agonie de Dark Tenebrous, dont vous découvrirez l’origine dans le roman précité, celui-ci nous dévoile ses recherches concernant les midichloriens, sa quête d’un apprenti spécial, et son plan pour dominer la galaxie.
Titre original : The Tenebrous Way
Mourir, constata Tenebrous avec surprise, n’allait pas simplement être très plaisant, mais complètement merveilleux. Il aurait su qu’il allait adorer le procédé, il n’aurait pas attendu durant toutes ces décennies que son fol apprenti Plagueis le lui fasse expérimenter.
Ainsi, alors même qu’il gisait, haletant à la vue des pics de glace qui transperçaient ses poumons, Tenebrous sourit. Alors même que son corps se rebellait par moult saccades et convulsions contre la chute de cette nuit éternelle, alors même que ses organes s’éteignaient les uns après les autres afin de maintenir une étincelle de lumière et de vie au cœur du réseau complexe que formait son cerveau – l’un des plus gros parmi ceux des Biths, une espèce réputée pour ses prouesses intellectuelles – Tenebrous trouva particulièrement amusante la disparition progressive de ses propres midichloriens. Sa perception de la Force était encore plus aiguisée que le pouvoir qui se lisait dans ses énormes yeux ; dans la Force, il pouvait sentir individuellement chaque midichlorien s’évanouir, agrandissant la part d’ombre en lui, telles des étoiles éclipsées par la silhouette d’un vaisseau en approche.
Ou tombées dans l’horizon sans fin d’un trou noir.
Ah, les ténèbres. Enfin les ténèbres. Les ténèbres dont il avait rêvé. Les ténèbres qu’il avait planifiées. Les ténèbres qui avaient été son seul véritable amour. Les ténèbres, qui avaient inspiré son nom.
Après tout, n’était-il pas Dark Tenebrous ?
Sa vue se troubla. Son ouïe perçut un bruissement de vent, tel un grésillement statique sur un appareil de mesure – puis ce fut le silence. La seule sensation enregistrée par sa chair frémissante était le raclement des ses os brisés et sa lente suffocation heurtant sa conscience, alors que ses poumons perforés ne pouvaient absorber qu’une infime fraction de l’oxygène requis par son cerveau massif.
Mais cela n’importait plus. À l’abri de la souffrance grâce à sa maîtrise de la Force, Tenebrous observait la lente agonie de sa forme physique avec l’absence de passion spécifique aux Biths. Et désormais, grâce à ses perceptions incroyablement affinées, il perçut l’aura de Plagueis, alors que l’apprenti sondait les midichloriens de son maître mourant à l’aide de la Force, tel que Tenebrous avait prévu qu’il le ferait. Tenebrous avait passé des décennies à s’assurer que Plagueis serait incapable de résister à accomplir ce qu’il était en train de faire.
Tout se déroulait selon ses plans.
Idiot, pathétique Plagueis.
L’apprenti Muun de Tenebrous n’appréhenderait jamais ses propres limites. Ces limites étaient d’abord dues à la fâcheuse tendance des Muuns, en tant qu’espèce, à considérer chaque action comme une transaction se devant d’être manipulée pour un profit maximal. Mais non, la vraie faiblesse de Plagueis était la peur. Une peur si profonde et pénétrante que l’idiot ne savait pas encore la considérer comme une émotion – malgré des dizaines et des dizaines d’années d’apprentissage. Plagueis avait clamé qu’il ne s’agissait nullement de peur, mais plutôt de prudence rationnelle. Mais Tenebrous connaissait la vérité. Et l’avait toujours connue. Tenebrous avait choisi son apprenti spécialement à cause de ça.
Plagueis avait peur de mourir.
