III
L’oncle Pierre était bien, ainsi que l’avait affirmé Claude Loarec, un gars coriace. C’était un petit homme, presque aussi large que haut, aux cheveux couleur aile de corbeau et porteur d’une moustache à la mexicaine. Il s’était si bien identifié au pays qu’il avait fait sien que, par une sorte d’étrange mimétisme, quelque chose d’indien apparaissait à présent dans ses traits ; et ses yeux noirs et son teint de brique trop cuite ne contribuaient guère à atténuer cette impression.
Quand il apprit l’aventure survenue à son neveu et à ses deux compagnons, Pierre Loarec entra dans une violente colère. Il voua Porfirio Gomez et sa clique à tous les démons de l’enfer et parla de fréter un avion pour aller bombarder le palais présidentiel, à Cuidad Porfirio. Sans doute allait-il réellement passer à l’exécution de ce projet quand Morane et Pablo Cabral, unissant leurs efforts, réussirent à l’apaiser.
— Ce vautour de Gomez ne perd rien pour attendre, dit finalement l’oncle Pierre. Un jour, quelqu’un parviendra bien à le jeter en bas de son piédestal et, alors, il aura la fin ignominieuse de tous les dictateurs.
Sur le visage rude de Pablo Cabral, un triste sourire parut.
— Ce n’est pas si simple que cela, señor Loarec, dit-il. Voilà cinq années que je lutte pour renverser le tyran, mais celui-ci s’est entouré d’une police de mercenaires, des gens féroces et sans scrupules qu’il paie grassement à l’aide des tributs arrachés par la force aux pauvres gens. Toute personne qui tente de lui résister est sévèrement châtiée. Ses biens sont confisqués et, presque toujours, elle périt, suite aux mauvais traitements, au fond des geôles de Gomez. Si elle met trop longtemps à mourir, don Porfirio la fait exécuter, tout simplement et, plus jamais, l’on n’entend parler d’elle.
Bob Morane serra les mâchoires.
— L’oncle Pierre a raison, dit-il. Il serait temps que l’on empêche ce sacripant de nuire. Les Nérons ne sont plus à la mode du jour.
— Pour l’instant, nous sommes bien obligés d’accepter Porfirio Gomez, dit encore Cabral. Il possède des avions, peu sans doute, mais en nombre suffisant pour que toute révolte soit aussitôt vouée à l’échec le plus total.
Un silence succéda. Bob Morane, Pablo Cabral, Claude Loarec et l’oncle Pierre étaient assis dans la salle principale de la grande et luxueuse maison que ce dernier possédait à San Felicidad, à fumer de longs cigares noirs et à boire du punch créole. Tous les visages étaient sombres. Pablo Cabral, malgré l’hospitalité généreuse de l’oncle Pierre, était à présent un exilé, condamné par les événements à demeurer hors du pays qu’il avait voulu libérer au risque de sa vie. Morane, lui, allait être obligé de cesser de voyager en boy-scout, pour prendre l’avion du Honduras, comme un vulgaire touriste. Quant à Claude, il avait tout simplement manqué la belle excursion en mer qu’il projetait. Au fond de lui-même, Morane se sentait un peu responsable de la déception du jeune Breton, aussi entreprit-il de le consoler.
— Je ne vois pas très bien pourquoi vous tirez cette tête, Claude, dit-il. Je sais que, si vous n’aviez pas décidé de me conduire à Cuidad Porfirio, vous n’auriez pas dû interrompre votre voyage à l’Ile des Cocotiers, mais cependant…
Le jeune Breton l’interrompit avec un sourire.
— Je ne vous en veux aucunement, Bob, et vous le savez bien… Vous m’avez défendu quand ces trois chenapans m’ont attaqué, sur le warf. Pour m’acquitter de ma dette envers vous, je vous ai proposé de me détourner de ma route et de vous conduire à Cuidad Porfirio, mais le vent a été contraire et nous avons été obligés de mettre pied sur un coin désert de la côte de Zambara, où nous sommes arrivés à point pour aider le señor Cabral à échapper à ses poursuivants. Ce sont là les hasards de l’existence, et personne n’y peut rien.
