XXVI – Les juges

 

– Eh bien, mon brave ami, dit Coconnas à La Mole, lorsque les deux compagnons se retrouvèrent ensemble à la suite de l’interrogatoire où, pour la première fois, il avait été question de la figure de cire, il me semble que tout marche à ravir et que nous ne tarderons pas à être abandonnés des juges, ce qui est un diagnostic tout opposé à celui de l’abandon des médecins ; car lorsque le médecin abandonne le malade, c’est qu’il ne peut plus le sauver ; mais, tout au contraire, quand le juge abandonne l’accusé, c’est qu’il perd l’espoir de lui faire couper la tête.

– Oui, dit La Mole ; il me semble même qu’à cette politesse, à cette facilité des geôliers, à l’élasticité des portes, je reconnais nos nobles amies ; mais je ne reconnais pas M. de Beaulieu, à ce qu’on m’avait dit, du moins.

– Je le reconnais bien, moi, dit Coconnas ; seulement cela coûtera cher ; mais, baste ! l’une est princesse, l’autre est reine ; elles sont riches toutes deux, et jamais elles n’auront occasion de faire un si bon emploi de leur argent. Maintenant, récapitulons bien notre leçon : on nous mène à la chapelle, on nous laisse là sous la garde de notre guichetier, nous trouvons à l’endroit indiqué chacun un poignard ; je pratique un trou dans le ventre de notre guide…

– Oh ! non, pas dans le ventre, tu lui volerais ses cinq cents écus ; dans le bras.

– Ah ! oui, dans le bras ce serait le perdre, pauvre cher homme ! on verrait bien qu’il y a mis de la complaisance, et moi aussi. Non, non, dans le côté droit, en glissant adroitement le long des côtes : c’est un coup vraisemblable et innocent.

– Allons, va pour celui-là ; ensuite…

– Ensuite tu barricades la grande porte avec des bancs tandis que nos deux princesses s’élancent de l’autel où elles sont cachées et que Henriette ouvre la petite porte. Ah ! ma foi ! je l’aime aujourd’hui Henriette, il faut qu’elle m’ait fait quelque infidélité pour que cela me reprenne ainsi.

– Et puis, dit La Mole avec cette voix frémissante qui passe comme une musique à travers les lèvres, et puis nous gagnons les bois. Un bon baiser donné à chacun de nous nous fait joyeux et forts. Nous vois-tu, Annibal, penchés sur nos chevaux rapides et le cœur doucement oppressé ? Oh ! la bonne chose que la peur ! La peur en plein air, lorsqu’on a sa bonne épée nue au flanc, lorsqu’on crie hourra au coursier qu’on aiguillonne de l’éperon, et qui à chaque hourra bondit et vole.

– Oui, dit Coconnas, mais la peur entre quatre murs, qu’en dis-tu, La Mole ? Moi, je puis en parler, car j’ai éprouvé quelque chose comme cela. Quand ce visage blême de Beaulieu est entré pour la première fois dans ma chambre, derrière lui dans l’ombre brillaient des pertuisanes et retentissait un sinistre bruit de fer heurté contre du fer. Je te jure que j’ai pensé tout aussitôt au duc d’Alençon, et que je m’attendais à voir apparaître sa vilaine face entre deux vilaines têtes de hallebardiers. J’ai été trompé et ce fut ma seule consolation ; mais je n’ai pas tout perdu : la nuit venue, j’en ai rêvé.

– Ainsi, dit La Mole, qui suivait sa pensée souriante sans accompagner son ami dans les excursions que faisait la sienne aux champs du fantastique, ainsi elles ont tout prévu, même le lieu de notre retraite. Nous allons en Lorraine, cher ami. En vérité, j’eusse mieux aimé aller en Navarre ; en Navarre, j’étais chez elle, mais la Navarre est trop loin, Nancy vaut mieux ; d’ailleurs, là, nous ne serons qu’à quatre-vingts lieues de Paris. Sais-tu un regret que j’emporte, Annibal, en sortant d’ici ?

– Ah ! ma foi, non… par exemple. Quant à moi, j’avoue que j’y laisse tous les miens.

