IV

Le médecin du roi

Le 25 août 1774, le roi Louis XV était couché à Versailles dans la chambre Bleue ; auprès de son lit, sur un lit de sangle, dormait le chirurgien Lamartinière.

Cinq heures du matin sonnaient à l’horloge de la grande cour, et le mouvement commençait dans le château.

Mouvement d’ombres inquiètes qui

ménageaient le sommeil du prince à cette heure, où depuis quelque temps Louis XV, fatigué par 60

les veilles et les excès, trouvait un peu de repos acheté par l’abus de l’insomnie, et par les narcotiques quand l’abus de l’insomnie ne suffisait pas.

Le roi n’était plus jeune : il entrait dans sa soixante-cinquième année. Après avoir épuisé jusqu’à la lie les plaisirs, les jouissances, les louanges, il n’avait plus rien à connaître : il s’ennuyait.

C’était la pire de ses maladies que la fièvre de l’ennui ; aiguë sous madame de Châteauroux, elle était devenue intermittente sous madame de Pompadour, et chronique sous madame Du Barry.

À ceux qui n’ont plus rien à connaître, il reste parfois quelque chose à aimer

; c’est une

souveraine ressource contre la maladie dont était atteint Louis XV. Blasé sur l’amour individuel par celui qu’il avait inspiré à tout un peuple, et qui avait été poussé jusqu’à la frénésie, cette habitude de l’âme lui avait paru trop vulgaire pour qu’un roi de France s’y abandonnât.

Louis XV avait donc été aimé par son peuple, par sa femme et par ses maîtresses ; mais Louis 61

XV, lui, n’avait jamais aimé personne.

Il reste aussi à ceux qui sont blasés une préoccupation excitante

: c’est la souffrance.

Louis XV, à part les deux ou trois maladies qu’il avait faites, n’avait jamais souffert ; et, mortel favorisé, il n’éprouvait, comme pressentiment de la vieillesse, qu’un commencement de fatigue, que les médecins lui présentaient comme un signal de retraite.

Quelquefois, à ces fameux soupers de Choisy, où les tables sortaient toutes chargées du parquet, où le service était fait par les pages des petites écuries, quand la comtesse Du Barry provoquait Louis XV aux rasades, le duc d’Ayen au gros rire et le marquis de Chauvelin à l’épicurienne gaieté, Louis XV, surpris, s’apercevait que sa main était paresseuse à lever ce verre plein de liqueur pétillante qu’il avait tant aimée, que son front refusait de se contracter pour ce rire inextinguible que les saillies de Jeanne Vaubernier avaient parfois fait éclore comme des fleurs d’automne aux frontières de son âge mûr, enfin, que son cerveau demeurait glacé aux peintures 62

séduisantes de cette vie bienheureuse que procurent le souverain pouvoir, la suprême richesse et l’excellente santé.

Louis XV n’était point d’un caractère ouvert, il concentrait en lui joie ou tristesse : peut-être eût-il été, grâce à cette absorption intérieure de ses sentiments, un grand politique, si, comme il le disait lui-même, le temps ne lui eût manqué.

Aussitôt qu’il s’aperçut du changement qui commençait à s’accomplir en lui, au lieu de prendre son parti et de respirer

philosophiquement ces premières brises de la vieillesse qui rident le front et argentent les cheveux, il se replia sur lui-même et s’observa.

Ce qui fait tristes les plus enjoués des hommes, c’est l’analyse de la joie ou de la souffrance ; l’analyse est un silence jeté entre les rires ou les sanglots.

On n’avait vu jusque-là le roi qu’ennuyé, on le vit triste. Il ne rit plus aux gravelures de madame Du Barry, il ne sourit plus aux méchancetés du duc d’Ayen, il ne s’engourdit plus aux amicales caresses de monsieur de Chauvelin, son ami de 63

cœur, l’Achate de ses escapades royales.

Madame Du Barry se plaignit particulièrement de cette tristesse, qui pour elle dégénérait particulièrement en froideur.

