XXXV
Bleu et blanc
Il était près de deux heures du matin, lorsque le marquis de Souday accepta de se rendre au désir de ses hôtes et de les conduire dans les appartements qu’il leur destinait ; après quoi, il rentra lui-même dans le sien.
Le marquis de Souday, échauffé par les dispositions guerrières de son esprit et par la conversation qui avait défrayé la soirée, ne rêva que combats.
Il assistait à une bataille auprès de laquelle celles de Torfou, de Laval et de Saumur n’étaient que des jeux d’enfant ; à travers une grêle de balles et de mitraille, il conduisait sa division à l’assaut d’une redoute, et plantait le drapeau blanc au milieu des retranchements ennemis, lorsque quelques coups heurtés à la porte de sa 439
chambre vinrent le distraire de ses exploits.
– Entrez ! s’écria le marquis en se frottant les yeux. Ah ! ma foi, général, continua-t-il, vous arrivez bien ; deux minutes de plus, et vous étiez mort !
– Comment cela ?
– Oui, d’un coup d’estoc, je vous pourfendais.
– À charge de revanche, mon digne ami, dit le général en lui tendant la main.
– Mais, voyons, qui vous amène si matin, mon cher général ? car il ne me semble pas qu’il y ait plus d’une heure que le jour a paru.
– Je viens vous faire mes adieux, mon cher hôte, répondit le général.
– Déjà ! Voyons, restez avec moi aujourd’hui.
– Impossible. Mais je voudrais vous donner avant mon départ un bon conseil.
– Lequel donc ?
– Quittez Souday, quittez Machecoul, partez pour l’Angleterre.
– Ah ! ah ! ah !
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– Oui.
– Nous sommes donc compromis ? demanda à demi voix le marquis en se frottant allégrement les mains.
–
Si vous ne l’êtes pas encore, vous ne tarderez pas à l’être.
–
Mais, voyons, voulez-vous m’apprendre comment et par qui je vais me trouver compromis ?
– D’abord, votre domestique Jean Oullier, qui a tenté d’arrêter dans sa marche la colonne qui devait investir le château ; dans cette tentative, il a amené diverses collisions, où nous avons perdu trois hommes, sans compter celui dont j’ai fait justice, et que je soupçonne fort d’être de vos environs.
– Comment se nommait-il ?
– François Tinguy.
– Chut ! général, ne parlez pas si haut, par pitié ! sa sœur est ici et son père est à peine enterré.
– Ah ! les guerres civiles ! que le diable les 441
emporte ! dit le général.
– Ce sont cependant les seules logiques.
– C’est possible.
– N’importe, je l’avais pris, votre Jean Oullier, et il s’est sauvé.
– Mais, général, dit le marquis, je ne vois pas, jusqu’à présent, en quoi la conduite de mon garde peut m’être imputée à crime.
– Attendez donc ! Vous avez, depuis avant-hier, logé deux personnes au château de Souday.
Ces deux personnes étaient un homme et une femme.
Le marquis secoua la tête négativement.
– Soit ; mettons deux hommes, quoique l’un des deux n’ait, de notre sexe, que les habits.
Le marquis se tut ; le général continua :
– De ces deux personnages, lui, le plus petit, a passé toute la journée au château ; l’autre a couru les environs, afin de donner rendez-vous pour le soir à divers gentilshommes, dont, si j’étais indiscret, je pourrais vous citer les noms, comme 442
je vous cite, par exemple, celui du comte de Bonneville.
Le marquis se tut ; il fallait avouer ou mentir.
– Eh bien ! quand j’aurais reçu chez moi quelques voisins ; quand j’aurais accueilli deux étrangers, où serait le délit, général ? Voyons, là, je parle le Code en main... Ah ! à moins que la loi des suspects ne soit proclamée à nouveau.
– Il n’y a pas délit parce que des voisins sont venus chez vous ; il y a délit parce que ces voisins y ont ouvert un conciliabule dans lequel s’est agitée la question de la prise d’armes.
– Qui le prouvera ?
– La présence des deux étrangers.
– Bah !
–
Très certainement
; car, de ces deux
étrangers, le plus petit, qui était blond, ou plutôt blonde, doit nécessairement porter une perruque noire, puisqu’il se déguise, n’est pas moins que la princesse Marie-Caroline, que vous appelez la régente du royaume, ou Son Altesse royale Mme la duchesse de Berry, quand vous ne l’appelez 443
pas Petit-Pierre.
Le marquis fit un bond dans son lit.
