Les berceaux des hautes nefs ne furent pas tout d'abord bandés, concentriques aux arcs-doubleaux. On voit que dans les nefs couvertes par des charpentes, pendant le XIe siècle, l'arc-doubleau portait un pignon avec claire-voie, sur les pentes duquel s'appuyait le solivage du comble 258. On laissa donc l'arc-doubleau à sa place, ainsi qu'on le voit en P (fig. 1) 259, en jetant le berceau en D à la place du lambris. Le demi-berceau E du triforium venait contre-buter le berceau central, tandis que l'arc-doubleau G contre-butait l'arc de la nef H. La claire-voie du triforium s'ouvrait alors en I. Cependant on ne gagnait rien à laisser les arcs-doubleaux de la nef centrale au-dessous du berceau, ce n'était là qu'une tradition d'une disposition antérieure des édifices couverts par des charpentes apparentes; on releva donc ces arcs-doubleaux, de manière à rendre leur extrados concentrique au berceau, ainsi qu'on le voit en M 260.
La figure 2 présente l'aspect perspectif du triforium de la nef de l'église d'Issoire. Dans cette nef, qui date des dernières années du XIe siècle, les travées sont doubles, c'est-à-dire que les colonnes engagées A et les arcs-doubleaux B n'existent que de deux en deux piles; la pile C étant seulement destinée à recevoir les arcs-doubleaux et retombées des voûtes des collatéraux. Mais on voit en D un arc-doubleau de galerie comme il en existe un au droit des piles A. En E, est la naissance du berceau continu de la nef haute, et, à travers l'arcature du triforium en G, on aperçoit le demi-berceau qui contre-bute cette voûte centrale. Même disposition à Notre-Dame du Port, à Saint-Étienne de Nevers. Dans ces édifices, le triforium a exactement le caractère qui convient à sa destination. Le mur de la nef est ajouré pour permettre de profiter de cette galerie nécessaire à la stabilité du monument, et qui donne un peu de lumière aux voûtes hautes de l'église. Si ce parti était convenable pour des nefs d'une dimension médiocre,--les fenêtres basses des collatéraux donnant alors assez de lumière, à cause du peu de largeur du vaisseau,--il était inadmissible dans la construction d'une grande église, telle que Saint-Sernin de Toulouse, pourvue de doubles collatéraux; car, dans ce dernier cas, la nef centrale eût été laissée dans l'obscurité. Ne pouvant ouvrir des fenêtres sous les naissances des berceaux, fallait-il au moins que celles des galeries fussent assez hautes et assez larges pour éclairer cette nef centrale à travers l'arcature du triforium; aussi, dans ce dernier édifice, le triforium prend-il une tout autre importance qu'à Issoire et à Notre-Dame du Port. On en jugera par le géométral que nous donnons ici (fig 3).
En A, est tracé le plan de cette galerie avec une pile d'angle B; car le triforium de l'église Saint-Sernin se retourne aux extrémités du transsept. De larges fenêtres C éclairent et la galerie et le milieu du vaisseau. Le demi-berceau avec arcs-doubleaux, qui naît au-dessus de ces fenêtres, contre-bute la voûte centrale en berceau, renforcée d'arcs-doubleaux. C'est le système adopté dans les églises auvergnates, mais plus développé 261.
Le développement du triforium dans l'église de Saint-Sernin de Toulouse ne permettait pas cependant d'ouvrir des jours directs dans la nef. Sous le climat du Midi, ce moyen pouvait suffire; mais, sous le ciel brumeux du Nord, la lumière transmise par ces seconds jours n'éclairait qu'à peine les nefs hautes: il fallait que des fenêtres s'ouvrissent directement sur ces nefs au-dessus du triforium. Aussi, dans les provinces situées au nord de la Loire, on ne cessa point de pratiquer des ouvertures directes sous les charpentes, et, quand on renonça aux charpentes, sous les voûtes qui durent les remplacer. Ce fut une des causes qui empêchèrent les architectes du Nord d'adopter la voûte en berceau (voy. VOÛTE), et qui les contraignirent à chercher des combinaisons de voûtes d'arête. Les tympans sous les formerets des voûtes permettaient, en effet, d'ouvrir des baies dans la hauteur même de ces voûtes. Toutefois on ne renonçait point au triforium voûté, qui était regardé comme un moyen propre à maintenir les murs des hautes nefs dans le plan vertical, et à contre-buter les voûtes qui les surmontaient. Plusieurs églises de l'époque de transition nous montrent les diverses tentatives faites en ce sens par les maîtres des provinces françaises du Nord. Nous citerons en première ligne l'église abbatiale de Saint-Germer (Oise), dont la construction remonte à la moitié du XIIe siècle 262. Les travées du choeur de cette église possèdent, au-dessus du collatéral, un triforium voûté à la romaine, sans arcs ogives. Cette galerie s'ouvre sur l'église par une arcature, et le comble qui la surmonte recouvre des arcs-boutants destinés à maintenir la poussée des voûtes hautes.
La coupe (fig. 4) faite sur cette galerie explique le système de structure adopté. Les demi-pignons AB qui s'élèvent sur les arcs-boutants servaient aussi à porter la couverture, qui se composait d'un solivage avec demi-fermes dans les parties circulaires. Des baies C sont percées sous ce comble en appentis, et donnent dans l'église, au-dessous d'un étroit passage de service ménagé en D, afin de faciliter l'entretien des verrières des fenêtres supérieures F.
La figure 5 donne l'élévation intérieure de ce triforium, avec les fenêtres quadrangulaires E du comble et le passage de service G 263. En H, est tracée une des travées parallèles du choeur, et en L une des travées du rond-point, développée sur plan rectiligne. On observera que la claire-voie à colonnes jumelles repose sur un bahut (voy. la coupe fig. 4). Ce bahut empêchait les personnes qui occupaient la galerie de plonger leurs regards dans l'église, à moins de se mettre à plat-ventre sur ce mur d'appui.