Ce changement moral fit dire aux médecins, que si le roi n’était pas encore malade, il allait bien certainement le devenir.

Aussi, le 15 avril précédent, Lamartinière, son premier chirurgien, après avoir fait avaler au roi sa médecine mensuelle, se hasarda-t-il à lui faire des observations qu’il croyait urgentes.

– Sire, lui avait donc dit Lamartinière, comme Votre Majesté ne boit plus, comme Votre Majesté ne mange plus, comme Votre Majesté ne...

s’amuse plus, que va-t-elle faire ?

Dame

! mon cher Lamartinière, avait

répondu le roi, ce qui pourra me paraître le plus divertissant en dehors de tout cela.

– C’est que je ne connais pas grand-chose de nouveau à offrir à Votre Majesté. Votre Majesté a fait la guerre, Votre Majesté a essayé d’aimer les savants et les artistes, Votre Majesté a aimé les 64

femmes et le vin de Champagne. Or, quand on a tâté de la gloire, de la flatterie, de l’amour et du vin, je proteste à Votre Majesté que je cherche inutilement un muscle, une pulpe, un ganglion nerveux, qui me révèle l’existence d’une autre aptitude à quelque distraction nouvelle.

– Ah ! ah ! fit le roi, vraiment, vous croyez, Lamartinière ?

– Sire, songez-y bien, Sardanapale était un roi très intelligent, presque aussi intelligent que Votre Majesté, quoiqu’il vécût quelque chose comme deux mille huit cents ans avant elle. Il aimait la vie, et s’occupa beaucoup de la bien employer. Je crois savoir qu’il rechercha minutieusement les moyens d’exercer le corps et l’esprit à la découverte des plaisirs les moins connus. Eh bien ! jamais les historiens ne m’ont appris qu’il eût trouvé autre chose que ce que vous avez trouvé vous-même.

– Oui-da ! Lamartinière.

– J’en excepte le vin de Champagne, sire, que Sardanapale ne connaissait pas. Il avait au contraire pour boisson des vins épais, lourds et 65

pâteux de l’Asie Mineure, ces flammes liquides qui filtrent par la pulpe des raisins de l’Archipel, vins dont l’ivresse est une fureur, tandis que l’ivresse du vin de Champagne n’est qu’une folie.

– C’est vrai, mon cher Lamartinière, c’est vrai ; le vin de Champagne est un joli vin, et je l’ai beaucoup aimé. Mais, dites-moi, est-ce qu’il n’a pas fini par se brûler sur un bûcher, votre Sardanapale ?

– Oui, sire, c’était le seul genre de plaisir qu’il n’avait pas expérimenté encore ; il le réserva pour le dernier.

– Et ce fut sans doute pour rendre ce plaisir aussi vif que possible, qu’il se brûla avec son palais, ses richesses, sa favorite ?

– Oui, sire.

– Est-ce que vous me conseilleriez, par hasard, mon cher Lamartinière, de brûler Versailles, et, en même temps que Versailles, de me brûler moi-même avec madame Du Barry ?

– Non, sire ; vous avez fait la guerre, vous avez vu des incendies, vous avez été enveloppé 66

vous-même dans la canonnade de Fontenoy. La flamme ne serait pas par conséquent un divertissement nouveau pour vous. Voyons, récapitulons vos moyens de défense contre l’ennui.

– Oh ! Lamartinière, je suis bien désarmé.

– Vous avez d’abord monsieur de Chauvelin, votre ami... un homme d’esprit... un...

– Chauvelin n’a plus d’esprit, mon cher.

– Depuis quand ?

– Depuis que je m’ennuie, pardieu !

– Bah ! fit Lamartinière, c’est comme si vous disiez que madame Du Barry n’est plus belle depuis...

– Depuis quoi ?... fit le roi, en rougissant un peu.

– Oh ! je m’entends, répliqua le chirurgien brusquement.

– Enfin, dit le roi en poussant un soupir, il est décidé que je vais être malade.

– J’en ai peur, sire.

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– Un remède alors, Lamartinière, un remède ; prévenons le

mal.