Si Tenebrous avait été le genre d’individu à éprouver de la pitié, il en aurait sûrement éprouvé un peu à l’encontre de son apprenti. Terrorisé, Plagueis ne connaîtrait jamais la liberté d’une volonté illimitée qui était le vrai héritage des Sith de Bane. Et si Tenebrous avait été le genre d’individu à être impartial concernant ceci, il n’aurait jamais accepté les excuses concernant l’inaptitude de Plagueis. Mais comme la pitié et la justice lui étaient totalement étrangères, Plagueis se rappelait avec délectation les tracas incessants de son apprenti tout au long des leurs longues, longues années vécues ensemble. Il avait constamment remué le couteau dans la plaie de Plagueis, s’assurant qu’il ne pourrait jamais guérir.
Même les animaux ne craignent pas la mort, Plagueis. La plus inférieure des bêtes fait preuve de moins de « prudence rationnelle » que toi. Ils ne craignent que la douleur et les blessures. Les lumières brillantes et les sons bruyants. Tu vaux encore moins qu’une bête. Tu es effrayé par un simple concept – un concept que tu es incapable de comprendre.
Ainsi avait-il soigneusement préparé le terrain. Ainsi avait germé la graine de cette peur chez Plagueis puis s’était muée en obsession. Ainsi Tenebrous avait astucieusement redirigé les aptitudes inégalées de Plagueis vers la manipulation des midichloriens et l’avait éloigné de l’approfondissement des visions, des intuitions du futur, et d’un amas de pouvoirs personnels et politiques et de quelconques buts qui auraient entravé la progression du plan de Tenebrous et de son ultime objectif. Un objectif que Tenebrous avait choisi dans son propre intérêt.
La maîtrise de la vie et de la mort.
Plus d’un siècle auparavant, lorsque Tenebrous était lui-même un apprenti Sith, la puissance de son cerveau Bith l’avait mené bien plus loin que les études simplistes sur la Force imposées par son Maître. Il avait toujours été beaucoup trop intelligent pour être séduit par les traditionnels radotages métaphysiques Sith sur une destinée sombre et une stupide fantaisie d’une guerre sans fin contre le tout aussi stupide Ordre Jedi. Il eut bientôt confirmé, à sa grande satisfaction, que le côté obscur de la Force, loin d’être un sentiment mystique maléfique répandant la souffrance à travers la galaxie, était en vérité une simple source d’énergie, et un outil grâce auquel il pouvait imposer sa volonté à la réalité. C’était une sorte d’amplificateur naturel qu’il pouvait utiliser afin d’accroitre les effets de ses nombreuses habilités.
Aucune d’entre elles n’était aussi utile que son incomparable intelligence.
Comme de nombreux Sith avant lui, il avait concentré ses pouvoirs vers la connaissance du futur. Mais au contraire des autres Sith, il possédait l’énorme cerveau propre à son peuple, qui combinait une puissance de traitement brute avec un niveau de précision analytique au-delà des capacités de n’importe quelle autre espèce. Le futur était toujours en mouvement, et pendant que d’autres Sith luttaient pour apercevoir le plus infime indice de ce qui allait se produire, Tenebrous n’avait pas besoin de voir le futur.
Il pouvait le calculer.
Alors qu’il n’était encore qu’un simple apprenti, ses analyses lui avaient montré la fin inévitable des Sith de Bane et de leur absurde Règle des Deux. Ses calculs indiquaient la venue d’une ombre tellement vaste qu’elle marquerait la fin des Jedi et des Sith tels que la galaxie les connaissaient jusqu’à présent. L’arrivée de cette ombre signerait la fin de l’histoire elle-même.
Tenebrous n’avait pas le moindre doute quant au fait que la galaxie toute entière mesurerait le temps selon l’arrivée de cette ombre. On indiquerait les évènements selon s’ils s’étaient déroulés avant l’ombre ou bien après son arrivée.