Les architectes des cathédrales de Noyon, de Senlis, de Soissons, de Paris, des églises de Mantes, du choeur de l'abbatiale de Saint-Rémi de Reims, de celui de l'abbaye d'Eu, etc., renoncèrent à ce mur d'appui, et firent porter les bases des colonnes de la claire-voie directement sur le sol de la galerie. Des balustrades de bois ou de fer, placées entre ces colonnes, permirent alors aux assistants, dans les tribunes, de voir le pavé de l'église. Le parti mi-roman, mi-gothique, adopté à Saint-Germer, conserve les fenêtres hautes M (fig. 5) de la basilique primitive, grâce à l'application du système de voûtes d'arête en arcs d'ogive, tout nouveau alors 264. Cependant ces fenêtres supérieures, très-élevées au-dessus du pavé de l'église, n'éclairaient guère que les voûtes; les fenêtres percées dans le mur du triforium (voy. la coupe en P) étaient trop éloignées de la claire-voie pour pouvoir donner de la lumière à l'intérieur du vaisseau sur le sol; d'autant que ce triforium est bas, profond et que le bahut fait écran. L'architecte du choeur de Notre-Dame de Paris adopta résolûment un autre parti; comme nous venons de le dire, il supprima le bahut et éleva la voûte du triforium. Le maître qui, peu après, vers 1195, construisit la nef de la même église, améliora encore, au point de vue de l'introduction de la lumière dans la partie centrale du vaisseau, les dispositions prises par son devancier. Il construisit les voûtes du triforium transversalement rampantes, afin de démasquer complétement les fenêtres de cette galerie pour le public qui se tenait sur le pavé de la nef. À l'article CATHÉDRALE (fig. 2, 3 et 4), nous rendons compte de cette disposition, assez clairement pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir ici. À Notre-Dame de Paris, des roses remplacent les fenêtres rectangulaires, qui, dans l'église de Saint-Germer, sont ouvertes dans le mur auquel le comble en appentis est adossé. Le passage de service intérieur qui, à Saint-Germer, surmonte ces fenêtres, n'existe pas à Paris, mais il existe à la cathédrale de Noyon 265; et là, comme dans le croisillon semi-circulaire de la cathédrale de Soissons, c'est un deuxième triforium, ou galerie étroite avec claire-voie en façon d'arcature, qui remplace les roses et les fenêtres rectangulaires 266.
Ces larges triforiums voûtés étaient d'une construction dispendieuse et ne pouvaient convenir qu'à d'assez grands édifices. Ils exigeaient, pour trouver des fenêtres dans les tympans des voûtes hautes, une sur-élévation des murs, afin d'adosser les combles en appentis qui couvraient les galeries de premier étage. Leur utilité ne se faisait sentir que lors des grandes solennités, et encore les deux ou trois premiers rangs de fidèles pouvaient, de ces galeries, voir ce qui se passait dans l'église, si toutefois, comme à Notre-Dame de Paris, à Mantes, à Saint-Rémi de Reims, les bahuts de pierre étaient supprimés. Pour des églises bâties avec plus d'économie et dans lesquelles il n'y avait pas d'occasion de recevoir un grand concours de fidèles, le triforium voûté ne pouvait faire partie du programme. Aussi des églises qui datent de la même époque que celles désignées ci-dessus, et qui appartiennent à la même école d'architectes, n'en sont-elles pas pourvues. Cependant nous retrouvons dans l'Île-de-France une tendance prolongée à conserver ce parti. Ce n'est plus le triforium voûté occupant toute la largeur du collatéral, mais ce n'est pas non plus le triforium laissant une galerie étroite, un passage de service en dedans de l'adossement du comble des bas côtés, comme dans les cathédrales de Reims, d'Amiens, de Bourges et de Chartres. Ce système intermédiaire est adopté dans l'église conventuelle de Saint-Leu d'Esserent (Oise) 267.
Voici (fig. 6) la coupe du triforium de la nef de cette église. Le mur d'adossement du comble A du collatéral ne s'élève pas assez pour interdire l'ouverture de petites fenêtres B. À défaut de la voûte, un arc de décharge C reçoit la partie supérieure du mur, et le passage porte en plein sur la voûte du collatéral. À l'intérieur, cette disposition présente l'aspect reproduit en perspective dans la figure 7.
Comme pour rappeler la voûte des grands triforiums, l'architecte a bandé l'arc D, qui n'est plus qu'un simulacre, puisque le véritable arc de décharge est beaucoup plus bas et simplement bombé (voy. la coupe). Le triforium ainsi rétréci n'ayant plus besoin d'être couvert par un comble en appentis, mais simplement par un dallage G (voy. la coupe), on pouvait ouvrir les fenêtres hautes immédiatement au-dessus de l'arc D (voy. la fig. 7), et même, si le constructeur n'avait pas tenu à la conservation de cet arc, il eût pu descendre l'appui de la fenêtre beaucoup plus bas. Bien entendu, ce parti exigeait impérieusement la structure d'arcs-boutants pour maintenir les hautes voûtes, car on n'avait plus la ressource des demi-pignons noyés sous les combles en appentis du triforium voûté, pour remplir cette fonction, ainsi que cela avait été pratiqué à Saint-Germer.
Un autre monument, contemporain de l'église de Saint-Leu d'Esserent, donne à la fois le triforium avec voûtes et le triforium étroit éclairé par des fenêtres: c'est la petite église de Moret (Seine-et-Marne). Les parties parallèles du choeur de cette église possédaient une galerie de premier étage ou triforium voûté au-dessus des ailes; mais l'abside, semi-circulaire, sans collatéraux, possède, au-dessus d'un rang de fenêtres basses, un triforium dont la composition originale nous montre une suite de lunettes ou roses sans meneaux, entre lesquelles est ménagé un passage.
La vue perspective (fig. 7 bis) explique cette singulière structure. En A, est le triforium projeté conformément à la méthode de l'Île-de-France, c'est-à-dire voûté. Un degré posé derrière le parement B monte au triforium de l'abside, qui n'est plus qu'un passage traversant les piles et s'ouvrant sur le dehors et sur l'intérieur de l'église par des roses. On remarquera que ces roses (voy. le plan en P) ne sont pas percées normalement à la courbe de l'abside, mais sont biaisées de manière à être vues de l'entrée du choeur. Pénétrant un cylindre, ces oeils n'ont jamais été garnis de meneaux; leurs vitraux, qui sont posés dans le cercle extérieur, ne sont maintenus que par des armatures de fer. Les détails de cette partie de l'église de Moret sont du meilleur style des premières années du XIIIe siècle. Il ne faut point oublier qu'à l'église de Mantes (Seine-et-Oise), il existe un large triforium voûté comme celui de la cathédrale de Paris, éclairé par des roses ou oeils circulaires, et que ce triforium, au-dessus du collatéral de l'abside, présente une disposition qui, bien que conçue d'après des données très-monumentales, paraît avoir fourni l'idée de la composition de celui de Moret. Le triforium absidal de Mantes date des dernières années du XIIe siècle. Soit que l'architecte ait voulu éviter les difficultés résultant de la combinaison de voûtes sur plan annulaire, soit qu'il ait craint la poussée de ces voûtes à l'extérieur du cylindre (poussée qui, à Notre-Dame de Paris, est neutralisée par une suite d'arcs-boutants assez compliqués, élevés sur le second collatéral), parce qu'il n'avait qu'un bas côté et que la construction était faite évidemment avec parcimonie; le fait est que cet architecte a voûté le triforium absidal de l'église de Mantes au moyen d'une suite de berceaux convergents.