– Après ? dit-il.
– Eh bien ! après, tandis que vous étiez au plus intéressant de la conversation, un jeune homme que l’on ne devrait pas s’attendre à rencontrer dans votre camp est venu vous avenir que la troupe se dirigeait sur votre château ; alors, vous, monsieur le marquis, vous avez proposé de résister... ne le niez pas, j’en suis sûr ; mais bientôt l’avis contraire a été adopté.
Mademoiselle votre fille, celle qui est brune...
– Bertha...
– Mademoiselle Bertha a pris un flambeau ; elle est sortie, et tout le monde – excepté vous, monsieur le marquis, qui avez probablement jugé à propos de vous occuper par avance des nouveaux hôtes que le Ciel vous envoyait – tout le monde est sorti avec elle. Elle a traversé la cour et s’est dirigée du côté de la chapelle ; elle en a ouvert la porte, elle est passée la première, elle a été droit à l’autel. En poussant un ressort 444
qui est caché dans la patte gauche de l’agneau sculpté sur le devant de l’autel, elle a cherché à faire jouer une trappe ; le ressort, qui depuis longtemps n’avait probablement pas fait son office, a résisté ; alors, elle a pris la sonnette qui sert pour la messe, sonnette dont le manche est en bois, et l’a appuyée sur le bouton d’acier ; le panneau a basculé et a découvert un escalier qui descend dans un souterrain. Mademoiselle Bertha a pris alors deux cierges sur l’autel, les a allumés et les a remis à deux des personnes qu’elle accompagnait ; puis, vos hôtes entrés dans le souterrain, elle en a refermé la trappe par-dessus eux et est revenue, ainsi qu’une autre personne qui, elle, n’est pas rentrée immédiatement, mais, au contraire, a erré dans le parc. Quant aux fugitifs, arrivés à l’extrémité du souterrain, dont la sortie donne dans les ruines de ce vieux château que l’on voit d’ici, ils ont eu quelque peine à se frayer un passage à travers les pierres ; l’un d’eux est même tombé ; enfin, ils sont descendus dans le chemin creux qui contourne les murs du parc et ils ont délibéré ; trois ont été rejoindre la route de Nantes à Machecoul, deux 445
ont pris la traverse qui conduit à Légé, et le sixième et le septième se sont dédoublés, ou plutôt doublés...
– Ah çà ! mais c’est un conte bleu que vous me faites là, général !
–
Attendez donc
! vous m’interrompez
précisément à l’endroit le plus intéressant... Je vous disais que le sixième et le septième fugitifs s’étaient doublés : c’est-à-dire que le plus grand a pris le plus petit sur ses épaules et marché ainsi jusqu’à un petit ru qui va se jeter dans le grand ruisseau coulant au pied de la viette des Biques, et, ma foi, c’est à celui-là ou à ceux-là que je donne la préférence ; c’est donc sur eux que je découplerai mes chiens.
– Mais encore une fois, général, s’écria le marquis de Souday, je vous le répète, tout cela n’a existé que dans votre imagination.
– Laissez donc, mon vieil ennemi ! Vous êtes capitaine de louveterie, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Eh bien ! quand vous voyez dans la terre 446
molle le pied d’un ragot, bien net, bien accentué, une voie saignante, comme vous appelez cela, êtes-vous disposé à vous laisser persuader que ce ragot n’est qu’un fantôme de sanglier ? Eh bien !
tout cela, marquis, je l’ai vu, plutôt, je l’ai lu.
Vous savez, mon cher marquis, dit le général en forme d’exorde, que je ne vous demande aucunement vos secrets, et je suis si parfaitement sûr, si profondément convaincu que tout s’est passé comme je le prétends, que je vous dispense de me dire si je me trompe ou si je ne me trompe pas ; je tiens seulement à vous prouver, par amour-propre, que nous avons le flair aussi fin dans notre camp que dans vos landes : petite satisfaction vaniteuse que je veux me donner, et voilà tout.
– Allez donc ! allez donc ! fit le marquis, impatient.
–
Commençons par le commencement. Je savais que M. le comte de Bonneville était arrivé chez vous, dans la nuit d’avant-hier, accompagné d’un petit paysan qui avait tout l’air d’une femme déguisée en homme, et que nous soupçonnions 447
être Madame... Ceci est un bénéfice d’espion, que je ne fais point figurer dans mon inventaire, ajouta le général.
– Vous avez raison... Pouah ! fit le marquis.
