Chapitre V : Être conscient.
La question : "Que devons-nous faire à ce propos ?" est seulement posée par ceux qui ne comprennent pas le problème. Si un problème peut-être résolu, le comprendre et savoir quoi faire sont la même chose. D'un autre côté, faire quelque chose à propos d'un problème que vous ne comprenez pas est comme essayer de se débarrasser des ténèbres en les poussant de côté avec vos mains. Lorsque la lumière est faite, les ténèbres s'évanouissent sur-le-champ.
Cela s'applique particulièrement au problème qui se pose maintenant. Comment allons-nous soigner la cassure entre "je" et "moi", le cerveau et le corps, l'homme et la nature ; et mettre fin à tous les cercles vicieux que cela produit ? Comment allons-nous éprouver l'existence autrement que comme un piège plein de miel où, semblables à des mouches, nous nous débattons ? Comment allons-nous trouver la sécurité et la paix de l'esprit dans un monde dont la nature véritable est l'insécurité, la précarité et le changement continuel ? Toutes ces questions exigent une méthode et une ligne de conduite. En même temps, elles montrent toutes que le problème n'a pas été compris. Nous n'avons pas besoin d'action, pas encore. Nous avons besoin de davantage de lumière.
Lumière, ici, signifie conscience, être conscient de la vie, de l'expérience telle qu'elle est en l'instant, sans lui associer aucune idée ni jugement. Autrement dit, vous devez voir et ressentir ce que vous êtes en train d'expérimenter comme cela est, et non comme c'est dénommé. Cette très simple "ouverture des yeux" provoque une extraordinaire transformation de la manière de voir et de vivre, et montre que nombre de nos problèmes les plus déconcertants sont de pures illusions. Voilà qui pourrait sembler une simplification abusive, tant la plupart des gens s'imaginent être déjà bien assez conscient du présent, mais nous verrons qu'il n'en est rien[7].
Parce que la conscience regarde la réalité libérée des idées et des jugements, il est clairement impossible de définir et coucher par écrit ce qu'elle révèle. Tout ce qui peut être décrit est une idée, aussi ne puis-je faire un compte rendu formel de quelque chose, le monde réel, qui n'est pas une idée. J'aurai donc la satisfaction de parler des fausses impressions que la conscience dissipe, plutôt que de la vérité qu'elle révèle. La seconde peut seulement être symbolisée par des mots qui signifient peu ou rien pour ceux qui ne comprennent pas directement la vérité en question.
Ce qui est vrai et positif est trop réel et trop vivant pour être décrit, et tenter de décrire cela est comme poser de la peinture rouge sur des roses rouges. Aussi, la plus grande partie de ce qui suit aura une valeur plutôt négative. La vérité apparaît lorsqu'on enlève ce qui fait obstacle à sa lumière, aussi vrai qu'en sculpture, l'artiste crée non en construisant mais à coups de burin.
Nous avons vu que, dans un monde en évolution permanente, les questions relatives à la recherche de la sécurité et de la paix intérieure montraient que le problème n'avait pas été compris. Avant d'aller plus loin, il doit être clair que le genre de sécurité dont nous parlons est essentiellement spirituelle et psychologique. Pour vivre, les êtres humains doivent disposer d'un minimum de moyens d'existence sous forme de nourriture, boisson et vêtements, tout en sachant cependant que cela ne peut pas durer indéfiniment. Mais si la promesse d'un minimum de moyens d'existence pour soixante ans était un début de satisfaction pour l'homme, les problèmes humains seraient de bien peu d'importance. En fait, la véritable raison pour laquelle nous ne profitons pas de cette promesse est que nous voulons beaucoup plus que le minimum nécessaire.
Il doit être évident, dès le départ, qu'il y a une contradiction à vouloir se trouver en parfaite sécurité dans un univers dont la vraie nature est le caractère passager des choses et la fluidité. Mais la contradiction est un peu plus profonde que le simple conflit entre le désir de sécurité et le fait du changement. Si je veux être en sécurité, c'est-à-dire protégé du flux de la vie, je veux être séparé de la vie. Néanmoins, c'est ce véritable sentiment de séparation qui m'empêche de me sentir en sécurité. Être en sécurité signifie isoler et fortifier le "je", mais c'est justement la sensation d'être un "je" isolé qui me fait me sentir seul et m'effraye. En d'autres termes, plus je serai en sécurité, plus j'en aurai besoin.