La coupe (fig. 7 ter) explique ce système de construction; les colonnes A reposent sur l'arc-doubleau inférieur; elles portent des linteaux de pierre dure, sur lesquels reposent les berceaux B. Mais comme ces colonnes sont, en plan, posées normalement à la courbe du rond-point, les travées sont plus larges en C, le long de la claire-voie qui s'ouvre extérieurement; il en résulte que ces berceaux sont ou rampants, ou présentent des surfaces curvilignes gauches. L'architecte de Notre-Dame de Mantes paraît s'être arrêté à cette dernière disposition, après quelques tâtonnements; c'est-à-dire qu'il a voulu maintenir la section ab des clefs du berceau en tiers-point de niveau ou à très-peu près. Alors la trace ac du berceau n'est pas concentrique à la trace bd (voy. en M). Les baies F sont des roses. Il est clair que l'architecte de l'église de Moret n'a fait qu'interpréter à une petite échelle ce qui avait été fait à Mantes quelques années avant lui.
Ces exemples, ces déductions variées, montrent combien ces maîtres cherchaient sans cesse à perfectionner ce qu'ils voyaient faire autour d'eux. Sans abandonner le principe admis, et sans imiter platement ce qui semblait présenter les résultats les plus satisfaisants, ils prétendaient au contraire développer ce principe, en tirer toutes les conséquences; et, avant tout, ils savaient qu'un système de structure doit être modifié en raison de la dimension des édifices.
Mais, dans d'autres provinces, on procédait différemment: le triforium n'était, dès le XIe siècle, qu'une claire-voie ouverte dans le mur d'adossement du comble du collatéral; claire-voie laissant pénétrer le regard, de l'intérieur, sous la charpente. Cependant, à l'origine, ces ouvertures étaient plutôt des fenêtres percées de distance en distance dans les tympans d'une arcature aveugle, qu'une galerie (voy. TRAVÉE, fig. 2). Ce n'est que vers le milieu du XIIe siècle que l'arcature aveugle, avec fenêtres donnant sous les combles des bas côtés, se transforme en claire-voie. Le choeur de la cathédrale de Langres, qui date de cette époque, nous fournit un bel exemple de ces arcatures s'ouvrant dans le mur d'adossement de la charpente du collatéral.
La figure 8 donne le géométral du triforium de la cathédrale de Langres, en supposant la travée développée sur un plan droit, cette abside étant circulaire. En A, est tracé le plan. La voûte B est un cul-de-four en tiers-point dans lequel pénètrent les fenêtres hautes C. Des colonnettes jumelles 268 supportent la double arcade qui compose la galerie entre chaque pilier du rond-point. Ce parti pouvait être adopté dans une abside, là où les travées sont étroites. Il eût été dangereux de faire porter des tympans larges et épais sur une suite de colonnettes. Aussi, dans la nef de la même église, le triforium n'est-il qu'une arcature aveugle percée d'une baie cintrée à chaque travée. Même système adopté à la cathédrale d'Autun, qui est quelque peu antérieure à celle de Langres. Les architectes tenaient cependant à occuper l'espace compris entre les archivoltes des collatéraux et les fenêtres hautes par des claires-voies; les arcatures aveugles ne présentaient qu'une décoration plate et sans utilité. Le maître auquel on doit la cathédrale de Sens, dont la construction présente des dispositions si intéressantes, eut l'idée, vers la fin du XIIe siècle, d'établir un triforium d'après un principe nouveau alors. Afin de bien porter les parties supérieures, qui se composaient primitivement d'un fenestrage avec haut appui et pile intermédiaire, il divisa de même la galerie en deux travées, avec pile intermédiaire portant sur la clef de l'archivolte du collatéral. Puis, dans chacune des travées, il établit une arcature jumelée reposant sur une colonnette et deux pieds-droits.
La figure 9 donne en A le plan et en B l'élévation du triforium de la nef de la cathédrale de Sens. En C, est la colonne qui porte l'arc-doubleau de recoupement de la voûte haute. Des fenêtres refaites, après l'incendie, à la fin du XIIIe siècle, ont remplacé les anciennes baies D, qui étaient jumelées comme l'arcature principale du triforium. Cette construction, qui date de 1180 environ, nous montre un triforium simplement percé dans le mur d'adossement du comble du collatéral, comme à l'abside de la cathédrale de Langres, sans cloison séparative entre ce comble et la claire-voie. Une disposition analogue, mais avec des formes architectoniques très-différentes, se retrouve dans une autre province. À la cathédrale d'Évreux, dans la première travée de la nef, en partie masquée par le buffet d'orgues, est un reste du triforium du XIIe siècle, qui, percé simplement dans le mur d'adossement du comble de l'ancien bas côté, aujourd'hui occupé par un clocher, se compose d'une arcature avec tympans reposant sur des pilettes isolées.
Nous en donnons (fig. 10) l'élévation et le plan horizontal. Ce triforium, à peu près contemporain de celui de Sens, est beaucoup moins bien entendu, au point de vue de la structure; car ces arcs, entrecroisés, constituent une assez médiocre décharge, et ces tympans-linteaux peuvent être brisés facilement, ou briser les portées des chapiteaux au moindre mouvement de la construction. Cependant cet exemple fait ressortir encore une fois les ressources variées dont ces architectes du XIIe siècle savaient profiter. C'est là une disposition toute normande, et que l'on retrouve en Angleterre, dans les monuments de cette époque.