– Mais, en arrivant ici, j’avais déjà remarqué deux choses... La première, c’est que, sur les dix couverts qui étaient dressés, cinq serviettes étaient roulées, ce qui prouvait que le dîner était au moins en l’honneur de M. de Bonneville et de son compagnon, qui n’avaient pas jugé à propos de nous attendre.
–
Et, maintenant, la seconde observation
?
demanda le marquis.
– C’est que mademoiselle Bertha, lorsque j’ai eu l’honneur de lui être présenté, singulièrement couverte de toiles d’araignée : elle en avait jusque dans sa belle chevelure, or j’ai découvert que c’était justement la porte de votre chapelle, porte à laquelle j’ai aperçu une douzaine d’araignées qui travaillaient avec un zèle inimaginable à réparer le dégât que l’on avait, cette nuit, occasionné dans leurs filets ; zèle qui leur était inspiré par la confiance que l’ouverture de la 448
porte sur laquelle elles avaient fixé leur atelier n’était qu’un accident qui n’avait aucun motif pour se renouveler.
– Ce ne sont là, vous en conviendrez, que des indices un peu vagues, mon cher général.
– Oui ; mais, lorsque votre limier porte le nez au vent en tirant légèrement sur sa botte, ce n’est là qu’un indice encore plus vague, n’est-ce pas ?
et cependant, sur ces indices, vous faites le bois avec soin et très grand soin même !
– Certainement ! dit le marquis.
– Eh bien, c’est aussi mon système ; et, dans vos allées où le sable manque essentiellement, marquis, je découvris des voies fort significatives.
– Des pas d’hommes et de femmes ? fit le marquis. Bon ! il y en a partout.
–
Non, il n’y a point partout des pas agglomérés juste selon la quantité des acteurs que je supposais en scène, en ce moment, et des pas de gens qui ne marchent point, mais qui courent, et qui courent simultanément.
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– Mais à quoi avez-vous reconnu que ces personnes couraient ?
– Ah ! marquis, c’est l’A B C du métier.
– Enfin, dites toujours.
– Parce qu’elles enfonçaient plus de la pince que du talon, et que la terre était refoulée en arrière. Est-ce cela, monsieur le louvetier ?
– Bien, fit le marquis d’un air de connaisseur, bien ! Ensuite ?
– Ensuite ?
– Oui.
– J’ai examiné ces empreintes ; il y avait des pieds d’hommes de toutes les formes, des bottes, des brodequins, des souliers ferrés ; puis, au milieu de tous ces pieds d’hommes, un pied de femme mince et délié, un pied de Cendrillon, un pied à faire damner les Andalouses de Cordoue à Cadix, en dépit des souliers ferrés qui le contenaient.
– Passez, passez.
– Et pourquoi cela ?
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– Parce que, si vous vous y arrêtez un instant, vous allez devenir amoureux de ce soulier ferré.
– Le fait est que je voudrais fort le tenir. Cela viendra peut-être ! Mais c’était sur les marches du porche de la chapelle et sur les dalles de l’intérieur que les traces étaient devenues palpables ; la boue avait fait des siennes sur ces dalles polies. Je trouvai, en outre, près de l’autel, des gouttelettes de cire en grand nombre et précisément autour d’une empreinte fine et allongée que je jurerais être celle de mademoiselle Bertha ; et, comme d’autres taches de bougie existaient sur la marche extérieure de la porte, juste dans la direction verticale de la serrure, j’en conclus que c’était mademoiselle votre fille qui tenait la lumière et qui s’était servie de la clef, tout en s’éclairant de la main gauche, et en inclinant la lumière, tandis qu’elle introduisait, de la droite, la clef dans la serrure ; au surplus, les débris de toile d’araignée arrachés à la porte et retrouvés dans ses cheveux prouvent surabondamment que ce fut elle qui fraya le passage.
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– Allons, continuez.
– Le reste en vaut-il bien la peine ? J’ai vu que tous ces pas s’arrêtaient devant l’autel ; la patte de l’agneau pascal était écrasée et laissait à découvert le petit bouton d’acier qui aboutissait au ressort ; de sorte que je n’ai pas eu grand mérite à le découvrir. Il a résisté à mes efforts, comme il avait résisté à ceux de mademoiselle Bertha, qui s’y est si bien écorché les doigts, qu’elle a laissé une petite ligne de sang sur la brisure toute fraîche du bois sculpté. Comme elle, alors, j’ai cherché un corps dur pour pousser la tige du petit levier, et, comme elle, j’ai avisé le manche de bois de la sonnette, qui avait conservé la trace de la pression de la veille, plus, de son côté, une petite trace de sang.
