LE 1er MAI 1857. MORT D’ALFRED DE MUSSET.

 

Nature de rêveur, tempérament d’artiste,

Il est resté toujours triste, horriblement triste.

Sans savoir ce qu’il veut, sans savoir ce qu’il a,

Il pleure ; pour un rien, pour ceci, pour cela.

Aujourd’hui c’est le temps, demain c’est une mouche,

Un rossignol qui fausse, un papillon qui louche…

Son corps est un roseau, son âme est une fleur,

Mais un roseau sans moelle, une fleur sans calice ;

Il est triste sans cause, il souffre sans douleur,

Il faudra qu’il en meure, et qu’on l’ensevelisse

Avec sa nostalgie au flanc, comme un cilice.

 

Ne creusez pas son mal ; ne lui demandez rien,

Vous qui ne portez pas un cœur comme le sien.

Ne lui demandez rien, ô vous qu’il a choisies

Dans le ciel de son rêve et de ses fantaisies ;

C’est un petit enfant, prenez-le dans vos bras,

Dites-lui. « Mon amour, fais comme tu voudras,

« Ton mal est un secret, je ne veux pas l’apprendre. »

Souffrez de sa blessure, en essuyant ses yeux ;

Souffrez de sa douleur sans jamais la comprendre,

Car vous ne savez pas comme on guérit les dieux,

Car vous l’aimeriez moins en le connaissant mieux.

 

Parfois, rayon dans l’ombre et perle dans la brume,

Son visage s’étoile et son regard s’allume ;

On dirait qu’il attend quelqu’un qui ne vient pas.

Mais ce n’est jamais toi qu’il cherche entre tes bras,

Ninette ; – ce qu’il veut, il n’en sait rien lui-même.

Dans tout ce qu’il espère et dans tout ce qu’il aime,

Il voit un vide immense et s’use à le combler,

Jusqu’au jour où, sentant que son âme est atteinte,

Sentant son âme atteinte et son mal redoubler

Il soit las de souffler sur une flamme éteinte…

Et meure de dégoût, de tristesse… et d’absinthe !