— D’ailleurs, intervint l’oncle Pierre, rien ne t’empêche de partir à nouveau. L’Ile des Cocotiers appartient à la république de San Felicidad et, pour y parvenir sans crainte de faire de mauvaises rencontres, il te suffira de gagner directement le large, en évitant les eaux territoriales de Zambara qui, après l’évasion du señor Cabral, doivent maintenant être sillonnées par les vedettes de la police… Tu pourrais partir dans quelques jours, après avoir fait les honneurs de nos exploitations au commandant Morane. Pourquoi d’ailleurs n’emmènerais-tu pas celui-ci avec toi ? Il n’a pas l’air particulièrement pressé et peut-être que cette excursion à l’Ile des Cocotiers le consolerait un peu de sa visite manquée à Zambara…
Et l’oncle Pierre acheva avec un gros rire :
— Qui sait si vous ne découvrirez pas l’héritage de ce Vieux sacripant de Montbuc !…
Claude Loarec se tourna vers Morane et demanda :
— Cette visite à l’Ile des Cocotiers vous intéresse-t-elle, Bob ?
— Et comment ! s’exclama Morane. J’ai toujours eu un faible pour les îles désertes et les histoires de trésors cachés.
**
Cinq jours plus tard, le Mapurito, ayant à son bord Morane et Claude Loarec, appareilla à destination de l’Ile des Cocotiers.
Ce fut une traversée sans histoire. La mer des Caraïbes était calme à cette époque de l’année et, à l’aube de la seconde journée de navigation, on arriva en vue de l’île. Celle-ci, cernée de tous côtés par de hautes falaises à pic sur la mer, offrait pourtant dans sa partie nord une large baie frangée de cocotiers auxquels cette petite terre déserte devait son nom. À l’entrée de la passe, un îlot minuscule, en forme de pain de sucre tronqué et couvert d’une épaisse végétation, brisait le courant venu du large et faisait de la baie un port idéal.
Le bateau fut ancré à une centaine de mètres de la plage et, après avoir embarqué leurs fusils de chasse et quelques vivres dans un canot pneumatique, Morane et Claude se mirent à pagayer vers le rivage.
Sous eux, des poissons multicolores filaient à travers l’eau claire, poursuivis par de petits requins aux ventres pâles. Ils purent même apercevoir une grosse pieuvre qui, étendue sur un banc d’huîtres, brisait les coquilles à l’aide de son affreux bec d’oiseau de proie.
Les deux hommes prirent pied sur une plage de sable volcanique et, après avoir tiré le canot au-delà de la ligne avancée des eaux, ils gagnèrent les premiers arbres et s’enfoncèrent à l’intérieur de l’île, où, disait-on, plusieurs hommes étaient morts jadis de façon fort mystérieuse. Partout, les chercheurs de trésors avaient laissé leurs traces. Des fosses béaient au pied des plus grands arbres. Chaque caverne, chaque creux de rocher avait été soigneusement fouillé et, au sommet d’un petit promontoire, Bob et Loarec découvrirent cinq tombes creusées récemment et recouvertes par de grosses pierres entassées pour former tumulus. Sans doute était-ce là que reposaient ces hommes qui, s’il fallait en croire la rumeur populaire, étaient morts de façon mystérieuse. Pourtant, une certaine quantité de tessons de bouteilles de rhum, découverte non loin de là par Morane, jetait un jour nouveau sur ces « morts mystérieuses ». Une équipe de chercheurs de trésors étaient sans doute venue là. Les hommes s’étaient enivrés, une rixe s’en était suivie et les survivants, après avoir donné une sépulture aux défunts, s’en étaient revenus en racontant des histoires à dormir debout.
