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Debout devant la psyché de sa chambre à coucher, Océane – s’admirait avec inquiétude. Elle était pourtant magnifique dans sa robe de mariée blanche, dont le bustier en broché de soie était agrémenté de dentelle brodée de perles et lacé dans le dos par un ruban de satin. La longue jupe évasée lui donnait l’allure d’une princesse.
— C’est juste pour faire semblant, ma chérie, tenta de la rassurer Andromède en replaçant ses cheveux piqués de petites fleurs brillantes.
Océane ne remua pas.
— Comme lorsque nous jouions aux fées dans le palais de glace, ajouta sa mère.
Toujours aucune réaction de la part de sa fille.
— Si tu préfères rentrer chez nous…
— Il me retrouvera peu importe où j’irai, murmura Océane. Et je ne veux pas non plus laisser tomber Cédric. C’est à moi qu’on a confié cette mission.
— Tu ne vas pas le faire au beau milieu de la cérémonie, au moins ?
— Non. Sur le bateau, pendant notre voyage de noces.
— Et comment t’échapperas-tu ?
— Je sais nager.
— Tu pourrais aussi être tuée par ses gardes du corps.
— C’est un risque auquel tous les agents doivent faire face, un jour ou l’autre.
— Est-ce vraiment ce que tu veux ?
— Ce que je veux n’est pas important. C’est l’humanité toute entière qui s’en portera mieux.
— Nous n’avons pas eu le temps de bavarder toutes les deux, quand tu es demeurée chez moi avec ton beau policier blond.
— Tu étais bien trop préoccupée par tes Spartiates.
— Oui, c’est vrai. Mais il me paraît opportun de te laisser savoir que les Pléiadiens possèdent certains pouvoirs que les humains qualifieraient de surnaturels. Ils peuvent se déplacer dans l’espace sur de très grandes distances. Ils peuvent guérir certaines maladies, mais aussi effacer certains souvenirs dans la tête des gens.
— Non. Je ne veux rien oublier de ce qui s’est passé ou de ce qui se passera.
— Si tu changes d’idée, laisse-le-moi savoir.
« J’aurais aimé m’habiller ainsi pour Thierry », songea la jeune femme avec tristesse.
— Allons-y, décida-t-elle sans aucun enthousiasme.
Andromède souleva la longue robe de sa fille, tandis qu’elle descendait l’escalier de la villa. Asgad était déjà parti avec ses propres gardes du corps. Benhayil les attendait dans le vestibule. Le jeune Grec était collé contre lui, effrayé à l’idée de quitter la maison.
— Nous sommes prêts à partir, fit le secrétaire. Vous êtes vraiment ravissante.
— Merci, murmura Océane.
— Tout ira très bien, vous verrez.
Ils montèrent dans les limousines et furent conduits jusqu’au Temple de Salomon. Les véhicules s’engagèrent entre deux rangées de soldats armés qui s’étendaient jusqu’aux portes de l’église.
— J’aurais préféré des bouquetières, songea Océane tout haut.
— Moi, je les trouve mignons, répliqua Andromède, qui s’étirait le cou pour voir leurs visages.
Lorsqu’ils s’arrêtèrent finalement devant le parvis, la future mariée rassembla son courage et sortit du véhicule. Andromède s’accrocha à son bras.
— Tu n’as pas encore changé d’idée ? chuchota-t-elle en souriant aux gardes du corps en smoking qui les attendaient.
— Non.
Tous les dignitaires de la nouvelle Union eurasiatique étaient assis à l’intérieur, ainsi que plusieurs grandes vedettes du sport et du cinéma qui appuyaient la politique d’Asgad Ben-Adnah. Benhayil tira Antinous à l’intérieur en faisant la sourde oreille à ses histoires de monstres verts à grandes dents.
Océane vit alors les caméras de télévision positionnées de chaque côté de la porte. Elles avaient commencé à filmer au moment où les limousines avaient franchi la muraille. « Je vais avoir une mine affreuse aux nouvelles, ce soir » songea Océane. Ce qu’elle ignorait, c’était que ces images étaient déjà diffusées en direct partout à travers le monde. De la musique commença à jouer à l’intérieur du temple.
« Mon Dieu, aidez-moi », pria silencieusement la jeune femme. Elle ferma les yeux et pénétra dans l’immense église vouée à tous les cultes. Les centaines d’invités se levèrent en la voyant apparaître au bout de l’allée. À l’autre extrémité, Asgad, en complet noir, se tenait devant un imposant autel d’albâtre.