– Eh bien, c’est de ne pouvoir emmener avec nous le digne geôlier au lieu de…

– Mais il ne voudrait pas, dit Coconnas, il y perdrait trop : songe donc, cinq cents écus de nous, une récompense du gouvernement, de l’avancement peut-être ; comme il vivra heureux ce gaillard-là, quand je l’aurai tué ! … Mais qu’as-tu donc ?

– Rien ! Une idée qui me passe par l’esprit.

– Elle n’est pas drôle, à ce qu’il paraît, car tu pâlis affreusement.

– C’est que je me demande pourquoi on nous mènerait à la chapelle.

– Tiens ! dit Coconnas, pour faire nos pâques. Voilà le moment, ce me semble.

– Mais, dit La Mole, on ne conduit à la chapelle que les condamnés à mort ou les torturés.

– Oh ! oh ! fit Coconnas en pâlissant légèrement à son tour, ceci mérite attention. Interrogeons sur ce point le brave homme que je dois éventrer incessamment. Eh ! porte-clefs, mon ami !

– Monsieur m’appelle ! dit le geôlier qui faisait le guet sur les premières marches de l’escalier.

– Oui, viens ça.

– Me voici.

– Il est convenu que c’est de la chapelle que nous nous sauverons, n’est-ce pas ?

– Chut ! dit le porte-clefs en regardant avec effroi autour de lui.

– Sois tranquille, personne ne nous écoute.

– Oui, monsieur, c’est de la chapelle.

– On nous y conduira donc à la chapelle ?

– Sans doute, c’est l’usage.

– C’est l’usage ?

– Oui, après toute condamnation à mort, c’est l’usage de permettre que le condamné passe la nuit dans la chapelle.

Coconnas et La Mole tressaillirent et se regardèrent en même temps.

– Vous croyez donc que nous serons condamnés à mort ?

– Sans doute… mais vous aussi, vous le croyiez.

– Comment ! nous aussi, dit La Mole.

– Certainement… si vous ne le croyiez pas, vous n’auriez pas tout préparé pour votre fuite.

– Sais-tu que c’est plein de sens ce qu’il dit là ! fit Coconnas à La Mole.

– Oui… ce que je sais aussi, maintenant du moins, c’est que nous jouons gros jeu, à ce qu’il paraît.

– Et moi donc ! dit le guichetier, croyez-vous que je ne risque rien ?… Si dans un moment d’émotion monsieur allait se tromper de côté ! …

– Eh ! mordi ! je voudrais être à ta place, dit lentement Coconnas, et ne pas avoir affaire à d’autres mains qu’à cette main, à d’autre fer que celui qui te touchera.

– Condamnés à mort ! murmura La Mole, mais c’est impossible !

– Impossible ! dit naïvement le guichetier, et pourquoi ?

– Chut ! dit Coconnas, je crois que l’on ouvre la porte d’en bas.

– En effet, reprit vivement le geôlier ; rentrez, messieurs ! rentrez !

– Et quand croyez-vous que le jugement ait lieu ? demanda La Mole.

– Demain au plus tard. Mais soyez tranquilles, les personnes qui doivent être prévenues le seront.

– Alors embrassons-nous et faisons nos adieux à ces murs.

Les deux amis se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et rentrèrent chacun dans sa chambre, La Mole soupirant, Coconnas chantonnant.

Il ne se passa rien de nouveau jusqu’à sept heures du soir. La nuit descendit sombre et pluvieuse sur le donjon de Vincennes, une vraie nuit d’évasion. On apporta le repas du soir de Coconnas, lequel soupa avec son appétit ordinaire, tout en songeant au plaisir qu’il aurait à être mouillé par cette pluie qui fouettait les murailles, et déjà il se préparait à s’endormir au murmure sourd et monotone du vent, quand il lui sembla que ce vent, qu’il écoutait parfois avec un sentiment de mélancolie qu’il n’avait jamais éprouvé avant qu’il fût en prison, sifflait plus étrangement que d’habitude sous toutes les portes, et que le poêle ronflait avec plus de rage qu’à l’ordinaire. Ce phénomène avait lieu chaque fois qu’on ouvrait un des cachots de l’étage supérieur et surtout celui d’en face. C’est à ce bruit qu’Annibal reconnaissait toujours que le geôlier allait venir, attendu que ce bruit indiquait qu’il sortait de chez La Mole.