– Le repos, sire ; je n’en connais point d’autre.

– Bien !

– La diète.

– Bien !

– Les distractions.

– Je vous arrête là, Lamartinière.

– Comment cela ?

– Oui, vous m’ordonnez les distractions, et vous ne me dites pas comment je dois me distraire. Eh bien

! je vous répute ignorant,

ignorantissime ! entendez-vous, mon ami ?

– Et vous avez tort, sire. C’est votre faute et non la mienne.

– Comment cela ?

– On ne distrait pas ceux qui s’ennuient ayant monsieur de Chauvelin pour ami et madame Du Barry pour maîtresse.

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Il y eut un silence par lequel le roi semblait avouer que ce que venait de dire Lamartinière n’était pas dépourvu de raison.

Puis le roi reprit :

– Eh bien ! Lamartinière, mon ami, puisque nous parlons maladie, raisonnons au moins. Vous dites que je me suis amusé de tout en ce monde, n’est-ce pas.

– Je le dis, et cela est.

– De la guerre ?

– Pardieu ! quand on a gagné la bataille de Fontenoy !

Oui, avec cela que c’était un spectacle divertissant, des hommes en lambeaux, quatre lieues de long et une lieue de large détrempées de sang ; une odeur de boucherie à faire lever le cœur.

– La gloire, enfin.

– D’ailleurs, est-ce que c’est moi qui ai gagné la bataille ? est-ce que ce n’est pas monsieur le maréchal de Saxe ? est-ce que ce n’est pas monsieur le duc de Richelieu ? est-ce que ce n’est 69

pas surtout Pecquigny avec ses quatre pièces de canon ?...

– N’importe ; à qui en a-t-on fait le triomphe, en attendant ? À vous.

– Je le veux bien ; voilà donc la raison pour laquelle vous supposez que je dois aimer la gloire ! Ah ! mon cher Lamartinière, ajouta le roi en poussant un soupir, si vous saviez comme j’ai été mal couché la veille de Fontenoy.

– Eh bien ! soit, passons sur la gloire ; vous pouvez, ne voulant pas l’acquérir vous-même, vous en faire donner par les peintres, les poètes et les historiens.

– Lamartinière, j’ai horreur de tous ces gens-là, qui sont ou des faquins plus plats que mes laquais, ou des colosses d’orgueil à ne point passer sous les arcs de triomphe de mon aïeul. Ce Voltaire, surtout ; le drôle, un soir, ne m’a-t-il pas frappé sur l’épaule, en m’appelant Trajan ? On lui dit qu’il est le roi de mon royaume, et le maroufle croit cela. Je ne veux donc pas de l’immortalité que ces gens-là pourraient me donner, il la faudrait payer trop cher en ce monde 70

périssable, et peut-être même dans l’autre.

– En ce cas, que voulez-vous, sire ?

– Je veux faire durer ma vie le plus longtemps que je pourrai. Je veux que, dans cette vie, il entre le plus possible de choses que j’aime ; et pour cela, ce n’est ni aux poètes, ni aux philosophes, ni aux guerriers que je m’adresserai

; non, Lamartinière, après Dieu,

voyez-vous bien, décidément, je n’estime que les médecins, quand ils sont bons, bien entendu.

– Parbleu !

Parlez-moi donc franchement, cher Lamartinière.

– Oui, sire.

– Qu’ai-je à craindre ?

– L’apoplexie.

– On en meurt ?

– Oui, si l’on n’est pas saigné à temps.

– Lamartinière, vous ne me quitterez plus.

– C’est impossible, sire ; j’ai mes malades, moi.

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– Fort bien ! mais il me semble que ma santé, à moi, est aussi intéressante à la France et à l’Europe que celle de tous vos malades ensemble ; on fera tous les soirs votre lit près du mien.

– Sire !...

– Que vous importe de coucher ici ou de coucher ailleurs ? Et vous me rassurerez par votre seule présence, mon cher Lamartinière, et vous ferez peur à la maladie, car la maladie vous connaît, et elle sait qu’elle n’a pas de plus rude ennemi que vous.