Pour le dire encore plus clairement : le désir de sécurité et le sentiment d'insécurité sont la même chose. Retenir sa respiration revient à perdre son souffle. Une société fondée sur la quête de la sécurité n'est rien d'autre qu'une compétition de rétention de respiration, dans laquelle chacun est aussi tendu qu'un tambour et aussi rouge qu'une betterave.
Nous recherchons cette sécurité en nous fortifiant et en nous enfermant de toutes sortes de manières. Nous voulons nous protéger en étant "exclusif" et "spécial", nous cherchons à appartenir à l'église la plus sûre, à la meilleure nation, à la plus haute classe, à la bonne coterie et aux gens "comme il faut". Ces défenses nous divisent, et mènent donc à davantage d'insécurité nécessitant davantage de défenses. Évidemment, tout cela est pétri de la certitude sincère que nous nous comportons bien et vivons de la meilleure manière ; mais cela aussi est une contradiction.
Si je suis séparé en deux, je peux seulement essayer de vivre en accord avec un idéal, de m'améliorer. Ce doit être un bon "je" qui se met à amender le mauvais "moi". "Je", qui a les meilleures intentions, continuera à travailler le "moi" rebelle, et le corps à corps entre les deux soulignera bien leur différence. Par conséquent, "je" se sentira plus séparé que jamais, et aggravera tout simplement les sentiments de solitude et d'exclusion qui font que "moi" se comporte si mal.
Nous ne pouvons guère envisager ce problème sans qu'il soit clair que l'exigence de sécurité est elle-même une douleur et une contradiction, et que plus nous la poursuivons, plus elle devient douloureuse. Cela est vrai quelle que soit la forme de sécurité envisagée.
Vous voulez être heureux pour vous oublier vous-mêmes, et pourtant plus vous essayez de vous oublier, plus vous vous rappelez ce vous-même que vous voulez oublier. Vous voulez échapper à la douleur, mais plus vous luttez pour vous libérer, plus vous avivez l'angoisse. Vous êtes effrayé et voulez vous montrer courageux, mais l'effort de se montrer courageux n'est que de la peur essayant de se fuir elle-même. Vous voulez la paix de l'esprit mais tenter cette pacification est comme essayer de calmer les vagues avec un fer à repasser.
Nous sommes tous familiers de ce genre de cercle vicieux qui nous tourmente. Nous savons qu'il est vain de nous tourmenter mais nous continuons à le faire parce qu'en dénoncer la vanité n'y met pas fin. Nous nous tourmentons parce que nous ne nous sentons pas en sécurité, alors que nous voulons l'être. Encore est-il parfaitement inutile de dire que nous ne devrions pas vouloir être en sécurité. Disqualifier un désir n'en débarrasse pas. Ce que nous devons découvrir, c'est qu'il n'y a pas de sécurité, que la rechercher est douloureux et que lorsqu'on s'imagine l'avoir découverte, elle nous déplaît. Autrement dit, si nous pouvions réellement comprendre ce que nous recherchons, que la sécurité, c'est l'isolement ; et qu'il nous coûte cher de la rechercher, nous verrions que nous n'en voulons absolument pas. Personne n'a besoin de vous dire que vous ne devriez pas retenir votre respiration pendant dix minutes. Vous savez que vous ne pouvez pas le faire et qu'essayer s'avérerait des plus désagréable.
Le principal est de comprendre qu'il n'y a aucune sûreté ou sécurité. L'un des pires cercles vicieux est le problème de l'alcoolique. Dans la plupart des cas, il sait tout à fait clairement qu'il est en train de se détruire, que la boisson alcoolisée est un poison pour lui, qu'en réalité il déteste être saoul, et même qu'il n'aime pas le goût de l'alcool. Et pourtant il boit. Car, autant qu'il puisse ne pas l'apprécier, l'expérience de ne pas boire est pire. Cela lui fait "horreur" car il se tient alors face à face avec l'insécurité primaire et dévoilée du monde.