Bien que la nature exacte de cette ombre reste cachée, la logique implacable de ses extrapolations détaillait la future destruction de la Règle des Deux, et la venue de ce qui deviendrait connu sous le nom de « Sith Unique ». Un Sith Unique ! La conclusion était si évidente qu’elle n’appelait aucune confirmation : un seul Seigneur Sith allait acquérir tellement de pouvoirs qu’il n’aurait plus besoin d’apprenti et ne craindrait plus les Jedi. Il détiendrait et maintiendrait la galaxie de sa main, seul. Sans apprenti – ni d’Ordre Jedi – pour le détruire, le Sith Unique règnerait pour toujours !
Une perspective attirante, mais avec un seul inconvénient : Tenebrous n’était pas destiné à être ce Seigneur Sith là. Sa propre mort était clairement écrite, totalement inévitable, et elle précéderait la venue de l’ombre de plusieurs décennies. Son destin était explicitement mentionné par les nombres, et les nombres ne mentaient pas. Néanmoins – comme Tenebrous vint à le découvrir après de nombreuses années de recherche, d’observation et de calculs – il était possible que les nombres soient, disons, incomplets.
La clé, avait-il découvert, était insidieusement cachée dans une obscure légende référencée dans le Journal des Whills, à propos d’un héros typique de la majorité des cultures – la sorte de sauveur qui apparaissait dans les mythes fondateurs de chaque société un tant soit peu développée. Ce qui distinguait ce sauveur de ces équivalents plus réglementaires était que – selon quatre traductions sur onze existantes – il était « né de pure Force ». Après trois années dévouées à l’étude des interprétations possibles et de leurs significations, Tenebrous affirma qu’une telle naissance était en fait possible, au moins métaphoriquement – « né de pure Force » pouvant indiquer la création d’un être vivant en manipulant directement les midichloriens dans un être déjà vivant.
De plus, comme Tenebrous le découvrit avec une excitation croissante, le potentiel d’un tel être vivant dans la Force serait limité non pas par le taux de midichloriens de son créateur, mais seulement par le niveau de discipline et d’attention de celui-ci. En fait, ses calculs indiquaient une gamme de pouvoirs bien plus étendue que la sienne. S’il était fabriqué convenablement, ce « sauveur » pourrait avoir un taux de midichloriens aussi élevé que cinquante mille ! Peut-être même plus. Il serait possible de créer un être avec le plus grand potentiel dans la Force qui n’ait jamais existé !
Et – en appliquant subtilement sa propre variation de l’ancienne méthode brutale Sith du transfert d’essence – Tenebrous était sûr que sa propre conscience serait présente lors de la création de cet être, ce sauveur, cet Élu. Et, au moment de la création – bien avant que cet Élu ne puisse résister – Tenebrous se saisirait de lui. Il deviendrait lui.
Avec cet unique coup, des décennies après sa mort physique, il deviendrait le plus puissant utilisateur de Force de la galaxie.
Tout était là, dans les nombres. Il ne pouvait pas échouer.
Une fois son analyse poussée au énième degré, polie telle une gemme parfaite dénuée du moindre défaut, Tenebrous avait voué chaque seconde de chaque jour de sa vie à l’accomplissement de son plan. Rien n’allait être laissé au hasard. Il avait éliminé son maître tremblotant avec son efficacité coutumière et avait immédiatement embarqué pour une quête de plusieurs décennies, à la recherche de son propre apprenti. Et pas seulement un apprenti, mais l’apprenti : celui qui possédait une combinaison spécifique d’aptitudes bien particulières – principalement la perception et la manipulation des midichloriens – mais également certaines faiblesses, comme un attrait peu développé pour le profit personnel ou un effroi incommensurable envers les royaumes inconnus présents au-delà des murs de la mort.
Un apprenti dont l’unique but serait de créer l’être que Tenebrous deviendrait.
Ainsi, Dark Tenebrous, le plus grand esprit de l’histoire des Sith renaîtrait pour régner sur la galaxie.
Pour toujours.
