CHAPITRE IV











Le cerveau dirigeant géant Newton stationné sur Mars, et construit par les Martiens disparus, nous avait donné une piste intéressante.

Cela nous apprit que mes soupçons premiers étaient fondés. Il n’avait pas eu besoin d’attendre les envois d’intendance d’Alpha VI, mais avait trouvé directement ses bases pour les cultures bactériologiques infernales dans la citadelle engloutie d’Atlantis à Crutcolatla.

Cette substance basée sur des cultures de bactéries avait été développée par les savants martiens au cours de la guerre contre Deneb. Cela servait à préparer les peuples vassaux des Martiens à recevoir des ordres hypno suggestifs. Il semblait que cette substance, annihilant toute conscience avait également été utilisée sur la terre. Nous nous imaginions sans peine, que les Martiens après avoir subi d’énormes pertes, s’étaient rabattus sur les Atlantes, peuple intelligent.

Nos experts pensaient, en analysant toutes ces coordonnées, que le huitième homme devait être cherché parmi les biologistes, chimistes ou pharmaciens.

Il y en avait des centaines de milliers sur la terre. Impossible de s’y retrouver. Par conséquent, la mission « Aigle rouge » demeurait pleinement valable.

J’étais sorti de clinique deux jours auparavant. Les nouveaux cicatrisants biologiques avaient aussitôt refermé mes cicatrices. Douze heures après l’opération me privant d’un rein, on avait opéré une nouvelle fois mes cordes vocales pour en changer le timbre, six heures plus tard, mes yeux furent teints.

J’étais le parfait sosie de van Hetlin, chaque détail correspondait exactement.

J’étais beau gosse, pour tout dire. Mais alors le pauvre Annibal ! Pas d’opérations conséquentes, mais il était transformé en gnome répugnant. Impossible de décrire ce qu’était devenu mon ami.

Des épaules anormalement larges, une scoliose gauche de la colonne vertébrale, une bosse touchant presque le cou…

Les bras et les jambes maigres à faire peur, le sternum avançait. Le pied gauche ressemblait à une grosse brique. Il avait fallu plusieurs journées à Annibal pour imiter la marche claudicante du véritable Peroni.

Mais le visage était encore plus horrible. Une grenouille aux grosses lèvres boudinées, un menton pointu et des yeux exorbités. Quand je pense que le vrai Peroni avait obstinément refusé d’avoir recours à la chirurgie esthétique, tellement avancée en l’an 2000. Et cette tête démesurée totalement chauve…

Le nez mince et recourbé détonnait. Rien, mais alors rien dans cette personnalité n’était équilibré et harmonieux. La nature semblait avoir voulu faire de l’horrible à tout prix.

— Tu me trouves beau ? me dit le petit d’un air triste.

Je le comprenais. Ce masque pouvait enlever la joie de vivre à l’optimiste le plus forcené. Pas un seul ricanement d’Annibal depuis cette funeste transformation. Il y renonçait depuis qu’il s’était vu dans une glace, et son sourire espiègle normal y était apparu comme une grimace affreuse.

— Ça passera comme le reste, me dit-il encore d’un air déprimé. Jamais je ne me suis senti aussi mal, mon grand. La première fois que je me suis vu dans une glace après la transformation, j’ai compris le dérangement mental de Peroni. Un tel monstre doit devenir pervers. A moins que je ne me trompe…

— Et comment que tu te trompes ! Tu sais parfaitement bien que l’on ne doit jamais juger sur l’aspect extérieur. Nous avons même toléré les Hypnos. Tu dois tout simplement t’accommoder de ce choc.

— Je te jure que… oh et puis, zut ! J’arriverai bien à m’y faire pour quelques semaines, la Perche !

Il se reprit à sourire comme avant.

— Je dois avoir l’air du roi des crapauds en tenue d’astronaute !

— Ne perdons plus de temps. Chaque seconde de fuite perdue, l’A.F.C. vend des millions de conserves de plus !

La centrale nous fit savoir que l’ultime briefing était fixé à 22 heures, le 9 juin 2010.

Un véhicule nous transporta vers les montagnes transformées en bunker. Une chaîne montagneuse étroite, au milieu un volcan éteint.

Reling, les autres patrons des services secrets et Kiny s’y trouvaient déjà. Leurs regards nous examinèrent sur toutes les coutures au moment de notre entrée.

Annibal s’amusa à prendre une attitude de guet et à émettre un ricanement affreux. Cela démontrait qu’il avait repris tout son équilibre.

Reling semblait mal à l’aise et Fo-Tieng était totalement ahuri. Et ça, pour un Chinois… Grosskij jurait comme un Russe seul sait le faire, réclamant de la vodka à grands cris. Nous devions faire notre effet.