Cependant cette fois, Coconnas demeura inutilement le cou tendu et l’oreille au guet.

Le temps s’écoula, personne ne vint.

– C’est étrange, dit Coconnas, on a ouvert chez La Mole et l’on n’ouvre pas chez moi. La Mole aurait-il appelé ? serait-il malade ? que veut dire cela ?

Tout est soupçon et inquiétude comme tout est joie et espoir pour un prisonnier. Une demi-heure s’écoula, puis une heure, puis une heure et demie. Coconnas commençait à s’endormir de dépit, quand le bruit de la serrure le fit bondir.

– Oh ! oh ! dit-il, est-ce déjà l’heure du départ et va-t-on nous conduire à la chapelle sans être condamnés ? Mordi ! ce serait un plaisir de fuir par une nuit pareille, il fait noir comme dans un four ; pourvu que les chevaux ne soient point aveuglés !

Il se préparait à questionner gaiement le porte-clefs, quand il vit celui-ci appliquer son doigt sur les lèvres en roulant des yeux très éloquents.

En effet, derrière le geôlier on entendait du bruit et l’on apercevait des ombres.

Tout à coup, au milieu de l’obscurité, il distingua deux casques sur chacun desquels la chandelle fumeuse envoya une paillette d’or.

– Oh ! oh ! demanda-t-il à demi-voix, qu’est-ce que c’est que cet appareil sinistre ? où allons-nous donc ?

Le geôlier ne répondit que par un soupir qui ressemblait fort à un gémissement.

– Mordi ! murmura Coconnas, quelle peste d’existence ! toujours des extrêmes, jamais de terre ferme : on barbote dans cent pieds d’eau, ou l’on plane au-dessus des nuages, pas de milieu. Voyons, où allons-nous ?

– Suivez les hallebardiers, monsieur, dit une voix grasseyante qui fit connaître à Coconnas que les soldats qu’il avait entrevus étaient accompagnés d’un huissier quelconque.

– Et M. de La Mole, demanda le Piémontais, où est-il ? que devient-il ?

– Suivez les hallebardiers, répéta la même voix grasseyante sur le même ton.

Il fallait obéir. Coconnas sortit de sa chambre, et aperçut l’homme noir dont la voix lui avait été si désagréable. C’était un petit greffier bossu, et qui sans doute s’était fait homme de robe pour qu’on ne s’aperçût point qu’il était bancal en même temps.

Il descendit lentement l’escalier en spirale. Au premier étage, les gardes s’arrêtèrent.

– C’est beaucoup descendre, murmura Coconnas, mais pas encore assez.

La porte s’ouvrit. Coconnas avait un regard de lynx et un flair de limier ; il flaira les juges, et vit dans l’ombre une silhouette d’homme aux bras nus qui lui fit monter la sueur au front. Il n’en prit pas moins la mine la plus souriante, pencha la tête à gauche, selon le code des grands airs à la mode à cette époque, et, le poing sur la hanche, entra dans la salle.

On leva une tapisserie, et Coconnas aperçut effectivement des juges et des greffiers.

À quelques pas de ces juges et de ces greffiers, La Mole était assis sur un banc.

Coconnas fut conduit devant un tribunal. Arrivé en face des juges, Coconnas s’arrêta, salua La Mole d’un signe de tête et d’un sourire, puis il attendit.

– Comment vous nommez-vous, monsieur ? lui demanda le président.

– Marc-Annibal de Coconnas, répondit le gentilhomme avec une grâce parfaite, comte de Montpantier, Chenaux et autres lieux ; mais on connaît nos qualités, je présume.

– Où êtes-vous né ?

– À Saint-Colomban, près de Suze.

– Quel âge avez-vous ?

– Vingt-sept ans et trois mois.

– Bien, dit le président.

– Il paraît que cela lui fit plaisir, murmura Coconnas.