Là se trouve le point crucial de la question. Faire face à l'insécurité n'est pas encore la comprendre. Pour la comprendre, vous ne devez pas lui faire face mais être elle. C'est comme l'histoire persane du sage qui arriva à la porte des Cieux et frappa. De l'intérieur, la voix de Dieu demanda : "Qui est là ?" Et le sage répondit : "C'est moi." La voix lui dit : "Dans cette Maison, il n'y a pas de place pour vous et moi." Alors le sage s'en alla et passa maintes années en profonde méditation, à peser cette réponse. Lorsqu'il revint pour la deuxième fois, la voix posa la même question et de nouveau le sage répondit : "C'est moi." La porte demeura fermée. Après quelques années, il revint pour la troisième fois et, alors qu'il frappait, la voix demanda une fois de plus : "Qui est là ?" Et le sage cria : "C'est Toi-même !" La porte s'ouvrit.
Comprendre qu'il n'y a pas de sécurité est bien davantage que d'accepter la théorie selon laquelle toute chose change, davantage même que d'observer le caractère transitoire de l'existence. La notion de sécurité est fondée sur le sentiment qu'il y a quelque chose en nous de permanent, quelque chose qui survit à travers toutes les époques et les changements de la vie. Nous luttons pour nous assurer de la permanence, la continuité et la sûreté de ce noyau persistant, de ce centre et de cette âme de notre être que nous appelons "je". C'est pour cela que nous pensons être homme réel, le penseur de nos pensées, l'antenne de nos sensations, le connaisseur de notre connaissance. En fait, nous ne comprenons pas qu'aucune sécurité n'est possible si nous ne réalisons pas que ce "je" n'existe pas.
La compréhension vient par la conscience. Pouvons-nous en ce cas aborder notre expérience, nos sensations, sentiments et pensées, avec une totale simplicité, comme si nous ne les avions jamais connues auparavant, et, sans préjugé, regarder ce qui se passe ? Vous pouvez demander : "Quelles expériences, quelles sensations et sentiments devons-nous prendre en considération ?" Je répondrai : "Lesquelles pouvez-vous voir ?" La réponse est que vous devez regarder ce que vous avez maintenant.
Cela est plutôt évident, mais on laisse souvent échapper des choses très évidentes. Si un sentiment n'est pas au présent, vous n'en avez pas conscience. Il n'y a pas d'expérience mais de l'expérience en cours. Ce que vous savez, ce dont vous êtes en réalité instruit, est juste ce qui est arrivé à l'instant et rien de plus.
Mais qu'en est-il des souvenirs ? En me souvenant, je peux certainement savoir aussi ce qu'est le passé ? Très bien, rappelez-vous quelque chose. Rappelez-vous le moment où vous avez vu un ami descendre la rue. De quoi avez-vous conscience ? Vous n'êtes pas réellement en train d'assister au véritable événement : votre ami descend la rue. Vous ne pouvez pas y aller et lui serrer la main, ou obtenir une réponse à une question que vous avez oublié de lui poser au moment passé dont vous vous souvenez. En d'autres termes, vous n'êtes pas du tout en train de considérer le véritable passé. Vous regardez une trace du passé dans le présent.
C'est comme de voir les empreintes d'un oiseau sur le sable. Je vois les empreintes actuelles. Je ne vois pas en même temps l'oiseau faire ces empreintes une heure auparavant. L'oiseau s'est envolé, et je ne le connais pas. À partir des empreintes, je déduis qu'un oiseau se trouvait là. À partir de souvenirs, vous concluez qu'il y a eu des événements passés. Mais vous ne visualisez aucun événement passé. Vous connaissez le passé seulement dans le présent et comme partie du présent.
Nous voyons donc que notre expérience est entièrement passagère. D'un certain point de vue, chaque instant est si insaisissable et si bref que nous ne pouvons même pas y penser avant qu'il ne soit passé. D'un autre point de vue, cet instant est toujours là, puisque nous ne connaissons aucun autre instant que l'instant présent. Il est toujours en train de mourir, toujours en train de devenir passé plus rapidement que l'imagination peut le concevoir. Néanmoins, il est en même temps toujours en train de naître, toujours nouveau, surgissant tout aussi rapidement de ce complet inconnu que nous appelons l'avenir. Y penser vous coupe presque le souffle.