Le triforium, s'ouvrant directement sous le comble du collatéral, présentait des inconvénients qu'il est facile d'apprécier. Il donnait du froid et de l'humidité dans l'église, car les couvertures de tuiles ou d'ardoises, si bien faites qu'elles soient, laissent toujours passer l'air extérieur. La vue des charpentes à travers ces claires-voies n'était pas agréable. Il était difficile d'entretenir la propreté sous ces combles, et, dans les grands vents, la poussière se répandait dans l'église. Aussi on ne tarda guère à isoler le triforium du comble, c'est-à-dire à élever entre celui-ci et la claire-voie une cloison de pierre qui formait ainsi mur d'adossement. On l'avait bien tenté à Saint-Leu d'Esserent, ainsi que nous l'avons vu, mais là c'est un moyen terme entre ce dernier parti et celui du triforium voûté.
La nef de la cathédrale d'Amiens paraît être une des premières constructions religieuses dans lesquelles l'architecte ait cherché à séparer franchement la galerie du triforium du comble en appentis, au moyen d'une cloison fixe.
Voici (fig. 11), en A, le plan d'une demi-travée de ce triforium 269. En B, est le tracé de la pile au niveau de la galerie et au niveau du rez-de-chaussée; en C, le contre-fort qui porte la colonne recevant la tête de l'arc-boutant 270, et en D la cloison de maçonnerie avec arc de décharge. En E est donnée l'élévation de ce triforium sur la nef. On aperçoit en G l'arc de décharge de la cloison. Comme à Sens, la claire-voie est divisée en deux travées, la pilette P portant le meneau central de la fenêtre et reposant sur la clef de l'archivolte du collatéral 271. En H, est tracée, a une plus grande échelle, la projection horizontale de la pilette P, avec les tailloirs des chapiteaux, celle d'une des colonnettes; et en I, la section du profil de l'arc I'. On remarquera que cette galerie étant placée à une grande hauteur, et la largeur de la nef ne pouvant donner beaucoup de reculée, les profils horizontaux, tels que bases et tailloirs, sont très-développés en hauteur et peu saillants, afin de ne pas être masqués par les projections perspectives 272. Souvent les chapiteaux des colonnettes de ces triforiums du milieu du XIIIe siècle sont très-bas d'assises et très-évasés, afin de développer leur corbeille aux yeux des personnes placées sur le sol. On trouve un très-remarquable exemple de ce parti, adopté en raison de l'effet perspectif, dans la cathédrale de Châlons-sur-Marne. À Notre-Dame d'Amiens, on voit que l'architecte, préoccupé de la diminution perspective de son ordonnance de galerie, en a exagéré les proportions, comme hauteur, par rapport à la largeur. C'est à de telles attentions dans la conception des diverses parties d'un édifice, que l'on reconnaît les maîtres. Ceux-ci, en traçant le géométral, se rendaient évidemment compte des déformations produites par la hauteur, l'éloignement et la place relative; ils obtenaient l'effet voulu sans être obligés, comme cela se voit souvent aujourd'hui, de tâtonner et de modifier sur place des portions tout entières des édifices, pour n'obtenir, après ces essais dispendieux, que des proportions indécises ou des effets incomplets.
La coupe du triforium de la nef de la cathédrale d'Amiens (fig. 12), faite sur ab, montre l'habileté du constructeur. Dans cette coupe, on voit en A et B les deux arcs concentriques en tiers-point qui forment archivolte de la galerie. En C, est le renfort intérieur au droit des grosses piles, en D un linteau de liaisonnement. L'archivolte B naît sur le chapiteau du petit renfort intérieur de la pilette P du plan, et vient pénétrer les renforts C. En E, est le plafond du triforium faisant chemin de ronde au-dessus du comble F des collatéraux. En G, la colonne isolée qui reçoit la tête des arcs-boutants 273 et qui porte sur le contre-fort H. En K, est l'arc de décharge marqué G sur le tracé (fig. 11); en I, la cloison fermant le comble, et en L un arc de décharge portant cette cloison et laissant sous son intrados passer la voûte du bas côté; Les grandes fenêtres supérieures s'ouvrent en M immédiatement au-dessus de la galerie 274. Cependant les murs d'adossement du comble des bas côtés, vus derrière la claire-voie du triforium, paraissaient nus; on décida bientôt qu'ils devaient être ajourés, et, dans la même église (Notre-Dame d'Amiens), l'architecte qui éleva l'oeuvre haute du choeur établit sur le collatéral des combles en pavillon, afin de pouvoir ouvrir des jours dans les murs de clôture du triforium. Ces galeries participèrent ainsi bientôt des fenêtres supérieures 275. C'est vers le milieu du XIIIe siècle que ce parti fut adopté dans un grand nombre d'églises du domaine royal, notamment à la cathédrale de Troyes et à l'abbaye de Saint-Denis, en grande partie reconstruite sous le règne de Louis IX. Le triforium de la nef et du choeur de cette dernière église est très-remarquable comme composition.
Nous donnons (fig. 13) le plan A et l'élévation B d'une demi-travée de ce triforium. En C, est tracée la claire-voie postérieure C' du plan, laquelle reçoit le vitrage; de sorte que l'on aperçoit les vitraux de cette claire-voie C à travers l'arcature antérieure. Ici le triforium se relie plus intimement avec les grandes fenêtres supérieures qu'à Amiens, au moyen des colonnettes de meneaux D. Mais les tympans T des deux arcatures sont encore pleins, tandis qu'un peu plus tard, comme à Notre-Dame de Paris, sous les roses du transsept (1260), dans le choeur des cathédrales de Beauvais et de Troyes (1250), dans le choeur de la cathédrale de Sées (1270), dans l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen (1300), ces tympans sont eux-mêmes ajourés. Alors le triforium n'est que la continuation de la fenêtre supérieure, et n'est séparé de celle-ci que par une dalle formant plafond de la galerie vitrée et sol du chemin de ronde qui la surmonte.
La figure 14 explique cette disposition adoptée dans l'église abbatiale de Saint-Denis. En A, est le sol du triforium; en B, le sol du chemin de ronde. À Saint-Denis, la galerie a partout la même largeur et n'est plus rétrécie par des renforts au droit des piles, comme à la cathédrale d'Amiens. Le contre-fort C porte la colonne D qui reçoit les têtes des arcs-boutants 276. Le collatéral était couvert par des combles en pavillon, avec chéneau E, afin de permettre d'ouvrir les jours dans la cloison G 277.
