CHAPITRE II – UNE AGRESSION EN MER
Le soir même, tandis que la vieille Miyala pleurait sur la mort de son jeune maître bien-aimé, Maurice et Eva examinèrent le contenu du portefeuille.
Le sachet de cuir contenait dix-sept gros diamants d’une grande valeur.
Dans les papiers placés dans l’enveloppe adressée à la jeune fille, Dick expliquait que Vérez s’était emparé des propriétés des Brant.
À plusieurs reprises, il avait tenté de le faire assassiner.
– Ce bandit, écrivait-il, soupçonne que j’ai trouvé l’emplacement du trésor qui est enfoui au fond d’un caveau de la tour carrée sur la plantation ainsi que l’indique le plan ci-joint.
En effet, les deux jeunes gens découvrirent un plan exact de l’ancienne demeure des Brant.
Maintenant que les nouveaux amis étaient amplement renseignés, il ne leur restait plus qu’à établir leur plan de conduite.
C’est ce que Eva ne manqua point de faire.
– Quand partirons-nous ? demanda-t-elle, s’en remettant déjà du soin de préparer leur voyage à ce jeune homme qui s’était si spontanément dévoué à sa cause.
Maurice Hamard réfléchit durant quelques secondes, puis, relevant la tête, il répliqua :
– Quinze jours sont nécessaires à nos préparatifs.
– Bien. Faites de l’argent avec ces diamants, nous en aurons grand besoin.
Quatre bandits s’abattirent sous ses
coups
Deux semaines plus tard, la goélette à vapeur « Généreuse », quittait l’Amérique, emportant à son bord Maurice Hamard et Eva Brant.
Naturellement, Miyala qui n’avait point voulu quitter sa maîtresse, était du voyage.
Les jeunes gens avaient loué ce navire, avec lequel ils comptaient gagner le fleuve Amazone et remonter jusqu’au Rio Males, sur les bords duquel s’étend la plantation des Brant.
La traversée s’annonçait bien.
Le temps était des plus favorables et le capitaine Jacobs, commandant de la « Généreuse » semblait content.
Un soir, alors que Maurice et Eva venaient de se retirer dans leur cabine respective, le capitaine commença à faire une ronde, selon sa coutume.
Soudain, tandis qu’il s’apprêtait à gravir l’escalier conduisant aux cabines des passagers, un léger bruit lui fit prêter l’oreille.
Comme tout semblait être retombé dans le silence, il se décida à avancer, pensant qu’il avait été le jouet d’une illusion.
Mais à peine avait-il franchi cinq ou six degrés qu’il se trouva en face d’un matelot qui à sa vue, ne put réprimer une exclamation de surprise :
– Diable !
Étonné, Jacobs interrogea :
– Que fais-tu là, Custino ?
Mais le marin ne répondit point.
Le capitaine s’apprêtait à renouveler sa question lorsque son interlocuteur, se baissant brusquement, se précipita en avant, le culbutant d’un coup de tête en pleine poitrine.
Certes, le brave officier, ne s’attendait point à une telle manœuvre, sans quoi, il l’eût bien évitée.
Mais elle avait été si vivement exécutée, qu’il n’eut point le temps de la parer et qu’il tomba à la renverse en reculant.
– À moi !
Cet appel parvint à Maurice, qui venait à peine de s’étendre sur son étroite couchette.
Enfilant ses vêtements en toute hâte, s’armant de son revolver, le Français s’élança dans le couloir.
À peine avait-il fait quelques pas que quatre hommes se jetèrent sur lui cherchant à l’immobiliser.
– Arrière, drôles ! gronda le jeune homme en déchargeant son revolver.
Deux détonations claquèrent et un nombre égal d’hommes tomba pour ne plus se relever.
Déjà le Français s’apprêtait à bondir vers l’endroit où les cris du capitaine Jacobs retentissaient, mais d’autres bandits surgissaient de tous les points du navire.
Maintenant le Français se trouvait entouré par des visages haineux, des mains se tendaient vers lui, prêtes à le saisir.
Un instant, Hamard se crut perdu.