Apres avoir erré durant toute la journée à travers cette terre déshéritée, Bob et le jeune Breton, déçus, reprirent le chemin de la plage et regagnèrent le cotre. Le soir tombait et c’est alors que Morane, inspectant le ciel à l’aide de jumelles, fit remarquer à son compagnon la forme particulière de la petite éminence située à l’entrée de la baie.
— Regardez, dit-il en passant les jumelles à Claude, comme le sommet de l’îlot est coupé de façon nette. On dirait un volcan éteint. Qu’en pensez-vous ?
— Croyez-vous, Bob, que cela vaudrait la peine que nous le visitions ?
Morane hocha la tête d’un air perplexe.
— Pourquoi pas ? dit-il. Demain, en nous en retournant, nous nous y arrêterons et grimperons jusqu’au sommet. Espérons que cette promenade nous réservera plus d’imprévu que celle que nous venons de faire à travers l’Ile des Cocotiers… En attendant, mangeons, car rien ne creuse comme une excursion manquée.
La nappe fut étendue sur le pont même du voilier et les victuailles sorties en même temps qu’une bouteille de vin blanc, que l’oncle Pierre faisait venir spécialement de France et que Morane avait mise à rafraîchir dans l’eau de la lagune. Le repas commença. Une brise tiède venue de la terre apportait mille senteurs de plantes. Rien ne semblait devoir troubler la quiétude de cette calme soirée tropicale lorsque, soudain, Claude Loarec se dressa et, du doigt, montra l’îlot dont la masse trapézoïdale se découpait sur le firmament limpide. Au sommet, couronnée d’un léger panache de fumée, une flamme minuscule brûlait.
À l’apparition de cette lueur insolite, la première pensée des deux voyageurs fut d’attribuer au volcan une activité quelconque mais, après réflexion, ils durent reconnaître que ce modeste feu ne pouvait être pris pour une émission de lave ou de gaz enflammés. Non seulement il n’en avait ni l’aspect ni la puissance mais, en outre, aucun grondement ne l’accompagnait. Une seule solution restait donc à envisager : la présence d’êtres humains sur l’îlot.
Cette constatation ne fit que fortifier Morane et son compagnon dans leur décision de visiter l’îlot. Qui pouvait bien y habiter, et pourquoi là plutôt que sur l’Ile des Cocotiers elle-même, qui offrait à coup sûr beaucoup plus de ressources ? À ces questions, Bob et Loarec comptaient bien donner une réponse dès le lendemain. Aussi, à l’aube, après une nuit fiévreuse, dirigèrent-ils le Mapurito vers l’îlot, qu’ils avaient déjà baptisé du nom d’« Ile du Volcan perdu ».
Une fois débarqués sur une étroite plage de sable noirâtre, fait de lave pulvérisée, les deux hommes gagnèrent en quelques pas la ligne des arbres. Et l’ascension commença, pénible, harassante, sur cette pente inclinée à quarante-cinq degrés où la végétation offrait une entrave constante à la marche. Partout, des lianes, qu’il fallait trancher à coups de machette, s’enchevêtraient pour former comme une monstrueuse toile d’araignée. Les pieds glissaient sur les feuilles de fougère tapissant le sol. Parfois, des failles vertigineuses s’ouvraient dans le flanc de la colline, et il fallait les contourner ou les franchir en s’aidant de branches jetées par-dessus.
Enfin, après deux heures de cheminement laborieux, Morane et Loarec atteignirent le sommet du cône tronqué et, ayant franchi un court champ de lave, ils prirent pied sur une étroite plate-forme en anneau, entourant le cratère lui-même, un profond entonnoir aux pentes raides et encombrées de blocs grisâtres, à l’aspect poreux, de la pierre ponce sans doute.
— Décidément, mon vieux Bob, vous jouez de malheur, remarqua Claude Loarec. Votre excursion à Zambara se trouve interrompue dès le premier soir, la fameuse Ile des Cocotiers, déserte et maudite entre toutes, aux dires des habitants de la côte, a été visitée avant nous par un tas de gens qui y ont creusé des trous dans l’espoir de découvrir le trésor d’Yves Montbuc, le flibustier, et en s’en allant, ils n’y ont laissé que quelques tombes et de vieilles bouteilles de rhum. Quant à ce volcan, il nous vaut deux heures d’ascension éreintante, pour aboutir à quoi ? À une grande fosse pleine de pierre ponce et de scories. Je commence à croire que le temps des grandes aventures est bien révolu.
