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Assis dans le poste de garde, le commissaire étudiait un plan du port sous le regard respectueux d’un de ses subordonnés. Son index boudiné courait le long des rues.
— Tout a été fouillé dans ce périmètre ? questionna-t-il.
— Oui, Herr commissaire, tous les docks, tous les entrepôts, tous les chantiers : le fourgon reste introuvable.
Le policier abandonna le plan pour secouer la cendre de son cigare. Il exhala une magnifique bouffée d’un bleu voluptueux.
— S’il n’est pas sorti du port et s’il n’est pas dans les bâtiments, c’est qu’il est dans l’eau ! soupira-t-il.
— Dans l’eau ! sursauta son inspecteur.
— Vous voyez une autre solution, vous ?
Il allongea le pouce de sa main droite et le pinça entre le pouce et l’index de sa main gauche.
— Première hypothèse : le fourgon a passé sans que les douaniers l’aient remarqué.
Il cueillit son deuxième doigt avec la même délicatesse.
— Deuxième hypothèse : il est dans un entrepôt et nos hommes n’ont pas su le dénicher. Troisième hypothèse : il est dans l’Elbe et il convient de le rechercher. Donnez des instructions en conséquence.
***
Marika Lost avait rendez-vous avec son ami en bordure de l’ancien bunker. Lutz faisait équipe dans un chantier de construction naval où il travaillait en qualité de soudeur. Après le travail, elle l’attendait à l’écart, en faisant des projets d’avenir. Et puis il arrivait et alors les deux amoureux s’enfonçaient dans l’ombre complice des blocs de béton, à l’abri des regards indiscrets.
Ce soir-là, la jeune fille ne se sentait pas tranquille. Des forces de police grouillaient dans le secteur et Marika se demandait la raison de cette effervescence.
La pluie tombait par intermittence. Par instants elle faisait rage, et puis brusquement elle devenait parcimonieuse. Une bourrasque brutale l’obligea à chercher refuge dans les ruines chaotiques. Certains blocs en surplomb constituaient des espèces de grottes artificielles où le couple cherchait refuge.
Marika alla s’asseoir sur une pierre. Elle guettait l’arrivée de Lutz en regardant tomber la pluie dans l’eau du chenal.
Une nappe de lumière s’étalait à la surface de l’eau. Au début, la jeune fille crut qu’il s’agissait d’un reflet. Mais soudain elle tressaillit en constatant que ce coin du port était absolument plongé dans l’ombre. La lumière, à la suite de quelque sortilège, semblait monter des profondeurs et non pas tomber dans l’eau. Marika s’approcha du chenal, le cœur battant, comme si elle s’attendait à une initiation fabuleuse. Elle poussa un cri. Le double rayon lumineux montait bel et bien du fond. Elle se pencha mais ne vit rien que ce double faisceau surnaturel. Elle prit peur et se sauva à toutes jambes.