Désormais, alors que ses sens physiques s’étaient tous évaporés, Tenebrous trouvait sa perception de la Force proportionnellement accrue. Avec une précision inégalable, il pouvait suivre le fin murmure de la maladroite enquête de Plagueis via la Force, son apprenti essayant d’analyser et d’enregistrer chaque détail de la mort de Tenebrous. Il pouvait ressentir Plagueis : accroupi non loin, les yeux fermés, les longs doigts arachnéens d’une de ses mains tendus devant lui, comme s’il essayait de capter les midichloriens disparaissant du corps de Tenebrous.
Ceci était la technique habituelle de Plagueis : un examen précis, à travers la Force, du déclin des midichloriens qui accompagnait la mort physique de chacune de ses victimes. Tenebrous était de loin le plus puissant utilisateur de la Force que Plagueis avait l’opportunité de voir mort et il avait su depuis le début que son apprenti utiliserait toutes ses capacités physiques et mentales – aussi pitoyables soient-elles – pour enregistrer chaque infime détail.
Autant les midichloriens incarnaient d’une certaine façon le principe même de la vie, autant ils s’évanouissaient dès que la vie disparaissait. Plagueis avait plus d’une fois spéculé qu’ils migraient des cellules mourantes pour rejoindre la Force qu’ils avaient quittée – une preuve de plus de la pensée brouillonne de son apprenti et son imagination pathétiquement romantique, mais peu importait. L’illusion de l’élève avait inspiré le maître, et le concept de la migration des midichloriens – bien que comportant quelques défauts – était devenu la clé du coup de génie de Tenebrous.
Parmi les milliards de midichloriens mourants dans les cellules de Tenebrous se trouvait une infime fraction de midichloriens qui n’était pas en train de mourir. Ils ne mourraient pas tant qu’ils habiteraient un être vivant. Ces midichloriens particulièrement tenaces – Tenebrous leur avait donné le sobriquet de maxichloriens – avaient été modifiés. Améliorés. Il n’était pas exagéré, selon l’avis de Tenebrous, d’employer le mot perfectionnés. Ces maxichloriens allaient bien entendu migrer, mais pas vers la Force.
Ils migreraient à l’intérieur de Plagueis.
Détecter ce pourcentage infinitésimal nécessitait toute la précision d’un Bith : c’était bien au-delà des perceptions limitées de son apprenti – et en fait, Tenebrous s’était mis dans de nombreuses situations dangereuses pour que cela reste ainsi.
Et au lieu d’entraîner son apprenti, Tenebrous avait flatté le mysticisme de Plagueis tout en soulignant ses faiblesses, et l’avait fait voyager d’une mission à une autre, toutes étant aussi inutiles qu’impossibles à réaliser. Pendant ce temps, Tenebrous avait occupé chaque seconde que cette liberté lui offrait en fabriquant, modelant et développant l’unique arme que Plagueis ne suspecterait jamais. Qu’il ne pourrait jamais deviner. Ses propres présomptions à propos de la Force assuraient que Plagueis ne croirait jamais une telle chose possible.
Tenebrous avait créé un rétrovirus capable d’infecter les midichloriens.
Les midichloriens étaient, après tout, simplement des organismes symbiotiques qui contribuaient au processus biologique de chaque cellule qu’ils occupaient.
À cause de leur rôle dans les interactions de la Force, les modifier constituait un véritable challenge – ils avaient une tendance troublante à développer des effets secondaires indésirables et malheureux – mais en appliquant totalement la formidable analyse de son vaste cerveau Bith et le pouvoir surnaturel de ses sens Sith pour détecter et modifier des structures subatomiques, il réussit finalement à créer un rétrovirus qui transformaient les midichloriens normaux en maxichloriens d’une grande longévité.
Mais ceci n’était que le début.
Patiemment et minutieusement, avec une attention au moindre détail qui était sa marque de fabrique, Tenebrous avait encodé son propre rétrovirus avec sa plus puissante arme : sa propre conscience.