L'exemple le plus complet et le plus développé peut-être du triforium, se reliant absolument à la fenêtre supérieure, se trouve à Sées, dans le choeur de la cathédrale, dont la construction date de 1270 environ 278. Ce monument, conçu d'une manière très-savante, mais mal fondé, sur un mauvais sol, a beaucoup d'analogie avec le choeur de l'église de Saint-Ouen de Rouen. Les défauts de structure, qui en ont compromis la durée, tiennent à une exécution insuffisante, faute de ressources probablement. Au point de vue de la théorie, le choeur de la cathédrale de Sées dépasserait même en valeur celui de l'église abbatiale de Saint-Ouen, s'il eût été fondé sur un bon sol, et si les matériaux eussent été convenablement choisis et d'une résistance proportionnée aux charges qu'ils ont à porter 279.
La figure 15 donne le triforium d'une des travées parallèles du choeur de la cathédrale de Sées. L'archivolte A du collatéral est surmontée d'un gâble, derrière le rampant duquel s'amorcent les colonnettes qui composent la claire-voie du triforium et la fenêtre haute. L'ordonnance de cette partie supérieure commence donc immédiatement au-dessus des archivoltes (voy. TRAVÉE, fig. 11); et, dès le niveau B, les sections de l'arcature du triforium et des meneaux des fenêtres sont indiquées. Une seule dalle C, qui fait appui des fenêtres, recouvre la galerie du triforium et sert de chemin de ronde extérieur au-dessus de cette galerie. Comme à Saint-Denis, comme dans le choeur de la cathédrale d'Amiens, la claire-voie vitrée extérieure D n'est pas semblable à la claire-voie intérieure, ce qui est fort bien calculé; car si les formes des arcatures à jour sont pareilles à l'extérieur et à l'intérieur, il en résulte en perspective des superpositions de lignes d'un mauvais effet. Au contraire, ces arcatures étant différentes, l'oeil les sépare assez naturellement, et les intersections des courbes produisent des combinaisons variées et riches. À Sées, comme à Saint-Ouen de Rouen, ce n'est plus un bahut plein, mais une balustrade à jour qui forme appui de la galerie, de sorte que, pour les personnes placées sur le sol inférieur, les vitraux de la claire-voie postérieure D se voient à travers cette balustrade. L'intention d'ajourer de plus en plus les travées au-dessus des collatéraux, et d'en faire comme une sorte de tapisserie translucide, sans interruption, devient évidente à dater de la seconde moitié de XIIIe siècle, et se manifeste jusque vers la fin du XIVe siècle, dans l'Île-de-France et les provinces voisines, sauf de rares exceptions. Comme les hautes fenêtres elles-mêmes, les galeries du triforium occupent alors tout l'espace compris entre les piles. Trois monuments religieux de cette époque (fin du XIIIe siècle), dus à un même architecte, très-probablement, font exception à cette règle: ce sont les cathédrales de Clermont (Puy-de-Dôme), de Limoges et de Narbonne, dont les choeurs furent seuls terminés avant le XIVe siècle. Dans ces trois églises, les fenêtres hautes n'occupent pas entièrement tout l'espace libre entre les piles portant les arcs des voûtes; elles sont plus étroites, et la claire-voie du triforium n'occupe également que la largeur des fenêtres. Ces galeries du triforium ne sont point ajourées extérieurement, mais possèdent un mur d'adossement plein, bien que les collatéraux soient couverts en terrasses, disposition qui, à notre avis, n'était d'ailleurs que provisoire. De plus, ces galeries pourtournent les piliers, au lieu de passer à travers, comme dans nos églises du Nord 280. Il s'en faut que ce parti ait la franchise du mode de structure adopté dans nos provinces du Nord. Les arcatures de triforium, isolées des piles et laissant un plein à droite et à gauche de celles-ci, ne produisent pas un bon effet, ne s'expliquent pas nettement. Et, de fait, aucune nécessité de construction ne motive ces sortes de trumeaux alourdissant les piles sans raison.
Pendant que le triforium se développait ainsi en ne faisant plus qu'un avec la fenêtre supérieure dans le Nord, en Bourgogne les architectes procédaient autrement pendant le XIIIe siècle. Ils conservaient le mur d'adossement plein pour appuyer le comble en appentis du collatéral, et, au lieu de réserver au-dessus du triforium un chemin de ronde extérieurement, ils le disposaient intérieurement. La fenêtre supérieure de la travée se trouvait ainsi élevée à l'aplomb de ce mur d'adossement, et non point à l'aplomb de la claire-voie intérieure, comme dans les exemples précédents 281.
Voici (fig. 16) un exemple de cette structure, pris dans la jolie église de Saint-Martin de Clamecy. On voit combien, dans ces monuments bourguignons, le triforium prend d'importance. C'est un véritable portique élevé au-dessus des archivoltes du collatéral. Ce système ne peut conduire à relier la galerie avec le fenestrage supérieur, posé en retraite; aussi ne le voyons-nous adopté en Bourgogne, et dans une partie du Nivernais, que quand, dans ces provinces, on abandonne les traditions locales, vers la fin du XIVe siècle, pour recourir au style de l'architecture du domaine royal. L'ordonnance du triforium-portique bourguignon devait nécessairement entraîner les architectes à décorer d'une manière particulière ces arcatures qui prenaient une si grande importance dans les nefs. Les colonnettes ne reposaient plus ici sur un bahut comme à Amiens, ou sur une balustrade, mais directement sur le sol de la galerie, accusé par un bandeau saillant; disposition qui contribuait encore à donner de la grandeur à cette ordonnance. À Semur en Auxois, les arcatures du triforium de l'église de Notre-Dame sont décorées de têtes saillantes très-habilement sculptées. Dans la nef de la cathédrale de Nevers, de petites caryatides supportent les colonnettes, et des figures d'anges remplissent les tympans (fig. 17).
Ces portiques sont élevés en grands matériaux, et, dans leur hauteur, les piliers eux-mêmes sont souvent composés de monostyles groupés 282. Habituellement, dans les églises bourguignonnes, les fenêtres supérieures n'ont pas l'importance relative (par suite de la grandeur du triforium) qu'elles prennent, au XIIIe siècle, dans les monuments religieux du domaine royal. La figure 16 en est la preuve. Quelquefois même le triforium se confond avec le fenestrage supérieur. L'église abbatiale de Saint-Seine (Côte-d'Or) nous fournit un exemple de cette singulière disposition, datant du commencement du XIIIe siècle (fig. 18).