Morane sourit avec ironie, car il en connaissait plus que quiconque sur ces « grandes aventures » dont parlait son compagnon.
— Vous semblez oublier, fit-il remarquer, que hier soir un feu brûlait ici, sur cette même plate-forme et, à ma souvenance, je n’ai jamais entendu dire, qu’un feu aurait été allumé par un bloc de pierre ponce.
Loarec sourit à son tour.
— Vous avez raison, Bob, fit-il. Si un feu brûlait ici hier, c’est que des hommes l’avaient allumé. En faisant le tour du cratère, nous devons logiquement en trouver des traces.
Aussitôt, les deux Français se mirent en marche, et il ne leur fallut guère plus d’une dizaine de minutes pour tomber en arrêt devant les débris d’un foyer. Morane se pencha et posa la main sur les cendres ; elles étaient encore tièdes.
— Des êtres humains ont campé ici il n’y a guère longtemps, remarqua-t-il.
— Cela me paraît évident, mais où sont-ils maintenant ?
— Peut-être sont-ils partis ou se sont-ils cachés quelque part aux alentours, à nous épier… Mais, j’y songe, si des hommes sont venus ici avant nous, leur bateau doit être amarré quelque part, sans doute du côté opposé à celui où nous avons nous-mêmes débarqué.
Mais ils eurent beau faire le tour de l’horizon, la végétation dressait partout une barrière infranchissable aux regards.
— Tout à l’heure, dit Claude, nous ferons le tour de l’île et, de la mer, nous apercevrons bien le bateau en question, si bateau il y a… D’ailleurs, plus rien ne nous retient ici… Redescendons.
Morane secoua la tête vigoureusement.
— Non, fit-il. Si des hommes sont venus jusqu’ici, c’est qu’ils cherchaient quelque chose. Mais quoi ? Je serais curieux de le savoir…
Une lueur d’intérêt s’était allumée dans le regard de Loarec.
— Peut-être découvrirons-nous la clef de l’énigme en explorant ce cratère, dit-il.
Dans la paroi de l’entonnoir, à une cinquantaine de mètres en dessous d’eux, un trou sombre béait, creusé dans la lave. Sans doute était-ce là l’entrée d’une cheminée latérale, pratiquée par le feu souterrain aux temps déjà lointains où le volcan était encore en activité.
— Croyez-vous qu’il serait possible d’y parvenir ? demanda encore Loarec.
— Pourquoi pas ? En nous aidant l’un l’autre, nous y arriverons et la même chose pour la remontée… Mais il est possible cependant, sinon certain, que ce sera là des efforts bien inutiles.
Pourtant, la curiosité du Breton était à présent éveillée et la soif d’aventures, qui sommeille en tout homme digne de ce nom, l’occupait à présent tout entier.
— Au point où nous en sommes, remarqua-t-il, un petit effort de plus ou de moins… De toute façon, si nous ne descendons pas dans cette cheminée, il ne nous restera plus qu’à rentrer à San Felicidad.
Morane ne répondit pas. En lui-même, il pensait : « Cela fait la troisième fois dans ma vie que je dois m’attaquer à un volcan. Les deux premières, c’était en Nouvelle-Guinée et en Afrique, et cela a mal tourné[4]. Comment cela va-t-il finir cette fois-ci ?… »
Avec prudence, les deux hommes s’engagèrent sur la déclivité, l’un retenant l’autre dans sa progression au-dessus de l’abîme. Par bonheur, tous deux étaient entraînés aux exercices physiques, car ils avaient besoin de toute leur habileté, de toute leur force. La pierre ponce était friable et, souvent, elle cédait sous leurs pieds. Parfois, il leur fallait demeurer suspendus dans le vide, accrochés seulement par les mains aux rebords d’étroites crevasses. Enfin, après de longues minutes d’effort, ils prirent pied sur une plate-forme exiguë. Devant eux, un long et étroit tunnel, aux parois presque parfaitement cylindriques, s’enfonçait dans le flanc de la montagne.
