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BASIL WENCESLAS
Pour le président Wenceslas, la vie ne consistait qu’en une succession d’affaires, et les affaires représentaient toute sa vie. Il disposait de tout l’argent et le pouvoir qu’une personne était capable de désirer, même s’il ne trouvait guère le temps d’en profiter.
Sur les planètes, stations et autres installations hanséatiques, il se présentait toujours un problème « vital » à gérer. Quand ce n’était pas les Yrekiens bornés qui refusaient de livrer leurs réserves d’ekti, ou l’équipe de surveillance détruite sur Dasra, c’étaient les Vagabonds qui réduisaient leurs livraisons de carburant.
Cependant, Basil s’était octroyé quelques instants de plaisir avec Sarein, depuis que celle-ci avait manœuvré pour se faire nommer ambassadrice sur Terre, cinq ans auparavant. L’espace d’une heure ou deux, il permettait à la Hanse de se gouverner seule.
Il désopacifia le plafond de sa chambre à coucher, ouvrant sur la nuit une fenêtre de la taille d’un terrain de football. Il reposait au creux d’un océan de draps satinés, le regard tourné vers le ciel, et essayait de ne plus penser aux problèmes qui le taraudaient.
— Chacun de ces systèmes solaires, là-bas, peut être plein de ressources, ou au contraire peuplé d’hommes nécessitant désespérément notre protection.
Sarein se serra plus fort contre lui.
— Ou il pourrait aussi bien s’agir d’un repaire d’hydrogues, guettant juste l’occasion de détruire des intrus.
Elle lui jeta un coup d’œil, aperçut sa grimace et l’embrassa sur la joue. Les yeux noirs de la jeune femme semblaient exagérément grands à la lumière des étoiles. Son corps était musclé, plein d’énergie. Basil appréciait son exubérance, qu’il trouvait stimulante.
— Qu’est-ce qui te tracasse, Basil ? S’il y a quoi que ce soit que je puisse accomplir à ta place, je le ferai de mon mieux.
Ses mamelons étaient érigés – comme toujours, à ce qu’il semblait –, mais ils avaient déjà fait l’amour deux fois. Il appréciait sa chaleur, le parfum de son sexe, son contentement languissant après leurs ébats, mais il ne se sentait pas d’humeur à recommencer.
— Tu fais toujours de ton mieux. En fait, tu es si ambitieuse que tu écartes quiconque est en désaccord avec moi.
Elle se redressa sur un coude.
— Et ce n’est pas bien ?
Elle l’avait séduit des années plus tôt, non seulement dans l’intention d’augmenter son prestige, mais aussi dans celle d’apprendre. Voilà ce qui l’intriguait le plus chez elle. Leur attirance mutuelle était fondée sur le pouvoir et le respect ; il s’agissait d’un échange de faveurs, non d’une banale liaison. Basil lui avait ouvert la voie en matière politique, même si elle n’était pas encore parvenue à accomplir ce qu’il désirait d’elle.
En tant qu’ambassadrice de Theroc, Sarein parlait au nom de ses parents, Père Idriss et Mère Alexa. Basil n’avait cessé de réclamer davantage de prêtres Verts. Leur télien était essentiel, non seulement au bon fonctionnement de l’empire commercial de la Hanse, mais aussi pour assurer les urgences militaires dans la guerre des hydrogues. Il en avait besoin, bon sang ! Puisqu’elle partageait à présent le lit du président, Sarein devait aussi savoir que son état de grâce ne durerait pas éternellement, à moins d’obtenir des résultats. Et vite.
Alors qu’il fixait les étoiles en silence, elle lui effleura le bras, un rien tentatrice… Non, elle le connaissait mieux que cela.
— J’essaie vraiment, Basil. Mais c’est beaucoup plus difficile pour moi, car je ne peux pas revenir sur Theroc. Je communique par l’intermédiaire de Nahton, sans être vraiment sûre qu’il transmette mes messages sans les déformer. Tu sais que les prêtres Verts se moquent de servir la Hanse. Tout ce qu’ils désirent, c’est passer leurs journées dans la forêt, au contact des arbres.
— Aujourd’hui, qui peut se permettre de demeurer indépendant ? fit Basil d’une voix sinistre. Je suis assez tenté d’envoyer les FTD sur Theroc et de proclamer la loi martiale. Je me fiche qu’ils soient supposés être une colonie souveraine. On est en guerre, et ils disposent d’une ressource dont nous avons besoin ! Tu ne peux donc pas faire comprendre cela à tes parents ?
Le changement qu’il perçut dans son corps trahissait l’inquiétude, exactement comme il l’avait escompté.
— Mes parents ont du mal à appréhender les événements au-delà du seuil de leur porte. (Elle le regarda, les yeux espiègles, la bouche incurvée en un étrange sourire.) Toutefois, nous pourrions négocier une alliance qui les ferait changer d’avis. Peut-être qu’une union de circonstance avec le roi Peter souderait les deux branches principales de la civilisation humaine ? Si le roi se mariait avec… disons, la fille de Père Idriss et Mère Alexa, comment pourraient-ils ne pas accorder à la Hanse davantage de prêtres Verts ?
Basil sentit son pouls s’accélérer tandis qu’il considérait cette idée. Il se rendait compte à présent de la perspicacité de Sarein.
— J’avais espéré que ton investiture en tant qu’ambassadrice suffirait à les influencer, mais ta suggestion nous offre une perspective de gains bien plus avantageuse. Des gains qui peuvent être facilement obtenus.
Sarein prit un ton faussement timide.
— Je n’étais pas certaine de ta réaction. Le roi Peter est très beau, tu sais, et nous avons environ le même âge. Ce n’est pas que tu me déçoives de ce côté-là, bien sûr… mais si j’épousais Peter et devenais reine, j’accomplirais tous tes projets. Les négociations seraient délicates, mais nous pourrions y parvenir si nous nous montrons suffisamment déterminés.
Il se pencha sur elle et l’embrassa.
— Excellente idée, Sarein. Toi et moi, nous devrions très bientôt entreprendre un petit voyage diplomatique sur Theroc. Mais il ne s’agit pas de toi, pas pour un mariage politique avec le roi Peter. (Une lueur dans l’œil, il la contempla tandis qu’il tâchait de déterminer si sa décision était dictée par la pure logique ou par ses sentiments.) Non… Ce devrait être ta sœur Estarra.