Comment allait-il faire pour résister à une pareille bande ?
Mais de l’autre côté du couloir, derrière les bandits, une porte venait de s’ouvrir, et Eva Brant, elle-même, parut sur le seuil, un revolver dans chacun de ses petits poings crispés.
Sans hésiter, la jeune fille se portait au secours de son ami. Quatre bandits s’abattirent sous ses coups de feu.
Le bruit de la fusillade avait réveillé le second du bord, qui, à son tour, accourait.
Ce renfort déconcerta les assaillants qui, au nombre d’une demi-douzaine, battirent en retraite sur le pont.
Cependant, le capitaine Jacobs s’était relevé.
– En avant ! cria le brave officier.
Sur ses pas, Eva, Maurice et le second, s’élancèrent dans l’escalier. Là, une fusillade terrible les accueillit. Puis, les mutins se ruèrent sur eux en une charge désespérée.
Un terrible corps à corps commença.
Au cours de cette lutte, Maurice Hamard qui cherchait à maîtriser un des marins, lequel semblait des plus acharnés, sentit soudain que la chevelure rousse de celui-ci lui demeurait aux doigts.
Profitant de sa surprise, l’homme dont il venait d’arracher la perruque le renversa d’un croc-en-jambe.
Le Français essaya bien de se retenir mais il était trop tard. Déjà, il s’écroulait sur le dos.
Son adversaire, les yeux brillants de haine, levait son coutelas dans l’évidente intention de le lui plonger dans la poitrine, lorsqu’Eva, d’un coup de crosse sur la nuque, le força à lui faire face.
Alors elle poussa un cri :
– Pablo Vérez !
Se voyant reconnu, le misérable proféra un terrible juron puis, d’un bond il s’enfuit vers l’arrière de la « Généreuse. » où deux de ses compagnons, seuls survivants de la bagarre, le rejoignaient un instant après.
Les bandits, à l’aide d’une corde, sautèrent dans un canot que la goélette traînait en remorque et, ayant tranché cette amarre, disparurent dans la nuit.
– Donnons la chasse à ces misérables ! s’écria Maurice.
Mais le capitaine Jacobs hocha la tête :
– C’est impossible ! murmura-t-il, le brouillard qui couvre cette mer hérissée d’écueils, nous interdit de quitter la route habituelle des navires.
En effet, une brume épaisse, chose rare sous ces latitudes, environnait la goélette.
Force fut donc de se rendre au sage avis du capitaine.
– N’importe, gronda le Français, que ces drôles se tiennent bien, car si jamais je les rencontre à nouveau sur ma route…
Un geste de menace termina sa phrase.
À cet instant, le second remontait du poste de l’équipage.
Il avait l’air si bouleversé, que le capitaine Jacobs ne put s’empêcher de l’interroger.
– Qu’y a-t-il donc Pedro ?
Alors celui-ci, encore tout effaré de l’aventure, conta qu’il venait de trouver tous les marins demeurés fidèles, en proie à un profond sommeil dû sans doute à un narcotique.
Grâce à ce moyen, Vérez engagé sous un faux nom, avait espéré s’emparer des documents que détenait miss Eva Brant.
– Nous l’avons échappé belle ! conclut Hamard.
– Et, sans vous, mon ami, j’étais un homme mort ! fit le capitaine en lui tendant la main. Croyez bien que jamais je n’oublierai cela.
– Bah ! c’est la moindre des choses. Vous en eussiez fait tout autant à ma place.
– N’importe ! puisque les circonstances ont voulu que ce fut moi qui eus besoin de secours, je tiens à vous exprimer ma vive reconnaissance.
Très émus, les deux hommes se serrèrent la main.
Sur ce, chacun regagna sa cabine.
Sans autres incidents, la « Généreuse » arriva à San-Lupe, port situé à l’embouchure du fleuve Amazone.
On séjourna une semaine dans cette ville afin d’y refaire du charbon.
Une après-midi que Eva et Maurice, suivis de Miyala, flânaient par les rues de la cité, miss Brant, ayant acheté une banane à un marchand ambulant, tendit en paiement à cet homme une piécette blanche.