Après avoir allumé leurs torches électriques, Morane et Loarec s’engagèrent dans les entrailles du volcan.
**
Le sol sur lequel les deux amis marchaient, fait de lave friable, amortissait presque totalement le bruit de leurs pas. Ils avançaient avec prudence, leurs têtes frôlant presque la voûte du tunnel. Devant eux, le double cône de leurs lampes dansait et se perdait dans les profondeurs mystérieuses du boyau.
Au bout d’un moment, ils arrivèrent à un coude où le tunnel bifurquait, se divisant en deux tronçons identiques. Ils s’arrêtèrent, indécis, ne sachant s’ils devaient continuer, dans la première direction ou, au contraire, emprunter le nouveau tronçon qui, au lieu de descendre, semblait plutôt remonter doucement.
— Si nous nous séparions, proposa Claude. Je remonterais le nouvel embranchement, tandis que vous continueriez à suivre l’ancien. Après, nous pourrions nous retrouver ici. Qu’en dites-vous ?
Morane eut un signe de dénégation. Il connaissait trop les dangers et les angoisses causés par la solitude pour accepter une telle proposition.
— Je crois qu’il vaut mieux ne pas nous séparer, dit-il. Tant que nous serons ensemble, nous pourrons nous venir en aide en cas de besoin. Continuons donc à descendre et, si nous ne parvenons nulle part, nous remonterons jusqu’ici et explorerons le second embranchement.
Sans échanger d’autres paroles, ils continuèrent donc leur route, pour arriver bientôt à un second coude. Là, Morane s’arrêta soudain et posa une main sur le bras du Breton.
— Ecoutez, dit-il tout bas.
Tous deux prêtèrent l’oreille et un bruit de voix, indistinct et étouffé leur parvint. Là-bas, quelque part devant eux, plusieurs hommes étaient occupés à discuter avec animation.
— Eteignons nos lampes, souffla Bob.
Quand ils eurent dépassé le second coude, une lumière vacillante envahit le couloir. À demi courbés, Morane et le Breton continuèrent à avancer, jusqu’au moment où leurs regards plongèrent dans une salle assez vaste, au milieu de laquelle plusieurs hommes, portant l’uniforme de la police de Zambara et éclairés par des torches, parlaient avec véhémence tandis que deux d’entre eux s’acharnaient sur un grand coffre bardé de fer posé sur le sol. Bob et Claude s’étaient dissimulés derrière une saillie du couloir et, perdus dans la pénombre ne perdaient rien de la scène.
— Allons, dépêchez-vous, disait celui qui paraissait le chef, un gros homme chauve, aux yeux bridés et à la moustache noire aux pointes tombantes. Nous sommes tous curieux de voir ce que ce vieux sacripant de Montbuc a laissé à la postérité.
Le couvercle du coffre, ses ferrures arrachées, sauta enfin. Le gros homme se précipita mais, aussitôt, il poussa un rugissement de rage.
— Vide, hurla-t-il, le coffre est vide !
Un long silence pesa dans la caverne, puis un des policiers éclata de rire.
— Au moins, gouverneur, on sait à présent à quoi s’en tenir avec l’héritage de Montbuc. Ce n’est que du vent, et rien d’autre.
Le gros homme auquel on venait de donner le nom de gouverneur, eut un faible sourire sous lequel il tentait sans doute de dissimuler son avidité déçue.
— Tout n’est pas encore perdu, dit-il. Attendons le retour de Rodriguez et de Martins. Peut-être auront-ils fait quelque découverte en explorant la seconde galerie.
La main de Loarec se crispa sur le bras de Bob, mais déjà, il était trop tard. Des pas approchaient et une voix rude retentissait derrière eux :
— Levez les mains, vous deux, et avancez !