— Si tu n’avais pas été là, maman, je n’aurais pas été capable de mettre un pied devant l’autre, murmura Océane.
Andromède, vêtue d’une robe dorée cousue de paillettes à la Marie-Antoinette, tenait sa fille par le bras en lui insufflant subtilement une douce énergie anesthésiante. Elles remontèrent pas à pas l’allée. Andromède souriait à tout le monde comme une reine dans un char allégorique. Quant à Océan, elle regardait droit devant elle, s’efforçant de respirer le plus lentement possible.
Dans le jubé, sous lequel la future mariée venait de passer, le canon d’une carabine venait d’apparaître entre deux des longs tuyaux du grand orgue. L’œil collé contre le viseur, Adielle Tobias trouva sa cible, à deux pas de l’autel. Un sourire de satisfaction se dessina sur les lèvres de la directrice, qui s’apprêtait à assassiner l’homme le plus dangereux de l’histoire du monde.
Adielle s’était installée derrière l’énorme instrument de musique quelques jours plus tôt et avait échappé à toutes les vérifications électroniques des équipes de sécurité grâce à un dispositif de brouillage de l’ANGE. Mangeant le moins possible et buvant à peine, elle avait patiemment attendu le jour du mariage.
Parfaitement immobile, elle commença à presser la gâchette lorsqu’un jeune homme vêtu en blanc des pieds à la tête courut dans l’allée secondaire, à gauche de la vaste salle, et se précipita dans les bras de l’Antéchrist, l’étreignant de toutes ses forces. Adielle arrêta son geste. En raison de la distance qui la séparait de son objectif, elle risquait de tuer l’inconnu, mais pas nécessairement Asgad. Elle attendit donc que le marié se débarrasse de son admirateur.
Antinous était toujours accroché aux manches de l’entrepreneur lorsque Océane et Andromède arrivèrent devant l’autel. L’attention d’Asgad se tourna aussitôt vers le divin visage de sa bien-aimée.
— Je t’en prie, mon petit, retourne t’asseoir avec Pallas.
Voyant qu’il ne bougeait pas, Benhayil s’empressa d’aller chercher le jeune Grec et le força à le suivre jusqu’à son siège. C’était le moment qu’attendait Adielle. Elle allait commettre le meurtre du siècle quand un homme portant un long trench noir se planta devant sa cible. La directrice de Jérusalem gronda intérieurement de mécontentement.
— Veuillez pardonner mon retard, Excellence, s’excusa Ahriman sur un ton contrit.
Sa voix donna la chair de poule à Océane.
— Où étiez-vous passé ? grommela Asgad, mécontent.
— J’ai été retenu par une terrible urgence.
— Vous aurez des comptes à me rendre plus tard, docteur. Écartez-vous, maintenant, car vous retardez le plus beau moment de ma vie.
Ahriman recula en direction d’un des piliers qui soutenaient la voûte, avec l’intention de ne pas trop s’éloigner du futur vaisseau de son maître.
— Vous ! s’exclama Océane en se rappelant de l’avoir vu dans un hôpital de Montréal.
Le Faux Prophète se rappela lui aussi de cet affrontement.
— Excellence, vous ne pouvez pas épouser cette femme ! protesta-t-il en marchant à la rencontre d’Océane.
Asgad ne lui permit pas d’aller plus loin. Il le saisit par la manche, le forçant à arrêter son geste agressif. De chaque côté du sanctuaire, ses gardes du corps posèrent la main sur la crosse de leurs revolvers, prêts à intervenir.
— Notre mariage est annoncé depuis des mois, docteur Wolff. Si vous n’étiez pas d’accord avec mon choix, j’aurais apprécié que vous me le fassiez savoir avant aujourd’hui.
— Cette femme est une espionne !
Un murmure de désapprobation parcourut l’assemblée.
— Me prenez-vous pour un idiot, docteur ? se fâcha Asgad. Croyez-vous que je n’ai pas vérifié le passé de ma future épouse ?
Andromède se précipita au secours d’Océane et se planta devant le bras droit de Satan sans la moindre frayeur.
— Expliquez-vous, monsieur ! exigea-t-elle. C’est la réputation de ma fille que vous tentez de salir.
Océane les observait en silence. En avouant à Asgad qu’elle avait pourchassé Ahriman à Montréal, elle aurait signé son arrêt de mort.
