8.
Un mari perspicace
Dans ses appartements, Kira pensait à Lassa et à sa déception lorsqu’il avait appris la vérité à son sujet. Allongée sur une table capitonnée de sa salle de bain privée, la jeune femme mauve laissait le masseur lui délier les muscles du dos. L’inactivité commençait vraiment à lui peser. L’Empereur Noir allait sans doute faire débarquer sous peu d’autres créatures aussi dévastatrices que les rats. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre sa forme.
Kira tentait d’imaginer la prochaine invasion lorsque Sage entra dans la pièce réchauffée par un bon feu. Il huma l’air, en se délectant du parfum des huiles préférées de son épouse. Il s’approcha d’elle en silence. D’un geste de la tête, il congédia le serviteur. Il frotta ses mains pour les réchauffer et poursuivit le travail de détente sur les épaules de Kira. Reconnaissant le contact de son mari, la princesse esquissa un sourire.
— Tu es doué, tu sais, ronronna-t-elle.
— Je parie que tu dis ça à tous les hommes qui te massent, se moqua-t-il.
— Non, seulement à ceux qui sont mon mari.
Il continua le merveilleux traitement pendant quelques minutes, puis se rappela l’air abattu que Kira arborait la veille.
— Si tu me disais maintenant ce qui s’est réellement passé entre Lassa et toi hier soir, souffla-t-il, à la grande surprise de la Sholienne.
— J’ai pourtant essayé de te cacher ma peine ! s’exclama-t-elle en se retournant. Comment l’as-tu su ?
— Tes yeux n’étaient pas aussi brillants que d’habitude et tes oreilles étaient légèrement rabattues sur ta tête. J’ai tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. Mais quand tu as prétendu le contraire, j’ai décidé de ne pas insister.
— Je regrette de ne pas m’être confiée à toi hier, Sage. Ce n’est pas digne d’une bonne épouse.
— Il y a des moments où il est facile de se vider le cœur et d’autres où c’est impossible, même pour des gens mariés qui se disent tout. J’ai déjà vécu la même chose autrefois, quand j’habitais chez mon père. Nous étions très proches, lui et moi, mais il y avait des confidences que je ne pouvais tout simplement pas lui faire.
— Je ne voulais pas te cacher la vérité, mon chéri. Je ne t’en ai pas parlé parce que je ne désirais pas te faire de la peine.
Il l’obligea à s’allonger de nouveau sur le ventre. Il frotta ses omoplates pour les détendre, tout en l’invitant à lui raconter sa soirée. Kira lui relata donc fidèlement toutes les paroles échangées lors de son court repas avec Lassa et la peine que lui avait causée le prince horrifié.
— Si j’avais su comment il allait me traiter plus tard, je ne lui aurais jamais donné mon biberon, grommela-t-elle.
Sage fit un effort surhumain pour ne pas éclater de rire.
— Tu l’as seulement surpris, Kira, lui fit-il observer. Il croyait sans doute que tu es mauve parce que tes ancêtres sont des Elfes et des Fées. Et il est encore si jeune. Donne-lui le temps d’assimiler cette terrible vérité.
— Je pense qu’il est suffisamment brillant pour saisir que je porte en moi l’ennemi qu’il doit détruire.
— Alors, c’est à toi de lui expliquer que rien n’arrive pour rien. Si les dieux ont décidé que tu devais naître hybride pour protéger le porteur de lumière, c’est sans doute parce qu’un jour ton origine différente pèsera dans la balance.
— Je n’avais jamais pensé à ça…
— Lassa n’est pas un petit garçon ordinaire. Il est l’élu, celui que Parandar a choisi pour sauver la race des hommes. Il finira par comprendre ton rôle dans son destin et le lien qui vous unit.
Il arrêta de la masser et se pencha pour l’embrasser dans le dos, entre les épaules, puis remonta vers sa nuque. Kira poussa un gémissement de plaisir et ferma les yeux. Décidément, elle avait épousé le plus raisonnable de tous les Chevaliers. Jamais elle ne regretterait de vivre avec lui.
— Tu es un homme compréhensif, Sage d’Émeraude, murmura-t-elle. Si tu savais comme je t’aime…
— Pas autant que moi.
Elle se redressa, passa les bras autour de son cou et ils échangèrent un long baiser.