Voilà pourquoi le chirurgien Lamartinière se trouvait, le 25 avril 1774, couché sur un petit lit dans la chambre Bleue, à Versailles, donnant d’un profond sommeil vers cinq heures du matin, tandis que le roi, lui, ne donnait pas.

Louis XV, qui ne donnait pas, comme nous venons de le constater, poussa un gros soupir ; mais, attendu qu’un soupir n’a de signification positive que celle que lui donne le soupirant, Lamartinière, qui ronflait au lieu de soupirer, l’entendit tout en ronflant, mais n’y fit, ou plutôt 72

ne parut y faire aucune attention.

Le roi, voyant que son chirurgien ordinaire était insensible à cet appel, se pencha sur le bord du lit, et, à la lueur de la grosse cire qui brûlait dans le mortier de marbre, il contempla son surveillant, qu’une couverture épaisse et moelleuse, montant jusqu’à la fontange de son bonnet de nuit, dérobait aux plus obstinés regards.

– Aïe ! fit le roi. Hélas !

Lamartinière entendit encore ; mais comme une interjection peut échapper quelquefois à un homme endormi, ce n’est pas une raison pour qu’elle en réveille un autre.

Le chirurgien continua donc de ronfler.

– Est-il heureux de dormir ainsi ! murmura Louis XV.

Puis, il ajouta :

– Que ces médecins sont matériels !

Et il prit sur lui d’attendre encore ; mais, pendant un quart d’heure, ayant attendu vainement :

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– Hé ! Lamartinière ! dit-il enfin.

Voyons, qu’y a-t-il, sire

? demanda en

grognant le médecin de Sa Majesté.

– Ah ! mon pauvre Lamartinière ! répéta le roi en geignant le plus lamentablement qu’il put.

– Eh bien ! quoi ?

Et le docteur, tout grommelant, comme un homme qui est sûr qu’il peut abuser de sa position, le docteur se laissa glisser hors de son lit.

Il trouva le roi assis sur le sien.

– Eh bien ! sire, vous souffrez ? lui demanda-t-il.

– Je crois que oui, mon cher Lamartinière, répliqua Sa Majesté.

– Oh ! oh ! vous êtes un peu ému.

– Très ému, oui.

– De quoi ?

– Je n’en sais rien.

– Je le sais, moi, murmura le chirurgien, c’est 74

de la peur.

– Tâtez mon pouls, Lamartinière.

– C’est ce que je fais.

– Eh bien ?

– Eh bien ! sire, il marque quatre-vingt-huit pulsations à la minute, ce qui est beaucoup chez les vieillards.

– Chez les vieillards, Lamartinière ?

– Sans doute.

Je n’ai que soixante-quatre ans, et à soixante-quatre ans on n’est pas encore vieux.

– On n’est déjà plus jeune.

– Voyons, qu’ordonnez-vous ?

– D’abord, qu’éprouvez-vous ?

– J’étouffe un peu, ce me semble.

– Non, vous avez froid au contraire.

– Je dois être rouge ?

– Allons donc, vous êtes pâle. Un conseil, sire.

– Lequel ?

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– Tâchez de vous rendormir, ce serait bien gentil.

– Je n’ai plus sommeil.

– Voyons, que signifie cette agitation-là !

– Dame ! il me semble que vous devez le savoir, Lamartinière, ou ce ne serait pas la peine d’être médecin.

– Est-ce que vous auriez fait un mauvais rêve ?

– Eh bien ! oui.

– Un rêve ! s’écria Lamartinière en levant les mains au ciel ; un rêve !

– Dame ! reprit le roi, il y a des rêves.

– Eh bien ! voyons, racontez-le, votre rêve, sire.

– Cela ne se raconte pas, mon ami.

– Pourquoi donc ? tout se raconte.

– Au confesseur, oui,

Alors, envoyez-moi chercher votre confesseur bien vite ; en attendant, je remporte 76

ma lancette.

– Un rêve, c’est parfois un secret.