— Baissez vos armes, ordonna le colonel Mike Torpentouf !

Les soldats de garde avaient été mis au courant, mais pas assez pour connaître notre transformation, et nous voyant entrer libres…

— Vous faites de l’effet, dit Reling en riant jaune. Mais cela sonnait faux. Il était trop préoccupé par la date à laquelle le huitième homme allait frapper. Quand ?

Je suivis Annibal qui s’approchait de la grande table au milieu de la salle. Des cartes s’y trouvaient étalées indiquant les divers systèmes de défense de Henderwon Island.

Nous pûmes contempler le secteur nord du Pacifique. Quelques porte-avions y étaient stationnés ainsi que des destroyers rapides et des sous-marins nucléaires. Les autres secteurs étaient tout aussi bien protégés.

— Une sécurité un peu trop poussée, dit Annibal en faisant la moue. (Il sourit à Reling qui se détourna presque aussitôt.) On n’y passe pas, ni par mer ni par air. Ne disiez-vous pas qu’il fallait prendre le huitième homme avec un maximum de prudence ?

— Ne vous en faites pas, MA 23, dit Reling. Et puis cessez de ricaner de la sorte, c’est insupportable !

Alors Annibal éclata du rire tonitruant du Dr Peroni, presque des aboiements de chacal.

— C’est merveilleux de vérité, cria le Dr Mirnam, qui faisait partie de l’équipe de chirurgie esthétique. Il nous connaissait bien, ayant en son temps pris soin du Denebien décédé, Coatla.

— Etes-vous bien équipés ? Je n’ai pas eu le temps de m’en occuper personnellement.

— Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, patron. Si jamais je saute avec tout ce que vous avez soigneusement arrimé dans ma bosse, alors vous sauterez aussi et la moitié de la région du Pacifique par la même occasion. Je me demande seulement combien de temps votre produit spécial résistera aux éventuels rayons X,

— S’il le faut, des années, dit Mirnam. Les tissus bio-synthétiques et leurs graisses, os, etc., ont été greffés sur la bosse. Tout y est, même les organes. Alors, ne vous en faites pas. Si vous vous blessez, ça saignera même, ce système diabolique est rattaché à votre appareil circulatoire.

— Le poids d’Annibal dépasse de quinze kilos celui du vrai Peroni. En avez-vous tenu compte, docteur ?

— Nous nous en sommes chargés, dit Reling. Nous avons laissé entendre que les délinquants ont été extraordinairement bien traités. Peroni est connu comme goinfre, c’est très vraisemblable !

— C’est une cause de soucis, dit Mirnam. Utan doit supporter ce poids supplémentaire pour lequel il n’est pas fait morphologiquement. Il aura de la peine à courir sans manquer d’air.

— Allons, je suis tellement entraîné, dit le petit. Et puis, un handicapé comme Peroni peut avoir de temps en temps un moment de défaillance. Même, et surtout le huitième homme avec un quotient intellectuel tellement élevé, tiendra compte de ma fatigue. C’était un risque à prendre. Et de toute manière, il nous fallait notre équipement. HC 9 ne peut pas mettre grand-chose dans ses vêtements.

Il avait fallu indiquer aux gens de quelle manière les condamnés étaient nourris, vêtus, etc. J’étais revêtu d’un pantalon en velours côtelé, de bottes lacées, d’une chemise en pure laine et d’une veste de cuir arrivant au bas des hanches, portant au dos un numéro en peinture phosphorescente. J’avais le N° 1 et Annibal le 5. La question du marquage des vêtements nous avait posé des problèmes. Si jamais nous rencontrions le huitième homme, il n’aimerait pas cette signalisation et nous enlèverait les vêtements trop reconnaissables.

Finalement, les psychologues en étaient venus à penser que si nous attirions l’attention sur les vêtements marqués qui ne contenaient pas d’armes micronisées, nous avions des chances de garder les autres. Mes armes étaient camouflées dans les bottes et les pantalons. Annibal n’avait que des vêtements très normaux, car il pouvait, à tout moment, atteindre ses bosses. J’espérais seulement que les experts ne s’étalent pas trompés. Pourvu que l’on me laissât mes pantalons et mes bottes.

Nous étions prêts et Reling nous mit immédiatement en piste.

— Les opérateurs de la World Télévision sont prêts. Quatre appareils décolleront. Vous et Peroni serez transportés en Europe. Les autres criminels dans leurs pays d’origine. Officiellement les interrogatoires du C.E.S.S. sont terminés. Les condamnés sont remis aux mains de la justice civile. Vos doubles restent ici pour le moment. On leur a accordé un sursis jusqu’à ce que votre mission ait pris fin. Si vous devez demander quelques détails, entrez en communication avec Kiny. Elle questionnera les originaux et transmettra sur psy.