Celui-ci la prit, puis se mit à l’examiner attentivement, la tournant, la retournant, la soupesant, la grattant de l’ongle à plusieurs reprises.
Avec surprise, les deux jeunes gens avaient suivi ce manège du regard.
Mais où leur stupéfaction ne connut plus de bornes, ce fut lorsque l’homme, les fixant bien en face, s’exclama d’une voix sourde et menaçante.
– Votre pièce est fausse !
– Que dis-tu ; drôle ? s’écria Maurice dont les poings se crispèrent.
– Je dis que la pièce que vous m’avez donnée est fausse ! Vous êtes des filous, des faux monnayeurs, et je vais vous faire arrêter.
Aux cris du marchand, une bande d’individus avait envahi la rue, formant cercle autour des jeunes gens.
– Qu’on les fouille ! cria alors le mercanti, ils ont de la fausse monnaie.
Déjà dix mains s’avançaient dans la direction d’Eva Brant et de son compagnon.
– Le premier qui me touche, je le brûle ! jeta Maurice Hamard, tirant un revolver tandis qu’il tentait de se dégager, repoussant de l’épaule les plus rapprochés de ses antagonistes.
Un murmure de menace s’éleva des rangs de la foule qui allait sans cesse grossissant.
En effet, les jeunes gens avaient commis l’imprudence de se hasarder dans l’un des quartiers les plus mal famés de la petite cité où gauchos en rupture de pampas, vaqueros, ayant sur la conscience quelques mauvais coups, vivent à peu près sûrs de l’impunité.
On les avait reconnus pour des étrangers et, de toute évidence, on était disposé à leur faire un mauvais parti.
Des têtes curieuses se montraient aux fenêtres des maisons voisines, chacun semblait désireux de voir comment tournerait ce spectacle inusité.
À ce moment, Eva Brant, qui promenait alentour des regards inquiets, cherchant un improbable agent de police tressaillit légèrement.
Dans un personnage se dissimulant à demi sous un porche plein d’ombre, situé de l’autre côté de la rue, elle avait cru reconnaître Pablo Vérez.
Un coup d’œil plus attentif eut tôt fait de lui démontrer qu’elle ne s’était point trompée.
– Nous sommes perdus, murmura-t-elle en se penchant à l’oreille de son compagnon, qui continuait à discuter avec le marchand et ses acolytes, Pablo Vérez est là, qui nous guette.
D’un signe, elle indiquait le personnage ; Maurice le reconnut à son tour.
– Parbleu ! Je me disais aussi que tout cela n’était point naturel, grommela-t-il.
À présent, le Français comprenait en quel guet-apens son amie et lui venaient de tomber.
Le vendeur de bananes était d’accord avec Pablo qui lui avait fait la leçon et les individus qui prétendaient fouiller les étrangers étaient également à la solde du Brésilien.
Sous couleur de s’assurer que les poches des jeunes gens ne recélaient point de fausse monnaie, on les dépouillerait de tout ce qu’ils portaient, argent, papiers.
De la sorte, Pablo Vérez espérait bien entrer en possession du portefeuille de Dick Brant que sa sœur ou Hamard devait porter sur eux. Le plan était tout à la fois simple et ingénieux.
Plus tard, les volés pourraient déposer une plainte entre les mains des autorités, celles-ci ne parviendraient jamais à découvrir les voleurs.
Ces réflexions s’étaient formulées instantanément dans l’esprit de Maurice Hamard, de son côté, Eva les avait faites également, et maintenant la situation leur apparaissait sous son véritable jour.
– Que faire ? balbutia la jeune fille.
Maurice eut une courte hésitation ; puis, prenant brusquement un parti, il entraîna sa campagne vers une petite place s’ouvrant à quelques pas de là.
Pour y parvenir, il dut culbuter au passage deux ou trois mauvais drôles, qui tentaient de lui barrer le chemin mais la chose fut vite faite.