Dans le jubé, Adielle avait relevé la tête avec inquiétude, car il commençait à y avoir beaucoup de monde entre Asgad et elle. Elle remit son œil contre le viseur et chercha une petite ouverture entre tous ces beaux vêtements. Lorsque Andromède saisit Ahriman par les pans de son trench pour le secouer violemment, Adielle vit se libérer la région du cœur de l’Antéchrist. Ravie, elle appuya sur la gâchette. Le coup partit, mais manqua sa cible, car on venait de la saisir par-derrière.
La balle passa entre Ahriman et Asgad et se ficha dans le mur, à trois centimètres du nez d’un garde du corps.
— Tireur ! cria ce dernier, provoquant la panique générale dans le temple, car personne n’avait entendu de coup de feu, Adielle ayant utilisé un silencieux.
Océane agrippa sa mère par le bras et la tira aussitôt derrière l’autel, tandis que quatre gorilles se plantaient devant Asgad.
— Le coup venait de là-haut ! indiqua un deuxième garde du corps en examinant l’angle de la balle.
Le chef de police se précipita dans les marches qui menaient au jubé, son revolver à la main, mais il n’y trouva qu’une carabine abandonnée.
— Fermez toutes les issues ! ordonna-t-il aux gardes de la sécurité en se penchant par-dessus la balustrade.
Mais les invités avaient commencé à courir vers la sortie.
— Ne laissez personne sortir du périmètre du temple ! ajouta le chef de police.
Son lieutenant se précipita dehors et referma les grandes portes, avant d’appeler l’armée à son secours.
— Je vous en conjure, calmez-vous ! hurla Benhayil dans la cohue.
Mais il avait lui-même du mal à contenir la frayeur du jeune Antinous. Revenu de sa surprise, Asgad tenta de localiser son médecin pour le congédier, mais il ne le vit nulle part. Il se mit donc à la recherche d’Océane et la vit, accroupie derrière l’autel, regardant en direction du balcon où se trouvait l’orgue. Retrouvant ses instincts de Pléiadienne, Andromède s’élança à l’extérieur de leur cachette pour prêter main-forte à Benhayil.
— Asseyez-vous et laissez la police faire son travail ! recommanda-t-elle d’une voix forte.
Asgad échappa à la surveillance de ses gardes du corps et rejoignit Océane derrière l’autel. Il prit ses mains dans les siennes et constata qu’elle ne tremblait pas du tout.
— On dirait que tu n’as pas peur, s’étonna-t-il.
Ne sachant pas quoi lui répondre, Océane se contenta de le regarder droit dans les yeux.
— Es-tu une espionne ?
— Je l’ai été quand j’étais jeune et stupide, mais je n’ai pas aimé ce genre de travail. J’ai donné ma démission et je suis retournée à l’université pour apprendre un nouveau métier.
— Pourquoi n’as-tu rien dit quand j’ai fait voter la loi contre les espions ?
— Parce que je n’en suis plus une, évidement.
Asgad se mordit la lèvre inférieure avec hésitation.
— Si c’est un juge que je dois découvrir en toi, aujourd’hui, alors soit, poursuivit Océane. Je me soumettrai à ta sentence.
Asgad la tira aussitôt vers le prêtre terrorisé, caché derrière un des piliers.
— Poursuivez la cérémonie ! ordonna l’entrepreneur.
— Mais c’est bien trop dangereux, voyons.
— Déclarez-nous maintenant mari et femme.
Océane chercha sa mère des yeux et vit qu’elle jouait au Casque bleu parmi les invités paniqués. Elle entendit à peine les paroles du prêtre et n’y prêta attention que lorsque Asgad lui passa une bague au doigt.
— Océane Orléans, acceptez-vous de prendre cet homme pour époux et de le chérir jusqu’à votre dernier souffle ?
— Oui, murmura-t-elle en pensant que cela pourrait arriver plus rapidement que prévu.
Asgad s’approcha pour l’embrasser, mais ses lèvres n’eurent pas le temps de toucher celles de sa promise. Un terrible tremblement de terre secoua tout à coup non seulement le pays, mais aussi la Terre entière, comme si la planète venait d’avoir un soubresaut.
Une partie du plafond se détacha et s’écrasa dans le sanctuaire, à quelques centimètres à peine des nouveaux mariés. Asgad protégea Océane en la prenant dans ses bras, tandis que Benhayil poussait le jeune Antinous sous l’un des longs bancs en bois et l’y rejoignait.