Une fois achevé, Tenebrous avait relâché le virus dans son système sanguin. Il s’était étendu dans son corps, infectant les midichloriens dans chaque cellule de son organisme avec une intense satisfaction. Pas tous ses midichloriens, bien sûr, car les maxichloriens infectés ne fonctionnaient plus à pleine puissance ; les infecter tous aurait coupé sa propre connexion avec la Force. Un sevrage partiel de cette connexion était néanmoins un sacrifice nécessaire, et grâce à un long processus d’essais et d’erreurs, il fut capable de confiner les effets de ce sevrage au pouvoir de la Force dont il n’avait plus besoin – son aptitude à voir le futur.
À quoi lui était-ce encore utile de pouvoir contempler un futur qu’il connaissait déjà ?
Désormais, enfin mort, il pouvait commencer à savourer les fruits de son travail de toute une vie. Dans la Force, il pouvait sentir que son corps avait subi des dommages irréversibles, mais néanmoins sa conscience survivait, pleinement présente, pleinement fonctionnelle, et reliée à la Force d’une manière beaucoup plus intime que ce qu’il avait cru possible. Libéré du cruel procédé biologique qui marquait le passage du temps, Tenebrous découvrit qu’il pouvait percevoir le tic-tac de chaque nanoseconde tout en appréhendant la globalité de l’éternité galactique.
À côté du cadavre de Tenebrous, alors que Plagueis observait avec attention l’évanouissement des midichloriens de Tenebrous, les maxichloriens se déplaçaient subtilement, invisibles, dans l’air, pour se placer dans les yeux et la bouche de Plagueis, sur sa peau, et dans une blessure ouverte dans son dos, où ils pénétrèrent dans le système sanguin de l’apprenti et se glissèrent dans ses cellules, relâchant leur charge : l’esprit de Tenebrous.
Parfait. Et ce qui rendait la chose encore plus parfaite était que son apprenti ne saisirait jamais l’ironique jeu de mots du nom que Tenebrous lui avait donné : Plagueis.
Le malade.
Dirigé par la volonté et le pouvoir du côté obscur du Maître Sith, le rétrovirus se propageait à une vitesse incroyable. Alors qu’il propageait sa conscience à travers le corps de son apprenti, Tenebrous découvrit avec plaisir qu’il avait accédé au centre sensitif de Plagueis. Il pouvait ressentir tout ce que Plagueis ressentait, à la fois la froide satisfaction d’avoir organisé le meurtre de Tenebrous… et une certaine perception de la Force qui laissait Plagueis diriger les derniers restes déclinants des midichloriens non infectés de Tenebrous.
Un accès complet aux perceptions de la Force de son apprenti ! Merveilleux. Encore mieux que tout ce que Tenebrous s’était autorisé à espérer. Hmm – peut-être aurait-il dû finalement passer plus de temps à entraîner cet idiot de Muun. S’amuser avec les pouvoirs de la Force de Plagueis aurait été plus divertissant s’ils n’étaient pas tombés en désuétude. Et pourtant…
Alors qu’il continuait d’explorer, Tenebrous découvrit progressivement la gamme complète des connexions de son apprenti avec la Force, une gamme considérablement plus profonde, plus large et plus puissante que ce que Tenebrous avait soupçonné. Il pensa, avec un tiraillement évoquant une inconfortable prémonition, que Plagueis avait peut-être eu raison lorsqu’il clamait que Tenebrous le sous-estimait en permanence.
Tenebrous avait devant lui un aperçu des pouvoirs de son apprenti, bien plus développés que ce que Tenebrous avait cru. Durant un bref instant, il vit sa perception avancer loin dans le temps – jusqu’à la propre mort de Plagueis des mains de son apprenti, qui était lui-même représenté comme une tâche de ténèbres…
Une ombre !