Dire que l'expérience est passagère revient à dire que l'expérience et l'instant présent sont la même chose. Dire que cet instant est toujours en train de mourir ou de devenir le passé, et toujours en train de naître ou de sortir de l'inconnu, revient à dire la même chose de l'expérience. L'expérience que vous venez de vivre s'est irrémédiablement évanouie, et tout ce qu'il en reste est une sorte de sillage ou d'empreinte dans le présent, que nous appelons la mémoire. Bien que vous puissiez hasarder une conjecture sur ce qui vous attend, en réalité vous n'en savez rien. Tout pourrait arriver. Mais l'expérience qui se déroule maintenant est, à proprement parler, un enfant nouveau-né qui s'évanouit avant qu'il puisse seulement commencer à vieillir.
Pendant que vous contemplez cette expérience présente, avez-vous conscience de quelqu'un qui la regarde ? Pouvez-vous trouver, en plus de l'expérience elle-même, un expérimentateur ? Pouvez-vous simultanément lire cette phrase et penser à vous-même en train de la lire ? Vous trouverez que pour penser à vous-même en train de la lire, vous devez arrêter de lire une brève seconde. La première expérience est de lire. La seconde expérience est la pensée : "Je lis." Pouvez-vous trouver aucun penseur qui formule la pensée : "Je lis" ? En d'autres termes, lorsque l'expérience présente est la pensée "je lis", pouvez-vous penser à vous-même formulant cette pensée ?
Une fois de plus, vous devez arrêter de penser précisément : "Je lis." Vous passez à une troisième expérience, qui est de penser : "Je pense que je lis." Ne laissez pas la rapidité avec laquelle ces pensées peuvent se modifier vous abuser en vous donnant le sentiment que vous les pensez toutes instantanément.
Mais que s'est-il passé ? Jamais, à aucun moment, vous n'aviez été capable de vous séparer de votre pensée présente ou de votre expérience présente. La première expérience en cours était de lire. Lorsque vous avez essayé de penser à vous-même en train de lire, l'expérience a changé et l'expérience présente suivante a été la pensée : "Je lis. " Vous ne pourriez pas vous séparer de cette expérience sans passer à une autre. C'était "ring around the rosy[8]". Lorsque vous pensiez : "je lis cette phrase", vous ne la lisiez pas. Autrement dit, en chaque expérience présente, vous étiez seulement conscient de cette expérience. Vous n'étiez jamais conscient d'être conscient. Vous n'étiez jamais capable de séparer le penseur de la pensée, celui qui connaît de ce qui est connu. Tout ce que vous avez pu découvrir était une nouvelle pensée, une nouvelle expérience.
Dès lors, être conscient signifie être conscient de pensées, sentiments, sensations, désirs ou toute autre forme d'expérience. Vous n'êtes jamais conscient de quoi que ce soit qui ne soit pas de l'expérience, qui soit un expérimentateur, quelqu'un qui pense ou qui ressent au lieu d'être une pensée ou un sentiment. S'il en va ainsi, qu'est-ce qui nous fait croire qu'il puisse en être autrement ?
On pourrait dire, par exemple, que le "je" qui pense est ce corps physique et ce cerveau-là. Mais ce corps n'est en aucune manière séparé de ses pensées et sensations. Quand vous éprouvez une sensation, disons, de toucher, cette sensation est une partie de votre corps. Pendant que cette sensation se poursuit, vous ne pouvez pas en éloigner le corps davantage que vous ne pouvez semer un mal de tête ou vos propres pieds. Aussi longtemps qu'elle est en cours, cette sensation est votre corps et elle est vous-même. Vous pouvez lever votre corps d'un siège inconfortable mais vous ne pouvez pas lui ôter la sensation de la chaise.
La notion d'un penseur séparé, d'un "je" distinct de l'expérience, vient de la mémoire et de la rapidité avec laquelle la pensée change. C'est comme de faire tourbillonner une allumette pour donner l'illusion d'un cercle de feu continu. Si vous imaginez que la mémoire est une connaissance directe du passé plutôt qu'une expérience présente, vous succombez à l'illusion de connaître le passé et le présent au même instant. Cela suggère qu'il y a quelque chose en vous de distinct à la fois des expériences passées et présentes. Vous en déduisez : "Je connais cette expérience présente, et elle est différente de cette expérience passée. Si je peux comparer les deux et remarquer que l'expérience a changé, je dois être quelque chose de constant et de séparé."