– Maintenant, dit le président après un moment de silence qui donna au greffier le temps d’écrire les réponses de l’accusé, quel était votre but en quittant la maison de M. d’Alençon ?

– De me réunir à M. de La Mole, mon ami, que voilà, et qui, lorsque je la quittai, moi, l’avait déjà quittée depuis quelques jours.

– Que faisiez-vous à la chasse où vous fûtes arrêté ?

– Mais, répondit Coconnas, je chassais.

– Le roi était aussi à cette chasse, et il y ressentit les premières atteintes du mal dont il souffre en ce moment.

– Quant à ceci, je n’étais pas près du roi, et je ne puis rien dire. J’ignorais même qu’il fût atteint d’un mal quelconque. Les juges se regardèrent avec un sourire d’incrédulité.

– Ah ! vous l’ignoriez ? dit le président.

– Oui, monsieur, et j’en suis fâché. Quoique le roi de France ne soit pas mon roi, j’ai beaucoup de sympathie pour lui.

– Vraiment ?

– Parole d’honneur ! Ce n’est pas comme pour son frère le duc d’Alençon. Celui-là, je l’avoue…

– Il ne s’agit point ici du duc d’Alençon, monsieur, mais de Sa Majesté.

– Eh bien, je vous ai déjà dit que j’étais son très humble serviteur, répondit Coconnas en se dandinant avec une adorable insolence.

– Si vous êtes en effet son serviteur, comme vous le prétendez, monsieur, voulez-vous nous dire ce que vous savez d’une certaine statue magique ?

– Ah ! bon ! nous revenons à l’histoire de la statue, à ce qu’il paraît ?

– Oui, monsieur, cela vous déplaît-il ?

– Non point, au contraire ; j’aime mieux cela. Allez.

– Pourquoi cette statue se trouvait-elle chez M. de La Mole ?

– Chez M. de La Mole, cette statue ? Chez René, vous voulez dire.

– Vous reconnaissez donc qu’elle existe ?

– Dame ! si on me la montre.

– La voici. Est-ce celle que vous connaissez ?

– Très bien.

– Greffier, dit le président, écrivez que l’accusé reconnaît la statue pour l’avoir vue chez M. de La Mole.

– Non pas, non pas, dit Coconnas, ne confondons point : pour l’avoir vue chez René.

– Chez René, soit ! Quel jour ?

– Le seul jour où nous y avons été, M. de La Mole et moi.

– Vous avouez donc que vous avez été chez René avec M. de La Mole ?

– Ah ! ça ! est-ce que je m’en suis jamais caché ?

– Greffier, écrivez que l’accusé avoue avoir été chez René pour faire des conjurations.

– Holà, hé ! tout beau, tout beau, monsieur le président. Modérez votre enthousiasme, je vous prie : je n’ai pas dit un mot de tout cela.

– Vous niez que vous avez été chez René pour faire des conjurations ?

– Je le nie. La conjuration s’est faite par accident, mais sans préméditation.

– Mais elle a eu lieu ?

– Je ne puis nier qu’il se soit fait quelque chose qui ressemblait à un charme.

– Greffier, écrivez que l’accusé avoue qu’il s’est fait chez René un charme contre la vie du roi.

– Comment ! contre la vie du roi ! C’est un infâme mensonge. Il ne s’est jamais fait de charme contre la vie du roi.

– Vous le voyez, messieurs, dit La Mole.

– Silence ! fit le président. Puis se retournant vers le greffier : – Contre la vie du roi, continua-t-il. Y êtes-vous ?

– Mais non, mais non, dit Coconnas. D’ailleurs la statue n’est pas une statue d’homme, mais de femme.

– Eh bien, messieurs, que vous avais-je dit ? reprit La Mole.

– Monsieur de la Mole, dit le président, vous répondrez quand nous vous interrogerons ; mais n’interrompez pas l’interrogatoire des autres.

– Ainsi, vous dites que c’est une femme ?

– Sans doute, je le dis.

– Pourquoi alors a-t-elle une couronne et un manteau royal ?

– Pardieu ! dit Coconnas, c’est bien simple ; parce que c’était… La Mole se leva et mit un doigt sur sa bouche.