Épouvantés, les invités réussirent à pousser les portes du temple malgré les efforts de l’armée pour les garder fermées. La terre continua à remuer sous leurs pieds pendant de longues minutes. Solidement bâti, le nouveau Temple de Salomon résista davantage au séisme que tous les autres bâtiments qui l’entouraient. Partout dans la ville, des maisons, des écoles et des hôpitaux s’écroulèrent comme des châteaux de cartes.
Dans le monastère du désert, les Nagas ne furent pas épargnés. En comprenant ce qui se passait, Thierry ordonna à ses apprentis de le suivre à l’intérieur de la falaise pour y attendre la fin du tremblement de terre. Voyant que Cindy ne savait pas quoi faire, le varan l’emprisonna dans ses bras et s’enfonça dans la pierre avec elle.
Même si la base de Montréal se trouvait plusieurs mètres sous la ville de Longueuil, elle n’échappa pas non plus à la secousse tellurique.
— Lorsque les derniers sceaux seront brisés, un terrible tremblement de terre ébranlera toutes les nations, qui pleureront leurs morts, lut Vincent dans la Bible.
Les Laboratoires se mirent à valser violemment. Au lieu de penser à sa propre sécurité, l’informaticien emporta le livre sacré avec lui et se mit à la recherche de la personne qui faisait de plus en plus battre son cœur. Il trouva Mélissa dans le grand couloir, en train de se tenir en équilibre en s’appuyant contre les murs, tandis qu’elle tentait de se rendre aux Renseignements stratégiques. « Si je dois mourir aujourd’hui, je veux que ce soit auprès d’elle », se dit-il en lui entourant la taille d’un bras pour l’aider à marcher.
Devant les écrans de moins en moins fonctionnels de la salle de commande, Cédric observait ce que lui renvoyaient les capteurs disséminés dans la ville et partout sur la planète. Aussi incroyable que cela pouvait paraître, le phénomène semblait mondial. « La Terre est-elle en train d’imploser ? », se demanda-t-il. Il pensa aussitôt à sa fille, qui traversait la même épreuve à Jérusalem.
— Cassiopée, où sont mes agents ?
— ILS CONVERGENT VERS VOUS.
— Quelle est la cause de ce tremblement de terre ?
— LES RESEAUX DE SURVEILLANCE SISMIQUE NE REPONDENT PAS À NOS APPELS.
— Préparez-vous à utiliser nos systèmes d’urgence.
Aodhan fut le premier à arriver aux Renseignements stratégiques, aussitôt suivi par Shane, Jonah, les membres de la sécurité et les employés du garage. Quelques minutes plus tard, Vincent et Mélissa les rejoignirent.
À l’infirmerie, Athenaïs Lawson avait aidé son patient à descendre de son lit, mais malgré toute sa bonne volonté, Damalis n’arrivait pas à se déplacer avec ses béquilles sur le plancher mouvant. Autour d’eux, les instruments médicaux tombaient sur le sol, et ceux qui reposaient dans les tiroirs et les armoires faisaient un vacarme assourdissant.
— Cela ne sert à rien de fuir, grimaça le Naga.
— En cas de séisme, le protocole de l’ANGE nous oblige à nous rendre aux Renseignements stratégiques, fit la femme médecin, s’entêtant à le faire marcher en direction de la porte.
Incapable de maîtriser ses jambes humaines, Damalis adopta sa forme reptilienne et souleva Athenaïs dans ses bras. Elle étouffa un cri de surprise, tandis qu’il fonçait dans le couloir.
Le Faux Prophète s’éleva dans les airs en tournant sur lui-même, au-dessus du Temple de Salomon, à la recherche de son ennemi juré, persuadé que ce dernier avait provoqué ce nouveau fléau : Comme il s’y attendait, il aperçut Asmodeus, accroché à la flèche chancelante d’une église qui était sur le point de s’affaisser. Manifestement, le démon se régalait du chaos qui régnait dans la ville.
Ahriman ouvrit les bras et fonça vers le Shesha avec la ferme intention de le retourner à jamais en enfer. Un rayon de lumière aveuglante mit brusquement fin à ses plans de vengeance. En baissant le regard, il vit dans la rue, au pied de l’église, les deux Témoins de Dieu qui avaient apparemment eux aussi des comptes à régler avec le démon.
— S’ils ne te tuent pas, Asmodeus, tu auras affaire à moi ! hurla l’Orphis.
Jugeant préférable de ne pas attirer l’attention des apôtres, Ahriman décida d’attendre son heure. Il revint donc vers le temple, afin de s’assurer que son protégé survive au cataclysme.
FIN