Mais prosaïquement, vous ne pouvez pas comparer cette expérience présente avec une expérience passée. Vous pouvez seulement la comparer avec un souvenir du passé, qui est une partie de l'expérience présente. Lorsque vous voyez clairement que la mémoire est une forme de l'expérience présente, il devient évident qu'essayer de vous séparer de cette expérience est aussi impossible que d'essayer de faire en sorte que vos dents se mordent elles-mêmes. Il y a simplement de l'expérience. Il n'y a pas quelque chose ou quelqu'un faisant l'expérience d'expériences ! Vous ne ressentez pas de sentiments, ne pensez pas de pensées ou ne sentez pas de sensations davantage que vous n'entendez de l'audition, ne voyez de vue ou flairez de flair. "Je me sens bien" signifie l'existence d'un sentiment de bien-être. Cela ne signifie pas qu'il y a une chose appelée "je" et une autre chose séparée appelée un sentiment, de sorte que lorsque vous les mettez ensemble, le "je" sent le sentiment de bien-être. Il n'y a pas d'autres sentiments que les sentiments en cours, et quelque soit le sentiment en cours, il est "je". Personne n'a jamais découvert de "je" séparé de quelque expérience présente que ce soit, ni d'expérience séparée d'un "je", tout cela pour dire que les deux ne sont qu'une seule chose.
En tant que simple argument philosophique, ceci est une perte de temps. Nous n'essayons pas de mener une "discussion intellectuelle". Nous sommes conscients du fait que tout "je" séparé qui pense des pensées ou expérimente des expériences est une illusion. Comprendre cela signifie réaliser que l'existence est entièrement passagère, qu'il n'y a ni permanence ni sécurité et qu'il n'y a pas de "je" qui puisse être protégé.
Une histoire chinoise parle de quelqu'un venu voir un grand sage et lui dire : "Je ne connais pas la paix de l'esprit. S'il vous plaît, pacifiez mon esprit." Le grand sage répondit : "Amène ton esprit (ton "je") devant moi et je vais le pacifier." "Toutes ces années, répondit-il, j'ai cherché mon esprit, mais je ne peux le trouver." "Alors, conclut le sage, il est pacifié !"
La véritable raison pour laquelle la vie humaine peut-être aussi totalement exaspérante et frustrante ne vient pas de ce qu'il existe des faits appelés mort, douleur, peur ou faim. Ce qui est folie, c'est qu'en présence de tels faits, nous tournons en rond, nous tourbillonnons et nous tordons en essayant d'extraire le "je" de l'expérience. Nous faisons les amibes et essayons de nous protéger de la vie en nous fendant en deux. La rectitude, l'intégrité et l'intégration résident dans la compréhension que nous ne sommes pas divisés, que l'homme et son expérience présente sont un et qu'aucun esprit ou "je" distinct ne peut être découvert.
Nous restons confus et troublés aussi longtemps que la notion selon laquelle je suis séparé de mon expérience demeure. À cause de cela, il n'y a ni conscience ni compréhension de l'expérience, et donc aucune véritable possibilité de l'assimiler. Pour comprendre cet instant, je ne dois pas essayer de m'en couper ; je dois en être conscient de tout mon être. Tout comme de retenir ma respiration pendant dix minutes, cela n'est pas quelque chose que je devrais faire. En réalité, c'est la seule chose que je puisse faire. Le reste est folie qui tente l'impossible.
Pour comprendre la musique, vous devez l'écouter. Mais aussi longtemps que vous pensez : "Je suis en train d'écouter cette musique", vous n'écoutez pas. Pour comprendre la joie ou la peur, vous devez en être entièrement et complètement conscient. Aussi longtemps que vous leur donnez des noms et dites : "Je suis heureux" ou "J'ai peur", vous n'en êtes pas conscient. Peur, douleur, chagrin et ennui demeureront des problèmes si nous ne les comprenons pas, mais la compréhension requiert un esprit non divisé et honnête. Voilà certainement la signification de cette étrange parole : "Si tu n'avais qu'un seul oeil, ton corps entier serait plein de lumière."