Durant un bref instant, Tenebrous ressentit l’angoisse mortelle de Plagueis… et ressentit la longue agonie que Plagueis éprouvait… lors de son échec, pour ne pas avoir réussi à créer l’utilisateur de la Force que Tenebrous devait devenir ! Il allait permettre à son apprenti de le tuer trop tôt…
Cela ne pouvait pas se dérouler ainsi. Cela ne pouvait être envisagé, encore moins autorisé à se produire. La fureur se mêla à la panique alors que Tenebrous envoya son esprit dans le futur, cherchant à comprendre comment Plagueis pouvait être si complaisant, si idiot…
Si aveugle.
L’implacable vérité fut cachée par les ténèbres qui s’amoncelaient et qui obscurcissaient sa vision. Bientôt, tout ce qu’il put voir du futur fut une ombre brumeuse… lorsque le rétrovirus qu’il était devenu eut infecté toutes les cellules de Plagueis. Le rétrovirus à cause duquel il avait sacrifié son pouvoir de prémonition… et qui avait ainsi volé ce pouvoir à son apprenti.
Qui avait ainsi scellé son propre destin.
Sa poursuite stupide de la vie éternelle et du pouvoir suprême avait accompli cela. Il allait être détruit par son propre triomphe.
Reprenant désormais un peu le dessus sur la panique, Tenebrous mit toute sa volonté en marche pour essayer de défaire les dommages qu’il avait causés. À l’aide de tous ses pouvoirs et d’une vague d’énergie de Force, il éjecta ses maxichloriens hors du corps de Plagueis, hors de ses yeux, de sa bouche, de sa blessure et de chacune de ses cellules. Il devait réfléchir – il devait trouver un moyen de s’en sortir – ou peut-être que non. Peut-être n’y en avait-il pas.
Peut-être que son meilleur espoir était la lente et inévitable extinction de sa conscience lorsque les maxichloriens disparaitraient eux aussi et s’évanouiraient. Puis, enfin, il n’aurait plus à souffrir de l’agonie de sa mort auto-infligée.
Si ses maxichloriens disparaissaient.
Car tout à coup, il se dit qu’il n’était pas sûr de la durée exacte du processus, mais il n’avait pas l’air de perdre conscience pour l’instant. Il puisa dans la Force – peut-être pourrait-il sentir quelque chose. La moindre petite chose. Ou bien contacter Plagueis, ou bien rendre en quelque sorte sa présence connue, mais comme son apprenti n’allait pas le laisser survire, peu importait que ses pouvoirs soient réduits…
Mais Plagueis n’était plus là. Non seulement Plagueis s’était simplement évanoui, mais Tenebrous ne pouvait plus du tout ressentir sa présence, comme s’il n’avait jamais été là… Que se passait-il ? Comment cela était-il possible ?
La seule trace de vie organique que Tenebrous pouvait sentir était celle de quelques anciens restes momifiés…
Ceux d’un Bith.
Depuis combien de temps était-il là ? Combien de temps cela avait-il pris pour que chaque trace de Plagueis disparaisse ? Ces restes étaient âgés – des décennies, peut-être même des siècles…
Tenebrous se demanda, avec une horreur grandissante, si son rétrovirus n’avait pas d’une certaine façon muté, si ses effets sur les maxichloriens n’allaient pas au-delà du sevrage des prémonitions.
Et si sa vie éternelle se résumait à… cela ?
Ou pire : et si son pouvoir de vision n’avait pas été éliminé, mais s’était en quelque sorte développé à l’intérieur de sa conscience ? Et si ces restes étaient anciens seulement parce qu’il s’agissait de la millième fois qu’il revivait sa mort et l’effrayante révélation de sa cruelle déception ? Et si c’était la millionième fois qu’il la revivait ?
La milliardième ?
À ce moment-là, il sut qu’il aurait vraiment souhaité avoir encore une bouche. Car il avait vraiment, vraiment besoin de crier.
Mourir, constata Tenebrous avec surprise, n’allait pas simplement être très plaisant, mais complètement merveilleux. Il aurait su qu’il allait adorer le procédé, il n’aurait pas attendu durant toutes ces décennies que son fol apprenti Plagueis le lui fasse expérimenter.