Ici c'est le formeret de la voûte haute qui circonscrit l'arcature du triforium, qui n'est plus qu'une décoration. Ce dernier parti a été fréquemment adopté dans les églises normandes des XIIe et XIIIe siècles, en France comme en Angleterre. Mais le triforium dans les églises normandes mérite une étude particulière. Il se compose, pendant la première période, c'est-à-dire au XIe siècle, d'un étage élevé au-dessus du collatéral et couvert par une charpente apparente et d'un chemin de ronde supérieur au niveau des fenêtres hautes. On ne peut douter aujourd'hui (depuis les travaux entrepris par M. Ruprich Robert dans les deux églises abbatiales de Caen, l'Abbaye-aux-Dames et l'Abbaye-aux-Hommes) que les nefs de ces églises n'aient été couvertes originairement par des charpentes apparentes 283.
Or, il existe toujours, dans les monuments religieux d'une grande dimension, en Normandie, une galerie de circulation au-dessus du triforium, sous la charpente supérieure. Voici une coupe de la nef primitive de l'Abbaye-aux-Hommes (fig. 19) 284, qui explique clairement ce que nous venons de dire. En A, est le triforium avec sa charpente; en B, le chemin de ronde au droit des fenêtres supérieures, sous la grande charpente C. Il est aisé de se rendre compte de l'usage de ce chemin de ronde. Les charpentes apparentes étaient composées de pièces de bois formant des saillies, des entrevous; elles étaient décorées de peintures. Ces sortes d'ouvrages exigent un entretien fréquent, ne serait-ce même qu'un époussetage, car les araignées ne tardent pas à garnir de leurs toiles les creux laissés entre les chevrons ou solives. Ces bois ont besoin d'être visités pour éviter la pourriture causée par des infiltrations. Le chemin de ronde B facilitait donc cet entretien et cette inspection constante. De plus, il permettait de visiter et de réparer les vitraux des fenêtres supérieures, et de donner passage aux couvreurs pour réparer les toitures. En E, est tracée une travée, ou plutôt une demi-travée intérieure, car, dans la nef de l'église Saint-Étienne de Caen, les travées sont doubles suivant la méthode normande 285. La ligne ponctuée abcd indique la coupe longitudinale du chemin de ronde B. Au XIIe siècle, on remplaça, dans presque toutes les nefs normandes-françaises, les charpentes apparentes par des voûtes. Alors, pour contre-buter ces voûtes, dans le triforium A, on construisit le demi-berceau continu D, avec arcs-doubleaux f au droit des anciens pilastres f'. Ce demi-berceau, non plus que la voûte supérieure, n'exigèrent la destruction du chemin de ronde B; au contraire, ce chemin de ronde fut ouvert plus largement sur la nef et décoré de colonnettes (fig. 20).
Les fenêtres a, ainsi que les passages, furent conservés en relevant leur appui d'une assise, afin de trouver la nouvelle pente du comble. Le sol du chemin de ronde au niveau b, dans la disposition romane, fut abaissé en d, pour donner une proportion plus svelte à la galerie supérieure. L'architecte n'osa pas probablement ouvrir en g de nouvelles arcades, comme il l'avait fait contre la pile centrale de la travée, dans la crainte d'affaiblir les piles principales, et aussi parce que la perspective des arcs ogives les masquait en partie. Ainsi, la raison d'utilité qui avait fait pratiquer les chemins de ronde sous les charpentes supérieures des églises normandes primitives devenait, lorsque ces églises furent voûtées, un motif de décoration qui persiste dans les monuments de cette province jusqu'à la fin du XIIIe siècle.
Le chevet de la cathédrale de Lincoln (Angleterre) nous fournit un exemple des plus remarquables de la persistance de cette tradition (fig. 21). Là le triforium est encore couvert par une charpente apparente comme celui de l'église normande romane, et le chemin de ronde supérieur se combine avec le fenestrage ouvert sous les formerets. Ce chemin de ronde n'a plus alors une utilité réelle, puisque les vitraux pourraient, s'il n'existait pas, être réparés du dehors en passant sur la tablette de recouvrement du comble du triforium. La claire-voie intérieure du chemin de ronde se relie à la fenêtre vitrée au moyen de linteaux formant l'assise du tailloir des chapiteaux. Il y a dans ce parti un désir de produire de l'effet par le jeu de ces deux claires-voies dont l'une, celle intérieure, n'est qu'une décoration. On remarquera, dans cet exemple, combien est chargée de moulures et d'ornements l'arcature du triforium, et combien cette richesse contraste avec l'aspect nu de la charpente apparente. Il est évident que, dans cette architecture normande du XIIIe siècle, la tradition romane conserve son empire et devient souvent l'occasion de formes et de partis qui ne sont plus justifiés par suite des changements introduits dans le mode de structure. Une disposition analogue a été adoptée dans le choeur de la cathédrale d'Ély, disposition qui reproduit plus exactement encore celle des chemins de ronde supérieurs des églises normandes romanes. Dans notre architecture française, au contraire, l'école laïque du XIIe siècle laisse de côté toutes les traditions romanes, et ne s'inspire plus que des nécessités imposées par le nouveau mode de structure; elle procède toujours d'une manière logique, claire, ne met en oeuvre que ce qui est nécessaire, et peut toujours rendre raison de ce qu'elle fait. Il serait à souhaiter qu'on en pût dire autant de nos écoles modernes d'architecture.
Mais nous devons nous borner, les documents abondent, et nous ne pouvons ici que signaler les principaux, ceux qui présentent un caractère tout particulier. Ces exemples suffisent, nous l'espérons, à faire ressortir la variété que nos maîtres du moyen âge savaient apporter dans leurs conceptions, sans jamais abandonner un principe admis.
Nous ne parlerons qu'incidemment du triforium, dont la forme est inusitée. La petite église de Champeaux (Seine-et-Marne) possède un triforium s'ouvrant directement sous le comble du collatéral par des roses, aujourd'hui bouchées, et très-probablement garnies, dans l'origine, par des meneaux dans le genre de ceux qui remplissent les roses percées au-dessus du triforium de la cathédrale de Paris. Dans quelques églises, le triforium ne consiste qu'en une baie simple ou jumelle s'ouvrant également sous le comble. La cathédrale de Béziers, dans les parties de la nef refaites au XIVe siècle, nous montre un triforium ainsi composé (fig. 22).