Mus par un même mouvement, Morane et Claude se retournèrent, pour apercevoir deux policiers, aux visages cruels, qui les menaçaient de leurs revolvers. À l’air décidé des nouveaux venus, Morane et Loarec comprirent qu’il était inutile de tenter de résister et qu’au moindre mouvement ils seraient massacrés. Ils obéirent donc et, quelques secondes plus tard, ils débouchaient dans la salle où gisait le coffre fracturé.
— Qu’est-ce que c’est que ces deux-là ? interrogea le gros homme à la moustache de Mongol.
— Nous avons exploré l’autre couloir, expliqua l’un des deux policiers et, comme il se terminait par un cul-de-sac, nous avons aussitôt rebroussé chemin. C’est alors que nous avons surpris ce gibier de potence en train de nous espionner.
Le gouverneur s’approcha des deux Français et les dévisagea. Au bout d’un moment, son visage chafouin se figea en un affreux rictus.
— Des concurrents, hein ? Sans doute le trésor de Montbuc vous intéresse-t-il, vous aussi… Eh bien, vous êtes arrivés trop tard. Nous avons découvert ce trésor avant vous, et savez-vous ce que c’est ? Un coffre vide. Oui, rien d’autre qu’un coffre vide.
Morane secoua lentement les épaules.
— Que voulez-vous que cela nous fasse ? Nous sommes de simples touristes.
Un cri de surprise et de joies sauvages mêlées retentit et un homme, se détachant du groupe anonyme des policiers, se précipita vers Morane et Loarec.
— Des touristes, hein ? C’est aussi en touristes sans doute que vous avez aidé ce maudit Pablo Cabral à nous échapper, l’autre jour à Zambara ?
La foudre semblait avoir frappé le gouverneur.
— Ce ne serait pas là les hommes du yacht, par hasard ? demanda-t-il sans parvenir à dissimuler sa surprise.
Mais le policier ne répondit pas. Il avait plongé la main dans la poche de sa veste d’uniforme et tiré un couteau automatique qu’il ouvrit d’une pression du pouce. Un sourire mauvais sur ses lèvres minces, il marcha vers Morane en disant :
— Je t’avais bien dit que Mario Foldès te retrouverait.
En un éclair, Morane se souvint de cet homme auquel il avait fait prendre un bain forcé lors de leur fuite de Zambara en compagnie de Pablo Cabral. Il se souvint aussi de cette menace : « Foi de Mario Foldès, je te retrouverai, chien ! »
« Nous sommes venus nous fourrer dans la gueule du loup, songea Bob. Je savais bien que les volcans me portaient la poisse… » Mais déjà le capitaine Foldès était sur lui, et il eut juste le temps de se dérober pour éviter la redoutable lame pointée vers son ventre. Emporté par son élan, Foldès trébucha, tenta de se redresser, mais le pied de Bob, en une classique passe de boxe française, l’atteignit au creux de l’estomac et le rejeta en arrière. Grimaçant de douleur, le capitaine Foldès tenta de se relever pour foncer à nouveau. La voix du gouverneur retentit, sèche et dure.
— C’est assez, Foldès, je m’occuperai personnellement de ces messieurs.
Le gros homme se tourna vers les deux Français et leur dit d’une voix mielleuse :
— Ainsi, señores, c’est vous qui, l’autre jour, avez aidé Pablo Cabral, l’ennemi du peuple de Zambara, à nous échapper. Du beau travail, ma foi, du beau travail… Mais le hasard fait parfois bien les choses, ou mal, si l’on se place à votre point de vue. Il faut justement que vous veniez vous promener dans cet endroit perdu le jour où je tente de récupérer le trésor du fameux Montbuc. Avouez que mon amour de l’or, bien que déçu, vient quand même de me rendre un fier service… Mais permettez que je me présente : José Fiscal, chef de la police et gouverneur de la prison de Zambara. Vous verrez comme elle est belle, ma prison.