Cette place était ombragée par des arbres séculaires ; un marché aux bestiaux devait s’y être tenu au cours de la matinée, car un certain nombre d’animaux stationnaient encore là, attachés à des piquets.
Leurs gardiens s’étaient rendus dans des cabarets du voisinage ; on percevait leurs cris, leurs rires, mêlés aux sons des guitares, des accordéons.
– Voilà notre affaire, miss, murmura Maurice. Surtout, ne craignez rien… Je réponds de tout !…
Sans perdre un temps précieux à fournir de plus amples explications à la jeune fille, Hamard la poussa derrière le tronc d’un gros arbre auquel miss Eva s’appuya, défaillante.
La foule, un instant surprise par la brusque retraite des étrangers, se lançait à présent sur leurs traces, en proférant des menaces et des cris de mort.
Cette clameur sauvage parut inquiéter les bœufs demeurés aux piquets, déjà plusieurs redressaient la tête, regardant du côté d’où venait tout ce bruit.
Prestement, Maurice tira le poignard qu’il portait dissimulé dans sa ceinture et trancha les entraves de quatre animaux placés à l’extrémité du parc improvisé, non loin de la rue par laquelle débouchait la populace.
Cela fait, il piqua la croupe des pauvres bêtes avec la pointe de son arme.
Déjà surexcités par les vociférations des survenants, les bestiaux rendus furieux par les piqûres de la lame, se jetèrent en avant et foncèrent tête baissée, cornes basses, droit devant eux, chargeant la foule qui arrivait.
– Bravo, la corrida ! s’exclama Maurice Hamard enthousiasmé qui, leste comme un clown, avait réussi à se jeter hors de l’atteinte des cornes et des pieds des animaux.
Comprenant que, désormais, il n’avait plus besoin de s’en mêler, il se hâta de se réfugier auprès de miss Brant toujours à l’abri derrière son arbre.
De là, les jeunes gens pouvaient espérer jouir en toute sécurité du spectacle qui s’offrait.
Cependant, les gardiens du troupeau comprenant que quelque chose d’anormal se passait sur la place, accouraient, délaissant cartes, dés, ou danseuses.
Leur intervention acheva de porter le désordre à son paroxysme. La charge des bœufs était lancée ; désormais, rien ne pouvait plus l’arrêter.
Aux cris de mort succédèrent des cris d’effroi.
Devant les bêtes furieuses, les bandits de Pablo Vérez et la populace effrayés, se mirent à fuir éperdument.
En un instant, la rue fut déserte.
– Et maintenant, filons ! s’exclama Maurice en riant.
Le conseil était bon.
En effet, une fois les bœufs passés, l’ennemi pouvait revenir. Les deux jeunes gens regagnèrent le port et leur goélette.
– Cher ami, je n’aurais jamais eu cette idée, dit Eva, une fois en sûreté.
Maurice Hamard eut un geste d’insouciance.
– Bah ! répliqua-t-il en pirouettant sur ses talons, nous n’en avons que de pareilles en France.
Et comme Eva le regardait en souriant, il revint vers elle, l’air soudainement grave :
– Seulement, ajouta-t-il, tenons-nous bien… Vérez nous guette ! Puisque les requins de l’Atlantique n’en ont pas voulu, gare à nous !
À cet instant le capitaine Jacobs arrivait sur le pont.
En quelques mots, le Français le mit au courant de ce qui venait de se passer.
Le brave officier hocha la tête, le front soucieux.
Pourtant, bientôt, un sourire vint éclairer sa bonne face rasée.
– Demain, nous serons loin ! annonça-t-il. La « Généreuse » peut partir ce soir même.
– C’est ce que nous avons de mieux à faire ! approuva Maurice. N’est-ce pas, miss Eva ?
– Certes, d’autant plus qu’il me tarde d’arriver à l’ancienne plantation de mes parents et de rentrer en possession de leurs biens.
– Voilà qui n’ira pas tout seul ! murmura Hamard.
Mais, se tournant vers Jacobs, il ajouta cependant :
– Mais nous y parviendrons ! Je l’ai juré et un Français ne saurait manquer à sa parole.