Sa claire-voie, ouverte sous le comble du collatéral, consiste en deux baies carrées prolongeant les meneaux de la fenêtre supérieure. Quelquefois, mais très-rarement, dans la bonne architecture française, le triforium est simulé et n'est alors qu'une arcature en placage, une simple décoration occupant la hauteur du comble du collatéral. Les dispositions adoptées à Saint-Denis, dans les cathédrales de Troyes, de Beauvais, de Sées, dans l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen, persistent pendant les XIVe et XVe siècles. Les détails du triforium deviennent plus déliés, les profils plus maigres, mais on ne voit apparaître aucun parti nouveau. Les arcatures se modifient en raison du goût du moment, mais elles continuent à se relier au fenestrage supérieur. À la fin du XVe siècle, cependant, il arrive parfois que la galerie du triforium prend une ordonnance spéciale, chargée de détails, de redents, de contre-courbes, de sculptures, en laissant entre elle et le fenestrage un intervalle plein. An XVIe siècle, on se contente de substituer, comme à Saint-Eustache de Paris, par exemple, des formes se rapprochant de l'architecture romaine aux formes gothiques. Ces tentatives, plus ou moins heureuses, ne constituent pas une invention, un perfectionnement; ce sont là des questions de détail sur lesquelles il ne paraît pas utile de s'étendre.
Note 262: (retour) L'église abbatiale de Saint-Germer est, comme structure, en retard sur l'église abbatiale de Saint-Denis, et sur les cathédrales de Noyon, de Senlis et de Paris; elle appartient a une école moins avancée, qui tient encore par bien des points au système roman: c'est pour cela que nous la mettons ici en première ligne, sinon par la date (car elle ne fut élevée qu'en 1160), mais par le style.
Note 279: (retour) Les fondations du choeur de la cathédrale de Sées ne sont que des maçonneries appartenant à un monument beaucoup plus ancien, sur lesquelles les constructions sont appuyées tant bien que mal, et ces fondations mal maçonnées ne sont pas établies sur le sol résistant. Évidemment il y a eu là une nécessité d'économie.
TRILOBE, s. m. Ornement, baie, rosace à jour, à trois lobes. (Voy. TRÈFLE.)
TRINITÉ, s. f. Le moyen âge a essayé de représenter matériellement le mystère de la sainte Trinité. C'est à l'école d'Alexandrie qu'il faut avoir recours si l'on veut connaître les diverses phases par lesquelles a dû passer la pensée de la Trinité avant d'arriver à l'état de dogme. Nous n'avons pas, bien entendu, à nous occuper de l'exposition du dogme, mais à rendre compte de la forme sensible donnée à la conception de la Trinité dans nos monuments du moyen âge. «Dès le IVe siècle, écrit M. Didron 286, avec saint Paulin, évêque de Nole, qui est né en 353 et est mort en 431, apparaissent les groupes de la Trinité. À l'abside de la basilique de Saint-Félix, bâtie à Nole par Paulin lui-même, on voyait la Trinité exécutée en mosaïque.»
Saint Paulin expliquait, dans les vers qu'il fit à cette occasion, que le Christ était représenté sous la forme d'un agneau, l'Esprit-Saint sous celle d'une colombe, et que «la voix du Père retentit dans le ciel». Le même évêque, dans la basilique élevée à Fondi sous le vocable de Saint-Félix, avait fait représenter le Fils sous la forme d'un agneau avec la croix, le Saint-Esprit en colombe, et le Père sous l'apparence d'une main (probablement) qui couronnait le Fils.
«....., et rutila genitor de nube coronat.»
Comme l'observe très-bien M. Didron 287: «L'anthropomorphisme, qui avait effarouché les premiers chrétiens et qui semblait rappeler le paganisme, ne trouva pas la même résistance pendant le moyen âge proprement dit. Une fois arrivé au IXe siècle, on n'eut plus rien à craindre des idées païennes... Le Père éternel, dont on n'avait osé montrer que la main encore, ou le buste tout au plus, se fit voir en pied. Cependant il ne prit pas une figure spéciale; mais il emprunta celle de son Fils, et, dès lors, il devint fort difficile de les distinguer l'un de l'autre. Le Fils continua d'apparaître tel qu'on l'avait vu sur la terre... La colombe quitta quelquefois aussi son enveloppe d'oiseau, pour prendre la forme humaine. Comme le dogme déclarait nettement que les trois personnes étaient non-seulement semblables, mais égales entre elles, les artistes étendirent aux représentations la similitude et quelquefois même l'égalité des hypostases divines.» En effet, bon nombre de peintures de manuscrits des XIe et XIIe siècles 288 représentent les trois personnes divines sous la forme de trois hommes de même âge et de même apparence. Au portail de l'église collégiale de Mantes, on voit, dans la voussure de la porte occidentale, la Trinité figurée par une croix que portent deux anges (le Fils), par le Père sous forme d'un homme jeune, et l'Esprit en colombe. Mais les artistes prétendirent identifier les trois personnes divines, afin de faire comprendre aux fidèles à la fois leur individualité et leur réunion en une seule puissance. Il existe, sous le porche occidental, non terminé, de Saint-Urbain de Troyes, un bas-relief de bois datant des dernières années du XIIIe siècle, qui représente la Trinité (fig. 1)
Le Père est au milieu, coiffé de la tiare à triple couronne, comme un pape; de la main droite, il bénit; de la gauche, il tient la terre. À sa droite est le Fils couronné d'épines et portant la croix. À sa gauche, l'Esprit, sous la figure d'un jeune homme imberbe, tenant une colombe. Ces trois personnages n'ont ensemble que quatre jambes, adroitement drapées de façon à faire croire qu'ils en ont deux chacun. De petites figures d'un homme et d'une femme agenouillés (les donateurs) sont sculptées aux deux extrémités du groupe. L'impossibilité de séparer les trois personnes divines est ainsi matériellement indiquée par la disposition des jambes. Quelquefois la Trinité est représentée sous la forme d'un homme ayant une tête à trois visages, une de face et deux de profil, et deux yeux seulement; ou bien encore, c'est une figure géométrique ainsi disposée (fig. 2).