–
Bravo
! fit le marquis, lequel prenait
évidemment un double intérêt à la narration.
–
Alors, comme vous le comprenez bien, continua Dermoncourt, je suis descendu dans le souterrain. Les pieds des fuyards étaient parfaitement empreints dans un sable humide ; enfin, et pour conclusion, j’ai retrouvé les pas 452
dans le chemin, et, comme ils se séparaient, j’ai pu les classer dans l’ordre que je vous ai indiqué.
– Non, ce n’est pas la conclusion.
– Comment ! ce n’est pas la conclusion ? Si fait !
– Non. Qui a pu vous apprendre qu’un des voyageurs avait pris l’autre sur son dos ?
– Ah ! marquis, vous tenez à me faire faire parade de mon peu d’intelligence. Le fameux petit pied au soulier ferré, je l’ai revu dans le souterrain, puis encore dans le chemin creux qui est derrière les ruines, à l’endroit où l’on s’est arrêté et où l’on a délibéré, chose facile à voir au piétinement de la terre ; il se montre encore une fois dans la direction qui mène au ru ; puis, tout à coup, près d’une grosse pierre que la pluie aurait dû laver et que j’ai trouvée, au contraire, maculée de boue, il disparaît ! À partir de ce moment, comme les hippogriffes ne sont plus de notre siècle, je présume que M. de Bonneville a pris son jeune compagnon sur ses épaules ; d’ailleurs, le pas du susdit M. de Bonneville s’est fort alourdi ; ce n’est plus celui d’un jeune homme 453
frais et gaillard comme nous l’étions à son âge.
–
Mais vous avez oublié quelque chose, général. Qui vous fait présumer que le compagnon de M. de Bonneville soit l’auguste personne que vous désigniez tout à l’heure ?
– D’abord, parce qu’on le fait passer partout et toujours avant les autres et que l’on dérange les pierres pour qu’il passe.
– Reconnaissez-vous donc, au pied, si celui ou celle qui passe est blond ou brun, brune ou blonde ?
– Non ; mais je le reconnais à autre chose.
– À quoi ? Voyons ? ce sera ma dernière question.
– Eh bien, mon cher marquis, vous m’avez fait l’honneur de me donner précisément la chambre qu’occupait hier le compagnon de M. de Bonneville.
– Oui, je vous ai fait cet honneur ; après ?
–
Honneur dont je vous suis tout à fait reconnaissant, et voici un joli petit peigne d’écaille que j’ai trouvé au pied du lit. Avouez, 454
cher marquis, que ce peigne est bien coquet pour appartenir à un petit paysan
; en outre, il
contenait et contient encore, comme vous pouvez le voir, des cheveux d’un blond cendré, qui n’est pas le moins du monde le blond doré de votre seconde fille, la seule blonde qu’il y ait dans votre maison.
–
Général, s’écria le marquis, faites-moi arrêter, si bon vous semble ; mais, je vous le dis une fois pour cent, une fois pour mille, je n’irai pas en Angleterre ; non, non, non, je n’irai pas !
–
Oh
! oh
! marquis, quelle mouche vous
pique ?
– Non ; vous avez stimulé mon émulation, aiguillonné mon amour-propre, que diable
!
Lorsque, après la campagne, vous viendrez à Souday, ainsi que vous me l’avez promis, je n’aurai rien à vous raconter qui puisse faire le pendant de vos histoires.
– Écoutez, mon vieil et bon ennemi, dit le général, je vous ai donné ma parole de ne pas vous prendre, cette fois, du moins ; cette parole, quoi que vous fassiez, ou plutôt quoi que vous 455
ayez fait, je la tiendrai ; mais, je vous en conjure, au nom de tout l’intérêt que vous m’inspirez, au nom de vos charmantes filles, n’agissez plus à la légère, et, si vous ne voulez point sortir de France, au moins tenez-vous tranquille chez vous.
Que Dieu vous garde et vous tienne en santé !
Seulement, il est probable que le hasard – et que le diable l’emporte ! – nous mettra encore en face l’un de l’autre, comme il nous y a mis jadis ; mais, à présent, je vous connais, et, s’il y a une mêlée, comme celle qui eut lieu il y a trente-six ans, à Laval, ah ! je vous chercherai, je vous jure !