– Oui, et même aussi c’est parfois un remords.

Vous avez raison, sire, adieu.

Et le docteur commença de tirer ses bas et de passer ses culottes.

Voyons, Lamartinière, voyons, ne vous fâchez pas, mon ami. Eh bien ! j’ai rêvé... j’ai rêvé que l’on me portait à Saint-Denis.

– Et que la voiture était mauvaise... Bah !

quand vous ferez ce voyage-là, vous ne vous en apercevrez pas, sire.

Comment pouvez-vous plaisanter sur de pareilles choses ? dit le roi tout frissonnant. Non, j’ai rêvé que l’on me portait à Saint-Denis, et que j’étais tout vivant enseveli dans le velours de mon cercueil.

– Vous sentiez-vous gêné dans ce cercueil ?

– Oui, un peu.

– Vapeurs, humeurs noires, digestions lourdes.

– Oh ! je n’avais pas soupé hier.

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– Vide, alors.

– Vous croyez ?

– Ah ! j’y songe, à quelle heure avez-vous quitté madame la comtesse, hier ?

– Voilà deux jours que je ne l’ai vue.

– Vous la boudez ; humeur noire, vous voyez bien.

– Eh non ! c’est elle qui me boude. Je lui avais promis quelque chose que je ne lui ai pas donné.

Donnez-lui vite ce quelque chose, et remettez-vous l’esprit en joie.

– Non, je suis noyé de tristesse.

– Ah ! une idée.

– Laquelle ?

– Déjeunez avec monsieur de Chauvelin.

– Déjeuner ! s’écria le roi ; c’était bon du temps où j’avais de l’appétit.

– Ah ! çà, mais ! s’écria le chirurgien en se croisant les bras, vous ne voulez plus de vos amis, vous ne voulez plus de votre maîtresse, 78

vous ne voulez plus de votre déjeuner, et vous croyez que je souffrirai cela ? Eh bien ! sire, je vous déclare une chose, moi, c’est que si vous changez vos habitudes, vous êtes perdu.

– Lamartinière ! mon ami me fait bâiller, ma maîtresse m’endort, mon déjeuner m’étouffe.

– Bon ! décidément vous êtes malade alors.

– Ah ! Lamartinière, s’écria le roi, j’ai été bien longtemps heureux.

– Et vous vous plaignez de cela ? voilà les hommes.

– Non, je ne me plains pas du passé, certes, mais du présent ; à force de rouler, le char s’use.

Et le roi poussa un soupir.

– C’est vrai, il s’use, répéta sentencieusement le chirurgien.

– De sorte que les ressorts ne vont plus, soupira le roi, et j’aspire au repos.

Eh bien

! alors, dormez donc

! s’écria

Lamartinière en se recouchant.

– Laissez-moi continuer ma métaphore, mon 79

bon docteur.

Me serais-je trompé et deviendriez-vous poète, sire ? Encore une vilaine maladie, celle-là.

– Non, au contraire, vous savez que je les déteste, les poètes. Pour faire plaisir à madame de Pompadour, j’ai fait ce croquant de Voltaire gentilhomme ; mais du jour où il s’est permis de me tutoyer en m’appelant Titus, ou Trajan, je ne sais plus lequel, ç’a été fini. Je voulais donc dire, sans poésie, que je crois qu’il est temps que j’enraye.

– Vous voulez savoir mon avis, sire ?

– Oui, mon ami.

– Eh bien ! n’enrayez pas, sire, dételez.

– C’est dur, murmura Louis XV.

– C’est comme cela, sire. Quand je parle au roi, je l’appelle Votre Majesté ; quand je retourne au malade, je ne lui dis pas même monsieur.

Ainsi donc, sire, dételez, et vivement. Maintenant que la chose est convenue, nous avons encore une heure et demie à dormir, sire, dormons donc.

Et le chirurgien se rejeta sous sa couverture, 80

où, cinq minutes après, il ronflait de façon si roturière, que les voûtes de la chambre Bleue en grinçaient d’indignation.