Ce triangle mystique était visible encore sur la façade d'une maison de Bordeaux, il y a peu d'années. Des vitraux, des vignettes de manuscrits, le représentent assez fréquemment pendant les XVe et XVIe siècles. À la même époque, dans beaucoup de portails d'églises, la Trinité se montre ainsi: Le Père assis, coiffé de la tiare, tient le Christ en croix devant lui. De la bouche du Père descend la colombe sur le crucifix. Ces diverses représentations ont un intérêt; elles indiquent la marche de l'art comme expression sensible des idées théologiques selon le temps. Pendant les premiers siècles, on redoute évidemment l'expression trop matérielle d'un mystère qui doit rester impénétrable. Le Fils est un agneau, l'Esprit une colombe, le Père une voix ou une main sortant d'une nuée. Plus tard, l'artiste se rassure, il donne aux trois personnes divines l'individualité. Elles sont séparées, distinctes, mais semblables et assises sur un trône commun. Puis on cherche à faire comprendre, par un artifice matériel, l'unité des trois personnes. Au XVe siècle, c'est une sorte de problème géométrique posé devant la foule et dont la solution est posée comme une énigme; ou encore c'est un jeu d'artiste, comme cette tête à trois visages. Au XVIe siècle, on adopte une forme antérieure, mais peu répandue, celle de la distinction absolue des trois personnes, en raison du rôle que leur attribue l'idée chrétienne. Le Père est le personnage immuable; le Fils, le rédempteur; et l'Esprit, l'émissaire émané du Père; amour, selon saint Augustin et saint Thomas d'Aquin. «Jésus, ayant été baptisé, sortit de l'eau sur-le-champ, et voilà que les cieux lui furent ouverts et qu'il vit l'Esprit de Dieu descendant sous la forme d'une colombe et venant sur lui. Alors une voix du ciel dit: Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me suis complu 289.» Il est donc assez important de faire ces distinctions des caractères donnés à la Trinité figurée dans les monuments anciens.
Le moyen âge admet aussi une Trinité du mal. De même que les théologiens avaient prétendu trouver le reflet de la Trinité sainte dans l'âme humaine: volonté, amour, intelligence, confondues en une substance, ils supposèrent le mal avec des facultés correspondantes. Des sculptures, des peintures de vitraux et de manuscrits représentent en effet la Trinité satanique (fig. 3) 290. Cette miniature du XIIIe siècle montre le pécheur soumis aux lois de la Trinité du mal, armée d'un glaive et couronnée. Satan est souvent représenté ainsi dans les bas-reliefs du jugement dernier. Outre ses trois visages qui correspondent, dans le mal, aux trois hypostases de Dieu, son corps est couvert parfois d'autres faces humaines, comme pour marquer que la puissance du mal est plus étendue, par ses facultés, que celle du bien.
TROMPE, s. f. Appareil de claveaux, ayant la figure d'une coquille, qui sert à porter en encorbellement, soit un angle saillant sur un pan coupé, soit un parement droit sur un angle rentrant. Les constructeurs du moyen âge ont fait un grand usage des trompes pour porter les flèches de pierre à huit pans sur les tours carrées, des échauguettes sur des parements, des tourelles en encorbellement; ils ont employé les trompes à la place des pendentifs pour établir des coupoles sur des arcs-doubleaux reposant sur quatre piles.
Les trompes sont appareillées, soit au moyen d'une suite d'arcs concentriques, soit en forme de cône. La figure 1 donne une trompe composée d'arcs concentriques biseautés à 45 degrés, de manière à pénétrer les côtés du carré. En A est tracée la projection horizontale d'une de ces trompes, en B son élévation, en C sa coupe. Ces sortes de trompes sont les plus anciennes, on en trouve dans les monuments du XIe siècle; elles sont d'un appareil facile, chaque arc étant indépendant. On en voit souvent à la base des pans des flèches des XIe et XIIe siècles pour passer du carré à l'octogone.
Au XIIe siècle apparaissaient aussi déjà des trompes coniques, ainsi que le montre la figure 2. Pour éviter la réunion des angles très-aigus des claveaux composant la trompe, au sommet du cône, les appareilleurs ont souvent établi un morceau de pierre demi-circulaire à la place de ce sommet en a; ils formaient ainsi un petit cintre sur lequel repose l'intrados des claveaux. Telles sont les trompes que l'on voit encore aux tourelles de l'abbaye de Chailly (Oise) (fin du XIIe siècle) (fig. 3).
Alors cette première pierre posée au sommet de l'angle rentrant en b, évidée en cône, est appelée trompillon.
S'il s'agit, comme dans les deux exemples précédents, d'obtenir un plan à 45 degrés, coupant un angle droit rentrant, en projection horizontale, la construction des trompes ne présente aucune difficulté. Les claveaux, dans ce cas, ont leur extrados tracé sur un cylindre parallèlement à son axe et leur intrados sur un cône; mais si l'on veut établir un angle saillant suspendu sur un angle rentrant, les difficultés se présentent.
Ainsi (fig. 4), soit un angle rentrant ABC, sur lequel il s'agit de suspendre une construction formant l'angle saillant ADC, l'appareilleur commencera par établir une suite de corbeaux suivant la diagonale BD du carré (voyez la projection verticale P), puis il remplira les deux vides AD, CD, au moyen de deux trompes coniques biaises. Le second claveau a formera tas de charge, pour porter l'angle saillant b. La bascule des corbeaux est maintenue par la charge qui porte sur leur queue de d en e et qui s'élève jusqu'au-dessus de l'extrados des arcs.
À la fin du XVe siècle, on se plaisait à soulever des difficultés de coupe de pierre, pour faire preuve de savoir. Les constructeurs cherchèrent alors à supprimer ces corbeaux, et à soutenir les angles saillants sur un angle rentrant ou sur un pan coupé, par un système d'appareil des claveaux. Mais alors il fallait que ces claveaux fussent taillés à crossettes, ce qui, en principe, est une mauvaise méthode, la pierre n'étant plus chargée parallèlement à son lit. Ce sont là des artifices de stéréotomie qui n'ont rien à voir avec l'art sérieux du constructeur, et qui sont faits pour amuser les esprits curieux de problèmes inutiles.