– Et moi, donc ! s’écria le marquis ; je vous promets que je vous appellerai de tous mes poumons ! Je serais si aise et si fier à la fois de montrer à tous ces blancs-becs ce que c’était que les hommes de la grande guerre.
– Allons, voilà le clairon qui m’appelle. Adieu donc, marquis, et merci de votre hospitalité.
– Au revoir, général, et merci pour une amitié qu’il me reste à vous prouver que je partage.
Les deux vieillards se serrèrent les mains ; 456
Dermoncourt sortit.
Le marquis s’habilla et regarda par la fenêtre défiler la petite colonne, qui montait l’avenue dans la direction de la forêt. À cent pas du château, le général commanda un à droite ; puis, arrêtant son cheval, il jeta un dernier regard sur les petites tourelles pointues de la demeure de son nouvel ami ; il aperçut celui-ci, lui envoya de la main un dernier adieu ; puis, tournant bride, il rejoignit ses soldats.
Au moment où, après avoir suivi des yeux, le plus longtemps qu’il lui fut possible, le petit détachement et celui qui le commandait, le marquis de Souday se retirait de la fenêtre, il entendit gratter légèrement à une petite porte qui donnait dans son alcôve et qui, par un cabinet, communiquait avec l’escalier de service.
– Qui diable peut venir par là ? se demanda-t-il.
Et il alla tirer le verrou.
La porte s’ouvrit immédiatement, et il aperçut Jean Oullier.
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– Jean Oullier ! s’écria-t-il avec un accent de joie véritable ; c’est toi ; te voilà, mon brave Jean Oullier ! Ah ! par ma foi, la journée s’annonce sous d’heureux auspices.
Et il tendit les deux mains au vieux garde, qui les serra avec une vive expression de reconnaissance et de respect.
Puis, dégageant sa main, Jean Oullier fouilla à sa poche et présenta au marquis un papier grossier, mais plié en fourme de lettre. M. de Souday le prit, l’ouvrit et le lut.
Au fur et à mesure qu’il le lisait, son visage s’illuminait d’une joie indicible.
– Jean Oullier, dit-il, appelle ces demoiselles, assemble tout mon monde... Non, ne rassemble encore personne ; mais fourbis mon épée, mes pistolets, ma carabine, tout mon harnais de guerre ; donne l’avoine à Tristan. La campagne s’ouvre, mon cher Jean Oullier, elle s’ouvre ! –
Bertha ! Mary ! Bertha !
– Monsieur le marquis, dit froidement Jean Oullier, la campagne est ouverte pour moi depuis 458
hier, à trois heures.
Aux cris du marquis, les deux jeunes filles étaient accourues.
Mary avait les yeux rouges et gonflés.
Bertha était rayonnante.
–
Mesdemoiselles, mesdemoiselles, fit le marquis, vous en êtes, vous venez avec moi !
Lisez, lisez plutôt.
Et il tendit à Bertha la lettre qu’il venait de recevoir de Jean Oullier.
Cette lettre était conçue en ces termes : Monsieur le marquis de Souday, Il est utile à la cause du roi Henri V que vous avanciez de quelques jours le moment où l’on prendra les armes. Veuillez donc rassembler le plus d’hommes dévoués qu’il vous sera possible dans la division dont vous avez le commandement, et vous tenir, ainsi qu’eux, mais vous surtout, à ma disposition immédiate.
Je crois que deux amazones de plus dans notre 459
petite armée pourraient aiguillonner à la fois l’amour et l’amour-propre de nos amis, et je vous demande, monsieur le marquis, de vouloir bien me donner vos deux belles et charmantes chasseresses pour aides de camp.
Votre affectionné
PETIT-PIERRE.
– Ainsi, demanda Bertha, nous partons ?
– Parbleu ! fit le marquis.
– Alors, mon père, dit Bertha, permettez-moi de vous présenter une recrue.
– Toujours !
Mary resta muette et immobile.
Bertha sortit, et, une minute après, rentra tenant Michel par la main.
– Monsieur Michel de la Logerie, dit la jeune fille en accentuant ce titre, lequel demande à vous prouver, mon père, que Sa Majesté Louis XVIII ne s’est point trompée en lui décernant la noblesse.
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Le marquis, qui avait froncé le sourcil au nom de Michel, chercha à se dérider.
–
Je suivrai avec intérêt les efforts que monsieur Michel fera pour arriver à ce but, dit-il enfin.
Et il prononça ces sobres paroles du ton que l’empereur Napoléon eût pu prendre la veille de la bataille de Marengo et d’Austerlitz.
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