Annibal bâillait tant et plus.

— Belle denture, dit Reling. Ecoutez, nous avons apporté des changements dans votre plan de fuite. Nos psychologues doutent de la confiance du huitième homme si vous maîtrisez deux fantômes du C.E.S.S. hautement entraînés. Nous agirons autrement. Je vous accompagnerai pendant le vol. J’ai quelque chose à faire au quartier général. C’est ce que je vais déclarer aux reporters.

— Prise d’otages ?

J’en avais assez. Le plan avait été mâché et remâché. L’exactitude du C.E.S.S. me portait sur les nerfs.

— On croira sans peine que vous maîtrisiez un administratif comme moi. Van Hetlin est connu comme sportif. Il prendra un certain général Reling, s’en servira comme bouclier et Peroni ôtera mon arme de service de mon ceinturon. Les autres fantômes n’oseront pas tirer. D’autres questions ?

— Non !

— Bon, vous tuerez les deux fantômes en tirant exactement sur la cible marquée sur leurs vestes blindées. Il y aura des micro explosions et le sang giclera des ampoules. Puis vous vous emparerez du pilote et l’obligerez à mettre le cap sur l’Antarctique. Vous montrerez au pilote le pistolet que vous m’enfoncerez dans les côtes et demanderez le rappel immédiat des chasseurs sur orbite, puis, vous me passerez le micro. Je donnerai des ordres. Vous me lâcherez dès l’atterrissage, aussitôt que l’on vous aura remis un rotoavion et les vêtements, vivres et autres biens d’équipement exigés. Lorsque vous m’aurez relâché, vous vous enfermerez dans le dépôt secret de Bulmers dans l’Antarctique pour y entasser des biens d’intendance martiens. Bulmers vous en a parlé. Mes hommes me sauveront, et vous aurez disparu. Faites « vrai ». N’oubliez pas que tout sera télévisé.

Il paria pendant plus d’une heure.

Peu avant 23 heures, le colonel Torpentouf reçut un appel par visiophone. L’équipe européenne à bord de son avion venait d’entrer dans l’espace aérien de l’île.

Torpentouf l’autorisa à se poser.

Les Européens étaient devenus circonspects. La panne avec van Hetlin semblait les avoir touchés de près. Le maréchal Primo Zeglio avait préféré se taire vis-à-vis de l’union européenne. Peut-être le huitième homme avait-il des antennes parmi eux.

Nous n’étions donc pas surpris en voyant apparaître sur les écrans un rotoavion gigantesque destiné aux vols spatiaux. Les tourelles d’armement étaient sorties, menaçantes.

Reling respira profondément et regarda Zeglio d’un air furieux.

— Vraiment, c’est trop, Primo. Vous êtes fous ! Je voulais un petit appareil rapide. Que voulez-vous que je fasse avec ce monstre ? Au moins douze hommes d’équipage. Comment voulez-vous que mes deux fantômes les surveillent ? J’espère qu’ils ne sont au courant de rien !

— Ils ne savent rien et vous feriez mieux de vous calmer, mon ami. Genève a exigé de telles mesures de sécurité. Sinon il aurait fallu les tenir au courant ! Je ferai ce qu’il faut pour que seuls le pilote et le navigateur demeurent à bord. Pas moyen de faire autrement.

— C’est de la folie, dit le Vieux en grinçant des dents.

J’étais, pour une fois, du même avis. On n’envoie pas un bombardier orbital pour en faire partir l’équipage de combat. Ils sont responsables de la sécurité vis-à-vis de Genève. Ah, maréchal Zeglio, vous nous avez préparé là un truc dur à avaler ! Nous sommes obligés de tout reconsidérer, messieurs ! Zeglio, pensez déjà à ce que nous allez leur raconter demain !

— Et pourquoi tout compliquer ? (Fo-Tieng parlait posément.) Vous n’avez qu’à refuser ce transport ! Vous exigerez le transport de van Hetlin et Peroni à bord d’un appareil du C.E.S.S.

— Ce serait cousu de fil blanc !

Kiny venait de pousser un cri qui interrompit le Vieux au beau milieu de sa tirade.

— Attention, dit-elle d’une voix monotone, concentrée. Attention, ce ne sont pas des soldats européens, ils sont morts. Des robots sont en train de se poser, des robots humains. Attention !

Je réagis immédiatement. Le huitième homme frappait. Tous nos plans étaient bons à jeter à la poubelle.