– C’est juste, dit Coconnas ; qu’allais-je donc raconter, moi, comme si cela regardait ces messieurs !

– Vous persistez à dire que cette statue est une statue de femme ?

– Oui, certainement, je persiste.

– Et vous refusez de dire quelle est cette femme ?

– Une femme de mon pays, dit La Mole, que j’aimais et dont je voulais être aimé.

– Ce n’est pas vous qu’on interroge, monsieur de la Mole, s’écria le président ; taisez-vous donc, ou l’on vous bâillonnera.

– … Bâillonnera ! dit Coconnas ; comment dites-vous cela, monsieur de la robe noire ? On bâillonnera mon ami ! … un gentilhomme ! Allons donc !

– Faites entrer René, dit le procureur général Laguesle.

– Oui, faites entrer René, dit Coconnas, faites ; nous allons voir un peu qui a raison, ici, de vous trois ou de nous deux.

René entra pâle, vieilli, presque méconnaissable pour les deux amis, courbé sous le poids du crime qu’il allait commettre, bien plus que de ceux qu’il avait commis.

– Maître René, dit le juge, reconnaissez-vous les deux accusés ici présents ?

– Oui, monsieur, répondit René d’une voix qui trahissait son émotion.

– Pour les avoir vus où ?

– En plusieurs lieux, et notamment chez moi.

– Combien de fois ont-ils été chez vous ?

– Une seule.

À mesure que René parlait, la figure de Coconnas s’épanouissait. Le visage de La Mole, au contraire, demeurait grave comme s’il avait eu un pressentiment.

– Et à quelle occasion ont-ils été chez vous ? René sembla hésiter un moment.

– Pour me commander une figure de cire, dit-il.

– Pardon, pardon, maître René, dit Coconnas, vous faites une petite erreur.

– Silence ! dit le président. Puis se retournant vers René : Cette figurine, continua-t-il, est-elle une figure d’homme ou de femme ?

– D’homme, répondit René.

Coconnas bondit comme s’il eût reçu une commotion électrique.

– D’homme ! dit-il.

– D’homme, répéta René, mais d’une voix si faible qu’à peine le président l’entendit.

– Et pourquoi cette statue d’homme a-t-elle un manteau sur les épaules et une couronne sur la tête ?

– Parce que cette statue représente un roi.

– Infâme menteur ! cria Coconnas exaspéré.

– Tais-toi, Coconnas, tais-toi, interrompit La Mole, laisse dire cet homme, chacun est maître de perdre son âme.

– Mais non pas le corps des autres, mordi !

– Et que voulait dire cette aiguille d’acier que la statue avait dans le cœur, avec la lettre M écrite sur une petite bannière ?

– L’aiguille simulait l’épée ou le poignard, la lettre M veut dire MORT.

Coconnas fit un mouvement pour étrangler René, quatre gardes le retinrent.

– C’est bien, dit le procureur Laguesle, le tribunal est suffisamment renseigné. Reconduisez les prisonniers dans les chambres d’attente.

– Mais, s’écriait Coconnas, il est impossible de s’entendre accuser de pareilles choses sans protester.

– Protestez, monsieur, on ne vous en empêche pas. Gardes, vous avez entendu ? Les gardes s’emparèrent des deux accusés et les firent sortir, La Mole par une porte, Coconnas par l’autre.

Puis le procureur fit signe à cet homme que Coconnas avait aperçu dans l’ombre et lui dit :

– Ne vous éloignez pas, maître, vous aurez de la besogne cette nuit.

– Par lequel commencerai-je, monsieur ? demanda l’homme en mettant respectueusement le bonnet à la main.

– Par celui-ci, dit le président en montrant La Mole qu’on apercevait encore comme une ombre entre les deux gardes.

Puis s’approchant de René, qui était resté debout et tremblant en attendant à son tour qu’on le reconduisît au Châtelet où il était enfermé :

– Bien, monsieur, lui dit-il, soyez tranquille, la reine et le roi sauront que c’est à vous qu’ils auront dû de connaître la vérité.

Mais au lieu de lui rendre de la force, cette promesse parut atterrer René, et il ne répondit qu’en poussant un profond soupir.